Le sport, c'est aussi la continuation de la politique par d'autres moyens. Il n'y a pas de meilleure explication à la décision de la Fifa d'accorder à l'Afrique du Sud l'honneur d'accueillir la Coupe du monde de football en 2010.
Avec 44 millions d'habitants et une superficie égale à celle de la France, de l'Allemagne et de la Grande-Bretagne réunies, ce pays s'annonce, sur le continent noir, comme une des puissances de demain. Grâce à ses ressources minières et à la richesse de ses banques, il a les moyens financiers d'ajouter à un impressionnant réseau de stades d'autres installations dignes de l'événement. Et puis, cette nation de jeunes, tous fanatiques du ballon rond, a déjà inscrit à son crédit sportif l'organisation, depuis 1995, de la Coupe du monde de rugby, des Jeux africains, des Championnats mondiaux d'athlétisme et de la Coupe du monde de cricket.
Mais rien de tout cela n'a fait la différence. L'Afrique du Sud a gagné parce que, devant le jury de Zurich, elle avait mobilisé ses trois prix Nobel de la paix : deux Noirs, Nelson Mandela et Mgr Tutu, et un Blanc, Frederik De Klerk, le dernier président de l'apartheid. Le fait que le résultat a été acquis dès le premier tour de scrutin traduit une évidence. Comparée au reste de l'Afrique déchirée par les guerres régionales, ensanglantée par les haines ethniques, ruinée par la corruption, l'Afrique du Sud est un miracle.
Alors que, dans le minuscule Rwanda, les Hutus ont massacré un demi-million de Tutsis ou que, dans le prospère Zimbabwe, Robert Mugabe, fou de pouvoir, a délibérément détruit l'économie nationale en chassant les planteurs britanniques, l'Afrique du Sud multiplie les efforts depuis 1994 pour assurer l'harmonie nationale. Entre la tribu noire qui a le poids du nombre et la tribu blanche qui garde le contrôle de l'économie, un compromis a été trouvé. Celui d'une réconciliation raisonnée.
Dès 1976, l'Afrique du Sud avait été chassée de l'organisation internationale du football pour les mêmes raisons qui lui avaient valu de subir les sanctions de l'ONU. Parce que, sous le régime de l'apartheid, la minorité opprimait la majorité, aucune indulgence ne pouvait être accordée à un pays qui avait comme règle la discrimination raciale. Aujourd'hui, l'Afrique du Sud est récompensée d'avoir renoncé à la vengeance. Nelson Mandela qui, après 27 ans de prison, osa prêcher le pardon, a donc eu le mot juste : «Pour nos dix ans de démocratie, il ne pouvait pas y avoir de plus beau cadeau d'anniversaire que cette Coupe du monde.»
Bien sûr, ce dénouement est amer pour les autres candidats. Notamment, le Maroc, arrivé deuxième avec un score si honorable que sa défaite s'explique seulement par la crainte du terrorisme. Mais, battue par l'Allemagne pour le Mondial de 2006, l'Afrique du Sud vient de démontrer la sagesse de sa stratégie à la Clausewitz. Le secret, c'est de persister sur la voie de la démocratie.
le figaro