Palestine : Arafat corrompu ?
Arafat vivant en camp retranché à la Moqataâ, entourée d'amas de ruines. Telle est l'image médiatique du vieux leader palestinien. Pourtant, un rapport du FMI sur les finances palestiniennes, relayé par de nouvelles enquêtes, confirme les pires accusations de corruption. Explications. Par Laetitia Grotti
Dimanche dernier, cent cinquante journalistes palestiniens de la Bande de Gaza ont manifesté pour dénoncer les agressions dont ils sont victimes depuis plusieurs semaines. Agressions qui, selon Hassan Al-Kachef, rédacteur en chef de l'hebdomadaire Ad-Dar, pourraient avoir pour origine des articles portant sur la corruption au sein de l'Autorité palestinienne. Trois jours plus tard, Yasser Arafat empêche son Premier ministre, Ahmed Qoreï, de mettre en place une réforme financière demandée par les autorités européennes et américaines afin de limiter la corruption. Depuis deux ans, Salem Fayed, ministre palestinien des Finances nommé par Mahmoud Abbas et maintenu par Qoreï, dénonce l'existence d'un système mafieux où tout se paie en liquide, où l'argent des bailleurs de fonds internationaux est détourné sans
vergogne, où un réseau de monopoles détenus par des proches du leader historique permet d'enrichir grassement une oligarchie, au détriment du peuple.
Ces critiques virulentes, émanant de différentes composantes palestiniennes, s'ajoutent aujourd'hui à la méfiance exprimée depuis quelques temps par l'Union européenne et par le FMI envers l'Autorité palestinienne, et plus particulièrement Yasser Arafat.
Retour en arrière
Nous sommes le 6 mars 2001, une parlementaire européenne, Theresa Villiers, pose par écrit une question au commissaire européen pour les Affaires extérieures, Chris Patten, concernant les crédits communautaires octroyés à Yasser Arafat. "La commission pourrait-elle indiquer si des crédits communautaires ont été alloués directement, en espèces, à Yasser Arafat ?". Elle poursuit : "Dans l’affirmative, la commission peut-elle préciser : quelles sommes ont été ainsi payées, quel montant a été versé, à quelles dates les versements ont eu lieu ?…". Et de conclure : "Pourrait-elle, en particulier, confirmer s’il a été décidé de verser à M. Arafat entre 20 et 30 millions d’euros par mois aussi longtemps que la situation demeurerait critique au Proche-Orient ?". Deux mois plus tard, la réponse de Chris Patten parvient au Parlement européen : "La Commission n’a jamais accordé directement de crédits ni au président Arafat, ni à l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Toutes les aides octroyées par la Communauté européenne aux territoires palestiniens sont destinés à l’Autorité palestinienne (AP), par l’intermédiaire de ses ministères des Finances et de la Coopération internationale (…) L’autorisation des paiements est subordonnée à des conditions visant à en assurer l’utilisation correcte (…) Le FMI contrôle le respect de ces conditions…".
Malheureusement pour Chris Patten, il faut croire que ces réponses n’auront pas suffi à éteindre les doutes des euro-députés. En effet, loin de s’en satisfaire et après que d’autres indices vinrent s’ajouter au scepticisme ambiant, plus du quart d’entre eux signent une résolution demandant l’instauration d’une commission d’enquête chargée de faire la lumière sur l’usage d’une aide financière qui s’élève actuellement à 11 millions d’euros par mois. Dès le lendemain, l’Office européen de lutte anti-fraude (OLAF), un service d’enquête inter-Union européenne, indépendant et dont les pouvoirs d’investigation sont très étendus, prenait souverainement la décision de mener cette enquête sur les finances de l'AP. Nous sommes alors en février 2003, soit deux ans après la question écrite de Theresa Villiers.
Depuis, les soupçons semblent se confirmer dangereusement. Surtout depuis la publication, le 20 septembre dernier, d'un rapport du FMI, accablant. Le responsable de l'enquête, Karim Nashashibi, un Palestinien des territoires occupés, avait alors pointé du doigt "les détournements de revenus du budget palestinien vers un compte bancaire spécial contrôlé par Arafat". Peu après, c'est le Parquet de Paris qui, comme nous l'apprend Le canard enchaîné de la semaine dernière, décidait d'ouvrir à la mi-octobre 2003 une enquête préliminaire pour blanchiment visant Soha Arafat, l'épouse du dirigeant palestinien, qui habite à Paris. Objet : faire la lumière sur plus de 9 millions d'euros, qui, en un an, ont atterri sur ses comptes bancaires. La semaine dernière, certaines fuites émanant de l’intérieur de l’OLAF semblaient devoir confirmer les pires craintes.
Une oligarchie mafieuse
À la tête de l’Autorité palestinienne depuis 1994, Yasser Arafat est aujourd’hui accusé de détourner les finances palestiniennes à des fins personnelles, ainsi que pour financer des actes terroristes. Ces accusations ont été lancées par celui que de nombreux Palestiniens ont surnommé "Mr. Propre", Salem Fayed, ministre des Finances. Cet économiste de 50 ans a été formé à l’université de Beyrouth ainsi qu’à l’université d’Austin aux États-Unis. Il a également été représentant du FMI dans les territoires autonomes palestiniens avant d’exercer ses responsabilités ministérielles. Il avait été chargé par l'ancien Premier ministre Mahmoud Abbas de rendre les finances palestiniennes transparentes. Ce qu’il s’est attelé à faire, non sans mal. Car c’est tout un système mafieux qu’il a fallu décoder puis commencer à démanteler. Il a ainsi, entre autres, révélé l’existence d’un réseau de monopoles sur les produits de base tels que farine et ciment, attribués par Arafat à des proches qui, à leur tour, exploitaient les Palestiniens. Tout comme il démontre que le monopole le plus lucratif mais aussi le plus corrompu, la Société Générale de Carburants (General Petroleum Corporation) servait non seulement à empocher des sommes colossales via des prix exorbitants mais qu’Arafat se servait dans la caisse, quand il n’avait plus de liquidités. Résultat : quand Fayed s’attaque au démantèlement de la GPC, l’homme placé à la tête de l’entreprise prend la fuite. Les Palestiniens, quant à eux, paient actuellement leur essence 20% de moins et jusqu’à 80% de moins pour leur gasoil. Interviewé en novembre 2003 dans le cadre d'un reportage de l'émission 60 minutes sur CBS, Salem Fayed déclare également qu'Arafat paie tous les mois, en liquide et de la main à la main, 20 millions de dollars à ses forces de sécurité. Or, qui paie commande. Ce que confirme Denis Ross, autre interviewé de poids, puisqu'il fut chargé des négociations au Moyen-Orient du temps des présidents Bush (père) et Clinton. Lui aussi prétend que l'argent mis en circulation servait à financer un vaste réseau de racket : "J'ai vu cela : des gens entraient [dans le bureau d'Arafat] en demandant 'J'ai besoin d'un téléphone', 'j'ai besoin d'une opération', 'j'ai besoin d'un job'…Arafat avait de l'argent à distribuer, comme un chef mafieux".
Opposant notoire d'Arafat, S. Fayed ne va pas s'arrêter à rendre les comptes publics plus transparents, c'est lui qui va demander à ses anciens collègues du FMI de procéder à un audit des finances palestiniennes. Rendu public en septembre 2003, ce dernier révèle qu’entre 1995 et 2000, Arafat qui, rappelons-le, est le seul à pouvoir exécuter des mouvements sur les différents comptes, a détourné au total plus de 900 millions de dollars provenant du budget palestinien. Si les enquêteurs n'ont pu déterminer ce qu'était devenue la totalité de cette somme (investissements de l'AP ou, selon certaines accusations, détournement de cadres palestiniens, voire financements d'organisations restées fidèles au "Vieux"), ils ont en revanche localisé 300 millions de dollars sur un compte secret bancaire suisse, hébergé à la prestigieuse banque Lombard au seul nom d'Arafat. De même que ce rapport donne le détail des investissements personnels d'Arafat dans des sociétés comme l’usine d’embouteillage Coca-Cola de Ramallah, des téléphones cellulaires en Tunisie, des fonds de capital-risque aux États-Unis et dans les îles Caïman en passant par Israël, où le vieux leader a placé plusieurs millions de dollars sur des valeurs de haute technologie.
Rappelons que l'aide internationale constitue environ 60% du budget annuel des Palestiniens. La plus grande partie de cette aide provient de l'Union européenne. Si ce soutien a diminué durant ces trois dernières années d'affrontements, notamment en raison des craintes de corruption, qu'adviendra-t-il si le rapport de l'OLAF - qui doit être remis courant mars - confirme le détournement des crédits européens ? En Israël, une source européenne citée par Le monde estime, sous couvert d'anonymat, que ce rapport pourrait, en fonction de son contenu, être l'objet d'une utilisation "politique". De là à penser que la succession d'Arafat est ouverte…
source :telquel