On pourrait appeler cet épisode «arabisation bis», car il s’y agit encore d’une des particularités de notre merveilleux pays.
Vous souvient-il, chers lecteurs, de la rubrique (L’Economiste N° 2507 du 17 avril 2007) où nous constations que la plupart des administrations publiques -mis à part la Justice, entièrement arabisée- officiaient en français, pour le plus grand bonheur des francisants et des étrangers résidant au Maroc? Je reconnais avoir omis de préciser (mea culpa) que leurs imprimés, sur du papier de belle qualité distribué en abondance à tous les abonnés (pauvres forêts!) comportent parfois une face en arabe et une face en français.
Exemple: les feuilles d’impôts sont de magnifiques éditions synoptiques, avec la traduction fidèle de chaque libellé: le titre «avis d’imposition» est dûment écrit en arabe et en français dans une belle calligraphie informatique, et la page rectale partagée en deux colonnes, à droite l’arabe, à gauche le français.
Fort bien. Mais quid des mentions «personnelles», c’est-à-dire le nom du contribuable, le montant de l’impôt, le lieu de la perception? En français.
Or, tel n’est pas le cas de tous les imprimés: ceux de l’opérateur téléphonique officiel, eux, sont entièrement en français, recto verso. En bilingue seulement, le nom de la société, son capital, son siège et ses numéros de téléphone. Soyons optimistes, c’est déjà ça. Trêve de précisions. Deux jeunes hommes sont liés d’une amitié solide, ayant suivi leurs études supérieures dans la même université, notre célèbre Al Akhawayne, dont l’efficacité n’est plus à démontrer. Signes particuliers: l’un est Marocain, l’autre Jordanien.
Leurs études terminées, chacun réintègre ses pénates d’origine, enfin sa ville pour le Marocain et son pays pour le Jordanien, chacun voulant participer au développement et à l’avenir de son pays respectif. Ils restent affectueusement en contact téléphonique et informatique grâce au génie de l’ADSL.
Or, voici que le papa jordanien décède. Son ami marocain, informé, court le réconforter et assister aux obsèques. Le père marocain, ne souhaitant pas parler à la veuve au téléphone, par respect de nos contrées pour les représentantes du sexe opposé, entreprend de lui envoyer un télégramme. Chez nous, les Arabes, les messieurs sont vraiment respectueux. Vous rappelez-vous l’attitude du ci-devant président Jacques Chirac, caressant affectueusement le bras de la veuve de l’ancien Premier ministre libanais? Fi! Un peu de considération pour une épouse endeuillée…
Notre papa marocain téléphone donc aux services des postes et télécommunications; d’abord il appelle le siège social de l’opérateur national, demandant le département des télégrammes. Silence au bout du fil. La préposée, voix douce et fluette, n’en ait rien ; elle lui suggère gentiment d’appeler le 160, les renseignements (on les a formés, ne le nions pas, il est loin le temps où les employés vous disaient «non» en vous raccrochant au nez aussi sec).
Il compose le 160, qui répond après un disque de bienvenue (oui, oui, amélioration visible!) Puis une voix masculine lui apprend qu’il faut composer le 140. Occupé. Apparemment, les abonnés sont tous en train d’envoyer, en même temps, des télégrammes tous azimuts. Il réitère plusieurs fois son appel ; finalement il tombe sur une opératrice qui l’invite gracieusement à lui dicter son texte. Enchanté de cette prévenance, le Monsieur lit son document qu’il a rédigé dans l’arabe le plus pur: d’émouvantes condoléances, louant les mérites du disparu et appelant la miséricorde divine à dispenser Sa patience infinie aux membres de la famille.
Là, il se heurte à un os, sans mauvais jeu de mots: écoutant la dictée, l’opératrice l’interrompt poliment pour l’aviser que les textes en arabe ne «passent pas». Comment ça? Elle explique que les télégrammes se font en français, parce que, dit-elle, La Poste n’a pas de machine à télégraphier en caractères arabes. En revanche, pour compenser cette lacune impossible à rectifier, elle lui propose de formuler son message en arabe, mais en lettres latines. Le stratagème ressemble à celui qu’utilisa Mustapha Kemal, père de la Turquie moderne, débarrassée de l’Empire ottoman: transcrire les mots arabes ou plutôt islamiques, en caractères latins. Faut-il qu’on n’ait pas envie d’appartenir à la Oumma arabe… Le citoyen refuse net: ne sommes-nous pas dans un pays dont la langue officielle est l’arabe? Vous avez raison, dit-elle, mais que voulez-vous… Notre ami n’a plus qu’à traduire en français sa missive télégraphique, quelque peu peiné. N’est-il pas gênant pour un Marocain que d’envoyer un télégramme en français dans un pays d’Orient où on est arabisant avant tout, avec d’autres langues certes, mais en second lieu?
Moralité: sont-ce là les restes du protectorat? Alors, que les pays d’Europe ne se plaignent pas trop de l’immigration maghrébine, ils ne font que récolter ce qu’ils ont semé.
Fatiha Boucetta
L'Economiste
Vous souvient-il, chers lecteurs, de la rubrique (L’Economiste N° 2507 du 17 avril 2007) où nous constations que la plupart des administrations publiques -mis à part la Justice, entièrement arabisée- officiaient en français, pour le plus grand bonheur des francisants et des étrangers résidant au Maroc? Je reconnais avoir omis de préciser (mea culpa) que leurs imprimés, sur du papier de belle qualité distribué en abondance à tous les abonnés (pauvres forêts!) comportent parfois une face en arabe et une face en français.
Exemple: les feuilles d’impôts sont de magnifiques éditions synoptiques, avec la traduction fidèle de chaque libellé: le titre «avis d’imposition» est dûment écrit en arabe et en français dans une belle calligraphie informatique, et la page rectale partagée en deux colonnes, à droite l’arabe, à gauche le français.
Fort bien. Mais quid des mentions «personnelles», c’est-à-dire le nom du contribuable, le montant de l’impôt, le lieu de la perception? En français.
Or, tel n’est pas le cas de tous les imprimés: ceux de l’opérateur téléphonique officiel, eux, sont entièrement en français, recto verso. En bilingue seulement, le nom de la société, son capital, son siège et ses numéros de téléphone. Soyons optimistes, c’est déjà ça. Trêve de précisions. Deux jeunes hommes sont liés d’une amitié solide, ayant suivi leurs études supérieures dans la même université, notre célèbre Al Akhawayne, dont l’efficacité n’est plus à démontrer. Signes particuliers: l’un est Marocain, l’autre Jordanien.
Leurs études terminées, chacun réintègre ses pénates d’origine, enfin sa ville pour le Marocain et son pays pour le Jordanien, chacun voulant participer au développement et à l’avenir de son pays respectif. Ils restent affectueusement en contact téléphonique et informatique grâce au génie de l’ADSL.
Or, voici que le papa jordanien décède. Son ami marocain, informé, court le réconforter et assister aux obsèques. Le père marocain, ne souhaitant pas parler à la veuve au téléphone, par respect de nos contrées pour les représentantes du sexe opposé, entreprend de lui envoyer un télégramme. Chez nous, les Arabes, les messieurs sont vraiment respectueux. Vous rappelez-vous l’attitude du ci-devant président Jacques Chirac, caressant affectueusement le bras de la veuve de l’ancien Premier ministre libanais? Fi! Un peu de considération pour une épouse endeuillée…
Notre papa marocain téléphone donc aux services des postes et télécommunications; d’abord il appelle le siège social de l’opérateur national, demandant le département des télégrammes. Silence au bout du fil. La préposée, voix douce et fluette, n’en ait rien ; elle lui suggère gentiment d’appeler le 160, les renseignements (on les a formés, ne le nions pas, il est loin le temps où les employés vous disaient «non» en vous raccrochant au nez aussi sec).
Il compose le 160, qui répond après un disque de bienvenue (oui, oui, amélioration visible!) Puis une voix masculine lui apprend qu’il faut composer le 140. Occupé. Apparemment, les abonnés sont tous en train d’envoyer, en même temps, des télégrammes tous azimuts. Il réitère plusieurs fois son appel ; finalement il tombe sur une opératrice qui l’invite gracieusement à lui dicter son texte. Enchanté de cette prévenance, le Monsieur lit son document qu’il a rédigé dans l’arabe le plus pur: d’émouvantes condoléances, louant les mérites du disparu et appelant la miséricorde divine à dispenser Sa patience infinie aux membres de la famille.
Là, il se heurte à un os, sans mauvais jeu de mots: écoutant la dictée, l’opératrice l’interrompt poliment pour l’aviser que les textes en arabe ne «passent pas». Comment ça? Elle explique que les télégrammes se font en français, parce que, dit-elle, La Poste n’a pas de machine à télégraphier en caractères arabes. En revanche, pour compenser cette lacune impossible à rectifier, elle lui propose de formuler son message en arabe, mais en lettres latines. Le stratagème ressemble à celui qu’utilisa Mustapha Kemal, père de la Turquie moderne, débarrassée de l’Empire ottoman: transcrire les mots arabes ou plutôt islamiques, en caractères latins. Faut-il qu’on n’ait pas envie d’appartenir à la Oumma arabe… Le citoyen refuse net: ne sommes-nous pas dans un pays dont la langue officielle est l’arabe? Vous avez raison, dit-elle, mais que voulez-vous… Notre ami n’a plus qu’à traduire en français sa missive télégraphique, quelque peu peiné. N’est-il pas gênant pour un Marocain que d’envoyer un télégramme en français dans un pays d’Orient où on est arabisant avant tout, avec d’autres langues certes, mais en second lieu?
Moralité: sont-ce là les restes du protectorat? Alors, que les pays d’Europe ne se plaignent pas trop de l’immigration maghrébine, ils ne font que récolter ce qu’ils ont semé.
Fatiha Boucetta
L'Economiste