Pour revenir à la question du sens originel du verbe AGH, mon intime conviction est qu’il s’est, ou bien complètement éteint, ou bien renfermé sous une forme fossile impénétrable dans l’une de ces expressions figées, comme « yagh iyi’d », que nous avons recensées ici.
Dans d’autres parlers que celui du Souss, le verbe YAGH est sans doute encore vivant, mais à chaque fois, le sens exprimé n’est qu’un sens figuré. Car le sens propre (ou sens originnel ) d’un mot, doit pouvoir se retrouver, d’une quelconque manière, dans chacune de ses occurrences portant un sens figuré.
J’ai essayé avec toutes les acceptions de YAGH usitées dans le Sud-est du domaine Chleuh et proposées par Agoram et Tamaynut ( se répandre, s’allumer, imprégner …), j’ai également tenté avec l’acception usitée chez les Kabyles ( prendre ) et celle encore en usage au Moyen-Atlas ( parvenir ), mais aucune d’elles ne peux tenir lieu de dénominateur commun à toutes les autres.
Pour trancher dans ce genre de questions, il faudra, sans doute, une recherche approfondie et systématique, ce que ne pourra faire qu’un spécialiste !
Yagh est un verbe trop vieux, il remonte probablement au Proto-berbère puisqu'on le retrouve dans presque tous les parlers berbères, ce qui explique l’éparpillement de ses sens figurés et la difficulté que cela pose lorsqu’il s’agit de remonter à la signification originelle.
J’ai, néanmoins, réussi à débusquer le sens renfermé dans le AGH fossilisé dans « agh’enn arwass » !
Il existe, en effet, une autre expression équivalente et dans laquelle AGH de « agh’enn arwass » a cédé la place au verbe LAHG emprunté à l’Arabe dialectal.
L’expression « lahg arwass » ou « lahg’enn arwass » est usité dans le Souss, et LAHG est un arabisme dérivé du mot arabe « LAHAQA » ( rattraper, arriver … ) mais qui, en Tachelhit, prend aussi le sens de « rejoindre », « parvenir », « atteindre » lorsqu’il est annexé à la particule d’orientation « nn ».
Or Agoram et Tamaynut nous avaient signalé l’existence d’une expression usitée à Taznaght : « agh tawuri nek » ( vas t’occuper de ton travail ). Cette même expression est usitée dans le Souss, mais avec LAHG : « lahg tawuri nek » ou « lahg lhemm nek » ( occupe-toi de tes affaires ).
Par ailleurs, et c’est là où je voulais en venir, on dit aussi, dans le Souss, « lkem tawuri nek » ou « lkem lhemm nek » pour dire la même chose que « lahg tawuri nek » et « lahg lhemm nek ».
Or, par le truchement d’un vulgaire raisonnement transitif, on arrive à la conclusion que AGH n’est autre que LKEM, puisque AGH = LAHG et que LAHG = LKEM !
Le verbe LKEM, qui est très usité dans le Souss, peut être traduit en Français par « arriver », « parvenir », « atteindre », mais lorsqu’il est suffixé d’une particule « nn » d’éloignement, il prend le sens de «vas rejoindre quelqu’un ou quelque chose », exemple : « lkem’enn babak gh thanut » ( va rejoindre ton père à la boutique ».
Bref, « agh’enn arwass » ne signifie finalement que « va rejoindre l’enfer » !