Un très bel hommage a DDa Ali Azayku, lisez !

waggag

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Ali Azayko,

grand poète, militant, historien et penseur amazighe, nous a quitté.

Quand on veut parler de la mort, les mots prennent peur, se figent, car les mots, eux aussi, meurent. Les mots, « puces » de la mémoire humaine, meurent quand leur transmission n’est plus assurée pour une raison ou une autre, quand une langue perd le contrôle de son propre destin. Et dit Jean Dutourd de l’Académie Française : « Il n’y a pas de plus grande douleur, qu’une langue que tue brusquement l’histoire, devant les yeux même de ses poètes ».

Et Ali Azayko était un grand poète amazighe, et la langue amazighe était en péril. Fils du Haut Atlas, il a hérité des lieux de son enfance, une hauteur, une sensibilité et une endurance à toute épreuve. C’était un vrai montagnard et fier de l’être. A ces qualités héritées d’une nature et d’une culture merveilleuses et millénaires, est venue s’ajouter une formation scientifique et intellectuelle des plus solides.

Il aura été l’un des premiers-si ce n’est le premier- intellectuels marocains à remettre en question ce qui était perçu à l’époque par l’intelligentsia dominante, comme une évidence : le Maroc était un pays arabe à part entière, culturellement et politiquement parlant. Et toute l’histoire et la politique culturelle devaient aller dans le sens de cette évidence. Ali Azayko constata que cette « évidence » était en fait une aberration de l’histoire, car ce n’était qu’une évidence idéologique qui ne résistait pas aux preuves que constituent les données objectives, historique, linguistique et anthropologique. Et ces données attestent que la culture amazighe constitue le fond civilisationnel de toute l’Afrique du Nord, un fond millénaire où sont venus se déposer tous les autres apports extérieurs. De ce fait, l’identité marocaine est une identité amazighe, et comme toute identité, elle ne peut être qu’ouverte et plurielle dans ses expressions, mais une et commune dans son essence et sa permanence amazighes.

Nous sommes en 1982, et l’Etat s’était senti menacé par la simple proclamation d’une vérité que personne ne conteste aujourd’hui, exceptés les ignares ou les politiciens irresponsables. Ali Azayko était arrêté pour atteinte à la sécurité de l’Etat, jugé, condamné à plus d’un an de prison ferme. Quand on relit aujourd’hui l’article mis en cause, on ne peut qu’être révolté par cette grande injustice, par une perversion de l’histoire qui est allé jusqu’à vouloir étouffer la vérité de tout un peuple, de toute une civilisation.

Mais si cette injustice a brisé la santé physique du grand militant, elle n’a rien pu contre la sensibilité du grand poète, ni contre la perspicacité et la persévérance du grand historien et penseur. La lutte quotidienne et acharnée contre la souffrance d’une maladie incurable contractée en prison n’a en rien altéré sa détermination dans la lutte pour l’amazighité et la dignité des marocains. Parallèlement à son corps qui s’affaiblissait de jour en jour, une puissance intellectuelle et humaine, une fidélité sans concession pour ses convictions se dégageaient de l’homme comme une force invisible qui ne laissait personne indifférent.
Jusqu’au bout, Da Ali restera fidèle à lui même : indulgent sur la forme, intraitable sur le fond : la vérité et les principes. Il avait l’assurance de celui qui sait, sans pour autant tomber dans la satisfaction des intellectuels médiocres. Il avait aussi l’ardent désir que tous, ou du moins, une majorité, puissent avoir accès au même savoir. Pour lui, l’ennemi no un de tous nos maux, c’était l’ignorance.

Cette conscience de celui qui sait que les autres ne savent pas qu’ils sont menés en bateau est une source de douleur supplémentaire que Da Ali n’a pu partager qu’avec un groupe d’amis restreint. Mais le temps lui a laissé au moins le temps de voir qu’il n’était plus seul, que la force de ses idées a fini par s’imposer à tout le Mouvement Culturel Amazigh, à la société entière. Le Discours Royal d’Ajdir et la création de l’IRCAM ont été pour lui comme une revanche de l’histoire sur la simplification de l’histoire.
Reste maintenant au MCA d’honorer sa mémoire comme il se doit : connaître et faire connaître cet homme aux multiples dimensions, surtout sa poésie, sa pensée, sa philosophie car il en avait une. C’est un devoir de mémoire. C’est aussi un plaisir et un privilège que de connaître des hommes de cette trempe.

J’ai eu l’immense honneur de connaître et d’admirer cet homme. C’est un dinosaure amazighe marocain qui vient de disparaître. Qui vient de renaître, car notre société a cette fâcheuse habitude de ne reconnaître la qualité des hommes qu’après leur mort. C’est peut-être aussi une philosophie marocaine à méditer.

« Timitar » et « Izmuln » sont les deux recueils de poèmes en tamazight que le défunt nous a légués, ou du moins ceux que j’ai eu l’honneur de connaître. Rien que ces deux intitulés nous donnent déjà un avant goût de ce qu’ils sont : des testaments renfermant toute la substance d’une volonté inébranlable d’être ce qu’elle a choisi librement d’être : une conscience qui dérange, qui empêche les autres de tourner en rond, par devoir, pour la vie, la dignité de millions d’hommes et de femmes qui n’ont pas pu avoir le privilège d’apprendre, de connaître. Celui qui voyait ce que les autres étaient incapables de voir, qui disait haut et fort ce que d’autres ne pouvaient pas dire. Dans ce sens, son combat était aussi un combat pour la liberté.

Repose en paix, Da Ali, tu l’as mérité amplement. Nous sommes nombreux à jurer fidélité à l’engagement, aux principes et à la générosité qui sous-tendaient ton combat. Et que vive Tamazight et la liberté, car l’une ne va pas sans l’autre.

Quand on parle de la mort, les mots se font tout petits, car les mots meurent aussi. Demeure alors la poésie, seule expression pour dire l’absence, évacuer la douleur. C’est pour cela qu’ Imazighen d’autrefois, faisaient Ahidous ou Ahwach pour chanter la mort.
Voici pour notre regretté, un petit poème jailli de la douleur provoquée par cette terrible perte :

IDDA ITRI d IGRAN ASID ALLIG NZRA
TAMAZIVT TEFFEV TILLAS ELLI NEKKA ADWALI
UR NANNAY MAX ICANN UR UKIZX CIGAN DATI
YALID ITRI IGRID ASIDD ALLIG NEZRA
AMUR ENNX EKKERD ASSA GIN AMAN HATIN
MVIN IFSAN EG WACAL MVURR IVBULA
ETCIT A Ali atig ufafa n umaziv d iman
Etcit ixf i wafa yak an idir gulux
Tamazirt ililli d izrfan ad ilin g errif
Yili latlas ed sus addur amm elli tizwiri
Idda yitri edd ican asidd allig allig d ivus
Ivus umvar s tasa ED UMUR umaziv gellin
Iwa ejjennt ak artix A DDA ALI ATtafim daTAk
Taxatart en tigilla a yusix eg ul inw
Tamatart ennek dati nekkinn usar issen egrix
Tamaziv tudrt usar ettux emmanu d wacal.


Uoli xadawi
Ali Khadaoui
N.B :
Cet article été écrit pendant la semaine où Ali Azayko est décédé. Certaines affirmations doivent donc être revues à la lumière de certains événements survenus entre temps.


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