Said Naciri, comédien et humoriste : «Je rêve comme je veux lorsque je produis mes propres œuvres»
27.04.2005 | 14h21
Vous avez été le réalisateur, le scénariste et l'interprète de deux rôles dans votre dernier long-métrage «Les Bandits». Ne pensez-vous pas que vous avez accumulé plusieurs missions à la fois?
Je sais et je suis même conscient de cette donne. J'étais obligé d'entamer une expérience totalement nouvelle, car je me suis dit que l'on n'est jamais bien servi que par soi-même. J'ai soumis mon scénario «Ouled Derb» au réalisateur Hassan Benjelloun et je juge qu'il n'en a pas fait bon usage.
Le résultat de cette collaboration est l'échec du long-métrage «Ould Derb» qui était à la base une pièce théâtrale réussie, et dont le casting était également de haut niveau. Le bémol se situe au niveau de la réalisation qui lorsqu'elle est absente, on peut aisément prédire que le film est mauvais. Pire, lorsque celle-ci est mauvaise, l'échec du film est incontournable.
Lors de mon deuxième essai avec le cinéma, j'ai commencé à cogiter toutes les éventualités, et je me suis dit que je n'avais pas beaucoup de choix.
Si je devais confier mon second long-métrage «Les Bandits» à un réalisateur étranger, surtout que le film était le produit d'une combinaison cinématographique laborieuse : l'action et l'humour, le réalisateur européen ne pourrait pas avoir le réflexe culturel du sens humoristique marocain.
Et comme je suis en permanence en contact avec mon public, je me suis dit que je maîtrise suffisamment les thèmes qui le font rire, et de surcroît j'étais également suffisamment renseigné des rouages de la réalisation. Le résultat définitif est que je me suis dis pourquoi pas et j'ai pris le risque. Après tout, c'est mon film, c'est mon argent, c'est mon nom et je rêve comme je veux. «Les bandits» est un film qui a jailli des sentiments spontanés et naturels.
Malheureusement, la créativité qui différencie une création cinématographique d'une autre fait défaut chez certains réalisateurs nationaux. Ils maîtrisent les règles de la réalisation, mais ils n'ont pas cet aspect d'inventivité ou, selon les Américains, cette espèce d'émotion innée qui ne s'apprend pas dans les instituts du cinéma, et qui constitue le fer de lance pour diriger les acteurs et réussir le projet du long-métrage.
Ce long-métrage a eu le mérite d'être un grand laboratoire d'acrobaties techniques. Vous avez décidément pris des risques énormes?
En un mot, j'ai fait confiance au savoir-faire des Marocains et cela a fonctionné. Au lieu d'aller faire les 3D et des images de synthèse chez les Européens, j'ai eu la conviction que ces solutions sont réalisables au Maroc. Le risque réside dans le télescopage de l'image de synthèse qui, une fois sur le grand écran, dégage des anomalies techniques béantes. Les infographistes nationaux ont relevé le défi et ont dépassé les obstacles de main de maître.
Par ailleurs, je dois souligner que j'ai eu le soutien des amis et des sponsors qui m'ont encouragé à suivre mon rêve jusqu'au bout. Pour la petite histoire, lors du montage du film en Belgique, un réalisateur belge m'a posé la question du coût de mon film. Je lui ai répondu 9 millions de dirhams. Il m'a répliqué que j'avais de la chance de réaliser un film avec un budget aussi minime. Juste après, je me suis rectifié et je lui ai dit qu'il a nécessité 4 millions de dirhams sans compter mon salaire, le réalisateur est resté sans voix.
Vous êtes ce que l'on appelle un self-made-man. Vous étiez cadre à la banque puis homme d'affaires et finalement un comédien. Dans quel rôle vous vous sentez confortable ?
J'ai appris à être autonome et dépendre sur moi-même depuis l'âge de 13 ans. Né au quartier Derb Sultan, je devais à l'époque vendre des bricoles au Kissariat pour payer mes études au collège. Plus tard, je suis parti aux Etats-Unis avec 1000 dirhams en poche ; et malgré cela, j'ai pu travailler et terminer mes études.
A côté de cela, je menais une vie très active avec mes amis, et je pouvais organiser des manifestations intéressantes à partir d'une idée très simple.
De fil en aiguille, et sans le vouloir, je me retrouvais constamment chef de fil et je pouvais gérer le groupe de mes amis, ainsi que nos projets en ressentant un plaisir inouï. Au retour au Maroc, il fallait trouver un boulot car j'avais la responsabilité de ma famille.
C'est au moment où j'ai constaté que le public a apprécié le «stand-up comedy» qui était un concept nouveau au Maroc, et durant lequel je faisais rire mon public pour au moins 2 heures que j'ai pris mon talent au sérieux. Déterminé à poursuivre une carrière artistique, j'ai créé en 1995 ma propre société de production. Et c'est la banque dans laquelle je travaillais qui m'a encouragé à réaliser mon rêve, et elle m'a déboursé la première somme de ma première tournée. Imaginez-vous qu'un jour le président directeur général de la banque m'a convoqué dans son bureau, et je ne vous dis pas la peur que je ressentais pensant qu'il allait me virer. Ma crainte s'est vite dissipée lorsqu'il m'a dit avec le sourire aux lèvres qu'il aimerait avoir 100 cadres comme moi à la banque. Il m'a offert 100.000 dirhams pour faire ma tournée et une belle promotion en me nommant directeur des relations internationales au siège de la banque.
R'bib, un sit-com, a été diffusé en prime time, durant le mois de ramadan dernier, et il a suscité non seulement de l'admiration, mais aussi des critiques virulentes
Les critiques que l'on a reçus ont provenu d'un seul journal. Et ces critiques sont dénuées de toute logique, car il y avait un règlement de compte entre deux journalistes de ce quotidien et la deuxième chaîne. Et ils s'acharnaient contre toutes les productions de la chaîne.Ceci dit, je suis loin d'être prétentieux et dire que le sit-com était parfait. L'essentiel, c'est qu'il a réalisé des statistiques encourageantes et atteint 70% d'audimat ; je trouve cela magnifique. Sur le plan commercial, il a été satisfaisant pour 2M, sans oublier qu'il a fait travailler 250 comédiens et comédiennes ; et le summum de son succès est l'accueil que les enfants lui ont réservé.
Vous vous préparez, paraît-il, pour le tournage d'un nouveau long-métrage?
Malheureusement, j'ai eu la malédiction de la direction du CCM qui a refusé de m'accorder la subvention. J'ai contacté la direction pour avoir des explications, on m'a répondu qu'après la lecture du script, on a décidé que Said Naciri était débrouillard et qu'il pouvait facilement dénicher les fonds pour tourner son film. Et qu'une fois le film terminé, la direction pourrait lui donner une subvention. Je n'ai pas accepté la manière avec laquelle les artistes marocains étaient traités lors du festival du cinéma à Marrakech.
Et je pense que c'est le prix de ma réaction lors du festival qui est la cause de cette malencontreuse décision.
Vous avez réussi un grand coup de marketing en traduisant "Les Bandits" en langue Tamazight. Quelle a été la réaction du public ?
C'est évident que c'est une stratégie de marketing. D'autant plus que j'ai rencontré des gens qui m'ont parlé en berbère et qui m'ont dit qu'ils ont vu le film, mais qu'ils n'ont pas compris le dialogue.
Suite à un spectacle en France, et au cours duquel j'ai rencontré des jeunes qui parlent français et berbère, et qui m'ont demandé de traduire «Les Bandits» pour le comprendre. J'ai bien fait car j'ai fait augmenter le nombre de mon public.
Sur le plan personnel, vous êtes constamment entouré d'admiratrices. Comment votre femme gère-t-elle votre célébrité ?
Je suis très raisonnable, et je sais que la célébrité et les lumières des caméras sont éphémères. J'aimerais bien faire passer un message aux jeunes et leur dire qu'il ne faut pas se fier aux apparences, et prévoir que certainement le demain on sera oublié.
Personnellement, je pense que personne n'a réalisé les exploits de Said Aouita, et pourtant il est aujourd'hui plus au moins oublié. Quant à ma femme, elle est compréhensive et elle sait que les gens admirent l'artiste, l'homme public et non pas son mari.
Père d'une fille de 12 ans. Quel genre de papa êtes-vous?
Un papa fou qui se livre à des jeux incroyables. Au départ, j'avais du mal à accepter ma nouvelle responsabilité, et je me posais la question si Oueld Derb (moi) pourrait être père. En tout cas, je peux vous dire une chose : je suis très faible face à elle et je n'ose jamais la gronder.
Said Naciri au tribunal
Un jour, Said Naciri devait se rendre au tribunal de première instance à Casablanca pour témoigner dans une affaire concernant les droits d'auteur. Dès qu'il a pénétré dans la salle du tribunal, tous les regards se sont focalisés sur lui à tel point que certains ont éclaté de rire.
Au moment où le juge a commencé à lui poser les questions habituelles touchant son nom, puis le nom de sa mère, Said Naciri, étonné de la nature des questions, a commencé à répondre en balbutiant et en tournant son regard dans tous les sens. Saisi par un irrésistible fou rire, le juge n'est pas parvenu à poursuivre l'audience, il a fini par la reporter.
"J'ai été mort de trouille, je n'ai jamais mis les pieds dans un tribunal ", s'est justifié Said Naciri qui ne cherchait nullement à faire rire ni l'assistance ni le juge.
Entretien réalisé par Zineb El Ouardighi | LE MATIN