Mouvement Culturel Amazigh:
Quelques refeléxions sur l'état des lieux
Publié par: Rédaction
Auteur: Agraw Amazigh
Dernière modification:
samedi 9 juin 2007
CMA Agadir, 1er mai 2007.
Photo: Tamaynut. Un diagnostic sans concession du mouvement amazigh est plus que jamais urgent. L’autocritique n’a jamais fait de mal à personne d'autant plus que ce texte a le mérite de poser des questions qui dérangent. Il propose aussi des réponses que les animateurs du mouvement amazigh cherchent sans cesse. Il y va de l’avenir de leur culture et d’eux-mêmes.
Faiblesses:
1)- L'écrasante majorité des cadres du mouvement culturel amazigh (MCA) est malheureusement passée par l'école arabe et bon nombre d'entre eux (ceux qui ne sont pas arrivés à corriger personnellement les déficiences par des lectures et/ou des études complémentaires) sont donc incapables de produire des idées et encore moins des programmes politiques, ou même d'avoir une vue holiste des problèmes traités, ce qui nous amène aux constats alarmants suivants:
a) De prime abord, notons que l'essentiel des mots d'ordre lancés jusqu'à présent (en tout cas au «Maroc») par le MCA sont les mêmes (mais renversés) que ceux défendus par les partisans de l'idéologie arabo-baâthiste et arabo-islamiste ! Il ne faut même pas, dès lors, s'étonner de son incapacité à mobiliser durablement et enclencher un quelconque processus socio-culturel capable de faire émerger une alternative politique à ces idéologies qu'il est censé combattre par la défensive ! C'est comme si on essayait de soigner un symptôme et non la cause d'une maladie grave... Ou encore, soigner un malade mental par un médecin lui-même atteint par la même maladie… Les "élites" du Mouvement amazigh ont toujours été timides dans leur dénonciation de l'arabisme et de l'intégrisme religieux en général. La plupart de ces "élites" sont, en effet, formés durant les années 70 et 80 au sein des formations politiques de gauche arabiste (USFP, PPS …). En rejoignant les rangs du MCA quelques années plus tard, ils ont gardé ce complexe d'infériorité qu'ils ressentaient au sein de leurs formations respectives, d'où leur incapacité à les critiquer et à s'autocritiquer. Soumis à la politique politicienne et à ses rouages, ils voient la situation par les mêmes mécanismes et concepts utilisés par la gauche (lutte des classes …) et mal compris au point d'en faire des schémas mécanistes farfelus intégralement plaqués sur la situation qu'ils prétendent analyser.
b) Le Mouvement amazigh a toujours été timide dans sa dénonciation de l'arabisme en général. C'est comme un tabou qu'il ne faudrait pas aborder comme « pour ne pas s'attirer la foudre » des Arabo-baâthistes et autres islamistes. Il est dès lors impossible que des alliés objectifs (les minorités du « monde arabe », et il y en a des dizaines de millions) les soutiennent s'ils ne bougent pas le petit doigt sur une question aussi essentielle et commune à toutes ces minorités? Comment des politiciens occidentaux – à supposer qu'il y en ait qui soient bienveillants - arrêtent d'arabêtiser les beurs en Europe et soutiennent au besoin (lors d'arrestations par exemple) les militants s'ils n'entendent pas d'eux un autre son de cloche que l'officiel ? Il lui faudrait analyser, dénoncer tout haut et démystifier cette idéologie ! Il est vrai que ce n'est pas chose facile vu le boycott que lui réservent les médias internationaux ; mais ce n'est pas propre aux Imazighen : il en va de même pour tous les minorisés du « monde arabe » !
c) Le MCA a toujours privilégié le travail à l'intérieur de Tamazgha au détriment d'un travail de lobbying au potentiel extrêmement efficace comme le font les autres minorités du « monde arabe »(2) un peu partout en Occident. Quand des tentatives de lobbying sont faites – ils sont le plus souvent l'œuvre de l'association Tamaynut - les textes sont mal écrits (et en caractères araméens s'il vous plait…) et les destinataires mal ciblés. De plus il n'est pas fait de manière systématique (professionnellement et pas par des bénévoles) et vient toujours assez tard. La seule langue utilisée (quand ce n'est pas l'arabe, ce qui est non seulement totalement inutile ici en Occident, mais nuit même, de par l'image négative que cette langue dégage, à son impact) est le français, alors que celui-ci, en pleine perte de vitesse, ne permet pas de toucher les cibles déterminantes aujourd'hui (côté anglo-saxon). Le monde anglo-saxon est celui qui mène aujourd'hui l'économie et la politique mondiales. Il faut absolument aborder ce tournant et quitter le navire (francophone) avant qu'il ne coule avec nous : regardez la piètre situation des chanteurs Imazighen en France... Il vaut mieux prendre son élan et frapper le serpent à la tête que de le prendre immédiatement par la queue… comme on me donne un peu l'impression de faire jusqu'à présent.
d) Le mouvement amazigh ne se déclare pas franchement comme un mouvement laïc et pourtant, malgré que ce soit une des caractéristiques de la culture amazighe, même les autorités en place savent que c'est le seul moyen de vaincre le sous-développement. C'est ce qui explique leur opposition à l'entrée de la laïcité en dehors de leurs villas bien feutrées… Les arabo-baâthistes locaux n'ont pas intérêt, comme d'ailleurs ceux du Moyen-Orient, à soulever ce lièvre en Tamazgha, car cela les priverait de cette situation chaotique dont ils profitent économiquement et politiquement ; il faut que le mouvement culturel amazigh s'en fasse le porte-drapeau, quitte à se mette à dos les autorités en place ! Les raisons en sont que ceux-là sont toujours abreuvés par la manne pétrolière et qu'une autonomie économique de Tamazgha leur ferait perdre le contrôle des bidonvilles de Casa etc… Il en est de même pour les beurs et beurettes d'Europe qui sont harcelés pour qu'ils ne puissent s'intégrer et que les filles restent ainsi prises économiquement en otage de leurs maris, frères et parents et donc toujours sujettes à l'idéologie répandues par les mosquées… En effet, ils savent qu'une fois le Tamazgha laïcisé, la société post-industrielle pourrait y prendre pieds : il est quasi impossible aujourd'hui, pour un investisseur non intrépide, de faire des investissements en matière grise comme c'est le cas en Inde (où il y a des centaines de milliers de programmeurs) ou de l'Arménie qui vit essentiellement de l'exportation de Sofware… pour parer au blocus économique (physique) que lui impose la Turquie. La séparation entre l'Etat et la religion est (le Japon et d'autres pays non occidentaux l'ont bien montré) une des conditions sine qua non pour la sortie du sous-développement. L'islam est une religion qui ne peut cohabiter avec la laïcité, elle est pleine de haine et rejette l'autre. Arabistes et islamistes ne font plus qu'un aujourd'hui!
e) Dans les analyses qu'on peut lire par-ci par-là, le MCA n'a pas clarifié cette question du mécanisme de l'arabisation comme étant aussi un phénomène Internet au Tamazgha, par rapport aux Arabes, venus de loin essentiellement pour piller les ressources économiques. Les preuves ne manquent pas pour l'attester : l'oligarchie amazighe a, de tout temps, arabisé son propre peuple contre la thèse bien officielle (et facilement démontable) que c'est un phénomène de soumission à un hypothétique envahisseur (en fait 3 vagues de 10.000 brigands qui pour la plupart sont des Imazighen de Libye fanatisés). Il n'a pas compris que la thèse d'hypothétiques « arabes » habitant l'Afrique du Nord est un mythe! Nous ne nous attarderons pas ici sur ce thème mais il est clair que si on accepte le second schéma, on esquive complètement le débat social et ses enjeux politiques et on tombe dans le travers (très dangereux) d'une voie « contre-nationaliste » symétrique au nationalisme arabe. Un grand nombre de militants imazighen soutiennent cette thèse - reprise du discours du Pouvoir – selon laquelle il y aurait une composante « arabe » non négligeable au Tamazgha parce qu'elle leur est plus facile à développer.
f) Le MCA n'a pas compris que, depuis la période coloniale, le mécanisme d'arabisation massive a été accéléré par des causes externes car utilisé par l'Occident à des fins économiques. L'arabisation systématique a été imposée par l'Occident via l'oligarchie amazighe qu'elle a mise en place pour mieux répondre à la demande de bas salaires et de matières premières de la part du capitalisme français du 19-20e siècle. Dès lors, l'arrêt de cette politique proviendra nécessairement d'une pression exercée par ce dernier et surtout par le capitalisme anglo-saxon qui règne en ce moment et pour bien longtemps encore… Ne pas comprendre ce mécanisme relève du pur crétinisme politique et c'est là une des grosses faiblesses du MCA!
Paradoxalement, les enjeux ne se trouvent pas au Tamazgha mais plus au Nord, en Europe et aux USA. L'idéologie arabiste n'a-t-elle pas été créée par un certain Laurence d'Arabie pour abattre l'Empire ottoman? (la Ligue Arabe n'a-t-elle pas été créée de toute pièce en 1948 sous le nom de « Pacte de Bagdad » et sous le patronage de la Grande Bretagne). Les dirigeants syndicaux, des ONGs des droits de l’homme et politiques du Tamazgha ne sont-ils pas payés et soutenus par les états du Moyen-Orient pour ignorer la cause Amazighe?
Il est évident que cette situation de «Etat de non-droit » qui prévaut au Tamazgha pour les amazighophones est un schéma objectivement dépassé pour l'économie post Industrielle dans laquelle est entré l'Occident. Aujourd'hui, il est aussi évident que si l'Union européenne posait – plus clairement qu'elle ne le fait aujourd'hui - comme condition pour la coopération, l'enseignement de Tamazight au Tamazgha, la décision ne prendrait que quelques jours. Plus encore, si celle-ci venait à être enseignée en Europe aux enfants d'immigrés, la question serait tout aussi vite réglée. Cette politique est un désastre notamment pour la communauté juive amazighe qui a subi des exactions de la part d'Imazighen arabisés (les fameux « arabes » des pogroms de Fez, Meknès, Rabat etc.) et une expulsion massive et sans indemnités après la guerre des «six jours». Ce genre de phénomène s'apparente à celui subi par les autres peuples minorisés du
«monde arabe».
2) La constitution d'un CMA (Congrès mondial amazigh), bien partant d'une idée généreuse, a été une erreur stratégique car non fondée sur une base économique : aucune minorité du monde n'a jamais (durablement) réussi à créer un tel « Congrès mondial » sans assurer financièrement ses arrières ! Ses multiples scissions et fractionnements ne sont, au final et pour simplifier, que le résultat de cette gestion de la pénurie et pour ne citer qu'une des conséquences anecdotiques, nous remarquerons que l'utilisation de la justice française par l'une des factions contre l'autre, lors d'une dispute, est la preuve de l'infantilisme et de manque de maturité politique de sa direction. Nous doutons que les militant(e)s Imazighen au plus grand potentiel se trouvent encore à l'intérieur de cette baudruche.
3) L'arabisation a été imposée par l'oligarchie amazighe pour mieux répondre à la demande de bas salaires et de matières premières de la part du capitalisme français. Dès lors, l'arrêt de cette politique proviendra nécessairement d'une pression exercée par ce dernier et surtout par le capitalisme anglo-saxon qui règne en ce moment et pour bien longtemps encore…L'arabisation a été applaudie par l'élite amazighe de l'époque, mais ce sont les partis panarabistes (Istiqlal et l’Usfp) qui l'ont imposée.
4) Il n'y a eu que rarement des tentatives de valoriser le tamazight, c'est-à-dire lui donner une valeur marchande, ce qui l'expose au mépris de la part des siens même. Les exemples des Flamands, des Catalans, des Basques ou des Galiciens sont là pour attester d'une stratégie simple mais efficace. Au contraire, et c'est toujours le cas actuellement, le MCA a toujours pensé que « l'argent devait venir d'en haut », à savoir de l'Etat arabiste (par essence) au Tamazgha ou pro-arabiste (par opportunisme) en Europe. Des partis fantoches comme le FFS de Aït Ahmed en Algérie et le MNP de Mahjoubi Aherdan au Maroc ont joué de rôle de « garants » de cette illusion qu'il suffirait de voter pour eux pour tourner l'Etat arabiste du côté des Imazighen.
5) Du fait de l'arabisation de ses enfants et du manque de mécanismes de conservation de la culture, l'élite intellectuelle – comme d'ailleurs économique - de la communauté amazighophone n'a pas été capable de «se reproduire»: une fois un certain degré d'excellence atteint, les intellectuels formés dans la descendance se considèrent comme des « intellectuels arabes » et donc en viennent non seulement à nier les leurs mais à tout simplement les combattre… Ils deviennent ce que nous appelons vulgairement des « Arabes » d'Afrique du Nord qui, comme un certain Tahar Ben Jelloun, se tournant totalement vers l'Est avec une identification maladive aux causes arabistes du Moyen-Orient!
6) Le MCA s'est toujours cantonné à des activités de type « bon enfant » où le discours (associatif) primait sur l'action socio-économique. Son discours s'est fourvoyé dans une voie essentialiste excessive en survalorisant le passé berbère (mythes, rois, traditions…), se privant par-là d'un projet politique d'envergure de nature à le propulser dans l'avenir. A force de s'être opposé au panarabisme et à ses mythes fondateurs, le mouvement amazigh a hérité la plupart de ses travers : une nation, une langue, une culture… qu'il fait siens.
7) Le MCA souffre du manque d'autonomie par rapport aux pouvoirs en place en Afrique du Nord et essentiellement de la faiblesse organisationnelle de la diaspora amazighe en Occident. Comme pour d'autres minorités (bien que nous parlons ici de minorisés), cette dernière servirait de donneur d'exemples au reste de la communauté et même, pourquoi pas, à la population amazighe arabisée…. Il est vrai que le poids des amicales de travailleurs immigrés et des milliers de mouchards et de barbouzes de toute sorte, tolérés par les Etats occidentaux sur leur territoire, ne laisse échapper aucune initiative par le sabotage systématique.
8) Le MCA hérite d'une communauté (diaspora comprise) très pauvre en cadres et en intellectuels et ce pour diverses raisons:
a) Racisme oblige: les patronymes d'origine arabo-islamiques ne sont pas pour faciliter une intégration réussie. Par contre, nous évoquerons le cas d'intégration réussie de certains Imazighen (restés) de confession juive - qui se font souvent passer pour des « pieds noirs » - et qui atteignent les sommets de l'Etat Français comme Jacques Attali qui prétend que les siens seraient venus en Algérie il y a seulement 4 ou 5 siècles…. Ou de Jacques Aflelou (patronyme 100% amazigh) qui aurait difficilement construit sa société avec un prénom comme mohamed….
b) L'influence des mosquées et des amicales tendent à limiter cette intégration pour « garder un œil » sur cette diaspora : les hommes d'affaire qui réussissent ne sont-ils pas courtisés par les ambassades pour les mouiller en leur faisant faire des investissements au pays d'origine pour mieux «les tenir»?
c) A commencer au Tamzgha même, les intellectuels qui seraient issus de familles amazighophones finissent toujours par se retourner tout naturellement contre les leurs puisqu'ils deviennent, à la génération suivante, des « Arabes ». La société amazighe ne reproduit donc pas son élite, déjà qu'elle en produit trop peu…
d) Pour les raisons expliquées plus haut, la majeure partie des cadres politiques susceptibles de participer à la lutte contre l'arabo-islamisme et de lui opposer une alternative, provient des écoles arabophones et est donc incapable de réaliser ce projet historique.
Forces:
1) Il est indéniable que certains groupes berbérophones occupent une position économique privilégiée et ce au Tamazgha comme en diaspora. Il s'agit des Mozabites d'Algérie, des Soussis du Maroc, des Djerbien de Tunisie et des Nefoussis de Libye. Ces groupes berbérophones de tradition commerçante sont en général frileux quant à l'engagement politique ou simplement culturel. Ils sont potentiellement mobilisables à la condition de trouver un lien économique (opportunités d'affaires) liée au développement du marché de l’amazighité.
2) Il y a un énorme potentiel d'énergie à utiliser si le MCA s'alliait aux ONGs d'aide au développement. En effet, cela lui offrirait l'opportunité de pouvoir associer la culture amazighe au commerce équitable. Même les mouvements intégristes ont compris que le vide laissé par le Pouvoir dans le social, est une occasion de faire de la politique. Par contre, le MCA s'est contenté, lui, de regarder faire laissant passer les opportunités et les occasions. Des exemples illustrant bien ce lien avec l'économique sont les cas du Catalan ou encore du Galicien où l'économique finance le culturel et vice-versa : il suffit de voir la richesse créée par le culturel au profit de ces régions ces dernières années.
3) Il ne faut pas oublier que, rien qu'en France, il y a plus de 2 millions (d'après l'INSEE) d'amazighophones et que c'est la première langue étrangère de France, pour ne prendre que ce pays. Une fois enlevée des mains des ambassades, elle constitue une force de frappe non négligeable pour aider le tamazight au Tamazgha. La ville de Paris n'est-elle pas la « capitale » des Imazighen ? La Belgique à elle seul abrite plus de 250.000 amazighophones et la Hollande devrait en abriter presque le double.
4) Les jeunes, quant à eux, autonomes vis-à-vis des partis politiques et de l'Etat, nés au sein du mouvement et formés dans les associations et à l'université, ont réussi à se faire une place dans l'échiquier politique estudiantin. Ils tiennent un discours politique différent des innés achetés et retranchés dans les tranchés du pouvoir. Des concepts nouveaux sont adoptés par ces jeunes, notamment, la laïcité, le développement durable, la coordination nationale, l'ancrage de l'amazighité dans le quotidien des habitants de leurs villages respectifs, la solidarité, la démystification des idéologies arabo-baâthiste et de l'intégrisme religieux..
Ces jeunes entretiennent également des relations très intenses – via le Web - avec la diaspora amazighe en usant des technologies modernes (multimédias, e-mails et forums des sites d'Europe). L'internationalisation des affaires des agressions d'Imilchil (2003), d'Imtghren (décembre 2003), d'Agadir (Avril 2004), de Marrakech (juin 2003) et de kidnapping de Said Bajji (2004) sont des exemples marquants de cette évolution. Ces jeunes, discrets et travaillant généralement par groupes de travail ont déserté les canaux traditionnels (associations culturelles notamment) et versent dans le lobbying et « l'action de masse ». Regroupés et reliés entre eux convenablement, ils pourraient être d'une redoutable efficacité pour régénérer le MCA et le lier aux secteurs travaillant dans le social.
Quelques refeléxions sur l'état des lieux
Publié par: Rédaction
Auteur: Agraw Amazigh
Dernière modification:
samedi 9 juin 2007
CMA Agadir, 1er mai 2007.
Photo: Tamaynut. Un diagnostic sans concession du mouvement amazigh est plus que jamais urgent. L’autocritique n’a jamais fait de mal à personne d'autant plus que ce texte a le mérite de poser des questions qui dérangent. Il propose aussi des réponses que les animateurs du mouvement amazigh cherchent sans cesse. Il y va de l’avenir de leur culture et d’eux-mêmes.
Faiblesses:
1)- L'écrasante majorité des cadres du mouvement culturel amazigh (MCA) est malheureusement passée par l'école arabe et bon nombre d'entre eux (ceux qui ne sont pas arrivés à corriger personnellement les déficiences par des lectures et/ou des études complémentaires) sont donc incapables de produire des idées et encore moins des programmes politiques, ou même d'avoir une vue holiste des problèmes traités, ce qui nous amène aux constats alarmants suivants:
a) De prime abord, notons que l'essentiel des mots d'ordre lancés jusqu'à présent (en tout cas au «Maroc») par le MCA sont les mêmes (mais renversés) que ceux défendus par les partisans de l'idéologie arabo-baâthiste et arabo-islamiste ! Il ne faut même pas, dès lors, s'étonner de son incapacité à mobiliser durablement et enclencher un quelconque processus socio-culturel capable de faire émerger une alternative politique à ces idéologies qu'il est censé combattre par la défensive ! C'est comme si on essayait de soigner un symptôme et non la cause d'une maladie grave... Ou encore, soigner un malade mental par un médecin lui-même atteint par la même maladie… Les "élites" du Mouvement amazigh ont toujours été timides dans leur dénonciation de l'arabisme et de l'intégrisme religieux en général. La plupart de ces "élites" sont, en effet, formés durant les années 70 et 80 au sein des formations politiques de gauche arabiste (USFP, PPS …). En rejoignant les rangs du MCA quelques années plus tard, ils ont gardé ce complexe d'infériorité qu'ils ressentaient au sein de leurs formations respectives, d'où leur incapacité à les critiquer et à s'autocritiquer. Soumis à la politique politicienne et à ses rouages, ils voient la situation par les mêmes mécanismes et concepts utilisés par la gauche (lutte des classes …) et mal compris au point d'en faire des schémas mécanistes farfelus intégralement plaqués sur la situation qu'ils prétendent analyser.
b) Le Mouvement amazigh a toujours été timide dans sa dénonciation de l'arabisme en général. C'est comme un tabou qu'il ne faudrait pas aborder comme « pour ne pas s'attirer la foudre » des Arabo-baâthistes et autres islamistes. Il est dès lors impossible que des alliés objectifs (les minorités du « monde arabe », et il y en a des dizaines de millions) les soutiennent s'ils ne bougent pas le petit doigt sur une question aussi essentielle et commune à toutes ces minorités? Comment des politiciens occidentaux – à supposer qu'il y en ait qui soient bienveillants - arrêtent d'arabêtiser les beurs en Europe et soutiennent au besoin (lors d'arrestations par exemple) les militants s'ils n'entendent pas d'eux un autre son de cloche que l'officiel ? Il lui faudrait analyser, dénoncer tout haut et démystifier cette idéologie ! Il est vrai que ce n'est pas chose facile vu le boycott que lui réservent les médias internationaux ; mais ce n'est pas propre aux Imazighen : il en va de même pour tous les minorisés du « monde arabe » !
c) Le MCA a toujours privilégié le travail à l'intérieur de Tamazgha au détriment d'un travail de lobbying au potentiel extrêmement efficace comme le font les autres minorités du « monde arabe »(2) un peu partout en Occident. Quand des tentatives de lobbying sont faites – ils sont le plus souvent l'œuvre de l'association Tamaynut - les textes sont mal écrits (et en caractères araméens s'il vous plait…) et les destinataires mal ciblés. De plus il n'est pas fait de manière systématique (professionnellement et pas par des bénévoles) et vient toujours assez tard. La seule langue utilisée (quand ce n'est pas l'arabe, ce qui est non seulement totalement inutile ici en Occident, mais nuit même, de par l'image négative que cette langue dégage, à son impact) est le français, alors que celui-ci, en pleine perte de vitesse, ne permet pas de toucher les cibles déterminantes aujourd'hui (côté anglo-saxon). Le monde anglo-saxon est celui qui mène aujourd'hui l'économie et la politique mondiales. Il faut absolument aborder ce tournant et quitter le navire (francophone) avant qu'il ne coule avec nous : regardez la piètre situation des chanteurs Imazighen en France... Il vaut mieux prendre son élan et frapper le serpent à la tête que de le prendre immédiatement par la queue… comme on me donne un peu l'impression de faire jusqu'à présent.
d) Le mouvement amazigh ne se déclare pas franchement comme un mouvement laïc et pourtant, malgré que ce soit une des caractéristiques de la culture amazighe, même les autorités en place savent que c'est le seul moyen de vaincre le sous-développement. C'est ce qui explique leur opposition à l'entrée de la laïcité en dehors de leurs villas bien feutrées… Les arabo-baâthistes locaux n'ont pas intérêt, comme d'ailleurs ceux du Moyen-Orient, à soulever ce lièvre en Tamazgha, car cela les priverait de cette situation chaotique dont ils profitent économiquement et politiquement ; il faut que le mouvement culturel amazigh s'en fasse le porte-drapeau, quitte à se mette à dos les autorités en place ! Les raisons en sont que ceux-là sont toujours abreuvés par la manne pétrolière et qu'une autonomie économique de Tamazgha leur ferait perdre le contrôle des bidonvilles de Casa etc… Il en est de même pour les beurs et beurettes d'Europe qui sont harcelés pour qu'ils ne puissent s'intégrer et que les filles restent ainsi prises économiquement en otage de leurs maris, frères et parents et donc toujours sujettes à l'idéologie répandues par les mosquées… En effet, ils savent qu'une fois le Tamazgha laïcisé, la société post-industrielle pourrait y prendre pieds : il est quasi impossible aujourd'hui, pour un investisseur non intrépide, de faire des investissements en matière grise comme c'est le cas en Inde (où il y a des centaines de milliers de programmeurs) ou de l'Arménie qui vit essentiellement de l'exportation de Sofware… pour parer au blocus économique (physique) que lui impose la Turquie. La séparation entre l'Etat et la religion est (le Japon et d'autres pays non occidentaux l'ont bien montré) une des conditions sine qua non pour la sortie du sous-développement. L'islam est une religion qui ne peut cohabiter avec la laïcité, elle est pleine de haine et rejette l'autre. Arabistes et islamistes ne font plus qu'un aujourd'hui!
e) Dans les analyses qu'on peut lire par-ci par-là, le MCA n'a pas clarifié cette question du mécanisme de l'arabisation comme étant aussi un phénomène Internet au Tamazgha, par rapport aux Arabes, venus de loin essentiellement pour piller les ressources économiques. Les preuves ne manquent pas pour l'attester : l'oligarchie amazighe a, de tout temps, arabisé son propre peuple contre la thèse bien officielle (et facilement démontable) que c'est un phénomène de soumission à un hypothétique envahisseur (en fait 3 vagues de 10.000 brigands qui pour la plupart sont des Imazighen de Libye fanatisés). Il n'a pas compris que la thèse d'hypothétiques « arabes » habitant l'Afrique du Nord est un mythe! Nous ne nous attarderons pas ici sur ce thème mais il est clair que si on accepte le second schéma, on esquive complètement le débat social et ses enjeux politiques et on tombe dans le travers (très dangereux) d'une voie « contre-nationaliste » symétrique au nationalisme arabe. Un grand nombre de militants imazighen soutiennent cette thèse - reprise du discours du Pouvoir – selon laquelle il y aurait une composante « arabe » non négligeable au Tamazgha parce qu'elle leur est plus facile à développer.
f) Le MCA n'a pas compris que, depuis la période coloniale, le mécanisme d'arabisation massive a été accéléré par des causes externes car utilisé par l'Occident à des fins économiques. L'arabisation systématique a été imposée par l'Occident via l'oligarchie amazighe qu'elle a mise en place pour mieux répondre à la demande de bas salaires et de matières premières de la part du capitalisme français du 19-20e siècle. Dès lors, l'arrêt de cette politique proviendra nécessairement d'une pression exercée par ce dernier et surtout par le capitalisme anglo-saxon qui règne en ce moment et pour bien longtemps encore… Ne pas comprendre ce mécanisme relève du pur crétinisme politique et c'est là une des grosses faiblesses du MCA!
Paradoxalement, les enjeux ne se trouvent pas au Tamazgha mais plus au Nord, en Europe et aux USA. L'idéologie arabiste n'a-t-elle pas été créée par un certain Laurence d'Arabie pour abattre l'Empire ottoman? (la Ligue Arabe n'a-t-elle pas été créée de toute pièce en 1948 sous le nom de « Pacte de Bagdad » et sous le patronage de la Grande Bretagne). Les dirigeants syndicaux, des ONGs des droits de l’homme et politiques du Tamazgha ne sont-ils pas payés et soutenus par les états du Moyen-Orient pour ignorer la cause Amazighe?
Il est évident que cette situation de «Etat de non-droit » qui prévaut au Tamazgha pour les amazighophones est un schéma objectivement dépassé pour l'économie post Industrielle dans laquelle est entré l'Occident. Aujourd'hui, il est aussi évident que si l'Union européenne posait – plus clairement qu'elle ne le fait aujourd'hui - comme condition pour la coopération, l'enseignement de Tamazight au Tamazgha, la décision ne prendrait que quelques jours. Plus encore, si celle-ci venait à être enseignée en Europe aux enfants d'immigrés, la question serait tout aussi vite réglée. Cette politique est un désastre notamment pour la communauté juive amazighe qui a subi des exactions de la part d'Imazighen arabisés (les fameux « arabes » des pogroms de Fez, Meknès, Rabat etc.) et une expulsion massive et sans indemnités après la guerre des «six jours». Ce genre de phénomène s'apparente à celui subi par les autres peuples minorisés du
«monde arabe».
2) La constitution d'un CMA (Congrès mondial amazigh), bien partant d'une idée généreuse, a été une erreur stratégique car non fondée sur une base économique : aucune minorité du monde n'a jamais (durablement) réussi à créer un tel « Congrès mondial » sans assurer financièrement ses arrières ! Ses multiples scissions et fractionnements ne sont, au final et pour simplifier, que le résultat de cette gestion de la pénurie et pour ne citer qu'une des conséquences anecdotiques, nous remarquerons que l'utilisation de la justice française par l'une des factions contre l'autre, lors d'une dispute, est la preuve de l'infantilisme et de manque de maturité politique de sa direction. Nous doutons que les militant(e)s Imazighen au plus grand potentiel se trouvent encore à l'intérieur de cette baudruche.
3) L'arabisation a été imposée par l'oligarchie amazighe pour mieux répondre à la demande de bas salaires et de matières premières de la part du capitalisme français. Dès lors, l'arrêt de cette politique proviendra nécessairement d'une pression exercée par ce dernier et surtout par le capitalisme anglo-saxon qui règne en ce moment et pour bien longtemps encore…L'arabisation a été applaudie par l'élite amazighe de l'époque, mais ce sont les partis panarabistes (Istiqlal et l’Usfp) qui l'ont imposée.
4) Il n'y a eu que rarement des tentatives de valoriser le tamazight, c'est-à-dire lui donner une valeur marchande, ce qui l'expose au mépris de la part des siens même. Les exemples des Flamands, des Catalans, des Basques ou des Galiciens sont là pour attester d'une stratégie simple mais efficace. Au contraire, et c'est toujours le cas actuellement, le MCA a toujours pensé que « l'argent devait venir d'en haut », à savoir de l'Etat arabiste (par essence) au Tamazgha ou pro-arabiste (par opportunisme) en Europe. Des partis fantoches comme le FFS de Aït Ahmed en Algérie et le MNP de Mahjoubi Aherdan au Maroc ont joué de rôle de « garants » de cette illusion qu'il suffirait de voter pour eux pour tourner l'Etat arabiste du côté des Imazighen.
5) Du fait de l'arabisation de ses enfants et du manque de mécanismes de conservation de la culture, l'élite intellectuelle – comme d'ailleurs économique - de la communauté amazighophone n'a pas été capable de «se reproduire»: une fois un certain degré d'excellence atteint, les intellectuels formés dans la descendance se considèrent comme des « intellectuels arabes » et donc en viennent non seulement à nier les leurs mais à tout simplement les combattre… Ils deviennent ce que nous appelons vulgairement des « Arabes » d'Afrique du Nord qui, comme un certain Tahar Ben Jelloun, se tournant totalement vers l'Est avec une identification maladive aux causes arabistes du Moyen-Orient!
6) Le MCA s'est toujours cantonné à des activités de type « bon enfant » où le discours (associatif) primait sur l'action socio-économique. Son discours s'est fourvoyé dans une voie essentialiste excessive en survalorisant le passé berbère (mythes, rois, traditions…), se privant par-là d'un projet politique d'envergure de nature à le propulser dans l'avenir. A force de s'être opposé au panarabisme et à ses mythes fondateurs, le mouvement amazigh a hérité la plupart de ses travers : une nation, une langue, une culture… qu'il fait siens.
7) Le MCA souffre du manque d'autonomie par rapport aux pouvoirs en place en Afrique du Nord et essentiellement de la faiblesse organisationnelle de la diaspora amazighe en Occident. Comme pour d'autres minorités (bien que nous parlons ici de minorisés), cette dernière servirait de donneur d'exemples au reste de la communauté et même, pourquoi pas, à la population amazighe arabisée…. Il est vrai que le poids des amicales de travailleurs immigrés et des milliers de mouchards et de barbouzes de toute sorte, tolérés par les Etats occidentaux sur leur territoire, ne laisse échapper aucune initiative par le sabotage systématique.
8) Le MCA hérite d'une communauté (diaspora comprise) très pauvre en cadres et en intellectuels et ce pour diverses raisons:
a) Racisme oblige: les patronymes d'origine arabo-islamiques ne sont pas pour faciliter une intégration réussie. Par contre, nous évoquerons le cas d'intégration réussie de certains Imazighen (restés) de confession juive - qui se font souvent passer pour des « pieds noirs » - et qui atteignent les sommets de l'Etat Français comme Jacques Attali qui prétend que les siens seraient venus en Algérie il y a seulement 4 ou 5 siècles…. Ou de Jacques Aflelou (patronyme 100% amazigh) qui aurait difficilement construit sa société avec un prénom comme mohamed….
b) L'influence des mosquées et des amicales tendent à limiter cette intégration pour « garder un œil » sur cette diaspora : les hommes d'affaire qui réussissent ne sont-ils pas courtisés par les ambassades pour les mouiller en leur faisant faire des investissements au pays d'origine pour mieux «les tenir»?
c) A commencer au Tamzgha même, les intellectuels qui seraient issus de familles amazighophones finissent toujours par se retourner tout naturellement contre les leurs puisqu'ils deviennent, à la génération suivante, des « Arabes ». La société amazighe ne reproduit donc pas son élite, déjà qu'elle en produit trop peu…
d) Pour les raisons expliquées plus haut, la majeure partie des cadres politiques susceptibles de participer à la lutte contre l'arabo-islamisme et de lui opposer une alternative, provient des écoles arabophones et est donc incapable de réaliser ce projet historique.
Forces:
1) Il est indéniable que certains groupes berbérophones occupent une position économique privilégiée et ce au Tamazgha comme en diaspora. Il s'agit des Mozabites d'Algérie, des Soussis du Maroc, des Djerbien de Tunisie et des Nefoussis de Libye. Ces groupes berbérophones de tradition commerçante sont en général frileux quant à l'engagement politique ou simplement culturel. Ils sont potentiellement mobilisables à la condition de trouver un lien économique (opportunités d'affaires) liée au développement du marché de l’amazighité.
2) Il y a un énorme potentiel d'énergie à utiliser si le MCA s'alliait aux ONGs d'aide au développement. En effet, cela lui offrirait l'opportunité de pouvoir associer la culture amazighe au commerce équitable. Même les mouvements intégristes ont compris que le vide laissé par le Pouvoir dans le social, est une occasion de faire de la politique. Par contre, le MCA s'est contenté, lui, de regarder faire laissant passer les opportunités et les occasions. Des exemples illustrant bien ce lien avec l'économique sont les cas du Catalan ou encore du Galicien où l'économique finance le culturel et vice-versa : il suffit de voir la richesse créée par le culturel au profit de ces régions ces dernières années.
3) Il ne faut pas oublier que, rien qu'en France, il y a plus de 2 millions (d'après l'INSEE) d'amazighophones et que c'est la première langue étrangère de France, pour ne prendre que ce pays. Une fois enlevée des mains des ambassades, elle constitue une force de frappe non négligeable pour aider le tamazight au Tamazgha. La ville de Paris n'est-elle pas la « capitale » des Imazighen ? La Belgique à elle seul abrite plus de 250.000 amazighophones et la Hollande devrait en abriter presque le double.
4) Les jeunes, quant à eux, autonomes vis-à-vis des partis politiques et de l'Etat, nés au sein du mouvement et formés dans les associations et à l'université, ont réussi à se faire une place dans l'échiquier politique estudiantin. Ils tiennent un discours politique différent des innés achetés et retranchés dans les tranchés du pouvoir. Des concepts nouveaux sont adoptés par ces jeunes, notamment, la laïcité, le développement durable, la coordination nationale, l'ancrage de l'amazighité dans le quotidien des habitants de leurs villages respectifs, la solidarité, la démystification des idéologies arabo-baâthiste et de l'intégrisme religieux..
Ces jeunes entretiennent également des relations très intenses – via le Web - avec la diaspora amazighe en usant des technologies modernes (multimédias, e-mails et forums des sites d'Europe). L'internationalisation des affaires des agressions d'Imilchil (2003), d'Imtghren (décembre 2003), d'Agadir (Avril 2004), de Marrakech (juin 2003) et de kidnapping de Said Bajji (2004) sont des exemples marquants de cette évolution. Ces jeunes, discrets et travaillant généralement par groupes de travail ont déserté les canaux traditionnels (associations culturelles notamment) et versent dans le lobbying et « l'action de masse ». Regroupés et reliés entre eux convenablement, ils pourraient être d'une redoutable efficacité pour régénérer le MCA et le lier aux secteurs travaillant dans le social.