Marrakech - Le malaise immobilier
Renard Xavier
1 mars 2007
L´Express
L'attrait de la Ville rouge entraîne une pénurie d'habitations dont les plus démunis font les frais. Le gouvernement promet des logements sociaux. En attendant, beaucoup recourent au rhâne, un système de location informel. Et risqué...
A Marrakech, le boom immobilier n'en finit pas. Dopée par les ambitions touristiques du royaume - 10 millions de visiteurs en 2010 - la Ville rouge, qui frôle désormais le million d'habitants, ne cesse de s'étendre, au fur et à mesure que s'ouvrent des chantiers. La création de la ville de Tamansourt, dont le projet était dans les cartons depuis 1990, est en passe de devenir une réalité. Cette cité accueillera 300 000 habitants. Les premières villas seront bientôt habitées par une classe moyenne qui n'a plus les moyens de se loger dans la cité, ou même à sa périphérie, tant les prix ont augmenté. Car le développement de Marrakech ne profite pas à tout le monde. Au même titre que les classes moyennes, les plus démunis éprouvent les pires difficultés. Sans bulletins de salaire, ils ne peuvent accéder aux logements sociaux, destinés uniquement à la vente. Pour trouver un toit, il ne leur reste, bien souvent, que le système D. Ils utilisent donc une vieille pratique, celle du rhâne, porte ouverte à tous les abus. Le mécanisme en est simple: un propriétaire emprunte de l'argent auprès d'un particulier afin de financer des travaux dans son logement; le bailleur de fonds peut, en contrepartie, habiter provisoirement la maison, payant alors un loyer mensuel modéré et récupérant sa mise lorsqu'il quitte les lieux. «C'est, explique Hussein, gardien de nuit dans un riad de la médina, un moyen commode pour une famille pauvre d'arriver à se loger. Tout coûte trop cher, aujourd'hui. Le rhâne, c'est mieux que rien. Si je n'avais pas la chance d'être propriétaire, c'est probablement une solution que je n'écarterais pas.» Le fait de devoir verser une somme assez importante - souvent entre 3 000 et 5 000 euros - n'est pas un obstacle. «Le plus souvent, précise-t-il, on se met à plusieurs pour réunir l'argent.»
La formule ressemblerait à une location classique, si tous les éléments étaient pris en compte dans le contrat. En réalité, toutefois, seul le crédit est déclaré auprès de l'administration. Officiellement, la location n'existe pas... et le propriétaire ne paie pas d'impôts. Mais ce flou juridique entraîne inexorablement abus et dérives.
C'est dans le quartier du M'hamid, dans le sud de Marrakech, à quelques minutes de l'aéroport, que le rhâne a connu l'essor le plus spectaculaire. Les maisons y poussent comme des champignons, de même que les agences immobilières. C'est par l'intermédiaire de l'une d'elles que Hicham a trouvé un toit, au début de 2006. Ce jeune commerçant berbère cherchait un logement à Marrakech afin d'épargner de longs déplacements à sa mère, atteinte d'un cancer et soignée dans un hôpital de la ville. Mais il se rend vite compte qu'il ne pourra pas payer les loyers exigés. Une petite agence du M'hamid le met en relation avec un Marocain immigré en Italie. La maison est au cœur d'une rue en construction. Elle comprend quatre murs et un toit, certes, mais tout le reste est à faire. «Au début, raconte Hicham, il n'y avait ni porte ni fenêtres. Nous n'avions pas l'eau. Les ouvriers venaient tous les jours pour les travaux.» Pas question pour autant de se plaindre. «Dans le quartier, poursuit le jeune homme, beaucoup de familles vivent dans les mêmes conditions. Et puis, à cause de la maladie de maman, le propriétaire avait accepté de me dispenser du loyer.» Depuis, Hicham a perdu sa mère. Les travaux de la maison ont bien avancé, mais il envisage de repartir vivre chez lui, à Asni. «Tout, ici, est devenu hors de prix. Je préfère m'installer loin de Marrakech.» Son propriétaire n'aura aucun mal à trouver un autre locataire, auquel il empruntera à nouveau de l'argent, le temps d'achever les finitions. Les agences immobilières, moyennant une commission de 2 à 3% sur le montant du crédit, reçoivent tous les jours de nouveaux candidats.
Abdelkader, qui a lui-même fait appel au rhâne afin de financer les travaux de sa villa, a installé sa modeste agence dans le quartier il y a cinq ans. Après avoir vanté les vertus de la formule, il concède, un peu gêné, que «certains propriétaires peuvent profiter de la situation. Tout le monde sait qu'il y a des dérives, mais on ferme les yeux». A quelques dizaines de mètres de là, un autre agent immobilier évalue la hausse de sa clientèle à 50% en un an. «Je ne m'occupe que du crédit. Si certains louent, ce n'est pas mon problème», ajoute-t-il.
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Renard Xavier
1 mars 2007
L´Express
L'attrait de la Ville rouge entraîne une pénurie d'habitations dont les plus démunis font les frais. Le gouvernement promet des logements sociaux. En attendant, beaucoup recourent au rhâne, un système de location informel. Et risqué...
A Marrakech, le boom immobilier n'en finit pas. Dopée par les ambitions touristiques du royaume - 10 millions de visiteurs en 2010 - la Ville rouge, qui frôle désormais le million d'habitants, ne cesse de s'étendre, au fur et à mesure que s'ouvrent des chantiers. La création de la ville de Tamansourt, dont le projet était dans les cartons depuis 1990, est en passe de devenir une réalité. Cette cité accueillera 300 000 habitants. Les premières villas seront bientôt habitées par une classe moyenne qui n'a plus les moyens de se loger dans la cité, ou même à sa périphérie, tant les prix ont augmenté. Car le développement de Marrakech ne profite pas à tout le monde. Au même titre que les classes moyennes, les plus démunis éprouvent les pires difficultés. Sans bulletins de salaire, ils ne peuvent accéder aux logements sociaux, destinés uniquement à la vente. Pour trouver un toit, il ne leur reste, bien souvent, que le système D. Ils utilisent donc une vieille pratique, celle du rhâne, porte ouverte à tous les abus. Le mécanisme en est simple: un propriétaire emprunte de l'argent auprès d'un particulier afin de financer des travaux dans son logement; le bailleur de fonds peut, en contrepartie, habiter provisoirement la maison, payant alors un loyer mensuel modéré et récupérant sa mise lorsqu'il quitte les lieux. «C'est, explique Hussein, gardien de nuit dans un riad de la médina, un moyen commode pour une famille pauvre d'arriver à se loger. Tout coûte trop cher, aujourd'hui. Le rhâne, c'est mieux que rien. Si je n'avais pas la chance d'être propriétaire, c'est probablement une solution que je n'écarterais pas.» Le fait de devoir verser une somme assez importante - souvent entre 3 000 et 5 000 euros - n'est pas un obstacle. «Le plus souvent, précise-t-il, on se met à plusieurs pour réunir l'argent.»
La formule ressemblerait à une location classique, si tous les éléments étaient pris en compte dans le contrat. En réalité, toutefois, seul le crédit est déclaré auprès de l'administration. Officiellement, la location n'existe pas... et le propriétaire ne paie pas d'impôts. Mais ce flou juridique entraîne inexorablement abus et dérives.
C'est dans le quartier du M'hamid, dans le sud de Marrakech, à quelques minutes de l'aéroport, que le rhâne a connu l'essor le plus spectaculaire. Les maisons y poussent comme des champignons, de même que les agences immobilières. C'est par l'intermédiaire de l'une d'elles que Hicham a trouvé un toit, au début de 2006. Ce jeune commerçant berbère cherchait un logement à Marrakech afin d'épargner de longs déplacements à sa mère, atteinte d'un cancer et soignée dans un hôpital de la ville. Mais il se rend vite compte qu'il ne pourra pas payer les loyers exigés. Une petite agence du M'hamid le met en relation avec un Marocain immigré en Italie. La maison est au cœur d'une rue en construction. Elle comprend quatre murs et un toit, certes, mais tout le reste est à faire. «Au début, raconte Hicham, il n'y avait ni porte ni fenêtres. Nous n'avions pas l'eau. Les ouvriers venaient tous les jours pour les travaux.» Pas question pour autant de se plaindre. «Dans le quartier, poursuit le jeune homme, beaucoup de familles vivent dans les mêmes conditions. Et puis, à cause de la maladie de maman, le propriétaire avait accepté de me dispenser du loyer.» Depuis, Hicham a perdu sa mère. Les travaux de la maison ont bien avancé, mais il envisage de repartir vivre chez lui, à Asni. «Tout, ici, est devenu hors de prix. Je préfère m'installer loin de Marrakech.» Son propriétaire n'aura aucun mal à trouver un autre locataire, auquel il empruntera à nouveau de l'argent, le temps d'achever les finitions. Les agences immobilières, moyennant une commission de 2 à 3% sur le montant du crédit, reçoivent tous les jours de nouveaux candidats.
Abdelkader, qui a lui-même fait appel au rhâne afin de financer les travaux de sa villa, a installé sa modeste agence dans le quartier il y a cinq ans. Après avoir vanté les vertus de la formule, il concède, un peu gêné, que «certains propriétaires peuvent profiter de la situation. Tout le monde sait qu'il y a des dérives, mais on ferme les yeux». A quelques dizaines de mètres de là, un autre agent immobilier évalue la hausse de sa clientèle à 50% en un an. «Je ne m'occupe que du crédit. Si certains louent, ce n'est pas mon problème», ajoute-t-il.
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