Lettre à Nouredine
Le 12 Novembre 2005,
Mon cher Nouredine,
Je t’envoie cette photo, d’une autre époque, que je viens de retrouver.
En faisant du rangement, ce week-end, je suis tombé sur cette image du passé, et je dois te dire que je suis resté de nombreuses heures à la regarder et à voir défiler sous mes yeux l’histoire de nos grands-pères, de nos parents, de nous-mêmes, et de nos enfants. Un siècle entier est ainsi passé en revue en un triste dimanche de novembre.
Qu’ils étaient beaux et fiers de servir la France, nos grands-pères !
Le tien, en costume magnifique de spahi, le mien, avec ses moustaches 1900, dans les tranchées de Verdun.
Réunis sur cette terre froide, grise, et tellement différente de leur douce Algérie natale, ils défendaient avec la même ferveur la France des droits de l’homme, de l’égalité, de la liberté et de la fraternité.
Cette photo m’a paru être le point de départ d’une grande aventure humaine. Ainsi réunis, nos grands-parents semblent avoir le même avenir devant eux. La France ne saura t’elle pas remercier tous ses fils venus d’outre-mer défendre la métropole ? Ce ne peut être que la reconnaissance qui attend ces braves soldats.
Quel avenir leur réservait-elle donc, cette France si généreuse pour ses enfants ?
Pour les tiens, nous le savons, après une dure lutte, beaucoup d’injustice, et beaucoup de crimes de part et d’autre, l’indépendance.
Pour mes grands-parents, elle leur avait simplement donné un billet de train sans retour, pour Auschwitz.
Certes, le statut de colonisé, même après guerre, peut ne pas sembler enviable. Mais enfin, soyons clairs, il ne pouvait être comparé à celui de la fumée dans le ciel de la Pologne.
Voyons tes parents dans l’Algérie des années cinquante, ils ont voulu t’envoyer à l’école. Peut-être que devant les difficultés économiques ils n’ont pas insisté suffisamment pour que tu ailles à Oran pour passer le BEPC.
Cependant, vous mangiez à votre faim, et si les conditions de vie n’étaient pas d’un grand confort, elles n’étaient pas plus misérables qu’une grande partie de la population de cette planète, à la même époque. Et certainement meilleure que dans nombre de pays arabes.
De leur côté, mes parents, qui avaient vu leurs études et leurs espérances interrompues par la guerre, ont dû reconstruire une vie sans leurs parents. Ils se sont occupés de leurs frères et sœurs survivants.
Sans état d’âme, ils ont retroussé leurs manches, et dans ce pays qu’ils auraient dû maudire, dans lequel ils auraient dû faire sauter des bombes dans chaque marché, chaque métro, ils ont construit avec courage et détermination, leur destin.
Ils ont envoyé leurs enfants à l’école, à l’université, ils ont fait table rase du passé, et ont participé avec enthousiasme au devenir de cette nation qui les avait trahis.
Quand l’indépendance est arrivée, vous aviez, pour la première fois votre destin en main, un pays immensément riche, de pétrole, de gaz naturel, de terres cultivables, d’un potentiel touristique inépuisable.
Alors que l’avenir était tracé devant vous, qu’il était plein de promesses pour les hommes libres que vous étiez enfin, celui des cousins de mon père était sombre et sans espoir.
Chassé de ce pays, où les juifs étaient pourtant arrivés bien avant les arabes, c’est petit à petit qu’ils ont recommencé à vivre dans leur nouveau pays qui ne les avait même pas pris dans ses bras.
Quinze ans après la guerre, mes parents ont accueilli des dizaines de réfugiés. Pendant plus d’un an, enfants, nous avons mis tous les soirs les matelas parterre, dormi à trois ou quatre par lit. Et puis, un jour, chacun a trouvé sa place dans la société française.
Sans ressentiment, sans la moindre manifestation de révolte, avec pourtant la nostalgie d’une Terre à jamais perdue. Tous ces enfants déracinés ont pris le chemin de l’école, de l’université, et sans faire de vague, ont, à leur tour, contribué à faire de la France une grande nation.
Quarante-cinq ans après l’indépendance, qu’est-il advenu de ton peuple ? Je n’ai pas envie de te faire l’inventaire de ses multiples échecs. Peut-être avons-nous notre part de responsabilité pour un certain nombre d’entre eux ? Mais, franchement, est-il possible de séparer la nature de ces échecs de la réalité du monde arabo-musulman dans son ensemble ?
Est-il possible de faire abstraction de la montée de l’intégrisme, de la guerre déclarée par les fondamentalistes à l’Occident, des frustrations et haines entretenues artificiellement par des dictateurs sanguinaires, des maffias, des conflits tribaux et ancestraux.
Est-il possible de parler de ces échecs sans mettre en cause un islam qui n’aborde la modernité qu’en la rejetant et en ne l’utilisant que pour fomenter ses œuvres terroristes ?
Comment aborder ces échecs en jetant un voile, c’est bien le cas de le dire, sur des mœurs d’un autre temps, statut des femmes, esclavage, bombes humaines, utilisation abjecte des enfants ?
Quand je regarde nos grands-pères, j’imagine qu’en sortant des tranchées, ils sont rentrés ensemble dans le même monde, avec les mêmes espoirs, et les mêmes capacités à réussir.
Leur vie n’a pourtant pas été facile, ni pour l’un, ni pour l’autre. Mais, oserais-tu me dire que le mien a eu plus de chance que le tien ? Pourrais-tu me dire que ma famille a été davantage épargnée que la tienne ? Que la France a été irréprochable pour les miens ?
Pourtant, je te l’affirme, pas un des miens n’a brûlé une voiture par désespoir, n’a jeté de l’essence sur une vieille dame paralysée. Aucun d’entre nous n’a jamais songé à se faire sauter dans un autobus ou devant un cinéma. Pas une mère juive n’a imaginé envoyer son enfant de dix ans se faire exploser devant un soldat !
Nouredine, réveille-toi !
Regarde tes enfants crier à la télévision qu’ils veulent qu’on les respecte, pendant qu’ils détruisent les biens d’autrui. Pas une seule voix, parmi leurs parents, pour oser dire devant les mêmes caméras que lorsqu’on veut être respecté, il faut être un individu respectable !
Nos grands-parents sont partis à égalité dans la course de la vie.
Nos enfants, leurs arrières petits-enfants, n’ont pas fait la course ensemble. Tout simplement parce que les uns, malgré toutes les injustices qu’ils avaient subies, ont regardé devant eux et les autres derrière eux.
Devant eux, il n’y avait que l’espoir d’une vie meilleure, des défis à relever.
Derrière eux, il n’y avait que le désespoir des trahisons et du ressentiment.
En 1950, il y avait, en Israël, autant de juifs réfugiés des pays arabes sous des tentes, que d’arabes réfugiés dans des camps palestiniens.
Aujourd’hui, Bill Gates annonce qu’Israël fait partie de la Silicon Valley. Les palestiniens sont toujours dans des camps.
Nouredine, ouvre les yeux !
Quelles que soient les mesures qui seront prises pour améliorer la vie de tes enfants et leur donner espoir en un futur rayonnant, rien ne changera tant que l’islam ne se réformera pas en profondeur en réglant son problème avec l’Autre.
La dignité et la reconnaissance auxquelles vous aspirez légitimement vous seront inaccessibles tant qu’imams et dictateurs utiliseront les frustrations inutilement et délibérément accumulées pour attiser la haine de l’Occident.
En dignes fils d’Abraham, nos grands-pères auraient aimé pour leurs descendants qu’ils deviennent des hommes respectables et respectés.
Je ne suis pas convaincu que ton grand-père aurait aimé voir sa descendance brûler des écoles.
Denis Elkoubi © Primo Europe
Le 12 Novembre 2005,
Mon cher Nouredine,
Je t’envoie cette photo, d’une autre époque, que je viens de retrouver.
En faisant du rangement, ce week-end, je suis tombé sur cette image du passé, et je dois te dire que je suis resté de nombreuses heures à la regarder et à voir défiler sous mes yeux l’histoire de nos grands-pères, de nos parents, de nous-mêmes, et de nos enfants. Un siècle entier est ainsi passé en revue en un triste dimanche de novembre.
Qu’ils étaient beaux et fiers de servir la France, nos grands-pères !
Le tien, en costume magnifique de spahi, le mien, avec ses moustaches 1900, dans les tranchées de Verdun.
Réunis sur cette terre froide, grise, et tellement différente de leur douce Algérie natale, ils défendaient avec la même ferveur la France des droits de l’homme, de l’égalité, de la liberté et de la fraternité.
Cette photo m’a paru être le point de départ d’une grande aventure humaine. Ainsi réunis, nos grands-parents semblent avoir le même avenir devant eux. La France ne saura t’elle pas remercier tous ses fils venus d’outre-mer défendre la métropole ? Ce ne peut être que la reconnaissance qui attend ces braves soldats.
Quel avenir leur réservait-elle donc, cette France si généreuse pour ses enfants ?
Pour les tiens, nous le savons, après une dure lutte, beaucoup d’injustice, et beaucoup de crimes de part et d’autre, l’indépendance.
Pour mes grands-parents, elle leur avait simplement donné un billet de train sans retour, pour Auschwitz.
Certes, le statut de colonisé, même après guerre, peut ne pas sembler enviable. Mais enfin, soyons clairs, il ne pouvait être comparé à celui de la fumée dans le ciel de la Pologne.
Voyons tes parents dans l’Algérie des années cinquante, ils ont voulu t’envoyer à l’école. Peut-être que devant les difficultés économiques ils n’ont pas insisté suffisamment pour que tu ailles à Oran pour passer le BEPC.
Cependant, vous mangiez à votre faim, et si les conditions de vie n’étaient pas d’un grand confort, elles n’étaient pas plus misérables qu’une grande partie de la population de cette planète, à la même époque. Et certainement meilleure que dans nombre de pays arabes.
De leur côté, mes parents, qui avaient vu leurs études et leurs espérances interrompues par la guerre, ont dû reconstruire une vie sans leurs parents. Ils se sont occupés de leurs frères et sœurs survivants.
Sans état d’âme, ils ont retroussé leurs manches, et dans ce pays qu’ils auraient dû maudire, dans lequel ils auraient dû faire sauter des bombes dans chaque marché, chaque métro, ils ont construit avec courage et détermination, leur destin.
Ils ont envoyé leurs enfants à l’école, à l’université, ils ont fait table rase du passé, et ont participé avec enthousiasme au devenir de cette nation qui les avait trahis.
Quand l’indépendance est arrivée, vous aviez, pour la première fois votre destin en main, un pays immensément riche, de pétrole, de gaz naturel, de terres cultivables, d’un potentiel touristique inépuisable.
Alors que l’avenir était tracé devant vous, qu’il était plein de promesses pour les hommes libres que vous étiez enfin, celui des cousins de mon père était sombre et sans espoir.
Chassé de ce pays, où les juifs étaient pourtant arrivés bien avant les arabes, c’est petit à petit qu’ils ont recommencé à vivre dans leur nouveau pays qui ne les avait même pas pris dans ses bras.
Quinze ans après la guerre, mes parents ont accueilli des dizaines de réfugiés. Pendant plus d’un an, enfants, nous avons mis tous les soirs les matelas parterre, dormi à trois ou quatre par lit. Et puis, un jour, chacun a trouvé sa place dans la société française.
Sans ressentiment, sans la moindre manifestation de révolte, avec pourtant la nostalgie d’une Terre à jamais perdue. Tous ces enfants déracinés ont pris le chemin de l’école, de l’université, et sans faire de vague, ont, à leur tour, contribué à faire de la France une grande nation.
Quarante-cinq ans après l’indépendance, qu’est-il advenu de ton peuple ? Je n’ai pas envie de te faire l’inventaire de ses multiples échecs. Peut-être avons-nous notre part de responsabilité pour un certain nombre d’entre eux ? Mais, franchement, est-il possible de séparer la nature de ces échecs de la réalité du monde arabo-musulman dans son ensemble ?
Est-il possible de faire abstraction de la montée de l’intégrisme, de la guerre déclarée par les fondamentalistes à l’Occident, des frustrations et haines entretenues artificiellement par des dictateurs sanguinaires, des maffias, des conflits tribaux et ancestraux.
Est-il possible de parler de ces échecs sans mettre en cause un islam qui n’aborde la modernité qu’en la rejetant et en ne l’utilisant que pour fomenter ses œuvres terroristes ?
Comment aborder ces échecs en jetant un voile, c’est bien le cas de le dire, sur des mœurs d’un autre temps, statut des femmes, esclavage, bombes humaines, utilisation abjecte des enfants ?
Quand je regarde nos grands-pères, j’imagine qu’en sortant des tranchées, ils sont rentrés ensemble dans le même monde, avec les mêmes espoirs, et les mêmes capacités à réussir.
Leur vie n’a pourtant pas été facile, ni pour l’un, ni pour l’autre. Mais, oserais-tu me dire que le mien a eu plus de chance que le tien ? Pourrais-tu me dire que ma famille a été davantage épargnée que la tienne ? Que la France a été irréprochable pour les miens ?
Pourtant, je te l’affirme, pas un des miens n’a brûlé une voiture par désespoir, n’a jeté de l’essence sur une vieille dame paralysée. Aucun d’entre nous n’a jamais songé à se faire sauter dans un autobus ou devant un cinéma. Pas une mère juive n’a imaginé envoyer son enfant de dix ans se faire exploser devant un soldat !
Nouredine, réveille-toi !
Regarde tes enfants crier à la télévision qu’ils veulent qu’on les respecte, pendant qu’ils détruisent les biens d’autrui. Pas une seule voix, parmi leurs parents, pour oser dire devant les mêmes caméras que lorsqu’on veut être respecté, il faut être un individu respectable !
Nos grands-parents sont partis à égalité dans la course de la vie.
Nos enfants, leurs arrières petits-enfants, n’ont pas fait la course ensemble. Tout simplement parce que les uns, malgré toutes les injustices qu’ils avaient subies, ont regardé devant eux et les autres derrière eux.
Devant eux, il n’y avait que l’espoir d’une vie meilleure, des défis à relever.
Derrière eux, il n’y avait que le désespoir des trahisons et du ressentiment.
En 1950, il y avait, en Israël, autant de juifs réfugiés des pays arabes sous des tentes, que d’arabes réfugiés dans des camps palestiniens.
Aujourd’hui, Bill Gates annonce qu’Israël fait partie de la Silicon Valley. Les palestiniens sont toujours dans des camps.
Nouredine, ouvre les yeux !
Quelles que soient les mesures qui seront prises pour améliorer la vie de tes enfants et leur donner espoir en un futur rayonnant, rien ne changera tant que l’islam ne se réformera pas en profondeur en réglant son problème avec l’Autre.
La dignité et la reconnaissance auxquelles vous aspirez légitimement vous seront inaccessibles tant qu’imams et dictateurs utiliseront les frustrations inutilement et délibérément accumulées pour attiser la haine de l’Occident.
En dignes fils d’Abraham, nos grands-pères auraient aimé pour leurs descendants qu’ils deviennent des hommes respectables et respectés.
Je ne suis pas convaincu que ton grand-père aurait aimé voir sa descendance brûler des écoles.
Denis Elkoubi © Primo Europe