Les librairies se portent mal

agerzam

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«Les librairies réalisent 80% de leur chiffre d'affaires durant les mois d'août et de septembre à l'occasion de la rentrée scolaire ». Mme Balafrej est on ne peut plus dépitée en annonçant la nouvelle. On peut la croire, elle est l'une des professionnelles, peu nombreuses dans le domaine, en tant que directrice de Kalila Wa Dimna, l'une des librairies les plus prestigieuses, et non moins rares de Rabat. C'est peut-être la seule de la ville qui maintient encore un semblant d'activité autour du livre et de la culture en général.

Rabat n'est pas la seule ville à souffrir du manque de sespaces de rencontre et de rayonnement culturel. A Casablanca, on peut compter les librairies sur les doigts de la main. Il en existe quelques-unes également à Marrakech et à Tanger. « Y'en avait, mais y'en a plus» comme disait la chanson, une grande partie des librairies qui existaient durant ces 50 dernières années, se sont peu à peu transformées, à partir des années 80, en gargotes, cafés et, dans les meilleurs des cas, en cybers espaces quand ce n'est pas en téléboutiques.

Pourtant jusqu'en 1997, d'après l'annuaire des «Métiers du livre au Maroc», le nombre de librairies, du moins des espaces de ventes de livres, tous genres confondus, s'élevait à 68 et leur répartition géographique était caractérisée par la forte concentration habituelle au niveau de l'axe Casablanca-Rabat qui disposait à lui seul de 38 librairies (soit 55,88 % de la totalité des établissements recensés). Des villes comme El Jadida, Oujda, Taroudant, Tétouan n'avaient à leur disposition qu'une seule librairie chacune. Aujourd'hui, non seulement elles ferment, mais, depuis 2000, d'après la même source, le nombre de nouvelles librairies est nul.

Les bibliothèques, autres lieux de contact avec le livre, ne sont pas moins rares : d'après un rapport de l'Unesco, leur nombre sur le territoire ne dépasse pas la centaine contre 4.000 dans la petite Tunisie. Plus, la carence touche également le nombre d'ouvrages en circulation par le biais des bibliothèques.

En Tunisie, elles font circuler quelque cinq millions d'ouvrages contre à peine un petit million au Maroc. Comment expliquer la raréfaction, sinon l'absence dans certaines grandes villes, de ces espaces de culture et d'information qui, autrefois, jusqu'aux années 70, étaient des lieux de rencontre des intellectuels, des auteurs et des artistes sans parler des passionnés de lecture et de débats ? Nul ne le sait, mais en tout cas, cela explique, du moins en partie, ce qu'on appelle communément « la crise de la lecture», et surtout le peu d'engouement des jeunes pour la lecture .

«Loin de se réduire à un point de vente, la librairie se veut aussi un espace de nouveauté qui joue un rôle important dans la vie des lecteurs, professeurs, étudiants, chercheurs et autres », ajoute Mme Balafrej qui déplore « le peu de cas que font les responsables de l'éducation à l'égard du livre qui n'a plus sa place dans les programmes scolaires.»

C'est sans doute la raréfaction des lieux de lecture, ajoutée à la défaillance de l'école, qui explique le manque de lecteurs et non le contraire. «Un libraire est d'abord un passionné de la lecture doublé d'un professionnel du livre qui doit avoir la capacité de conseiller ses clients, connaître les nouveautés éditoriales, les proposer à la vente, etc. Ces qualités d'ordre culturel doivent être doublées d'un «bon sens commercial» : anticiper les demandes, gérer les commandes, etc.», renchérit Marie-Louise Belarbi.

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Bribes d'histoire


Le métier de libraire au Maroc ne date pas d'hier. Depuis des siècles, les librairies étaient installées autour des mosquées-universités, telles la Qarawiyyine à Fès ou la Koutoubia à Marrakech. On comptait quelque 200 librairies sous la dynastie Saadienne, selon les historiens. L'activité libraire a même été à l'origine de grandes fortunes pour certains, grâce à la commercialisation des manuscrits. Ce fut le cas, au XIVe siècle, du libraire Mohamed Ben Mohamed Ben Bibich Al Abdri Al Gharnati (décédé en 1336/753).

En 1874, l'imprimerie lithographique fraîchement introduite au Maroc grâce aux Turcs, a donné lieu à la fondation d'un certain nombre de librairies spécialisées dans la vente de livres édités à Fès, et surtout importés du Caire. La période coloniale a été fructueuse en matière de création de librairies dont la Librairie Farairre (1924), la Librairie des Ecoles (1927), la Librairie DSM (1937), fondées toutes à Casablanca, et de la Librairie Aux Belles Images créée à Rabat en 1946.

Abdelaziz Mouride | LE MATIN
 
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