Les Basques tirent leur langue

agoram

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lundi 21 janvier 2008

Envoyé spécial à Bilbao FRANÇOIS MUSSEAU


Interdit sous Franco, l’euskara est désormais promu par le gouvernement régional et connaît un nouvel âge d’or dans les médias, l’administration et l’enseignement.


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Comment dit-on gardien de troupeaux en basque ? Astazain pour celui qui garde les ânes, urdain pour les porcs, behizein pour les vaches… Au total, dix mots, selon le type d’animal. Dans un article paru en novembre à la une du Wall Street Journal, le journaliste Keith Johnson se gaussait ainsi d’un archaïque jargon rural dont l’Euskadi, le Pays basque espagnol, se bat pour imposer l’usage devant le castillan, l’autre langue «co-officielle» de la région. La plus vieille langue d’Europe est incapable de s’adapter à la modernité, affirmait en substance le journal de la finance américaine. <table style="width: 9px; height: 65px;" class="articleLinkDocTable"> <tbody> <tr> <td class="articleLinkColRondRight">
</td> </tr> </tbody></table> «Archaïque ? Mais nous sommes la preuve que le basque est une richesse qui développe l’agilité mentale des élèves !» s’enflamme José Maria Ziarrusta. Cet homme dirige une ikastola sur les hauteurs de Bilbao. Dans cette école, où tout s’écrit et se parle en euskara, on se targue de 96 % de réussite au bac.
Coups de fouet
«Cet article insulte notre combat !» s’insurge une enseignante. Les ikastolas, explique-t-elle, sont nées dans la clandestinité sous la dictature franquiste. Durant les trente-six années du règne de Franco, il était interdit de parler basque et, à l’école, cela valait des coups de fouet. Trois décennies après la mort du Caudillo, la défense de l’euskara a conservé cette dimension éminemment politique. Menacée de disparition, la langue basque a été sauvée des oubliettes et connaît même un âge d’or. En l’espace de vingt ans, les Basques bilingues sont passés de 20 à 30 % de la population. Mieux, la moitié des moins de 25 ans le lisent et le parlent sans peine. S’agissant d’un idiome non indo-européen aussi complexe, sans parenté connue, et noyé dans un continent de langues latines ou saxonnes, tous saluent la prouesse. «Zer moduz zabitza ?» (Comment vas-tu ?) «Zer egin nahi duzu asteburu honetan ?» (Tu fais quoi ce week-end ?). Parler basque ne va pas de soi. Même compter jusqu’à cinq - bat, bi, iru, lau, bost - ou invoquer Dieu - Jainko - dépasse les compétences du polyglotte moyen. Et pourtant, «on enseigne en euskara la biologie moléculaire et la physique nucléaire», se targue Andres Urrutia, président de l’Euskaltzaindia, l’Académie de langue basque, à Bilbao. A la fin des années 60, cette dernière a jeté les bases du «batua», un euskara unifié qui sert désormais de norme, avec sa grammaire, son orthographe et son lexique. «Notre modèle a été l’élaboration et la mise en place de l’hébreu moderne en Israël», précise Urrutia. De dialecte rural de tradition orale, l’euskara est devenu un véhicule de communication usuel et académique.
Pour récupérer une langue aussi singulière que minoritaire, «il faut trois choses : une demande de la société, une forte volonté politique et beaucoup d’argent», résume David Crystal, un linguiste gallois que le succès de l’euskara impressionne. Les trois ingrédients ont, semble-t-il, fonctionné : aujourd’hui, 53 % des parents inscrivent leurs enfants dans la filière d’enseignement tout en basque, contre 15 % en 1983.
Sans la volonté farouche du gouvernement régional basque, aux mains des nationalistes modérés depuis vingt ans, rien n’aurait été possible. «C’est notre identité qui est en jeu. Nous ne lésinons pas sur les moyens», admet Patxi Baztarrika, en charge de la politique linguistique au sein de la Communauté autonome d’Euskadi. Dans le budget 2008, l’exécutif basque consacre près de 2 % de ses dépenses (soit 188 millions d’euros) à la promotion de l’euskara, sans compter les fonds alloués aux médias publics en basque, Radio-Euskadi et la chaîne ETB 1. Municipalités, ikastolas, entreprises, crèches sont inondées de subventions.
Trois ans de congé formation
Mais la part du lion revient à l’administration, où le moindre formulaire doit être rédigé en euskara. La plupart des 40 000 fonctionnaires étant tenus de parler basque aussi couramment que castillan, on leur alloue jusqu’à trois ans de congé de formation pour apprendre l’euskara, sans perte de salaire ! «On oblige même des pompiers, des policiers ou des agents d’entretien à apprendre l’euskara. C’est absurde. Le pire, ce sont tous ces médecins, dont on manque tant, obligés de potasser leur basque au lieu de soigner !» s’énerve Iñaki Oyarzabal, député régional de droite, membre du Parti populaire, aussi réfractaire à l’indépendantisme basque que l’est son principal adversaire national, le PSOE socialiste. La politique de «basquisation» laisse des victimes sur le bord de la route. «Des dizaines de profs non-bascophones sont contraints de quitter Euskadi, de partir en préretraite ou d’accepter des tâches subalternes», dénonce Oyarzabal. La socialiste Isabel Celaa, ex-vice-ministre régionale pour l’éducation, acquiesce : «Les nationalistes voudraient qu’on parle l’euskara partout. C’est impossible. La langue relève de l’intime.» L’analyste Joseba Arregi renchérit : «C’est contre-productif. Plus on impose une langue, moins vous l’utilisez.»
Reste qu’en 1982, seulement 5 % du corps enseignant parlait basque. Contre 80 % aujourd’hui. Tandis que l’euskara grignote du terrain dans les facs, les hôpitaux ou les médias, le pouvoir régional veut passer à la vitesse supérieure à l’école. Un récent décret définit l’euskara comme «la langue principale et véhiculaire» dans l’éducation, ce qui fait craindre à certains que le castillan soit un jour relégué à un statut inférieur. Pour qui veut - ou doit - apprendre la langue sur le tard, il y a les Euskaltegis (109 au total), ces centres pour adultes, calqués sur les «oulpan» israéliens. Dans les années 80, on y venait pour des raisons idéologiques et militantes, aujourd’hui,elles sont plus triviales. «Les trois quarts des élèves sont chômeurs ou fonctionnaires. Parler l’euskara est un atout, et c’est subventionné.» Patxi Agirregomezkorta dirige une des plus grandes euskaltegis du Pays basque (2 450 élèves), dans le centre de Bilbao. Mais, il l’admet, l’apprentissage de cette langue agglutinante, divisée en douze niveaux, est ardu. «Beaucoup le font par-dessus la jambe, la qualité s’en ressent. Au mieux, la langue est connue mais, hélas, pas vivante. Après la classe, s’ils s’invitent à prendre un verre, c’est en espagnol qu’ils le font.» Joseba, 43 ans, fréquente cette euskaltegi deux soirs par semaine. Il n’est ni chômeur, ni fonctionnaire, ni nationaliste. Le souhait de ce publicitaire : comprendre ses deux jeunes fils, parfaits bilingues, «en particulier lorsqu’ils se paient ma tête», rit-il. A son grand désespoir, il a un mal fou à s’exprimer de façon fluide. «Y’a rien à faire, ça ne me sort pas des tripes !»
Son cas illustre la difficulté à faire du basque une langue aussi vivante que le catalan ou le galicien. Dans les villes, c’est le castillan qui domine. Euskaltegis et ikastolas organisent certes des colonies de vacances linguistiques ou des séjours dans des familles bascophones, mais cela ne déplace pas les foules. «L’euskara est de mieux en mieux connu, mais résiste à entrer dans le champ des émotions», s’inquiète Andres Urrutia, le président de l’Académie de langue basque. Selon une enquête officielle portant sur les conversations de rue, l’euskara est parlé par seulement 14 % des gens, à peine 4 % de plus qu’en 1989. Il faut être en zone euskaldun (bascophone), comme dans les bourgades autour de Saint-Sébastien, pour entendre l’euskara partout, dans les squares, les cours de récré, les bars… A Zarautz, par exemple, où Jon, 17 ans, se vante de «faire presque tout en euskara. Boire des coups avec mes potes, la discothèque, la drague, et jusqu’aux chats». Sur le front de mer, même les immigrants sahraouies et sénégalais le baragouinent, pour ne pas rester en marge.
«La réussite, pour moi, c’est que beaucoup de gens voient cet idiome comme une richesse propre, comprennent un discours, un bouquin, dit un journaliste. Le reste prendra des générations.» Comme le souligne le linguiste Juan Uriagereka, plus de la moitié des langues sont en danger. Seules une bonne douzaine ont un avenir assuré. On peut se tromper sur la manière de faire, et c’est fréquent dans le cas basque. Mais, si on veut agir, la seule solution passe par la discrimination positive.» Même dans le camp non-nationaliste, l’euskara est un trésor linguistique, un patrimoine qui valait le coup d’être sauvé.
Arme de combat
Pour les nationalistes, c’est bien plus : l’essence de la «basquité», difficile à définir en fonction de la race (la majorité des Basques sont des «sang-mêlé») ou l’onomastique (la plupart des noms basques figurent hors d’Euskadi). «Notre sang ne se voit pas, nos vieilles lois n’existent plus, mais notre langue, elle, s’entend», lit-on dans une revue scolaire. Les séparatistes radicaux, très présents dans les milieux culturels et musicaux (rock surtout), en ont fait une arme de combat. Dans ses coups de boutoir contre la nébuleuse contrôlée par ETA, le juge Baltasar Garzon s’est ainsi attaqué à des journaux bascophones (Egunkaria, Egin), de même qu’il accuse certaines ikastolas d’alimenter les caisses de l’organisation terroriste.
«Ils défendent la langue comme un domaine réservé !» enrage le député Parti populaire Oyarzabal. «Notre langue n’exclut personne», rétorque Patxi Baztarrika, en charge de la politique linguistique au gouvernement. Deux défis majeurs restent à relever. L’alphabétisation en euskara de la population immigrée qui ne peut que croître dans une région aussi riche et prospère - pour le moment, il n’y a que 5 % d’étrangers en Euskadi, contre 10 % dans toute l’Espagne. Ensuite et surtout, l’adaptation aux nouvelles technologies dans lesquelles baignent les jeunes Basques, forces vives de l’euskara. L’exécutif investit donc massivement pour que le basque se fasse une place sur les écrans : jeux vidéo, logiciels de traduction automatique, encyclopédies on-line, systèmes opératifs en euskara (avec Microsoft), publicité sur Internet… «Il faut que les chats et les SMS s’écrivent aussi en basque. C’est vital pour l’avenir, assure Patxi Baztarrika. Je ne veux pas qu’après avoir rejoint la tour de Babel, l’euskara connaisse le sort du latin.»

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Re : Les Basques tirent leur langue

extraits interessants (qu'on pourait discuter à la lumiere de l'etat de tamazight (langue-culture))

1-)«Archaïque ? Mais nous sommes la preuve que le basque est une richesse qui développe1 l’agilité mentale des élèves !» s’enflamme José Maria Ziarrusta. Cet homme dirige une ikastola sur les hauteurs de Bilbao. Dans cette école, où tout s’écrit et se parle en euskara, on se targue de 96 % de réussite au bac

2-)Menacée de disparition, la langue basque a été sauvée des oubliettes et connaît même un âge d’or

3-)«on enseigne en euskara la biologie moléculaire et la physique nucléaire», se targue Andres Urrutia, président de l’Euskaltzaindia, l’Académie de langue basque, à Bilbao. A la fin des années 60, cette dernière a jeté les bases du «batua», un euskara unifié qui sert désormais de norme, avec sa grammaire, son orthographe et son lexique.....De dialecte rural de tradition orale, l’euskara est devenu un véhicule de communication usuel et académique.

4-)Pour récupérer une langue aussi singulière que minoritaire, «il faut trois choses : une demande de la société, une forte volonté politique et beaucoup d’argent»

5-)
en 1982, seulement 5 % du corps enseignant parlait basque. Contre 80 % aujourd’hui.
 
Re : Les Basques tirent leur langue

Il y a un facteur énorme qui fait la différence avec la situation de l'amazigh :

Les Basques ne doivent pas faire face à un Coran et une religion qui font passer le Castillan comme la seule chance de salut.

- une demande de la société : ce sera le cas quand la société pourra se préoccuperd'autre chose que de survivre.

- une forte volonté politique : rien, nada

- et beaucoup d’argent : rien, nada
 
Re : Les Basques tirent leur langue

I

- une demande de la société : ce sera le cas quand la société pourra se préoccuperd'autre chose que de survivre.

On remarque que ce sont les régions les plus isolées et les plus fragilisées économiquement qui restent majoritairement amazighophones ...Et au contraire dans les villes amazighs beaucoup ne parlent plus tachelhit, tamazight ou tarifiyt et notamment chez pas mal "d'instruits"...

C'est donc pire qu'un simple probléme économique, c'est le modéle de société tout entier qui foire et en premier lieu l'éducation nationale...
 
Re : Les Basques tirent leur langue

et ce qui est plus malheureux encore c'est que personne presque ne lit ce qui s'écrit en amazigh ! je pense que ce qui est primordial pour le momoent est de rétablir l'amazigh dans sa parfaite oralité ! le conte,lecinéma ,le théâtre ,la chanson et la poésie sont les champs où il faut focaliser plus nos batailles .tanemmirt
 
Re : Les Basques tirent leur langue

Il y a un facteur énorme qui fait la différence avec la situation de l'amazigh :

Les Basques ne doivent pas faire face à un Coran et une religion qui font passer le Castillan comme la seule chance de salut.

- une demande de la société : ce sera le cas quand la société pourra se préoccuperd'autre chose que de survivre.

- une forte volonté politique : rien, nada

- et beaucoup d’argent : rien, nada

C'est exacte, mais si tu demandes à un Basque de définir le Basque, il te répond: celui qui parle la langue. Donc du point de vu linguistique celui qui parle Basque est Basque.
Donc si j'apprends cette langue, le nombre de basques augmentera.
Maintenant, posons la question pour les imazighen et on se rend compte qu'on a encore un bon bout d'agharas à parcourir. Non pas pour avoir la volonté politique ou argent, mais pour changer notre attitude, à ne pas cacher notre identité.

J'ai lu un article sur les touareges et la naissance d'un bébé dans leur société.
Si je dois croire le temoignage, on donne au bébé un nom amazigh en cachette (une femme le murmure dans son oreille) et après on donne un nom officiel, Coranique. A quoi bon?

Je vois les Turcs qui compte plus de imuslimn (statistiques) que le Maroc, ils ont su garder leur langue, qui -rapelons le- n'étais pas écrit avant 1915...
 
Re : Les Basques tirent leur langue

La religion ou le coran n'ont rien à voir dans le racisme dont sont victimes les Imazighen.
C'est plutot leur instrumentalisation politique. Là je pense qu'on sera tous d'accord.
Pour le reste, c'est clair que le fait de faire de travailler dur à maintenir les gens dans un niveau de pauvreté extrême permet d'eviter qu'ils ne posent des questions au dela du prix du pain.
 
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