Lecture dans « Les trois rois »

Takfarinas

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Lecture dans « Les trois rois » : (première partie))
Les guillemets s’ouvrent sur une mystification
« Les trois rois » d’Ignace Dalle (fayard), volumineux, n’est pas inutile. C’est un travail de documentation important qui pourrait être profitable à tous ceux qui sauraient se départir des partis pris de son auteur. Il entend juger la face connue et dévoiler celle cachée de « la monarchie marocaine de l’indépendance à nos jours ». Le Marocain y dénichera en partie les ressorts de l’hostilité d’une certaine France à l’égard du royaume. Le profane du Maroc y trouvera peut-être quelque chose à découvrir. Mais il lui faudra se méfier des lectures erronées des évènements et des rumeurs élevées au rang de faits.
En trois parties : Les guillemets s’ouvrent sur une mystification ; Un billet pour ramener le Roi de sa lune ; Ces Ordonnances devenues les bons samaritains de l’armée ; Naïm KAMAL dissèque et raconte un ouvrage qui aurait pu être une œuvre rare sur le Maroc.

On n’est jamais assez prudent. L’auteur de l’ouvrage, « Les TROIS ROIS », le sait et c’est fort probablement cette conscience qui le pousse à achever son avant-propos par un sage « il reste tant à faire ». Au terme de huit cent dix-huit pages de vertigo, Ignace Dalle a pu garder suffisamment de lucidité pour se rendre compte qu’il était très difficile de faire œuvre d’historien « dans ce Maroc si complexe ». Ce faisant il s’est libéré à peu de frais des contraintes et de la rigueur que lui imposerait une telle démarche pour donner libre cours à sa subjectivité. Il n’en demeure pas moins vrai qu’il s’est livré à un travail colossal même si cette besogne de bûcheron a consisté à faire des coupes claires dans la littérature sur le Maroc pour n’en dégager que la partie sombre.
Écrit à l’encre de l’agencier sans fioriture mais sans imagination non plus, il faut de la patience pour le lire. Ouvrez les guillemets, fermez les guillemets. Plus de la moitié de l’ouvrage est faite de références à une riche bibliographie et de citations prélevées sur les interviews réalisées par l’auteur avec plusieurs acteurs de la politique marocaine. De ce point de vue, il faut rendre hommage à Ignace Dalle auprès duquel tout doctorant sur l’histoire récente du Maroc pourrait trouver une documentation et une bibliographie fort utiles s’il arrive à la dépolluer des jugements de valeur de l’auteur. Autant ce travail par son importance mérite toutes les louanges, autant les finalités qu’il sert portent préjudice à une œuvre qui aurait pu être rare si l’auteur n’avait succombé à ses démons.
Avant même qu’I. Dalle n’ait entamé les recherches nécessaires à son ouvrage sa religion était faite.
Sur le Maroc, sur sa monarchie, sur ses Marocains. Les pieds dans l’eau, la tête dans sa conclusion, la quête de l’auteur dans les merveilleux instruments qu’il s’est donné la peine de décortiquer se bornera à y dénicher ce qui tombe sous le sens de son dessein. Son aversion épidermique, cutanée et sous cutanée, pour Hassan II, l’antipathie que lui inspire l’Istiqlal dit orthodoxe, le peu d’indulgence, à laquelle seuls Benbarka et quelques uns de ses amis échappent, qu’il a pour les socialistes de l’USFP « accusés » pratiquement de « collaboration » avec la monarchie, son faible pour des pro français sortis à un moment de la féodalité caïdale du monde rural et du sérail de l’administration coloniale altèrent sérieusement la qualité d’un ouvrage qui est passé à côté de l’œuvre.
Commençons par tordre le cou à une mystification : contrairement à ce qui a été écrit ici et là, ce livre qui élève souvent la rumeur au rang de fait, anobli le ragot, ne dévoile aucun secret. Il n’y a rien dedans qu’on n’ait déjà lu ou entendu, à deux ou trois petites choses près ; le conflit algéro-marocain de 1963 et les télégrammes de l’ambassade de France à Rabat. Sur le premier, l’auteur réserve plutôt un accueil favorable aux positions marocaines et écorche l’attitude d’Alger en reconnaissant, via Sophie Jacquin, ancien porte parole de la MINURSO au Sahara, que le Maroc a été berné par l’Algérie sur la question des frontières. Mais sa générosité ne va guère plus loin. Sa compréhension est vite viciée par l’évocation de l’aide des anciens occupants au Maroc et l’occultation du soutien soviétique à l’Algérie. Oubliant que lui-même assure, contrairement à une idée reçue, que ce sont les voisins qui ont attaqué les premiers, il ne tarde pas trop à retomber dans ses premières amours en consacrant sa chute aux opposants marocains qui n’y ont vu qu’une guerre néo-coloniale et impérialiste contre la révolution algérienne (pages 298 à 307). Pas tout à fait une vraie découverte ni une révélation, la citation de télégrammes de la chancellerie française à Rabat adressés au Quai d’Orsay offre néanmoins un modèle du sort qui est réservé à toute discussion avec un membre d’ambassade.
À son insu, l’ouvrage livre une clé de ce qui anime souvent l’hostilité de certains milieux français, qu’ils soient de droite ou de gauche, à la monarchie marocaine. Mohammed V, de projet de « Roi marionette » à père de l’indépendance, n’en finit pas, quarante-trois ans après son décès, d’irriter (pages 26, 28, 32, 87). L’hospitalité et la liberté de mouvement offertes aux fellagas du FLN algérien a fini par les remontre irréversiblement contre une monarchie que les Français croient avoir sauvé. Et si, fait inédit jusque-là, on assiste à une tentative de battre en brèche le premier des trois rois, c’est parce que « sa popularité semble avoir immunisé le trône alaouite des assauts de la modernité » (page 760). La démythification de celui que les Marocains ont vu dans la lune participe donc de l’œuvre entreprise par ce livre et par d’autres de la même eau : la déstabilisation de la monarchie par sa banalisation. S’il n’est pas interdit de concevoir une telle désacralisation au nom du progrès, il faudrait bien préciser que cette « modernité » qui n’a pas eu de prise sur le trône alaouite paraît, avec les instruments de mesure qui sont les nôtres aujourd’hui, peu recommandable. Sous la plume de l’auteur, elle n’est que voies sans issue : « nasserisme en Egypte, baâthisme en Irak » et leurs avatars au Maghreb (idem).
Tautologique et répétitif à l’excès, l’ouvrage pêche par son manque de discernement. Il n’a pu ainsi mettre en perspective l’évolution du Maroc à la lumière des développements mondiaux. Dommage.
Car l’auteur avait pour lui le recul de la rétrospective : l’implosion de l’Union soviétique, la chute du mur de Berlin, les effets désastreux de ceux-ci mais aussi du discours mitterrandiste de La Baulle sur l’Afrique, la fin en queue-de-poisson de la révolution algérienne, la mue dans notre sphère de régimes à parti unique en républiques héréditaires, etc.
Autrement mieux outillé et surtout plus honnête, Régis Debray, dans une prenante introspection de sa vie politique, écrit dans « loués soient nos seigneurs » : « en 1970 je détestais toujours (et légitimement) le pouvoir marocain, et admirais le fier nationalisme algérien. Vingt ans après, force est de constater que le roi du Maroc, aussi grand comme politique qu’antipathique comme individu, a fait un pays vivable, où l’on peut respirer, s’exprimer, lire et penser, tandis que les héros de la révolution algérienne, individuellement si estimables, ont engendré l’Algérie que l’on sait ». Marcher ainsi sur ses sentiments tout en les rappelant, il faut être Régis Debray, ce que n’est pas - lapalissade - I. Dalle. Sans la consistance intellectuelle et l’exigence qui en découle du philosophe et ancien baroudeur révolutionnaire intime des principes de « distanciation » de Brecht, l’auteur des « trois rois » a été incapable de se défamiliariser avec son épiderme et a préféré à l’examen rigoureux des faits le tiers-mondisme paternaliste dont on croise encore quelques beaux spécimens dans ce magnifique réduit de l’utopie qu’est le Monde diplomatique. Du coup il s’est fermé à double tour les voies pénétrables de la compréhension pour saisir les biens faits, relatifs sans doute mais biens faits tout de même, de la progressivité, économe en souffrances et en vies humaines, dans laquelle les Marocains ont inscrit la construction de leur démocratie.
L’eut-il fait qu’il n’y aurait pas eu de livre. Tenir compte de l’impasse où se sont retrouvés les pays de l’Est ou de l’échec lamentable des choix idéologiques qui ont sous-tendu la construction des systèmes socialisants au lendemain des indépendances de l’Afrique et de certains pays arabes revenait à délégitimer l’alternative, dont l’auteur se fait l’avocat, qu’opposaient les adversaires de Hassan II aux choix que le défunt souverain avait retenu pour le Maroc. Considérer comme plausible le scénario de la reproduction par la gauche marocaine des systèmes totalitaires à base de socialisme abâtardi rendrait également quelque part compréhensible sinon légitime la violence avec laquelle le régime répondait à ses adversaires. M. Dalle ne serait alors plus fondé de mettre entre guillemets et en doute les complots, aujourd’hui avérés, contre la monarchie ni évoquer (p 205) le limogeage du gouvernement de Abdellah Ibrahim en des termes qui arrangent son préconçu : l’opposition de deux conceptions du Maroc, celle du pouvoir, forcément « théocratique et féodale », et celle de l’opposition de gauche qui ciblerait « un État moderne, démocratique et progressiste. »
Un résidu de conscience l’amène naturellement à effleurer le dilemme de la viabilité de cette dernière option, mais sans le courage d’aller au fond du sujet pour dévoiler ce que pouvait receler en vérité cette conception dans le contexte des années soixante. Pourtant la question est toute simple : le « génie marocain » pour lequel l’auteur a si peu d’estime, pouvait-il déboucher avec les agrégats idéologiques de l’époque sur autre chose de mieux que l’Algérie de Boumedienne, l’Egypte de Nasser, la Roumanie de Ceausescu, Cuba du lider Maximo si ce n’est la Zambie de Mugabé ?
Occultant les faits tels qu’ils ont eu lieu et non tels qu’ils devaient se dérouler, il établit à sa guise la ligne de démarcation entre le bien et le mal, les bons et les méchants. Il peut alors sans cas de conscience s’extasier devant Rémy Leveau qu’il cite affirmant, en clair et en français dans le texte, que Mehdi Ben Barka voulait le parti unique mais s’est heurté à « l’incompétence des hommes » .
source: http://www.lopinion.ma/article.php3?id_article=5903
 
Lecture dans « les trois rois » (deuxième partie))
Un billet pour ramener le Roi de sa lune
A tout seigneur tout honneur. Hassan II est au centre de l’ouvrage, son tenant et son aboutissant. Il arrive à l’auteur de trouver au défunt Roi des qualités. Mais jamais beaucoup ni pour longtemps.
Contraint et forcé, il concède que la marche verte est un coup de génie, mais fera tout en s’appuyant sur rien et son synonyme pour lui en contester la paternité. Car ce Roi qui « n’a pas seulement eu la chance insolente d’échapper à deux attentats » a eu également pour lui « l’Histoire et le hasard du calendrier [qui] lui ont aussi souri, lui fournissant l’occasion [grâce à la marche verte] de repartir sur de nouvelles bases et de consolider définitivement son trône ». Et cela est plus que ne peut en supporter I. Dalle.

En essayant de banaliser la monarchie marocaine au nom d’une modernité qui a pour corollaire le fatras socialisant à la sauce panarabe, I. Dalle a livré une des clés qui animent l’hostilité d’une certaine France à l’égard du Maroc (cf. L’Opinion du 27 octobre 04). Dans sa lancée, il essaye de détrôner le Roi de la lune où l’avait installé la psychologie des foules le soir de son exil. Et par mégarde, il livre le rôle de puissances étrangères dans la déstabilisation du Maroc fraîchement indépendant
Démythification du père de l’indépendance, banalisation de la monarchie, glorification de la féodalité caïdale, éloge des agents issus de l’administration coloniale, encensement des élites qui fleurent bien la France, tout y passe donc et le reste est à l’avenant. Mohammed V et sa descendance sont soumis à de l’apprenti psychanalyse. L’opposition de style entre Mohammed V et son fils, puis entre Mohammed VI et son père est présentée comme un problème préoccupant qui fait l’objet de notes diplomatiques alors qu’il s’inscrit dans la nature même des choses. Psychanalyste à ses moments perdus, l’auteur n’a pas entendu parler d’Oedipe et au lieu d’admettre que rarement fils tient tout de son géniteur, il préfère conclure au désaccord plutôt qu’à la complémentarité (p 189 à 194). Tel le flic des séries américaines, l’auteur retiendra contre ces présumés coupables de tous les maux du monde tout ce qu’ils diront ou feront et contrairement au policier américain il n’épargnera pas jusqu’à leurs silences. Mohammed V est souple, il est faible et hésitant, au pire retors. Hassan II se montre-t-il ferme, il est violent et brutal, au mieux arrogant.
Dans cette foulée sans fin, toute décision de Mohammed V est voulue comme la démonstration de son « caractère ambigu et indécis », tiraillé entre ses relations avec le mouvement national et les pressions de son fils Moulay Hassan. Mais jamais comme des choix et des réponses d’ordre stratégique ou tactique. Il en est ainsi lorsqu’il reproche au Roi des carrières centrales de laisser de côté l’organisation séance tenante des élections pour leur substituer la création d’une assemblée nationale consultative (p 265). Peu lui importe si moins d’une page plus tard il se contredit en évoquant la situation particulière du Maroc au lendemain de l’indépendance qui ne favorisait pas l’organisation d’élections dont personne par ailleurs, dit-il, ne voulait.
Mais Mohammed V qui décède relativement jeune est trop auréolé pour se laisser détrôner aisément de la lune où la psychologie des foules l’a installé au lendemain de son exil en 1953. Qu’à cela ne tienne. L’auteur s’essaye à lui offrir un billet retour en vendant l’image d’un souverain avide d’argent qu’il amasse par brassées pour le placer à l’étranger. Tout ce qu’il prétend n’est peut-être pas faux, mais tout ce qu’il avance n’est certainement pas vrai. En tout cas la démonstration qu’il en fait ne tient pas entièrement la route. Supposons toutefois. Deux explications se présentent : la cupidité, un peu courte, que privilégie l’auteur, mais aussi la nécessité de se mettre à l’abri des aléas de la vie, ce qui est légitime. I. Dalle a bien lu Robert Dubois-Roquebert, mais il n’a nullement retenu que le souverain qui revient de Madagascar est un Roi échaudé. Il a souffert des affres de l’exil et suffisamment subi le bon vouloir de l’administration coloniale pour penser à se donner les moyens de résistance en cas de récidive.
La piste de la mise à l’abri d’un trésor de guerre que l’auteur néglige est d’autant plus intéressante que le Maroc est dans une zone de turbulence jamais loin de l’insurrection à l’instigation ou non de la France où certains milieux ne désespéraient pas encore d’une république marocaine. N’est-ce pas l’auteur lui-même qui nous rappelle que beaucoup de Français, dont le vénérable Edgar Faure, ne comprenaient pas l’attachement des Marocains à la personne du Roi. C’est encore lui qui évoque une France plus coloniale que jamais n’écartant pas l’éventualité d’une intervention militaire dans le Maroc indépendant (p 170 et 171 notamment). Ce sont enfin les télégrammes qu’il a exhumés pour notre plaisir qui nous font découvrir, « à la fin du règne de Mohammed V », un ambassadeur français, Roger Seydoux, « satisfait du courant progressiste » et d’autant plus heureux de ses contacts avec l’opposition UNFP qui essaye d’affaiblir le soutien de Paris au Palais qu’ils « ne se limitent pas au seul Bouabid » (p 252, 253).
Mais si nous avons droit à ces « confidences » sur l’interventionnisme français, par exemple que les difficultés du gouvernement Abdellah Ibrahim surviennent surtout quand il y a des mesures touchant les intérêts de la France, ce n’est guère pour mettre en exergue la part de responsabilité de puissances étrangères dans les difficultés du Maroc. Le but est évidemment là où, constance oblige, il y a moyen de nous démontrer, sur la foi d’un télégramme de l’ambassade, que les indices « permettent de penser que le pouvoir royal se dégrade rapidement [et que] la combinaison ministérielle sous la vice-présidence du prince héritier se montre de plus en plus inefficace (...) ».
Les clichés ont la peau dure. Sentences d’hier, jugements d’aujourd’hui, mots de toujours ; dans le cinéma que nous projette I. Dalle les ressemblances ne sont pas le fruit du hasard. Mais à tout seigneur tout honneur. Hassan II est au centre de l’ouvrage, son tenant et son aboutissant. Sarcastique pour le plaisir, l’auteur se gausse, c’est son droit, du concept « de la démocratie sociale au détriment de la démocratie élective » que défend Hassan II (p 230). Il enjambera cependant sans remords l’obstacle que lui pose une bonne partie de l’UNFP qui endossera sa variante prolétarienne sous le slogan « du gouvernement ouvrier » devant préparer le terrain à la démocratie. Slogan qui n’est pas sans rapport avec son accord sur l’état d’exception de 1965 que l’actuel premier secrétaire de l’USFP Mohamed El Yazghi reconnaîtra courageusement comme une erreur.
On peut tout reprocher à Hassan II, sauf ce qu’il a bien fait. Sur sa lancée, I. Dalle fait mine de ne pas le savoir. Sans craindre le ridicule, Il sera sans merci pour la politique des barrages et de l’irrigation.
Qu’importe si elle permet au Maroc de traverser sans trop de dégâts les longues années de sécheresse récurrente et moins encore si elle a valu à Hassan II le grand prix international de l’eau.
Mais dans l’infiniment inepte, il y a mieux ; l’arabisation. Prônée par Hassan II, elle est raillée du fait qu’au même moment le percepteur royal sollicite des livres à la mission française pour le prince héritier (p 346, 347). Comme s’il ne tombait pas sous le sens que l’éducation d’un futur roi doit être la plus complète et la plus diversifiée. Comme si Hassan II, qui a toujours considéré que parler une seule langue relevait de l’analphabétisme, avait jamais fait mystère de sa volonté d’ouverture sur les autres cultures et notamment, pour des raisons historiques, française au grand dam de nombreux nationalistes.
Mais l’une des contradictions majeures de ce livre demeure qu’il s’échine tout au long des huit cents pages à démontrer que la politique de Hassan II combine « de manière caricaturale [dans le monde rural entre autres] les tares dominantes du régime : passe-droits inadmissibles, corruption de fonctionnaires, exactions, faillite de l’État, etc. » (p 762) pour regretter par ailleurs que le Roi défunt n’ait pas initié son successeur davantage aux affaires de l’Etat (p 760 notamment). D’où tient-il d’ailleurs que le défunt Roi tenait son héritier à l’écart de la gestion du royaume si ce n’est du simple fait qu’il n’intervenait pas publiquement. Maurice Druon qui connaissait Hassan II aussi bien que son fils rapporte qu’après l’accident de celui qui était encore « smyite sidi » que le Roi lui confia avoir eu plus peur pour le prince héritier, qui est dans sa conception un métier exigeant un long apprentissage, que pour le fils.
Mettons un bémol. Il arrive à l’auteur de trouver au défunt Roi des qualités. Mais jamais beaucoup ni pour longtemps. Contraint et forcé, il concède que la marche verte est le coup de génie de Hassan II, mais fera tout en s’appuyant sur rien et son synonyme anonyme pour lui en contester la paternité. Car ce Roi qui « n’a pas seulement eu la chance insolente d’échapper à deux attentats » a eu également pour lui « l’Histoire et le hasard du calendrier [qui] lui ont aussi souri, au milieu des années soixante-dix lui fournissant l’occasion [grâce à la marche verte] de repartir sur de nouvelles bases et de consolider définitivement son trône ». Et cela est plus que ne peut en supporter I. Dalle qui ne se résout pas à faire contre mauvaise fortune bon cœur. La suite sera donc du même acabit.
 
Lecture dans « les trois rois » (troisième et dernière partie))
Ces Ordonnances devenues les bons samaritains de l’armée
Après avoir été incapable de transcender ses démons et opérer la distanciation nécessaire à son approche du Maroc ( L’Opinion du 27/10/04), tenté sans succès de faire descendre Mohammed V de sa lune (L’Opinion du 28/10/04), I. Dalle cherche à réhabiliter les Ordonnances de l’armée coloniale.
En cours de route, il absout et condamne, accorde grâces et titres d’honneurs, distribue damnation et anathèmes et finit, tel Dieu, par nous voir à son image rêvant pour nous d’une monarchie laïque à défaut d’une république. Noble sentiment dont la faille est commune à tout le livre : l’approche correcte et l’analyse appropriée.
Oufkir, l’ordonnance faite bombe à retardement, ici en tenue de tirailleur du 4ème RTM de l’armée française, Medbouh ou la félonie de père en fils et Chelouati, le colonel dandy qui se voyait guide de la révolution.
Dans « les animaux malades de la peste », La Fontaine assure que « selon que vous serez puissant ou misérable, la justice vous rendra blanc ou noir ». Appliqué à l’auteur des « trois rois », la fable sera selon que vous corroborez ses analyses ou que vous y échappez, I. Dalle vous rendra beau ou laid, progressiste ou réactionnaire, sérieux ou léger. Il s’ensuit des contorsions dans un style spasmodique.
Sa conviction de la marocanité du Sahara le met mal à l’aise. Il y ira à reculons. In fine, la marche verte se réduit juste à une habile manœuvre aux yeux de l’auteur que sa démarche biaisée rend incapable d’en comprendre les ressorts. Pour pallier cette insuffisance, il s’en remet à l’historien Abdellah Laroui « brillant intellectuel devenu l’un des chantres du régime ». Ainsi avant même que la parole ne soit donnée au brillant intellectuel, sa thèse est ruinée par l’allégeance à un régime que l’auteur s’évertue de bout en bout de son ouvrage à présenter sous son plus mauvais jour. De crainte que la perfidie ne porte pas et qu’à la lecture de la consistance de M. Laroui le lecteur oublie la mise en garde, un renvoi est dédié à le rappeler à l’ordre : « Auteur d’un remarquable travail, les origines sociales et intellectuelles du nationalisme marocain (...), Laroui, comme un certain nombre d’autres penseurs marocains, écrit-il, a fini par rallier le Palais, ce qui l’a parfois conduit à d’étonnantes prises de position. » (p 427). Les gauchistes impénitents échapperont à ce sort et sont tout à leur avantage à l’image de Abderrahim Berrada, « avocat d’Abraham Serfaty et d’innombrables prisonniers d’opinion » nous dit l’auteur pour nous présenter l’héros qui pendant la guerre des sables à choisi la « révolution algérienne » contre le Maroc au nom d’un naïf et stupide internationalisme survolant les frontières. Il en est ainsi également de l’un d’eux qui assure un peu à la va vite, pour conclure à « l’immense « gâchis (...) qu’au moment de l’indépendance, le Maroc était un pays de grande culture, comparable à la Syrie ou à l’Iran. Nous avions une élite qui s’était engagée résolument sur la voie de la modernité », lui fait-il dire. L’avis mérite le débat un jour, mais l’urgence consistera ici à préciser le sens de la modernité dans la bouche d’un militant d’extrême gauche qui nous vient d’une mouvance que nombre de ses adeptes n’ont pas reniée et dont le modèle était, si ce n’est les goulags de Staline, l’abêtissante révolution culturelle de Mao et l’ignoble rééducation des masse de Pol Pot et des Khmers rouges par la déportation des citadins vers la campagne et inversement.
Du même bois mais dans un autre registre, l’incompréhensible magnanimité, mais seulement de prime abord, avec laquelle l’auteur traite Haj Ahmed Balafrej, représentant personnel de Hassan II tout au long des années soixante où la matraque ne brillait pas par sa mollesse. Mais là aussi cherchez le rebelle. En l’occurrence, le passé révolutionnaire de son fils Anis qui assure, page 143, que son père « était monarchiste par intérêt » (sic), car il n’en faut pas plus pour absoudre le représentant royal aux yeux de l’auteur. On comprendra moins toutefois son indulgence pour Abdellatif Filali qui, sans progéniture au passé révolutionnaire et sans avoir jamais rien trouvé à redire sur la gestion du pays dont il ne s’est jamais désolidarisé, a servi encore plus longtemps Hassan II, ce qui équivaut généralement du point de vue l’auteur aux sept pêchés capitaux réunis.
Mais dans l’art de tordre les faits par une malsaine sélectivité, I. Dalle n’est pas à une incohérence près. Aux fins avouées de réduire à une combine l’entente de Hassan II avec les forces de l’opposition en 1998, il commence (p 521) par parler à la place d’un disparu, Abderrahim Bouabid, assurant que l’alternance aurait été différente avec lui sans autre moyen de vérification qu’une rétrospective prospective qu’il invente pour l’occasion. Chez Mohamed Lahbabi, un historique de l’USFP, il ne retient ensuite (p 660) que son opposition tardive à la participation de son parti, pour le plaisir de la passer en pertes et profits, au gouvernement de l’alternance consensuelle. Pour la cause, il omet de signaler que le vieux routier avait formulé pour défendre la même participation le curieux concept de « la bayâa démocratique. »
La sélection arbitraire des propos et le défilé d’amalgames ne sont pas, on l’aura deviné, innocents. Dans l’architecture qu’il s’est gracieusement offerte, ils lui permettent de souligner la faillite, face à la “perfidie du pouvoir”, des élites politiques contraintes de prôner l’alliance avec les islamistes d’Aladl wa al Ihssan. L’auteur est naturellement loin du souci d’analyser correctement le Maroc et de l’aider à s’appréhender et à le faire comprendre comme il le prétend pompeusement. Autrement, I. Dalle aurait pris son temps pour débattre avec M. Lahbabi l’opportunité d’une telle orientation, ou juste rappeler ce qu’avait coûté l’alignement des intellectuels et des progressistes iraniens sur Khomeiny et sa révolution islamique.
S’il avait été le bon connaisseur des dédales de la politique marocaine qu’il veut bien laisser croire, il se serait donné également la peine pour faire œuvre utile de rappeler que pour cheikh Yassine qui rejette les élites occidentalisées, il ne s’agit pas de moderniser l’Islam mais d’islamiser la modernité.
Modernisation dont on peut facilement cerner les contours en se remémorant juste la réaction de ses amis au plan d’intégration de la femme dans le développement. Naturellement (page 693), il en reparle pour dire tout le bien qu’il pense des islamistes, mais entre temps on aura eu le temps d’oublier l’usage qu’il en a fait pour discréditer l’alternance.
Dans cet ouvrage où il a délibérément décidé de ne voir que les défauts, l’auteur n’est jamais à une inconséquence ou à une embrouille près. Les synapses obstruées par l’a priori, il sera incapable de relever la contradiction entre ce qu’il assure en faisant parler Aziz Blal (p 200) pour rendre Mohammed V responsable de l’abandon, parfois le détournement de la politique socio-économique du gouvernement Ibrahim, et moins de vingt paragraphes plus loin, de reprendre à son compte les reproches de Mehdi Benbarka accusant (p 205) M’hamed Douiri, successeur en 1960 de Abderrahim Bouabid à l’Economie et aux finances, de ne faire que poursuivre la politique économique du même gouvernement Ibrahim.
Commentant (p 523) les constitutions marocaines depuis1972, il leur trouve entre autres rares qualités de ne pas avoir oublié le parlement en lui octroyant le droit de constituer des commissions d’enquête. Mais les Marocains [semble-t-il] attendent toujours les premiers résultats probants de ces commissions » qui ne seraient qu’une « illusion » selon l’auteur. Ce qui n’empêche pas cette illusion de prendre la clé des champs lorsque I. Dalle se fait enfin miséricordieux avec Abderrahman Youssoufi premier ministre en lui accordant le bénéfice de ne pas « avoir entravé le travail des commissions d’enquête parlementaires sur les fraudes pratiquées au sein des grands organismes d’État. »
Tissu d’approximations, s’il y a un reproche à faire à ce livre ce ne sera certainement pas l’absence des à peu près. Il parle de milliards d’euros à propos des rentrées annuelles en devises des RME - il s’agit en fait de quatre - et des milliers de bénéficiaires indus des terres de la SOGETA (p 754), des chiffres plus que ronds dispensant par auto- décret I. Dalle d’apporter des informations précises. Les confusions pullulent également et quana’a devient (p 89) conviction alors que dans le contexte où l’utilise Benberka elle signifie contentement tandis que les frontistes de la nouvelle gauche sont confondus (p 389) avec l’aile de Rabat de l’UNFP en même temps qu’il blanchit, avec la même ignorance des faits, Fquih Basri de la création une décennie plus tard du mouvement Alikhtyare Attawri. Page 627, le célébrissime Abddelkabir M’daghri Alaoui, longtemps ministre des Habous et des Affaires islamiques, se transforme en Abdelkader et soixante trois pages auparavant, l’auteur fait voter la participation de l’Istiqlal au gouvernement de l’alternance consensuelle par le 13ème congrès alors qu’il est partout reproché aux assises d’avoir délégué au comité exécutif cette prérogative qui appartenait en fait au conseil national de la formation de Abbas El Fassi. Last but not least, il s’étonne ailleurs qu’une sucrerie soit adjugée aux Polonais qu’il dit lui-même être les mieux disants, sous prétexte qu’ils auraient proposé des pots de vin. Des détails en définitive mais qui en disent long sur la légèreté d’un « auteur » - à ce stade il faut le mettre entre guillemets - qui abuse de la méconnaissance supposée de ses lecteurs et de leur bonne foi.
Les événements de Moulay Bouâaza en 1973, une opération blanquiste dans ce seul sens où c’est une action ultra minoritaire dont sont victimes principalement sa chair à canon ne lui inspire entre autres commentaires que « ces jeunes Marocains idéalistes déçus par tout ce qui a suivi l’indépendance ». Aucune précision, pourtant capitale, n’est apportée sur leur infiltration à partir du territoire algérien (p 397). Même si Hassan II est cité (p 399) désignant une capitale étrangère dans un discours devant les anciens de la résistance et l’Armée de libération, l’auteur ne ressent aucun besoin, lui si friand des détails, d’apporter plus d’éclaircissements sur le rôle des services de l’Algérie sœur. Normal, ils gêneraient son analyse et ses conclusions sur l’impopularité du régime marocain.
Comme à son habitude, il s’en sort par une pirouette en mettant l’accusation contre Alger au même titre que Damas et Tripoli, sans omettre de recourir au conditionnel, dans la bouche du tribunal de Kénitra forcément à la solde (p 399), alors que les faits sont aujourd’hui corroborés par tous les témoignages y compris par sa muse préférée, Fquih Basri.
Toujours aussi « mal informé », il n’a aucun scrupule à affirmer que l’armée était la seule institution à avoir approuvé le recours à l’article 35 proclamant l’état d’exception en 1965, ce qui est soit dit en passant loin de la vérité puisque l’on sait qu’une bonne partie de l’UNFP y était favorable. La condamnation qu’il entend prononcer par là contre le corps de l’armée a ses exceptions. Comme par hasard ce sont des putschistes, Medbouh (p 365), Oufkir (p 373) et les autres officiers (p 683). Ce glissement ne fait qu’annoncer ce qui suivra dans la bonne lignée de Gilles Perrault (notre ami le Roi) et de Stephan Smith (Oufkir, un destin marocain). Sans l’art accompli de la sublimation de l’injure du premier ni la fraicheur du style du second, il entreprend la réhabilitation d’officiers pour l’essentiel des anciennes ordonnances des armées coloniales, enfin bons samaritains du peuple et subitement intègres parce que convoitant le pouvoir de Hassan II. A Peine « l’auteur » appelle-t-il à la prudence pour traiter des tentatives qu’il sait au tréfonds de lui-même, mais sans trop laisser transparaître la chose, nullement meilleurs à celles de militaires de l’espèce du sergents Sam Doe, analphabètes jetant leur pays dans la guerre civile ou à de Pinochet, cruels plongeant leurs peuples dans des bains de sang. Ababou descendant Medbouh et Oufkir conduisant en 1971 ses complices généraux sans état d’âme devant le peloton d’exécution offraient un avant-goût de ce qu’auraient été en cas de succès les liquidations et les cruautés dont les gènes étaient par ce triste spectacle inscrites dans le déroulement même des tentatives de coup d’Etat.
L’ouvrage est lassant et au bout d’une lecture forcément laborieuse que garder de son ton sinon une morgue sans retenue que résume superbement une phrase. Commentant la première assemblée consultative marocaine du 3 août 1956, « l’auteur » qui a admis l’extrême difficulté d’organiser des élections, aligne sa sentence sans appel : « En définitive, ce qu’il faut retenir de ce vrai-faux parlement à la botte du roi, c’est qu’il aura peut-être fourni la possibilité à certains d’apprendre le b a ba du métier de parlementaire (p 268). » Ce n’est déjà pas mal et pas peu pourrions-nous dire pour un Maroc fraîchement indépendant et qui n’allait vivre la première constitution de son histoire qur quelques années plus tard. Mais comment ne pas rester, pour reprendre une expression chère à I. Dalle, songeur devant tant de condescendance en si peu de mots qui rappellent le dédain d’un agent du fameux bureau arabe ?
Pas plus que l’ancienne génération, la nouvelle n’est épargnée par le ton chapeau colonial de « l’auteur ». Fouad Ali Himma, ministre délégué à l’intérieur fait son entrée dans l’ouvrage (p 646) comme « un homme d’une autre trempe. »Une fois n’est pas coutume ? Trop beau pour être vrai. L’exception qui confirme la règle ? À peine. Cent dix pages plus loin, il réapparaît en des termes qui prétendent démontrer sans la moindre démonstration son inexpérience à défaut de sa compétence.
Et le troisième Roi dans cette histoire ? « Mohammed VI, dit-il, place ses pions (sic) ». Mais peut-on sérieusement reprocher sans risquer le ridicule à un nouveau chef d’Etat d’activer ses propres hommes ? Le cas contraire aurait été, avec une égale mauvaise foi, retenu à son passif. « L’auteur » ne l’ignore pas et I. Dalle qui présente les symptômes avancés d’une accoutumance aiguë aux circonlocutions se rattrape par ces « pions [comment se pourrait-il qu’il en soit autrement] dont certains sont loin d’avoir l’expérience et les compétences de divers collaborateurs de son père » (p 648). L’éternel amnésique a juste oublié qu’à longueur de pages, plus qu’à son tour, il nous a asséné qu’il n’y avait dans l’entourage du Roi défunt, à une exception près, qu’incompétence et cupidité. Dans l’ouvrage, le souverain apparaît mi-figue mi-raisin. L’héritage est certes lourd, mais les tentatives de ruptures laissent beaucoup de place à la continuité. Il s’est investi dans le social, mais ce ne saurait être une solution. Il est populaire, mais les petites gens sont en train de déchanter. Les espaces de libertés se sont élargis, mais se sont surtout les rares entorses à la règle qui retiennent l’attention de « l’auteur ». Le Roi a mis au pas Driss Basri, mais certaines pratiques sont restées. La réforme de la Moudawana est un exploit, mais il y a une réforme constitutionnelle à mener... En un mot comme en mille, on sent le sujet échapper à Ignace Dalle qui ne trouve pas de prise sur un Roi qui a aboli,de l’usage les chants et les panégyriques à l’égard de la personne du monarque. Ce qui ne l’empêche pas « l’auteur » imbu de nous voir tel Dieu, à son image en rêvant pour nous, à défaut d’une république, d’une monarchie laïque.
Il n’est pas le seul. Des Marocains du cru en ont fait une obsession fantasmagorique. Malheureusement, c’est une minorité dénombrable sans besoin d’une machine à calculer. Les autres, les ancrés dans la tradition, les empêtrés dans la religion, les croyants tout court et les ceux qui ont d’autres urgences sont autrement plus nombreux.
L’Etat laïque, s’il existe intégralement quelque part, la monarchie parlementaire, c’est bien beau. Mais de la même manière qu’un homme a l’âge de ses artères, une société a la conscience de son degré d’évolution. Là où l’on a essayé de lever la chape par décret, on n’a fait qu’ouvrir des boites à Pandore :
le communisme en Afghanistan, le modernisme du chah en Iran, l’ignorance de la sensibilité musulmane par le FLN en Algérie, la dêmokratia américana en Irak et tous les autres exemples de changement de système en Afrique subsaharienne. Le code d’une bonne lecture de la société marocaine que « l’auteur » s’est interdit de trouver est à chercher à la lumière de ces tristes réalités.
Dire que « l’auteur » en avait la recette sous ses yeux, dans ces fameux télégrammes du Quai d’Orsay où est consigné le jugement d’un ambassadeur français à Rabat, Roger Seydoux, sur le « despotisme éclairé » de Hassan II qui a donné tant d’urticaire à I. Dalle : « maintenir avec intelligente l’équilibre le moins instable entre la tradition et le progrès. » Régis Debray que l’on ne peut soupçonner d’indulgence pour le défunt Roi, aussi bon baroudeur que philosophe audacieux, y est arrivé, lui, sans l’aide de personne. Despote éclairé ou despote tout court, « ce roi, nous a-t-il déjà dit, a fait un pays vivable, où l’on peut respirer, s’exprimer, lire et penser. »

Naïm KAMAL
L'OPINION.
29/10/2004.
 
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