Manifeste anti corruption de Transparency Maroc
15 mesures pour lutter contre le fléau de la corruption
Contexte général
Les enquêtes d’intégrité récemment effectuées par Transparency Maroc, la multitude des affaires révélées par la presse montrent que la corruption au Maroc touche tous les secteurs . Elle est devenue un phénomène généralisé qui affecte négativement et gravement les différents rouages de l’Etat, de l’économie et de la société. Aussi, la lutte contre ce fléau s’impose du fait de ses conséquences dramatiques sur le développement du pays.
Sa gravité commence à être reconnue par tous les acteurs de la société y compris les pouvoirs publics. Mais cette reconnaissance est loin de se traduire en un plan d’action concret capable de répondre à l’ampleur du phénomène.
Les différents projets de lutte contre la corruption arrivent systématiquement au blocage au stade de la mise en œuvre. Le passage à l’action requiert une forte volonté politique et l’engagement ferme pour mettre un terme à l’impunité et la neutralisation des interférences du politique dans les affaires de corruption.
Certes, notre législation nécessite des réformes et un renforcement, mais des progrès significatifs sont possibles par la simple application, à tous, des textes existants (information, contrôles, audits, sanctions pénales…). Cependant, une action conséquente et à la hauteur des ravages que provoque la corruption dans notre société est handicapée par deux facteurs. Le premier a trait à l’absence d’une stratégie de lute contre cette gangrène. Le second concerne l’absence de partenariats effectifs (entre pouvoirs publics, acteurs privés et société civile) ayant pour objectifs, la lutte contre la corruption, la promotion de la transparence, de l’éthique, la modernisation de l’administration et sa mise au service des citoyens.
Dans ce combat qui a pour enjeux les intérêts fondamentaux du pays et des citoyens, tous les outils et instruments institutionnels, juridiques, éducatifs et de communication doivent être mobilisés. L’engagement du gouvernement et de la société, à combattre la corruption doit se traduire par des mesures concrètes destinées à mettre en place progressivement un Système National d’Intégrité.
La politique globale et cohérente qui devra être menée dans cette perspective doit être rendue publique, de manière à susciter l’adhésion et l’engagement des citoyens.
Convaincu de l’enjeu de ce challenge, l’association de lutte contre la corruption «Transparency Maroc » soumet aux pouvoirs publics, à l’opinion publique et aux citoyens un manifeste qui rassemble une série de mesure dont la concrétisation est en mesure d’endiguer ce fléau dévastateur.
Concrètement, il s’agit de la mise en œuvre de 15 mesures qui concernent trois principaux axes : les réformes institutionnelles et judiciaires, l’accès à l’information et la transparence dans la gestion des affaires publiques. Et enfin, l’éducation et la sensibilisation.
I. Réformes au niveau institutionnel et judiciaire
La lutte contre la corruption passe par l’adoption de réformes ayant une portée structurelle dans différents domaines. Dans ce sens, il est urgent :
1. De réformer la justice et de garantir son indépendance des autres pouvoirs. Ceci nécessite en premier lieu la suppression de la Cour Spéciale de Justice. La soumission des dossiers de corruption aux règles ordinaires de procédure est en mesure de contrecarrer les influences administratives ou politiques dans ce domaine.
2. La préparation d’une « loi de lutte contre la corruption », en concertation avec les ONG et les professionnels concernés, est en mesure de combler les vides juridiques actuels. Elle devrait en particulier :
Prévoir une meilleure protection des victimes de la corruption (dépénalisation de la corruption passive en cas de collaboration avec la justice) ;
Engager les parquets à déclencher des informations judiciaires et des poursuites pour les faits de corruption et de concussion portés à leur connaissance, notamment dans des déclarations publiques faites dans la presse.
3. Réformer et activer les dispositions de la loi relative à la déclaration du patrimoine notamment en élargissant son application aux fonctionnaires des collectivités locales, des établissements publics et à tous les agents détenteurs d’un mandat public ou d’une responsabilité administrative. Elle doit inclure les épouses et les descendants. Son application doit se faire lors du recrutement et à l’occasion de la prise de fonctions /ou des missions. Pour les détenteurs d’un mandat public, cette déclaration du patrimoine doit être publique.
En outre, l’effectivité de la déclaration devrait être assurée par un organe compétent en matière de suivi et de contrôle des déclarations de patrimoine.
4. La création d’une agence de la lutte contre la corruption, pourvue de l’autonomie nécessaire. Elle sera chargée :
d’observer les manifestations du phénomène, d’étudier ses causes, de suivre son évolution,
de proposer les solutions appropriées et de suivre leur mise en œuvre et leur impact ;
de suivre et d’exploiter les données relatives aux déclarations sur le patrimoine.
II. Accès à l'information et transparence dans la gestion des affaires publiques
L’un des obstacles majeurs à la lutte contre la corruption réside dans l’irrespect par les administrations publiques du droit à l’information. La transparence dans la gestion des affaires publiques peut être améliorée de manière sensible par l’introduction d’une culture de communication dans l’administration et l’adoption des mesures suivantes :
5. L’adoption d’une loi qui consacre le droit et les conditions d’accès à l’information. Elle devrait promouvoir un environnement de transparence dans les relations entre l’administration et les citoyens. Elle devrait également rendre obligatoire la publication annuelle des bilans financiers par les organismes publics et ceux qui reçoivent des subventions de l’Etat (partis politiques, journaux et associations subventionnées, syndicats, etc.)..
6. L’encouragement du gouvernement électronique. Il s’agit de la mise à la disposition du public, grâce aux technologies de l’information, toutes les informations se rapportant aux procédures administratives, aux réclamations, aux marchés publics, au fonctionnement des services et de manière générale toute documentation de nature à conforter l’égalité de chance et de traitement et à améliorer la transparence de l’activité administrative. La conception de guides de procédures pour la gestion publique et leur mise en ligne est un outil capable de garantir plus de transparence et de visibilité.
7. Mettre en place un plan d’action dans chaque département et organisme public qui vise l’évaluation des résultats, l’information des citoyens et qui rend compte à l'opinion publique des conclusions des enquêtes, d’audits ou de poursuites ;
8. Mettre à la disposition des citoyens, dans la proximité, les moyens nécessaires (numéro vert, répondeur vocal, site Internet, …) pour répondre aux questions relatives aux dispositions et procédures administratives et pour enregistrer / écouter leurs réclamations. Instituer de manière décentralisée, des structures et des mécanismes efficaces d’écoute et de traitement des doléances des citoyens se rapportant tant à l’amélioration de la transparence qu’à la lutte contre les actes de corruption. Dans ce cadre, donner à la société civile les moyens d'écoute et de dénonciation des cas de corruption.
9. Activer la mise en œuvre de la loi (03-01, BO n° 5029) faisant obligation aux administrations publiques et les collectivités locales de justifier les décisions administratives correspondant à un refus.
10. Charger la Cour des Comptes de produire et de publier un rapport annuel sur les cas de corruption et de détournements des deniers publics, couvrant notamment les cas évoqués de manière publique.
11. Assurer la publicité aux conclusions des investigations de la Cour des comptes en vue de renforcer la dissuasion, l’information ainsi que la promotion des bonnes pratiques de gestion.
III. Education et sensibilisation
Le domaine de la sensibilisation et de l’éducation est extrêmement important pour le présent et davantage pour l’avenir d’une société plus transparente. C’est un travail que les institutions éducatives et la société doivent prendre en charge. Aussi, Transparency Maroc propose de :
12. Mettre à la disposition des représentants de la société civile les moyens pour mener un travail d’éducation et de sensibilisation.
13. L’action de la société civile en matière de sensibilisation aux méfaits de la corruption doit être soutenue et relayée par les moyens publics. Aussi, il est requis de faire obligation aux médias publics de prévoir un volume horaire minimum dans leur programmation réservé aux débats sur les moyens de combattre la corruption et d’améliorer la transparence dans les affaires publiques ;
14. L’introduction d’un module dédié à la sensibilisation et la lutte contre la corruption dans les programmes officiels du système éducatif et dans les cursus des écoles de formation des cadres ( ingénieurs, administrateurs, armées, gendarmerie, police, médecins, pharmaciens, etc.)
15. La conception et la généralisation, en concertation avec les représentants de personnel, des codes d’éthique dans les administrations, les organismes publics et privés
In: http://www.transparencymaroc.org/