
IRCAM: Les vieux démons ressuscités
· L’amazigh, langue officielle?
· L’Institut royal en colère contre le gouvernement
POUR l’Institut royal de la culture amazigh, le moment est venu de faire une autoévaluation. Qu’a-t-il réalisé depuis sa création? “Pas grand-chose”, selon les sept membres du conseil d’administration qui ont déposé leur démission le 21 février. “Notre action demeure sans effet palpable dans la réalité quotidienne de l’amazighité, qui se retrouve toujours dans son état d’avant 2001”, expliquent-ils dans un communiqué au ton acerbe.
Sept membres de l’Institut ont décidé de claquer la porte pour dénoncer les “blocages gouvernementaux” à l’enseignement de l’amazigh et son exclusion du champ de la réforme médiatique.
Les deux ministres Habib El Malki et Nabil Benabdallah sont accusés de “faire des promesses sans lendemain”. Le premier n’aurait mis en oeuvre aucune logistique fiable (formation des enseignants, moyens pédagogiques, moyens matériels…). Le deuxième arguerait un “manque de moyens” alors qu’il vient de lancer deux chaînes arabophones et une troisième est en cours.
Pour les protestataires, il n’y a pas trente-six mille solutions.
Pour contrer “les forces hostiles à l’amazighité”, les démissionnaires sortent la grosse artillerie: ils demandent de constitutionnaliser la langue.
“Sans cette consécration constitutionnelle et sans lois s’imposant à tous et abrogeant tous les textes contraires en la matière (tels que le Livre Blanc et la Charte nationale invoqués contre l’amazigh), l’amazighité ne recouvrera aucun de ses droits justes et légitimes”, lit-on dans le communiqué.
Les sept rebelles affirment avoir dit leur dernier mot. “Nous avons décidé de ne pas faire d’autres commentaires”, tranche Ali Bougrine, un des démissionnaires.
· Racismes individuels
Reste à vérifier si cette demande de constitutionnalité est une exigence imminente ou juste un effet d’annonce. Dans les deux cas, “la manœuvre” serait concluante. Etant donné que la réforme constitutionnelle est d’actualité, il serait toujours bon de rappeler la vieille revendication amazigh. Et puis même si cela n’aboutit pas, la demande aura servi au moins à faire bouger les deux ministres. A ce niveau, l’effet a été immédiat. Le 2 mars, Habib El Malki présidera lui-même la commission mixte entre l’Institut royal et le département de l’Education nationale pour évaluer l’accord-cadre liant les deux parties et adopter un plan d’action. “Près de 900 écoles font partie du programme d’enseignement, avec à la clé 1.000 enseignants formés. Mais ces chiffres ne reflètent pas la réalité”, selon l’IRCAM.
Il faut dire que l’Institut dans son ensemble est en colère contre le gouvernement et pas uniquement les démissionnaires. “Ce retrait collectif était prévisible”, affirme Ahmed Assid, membre non démissionnaire du conseil d’administration. “Nous travaillons comme des fous pour établir la réforme, mais le gouvernement la bloque”, accuse-t-il.
Les partis politiques “hostiles à l’amazighité” sont accusés de “saboter” l’action de l’IRCAM et, au final, la volonté royale. “Nous soutenons toutes les revendications des démissionnaires. Mais leur démission est prématurée. Ils auraient dû attendre la tenue du conseil d’administration en mars prochain ou envoyer une réclamation au Roi”, explique Assid.
Moralité de l’histoire: la promotion de la culture berbère ne dépend pas uniquement de la volonté du plus haut sommet de l’Etat, mais reste à la base une question de mentalité.
Assid évoque en effet des “racismes individuels” au niveau des délégations du ministère de l’Education nationale qui bloquent l’acheminement de l’information vers les écoles. Le ministère, injoignable hier, est appelé plus que jamais à répondre à cette accusation.
Ces dissensions avec le gouvernement étaient attendues, selon les associations amazigh. “Dès le départ, j’avais dit aux membres de l’Institut, qu’ils n’auraient pas une grande marge de manœuvre”, confie Ahmed Arehmouch, membre du réseau associatif amazigh.
“A mon avis, cette démission a des visées politiques. C’est un règlement de compte entre membres”, soutient-il.
L’activiste berbère reproche à l’IRCAM d’avoir pris de graves décisions au nom de la cause amazigh, dont l’enseignement de dialectes atomisés au lieu d’une langue à part entière. “Même le tifinagh est un choix politique. Car le latin est beaucoup plus compréhensible”, soutient Arehmouch.
Finalement, le mouvement amazigh reste divisé entre ceux qui prônent l’activité politique et ceux qui privilégient la promotion culturelle. Les membres de l’IRCAM ont tiré la leçon du “blocage gouvernemental”. Ils comptent consolider leur relation avec leurs “frères” membres des associations culturelles. L’Institut organise les 4, 5 et 6 mars prochain une rencontre avec des associations culturelles amazigh pour examiner les perspectives de partenariat.
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Chantage
Quelle marge de manœuvre pour l’IRCAM? En intégrant cet institut, tous les membres, y compris les démissionnaires, avaient accepté le pacte avec l’institution royale: ne s’intéresser qu’à la promotion culturelle et éducative. Bien sûr, à titre personnel, tout le monde était convaincu de la nécessité d’intégrer la langue dans la Constitution. La demande de constitutionnaliser la langue s’apparente donc à “un chantage”. Cela signifierait un retour à la case de départ, c’est-à-dire à la contestation de 2000, marquée par la sortie du Manifeste berbère. Ce document a été conçu par le premier directeur de l’IRCAM, le professeur Chafik, qui a quitté son poste pour “des raisons de santé”. Un retrait qui a suscité d’ailleurs beaucoup de commentaires.
Car il n’y a pas que la constitutionnalité de la langue. Les démissionnaires de l’IRCAM en ont profité pour redemander la récupération des terres des tribus amazigh, le droit des parents de donner un nom berbère à leurs enfants, la reconnaissance juridique des associations amazigh… Bref, tout le contenu du Manifeste berbère.
Nadia LAMLILI
leconomiste.com
[ Edité par agoram le 26/2/2005 15:15 ]