· Ni eau, ni électricité et des routes encore escarpées
· 5 communes du Cercle d’Imilchil ne bénéficieront pas de l’INDH
· Un revenu annuel de moins de 2.000 DH/habitant
«Imil Kil ou encore Agdoud», traduction: marché de céréales. Voilà en substance comment la population locale d’Imilchil, village célébrissime situé dans le Haut Atlas oriental, explique le sens étymologique et l’appellation de sa bourgade enclavée. C’est aussi le nom du légendaire moussem célébré par les Aït Hdidou, situé dans une vallée à plus de 2.200 mètres d’altitude et à 28 kilomètres d’Imilchil centre, le village. Une région du Maroc profond caractérisée par une extrême indigence.
Au-delà du mythe d’Isli et de Tislit (voir encadré), la réalité quotidienne de la population est tout autre. Beaucoup de clichés et de rumeurs ont été colportés, partout dans le monde, au sujet de ce moussem hors du commun, le réduisant à un simple «souk de négoce de jeunes filles» ou encore un marché «de jeunes filles aux moeurs légères». Ce qui indigne la population locale et la rend hostile à la rencontre des médias. «Si demain, je la vois (ndlr, sa future épouse) sur une carte postale, je ne me marierais pas avec elle.
Et personne dans la région ne voudra d’elle», a lâché Oulahna Lhaou, à la veille de son mariage, au photo-reporter de L’Economiste, qui tenait à immortaliser un moment d’intimité du jeune couple. Les gens sont aigris par cette instrumentalisation de leurs rites de mariage collectif. Beaucoup d’idées reçues aussi. Car en fait, il ne s’agit pas de fiançailles («Maoussim Al Khoutouba»), comme le laisse entendre la communication institutionnelle, mais bien de mariages en bonne et due forme. «C’est une contractualisation de rapports préétablis», précise Fanida Oubenaissa, membre de l’Association Tarek Ibn Ziyad, organisatrice du Festival des cimes.
Pour redresser cette image, et faire tomber les préjugés, l’Association a greffé le Festival des cimes d’Imilchil au moussem. Objectif: impulser une nouvelle dynamique au moussem des fiançailles qui sombrait dans le folklorique et les stéréotypes, souligne le comité d’organisation. Ainsi cette année, l’Association a délibéremment souligné sur les affiches: «Notre mariée n’est ni à vendre ni à acheter. Sa dot est celle d’un amour incommensurable», précise une accroche.
La population locale demeure extrêmement pauvre et ne dispose que de peu d’infrastructures de base. L’état des routes dissuade les plus téméraires de visiter les différentes tribus de la région. Tout au long de la route séparant le centre du moussem, le phénomène d’érosion des sols limite les possibilités de culture. Mais le paysage reste tout de même pittoresque avec des vues panoramiques. Çà et là, des peupliers, des troupeaux de D’man (une race de moutons prolifiques) qui broutent, des ksars en terre battue, pisé et paille entourés de parcelles vertes de céréaliculture, de pommiers et des noyers à perte de vue.
En revanche, les quelques averses qu’a connues la région ces derniers temps ont engendré des crues, qui ont tout emporté sur leur passage: des plantations de pommes de terre (une variété propre à la région), du maïs, de la menthe et affecté la maturation de pommes, souligne un jeune ingénieur agronome de la région. La route a été pratiquement barrée entre Rich et Imilchil en cette fin du mois d’août. Pour le tronçon Imilchil centre et le Moussem (28 km environ), ce sont les camions de transport de bétail et de marchandises qui font office de bus. Les montagnards s’entassent dans et sur la cabine et au-dessus du bétail (chèvres, moutons et vaches). D’autres s’installent sur le porte-bagage de vieux fourgons. Apparemment, la surcharge est la règle ici. Ceux qui prennent le seul grand taxi, une vieille voiture break, sont les mieux lotis et les plus enviés. A bord, ils sont 9 passagers plus le conducteur à faire le voyage sur un fond cacophonique de musique amazigh, fort à percer le tympan. Tout au long du chemin, la route est sinueuse, étroite et escarpée. Même avec l’accès, elle reste impraticable. Sur la route, des jeunes oisifs au regard hagard et émerveillés scrutent les véhicules et les passants avec en toile de fond des amas rocheux et des terres.
Au souk, fort hereusement, une ambiance de fête. Les habitants de plus de 40 douars avoisinants viennent faire leurs achats et portent leurs costumes préférés. Plus qu’un lieu d’approvisionnement, le moussem est une manifestation d’une grande portée culturelle, qui a aussi une vocation économique et sociale. C’est une sorte de foire annuelle, où toutes les tribus de la région se rencontrent, s’approvisionnent en blé, en orge et vendent bétail et autres légumes et fruits de leur labeur annuel. Et c’est là où les fiancés de la région se marient en hommage à ces deux amoureux qui, selon la légende, n’ont pu sceller leur union en raison de leur appartenance à deux tribus antagonistes: les Aït Brahim et les Aït Yaaza (voir encadré). Les femmes sont maquillées et fardées avec un produit traditionnel. Elles portent toutes des «hendira ou encore tahendirt»; des étoffes en laine tissées localement avec des rayures verticales. Les rayures et les couleurs diffèrent selon les tribus. Pour les Aït Brahim par exemple, les femmes se couvrent le visage et portent une cape noir, blanc et grenat. Quant aux Aït Yaaza, leurs femmes se déplacent à visage découvert et portent des capes noir, rouge, blanc et indigo. Chez les Aït Hdidou, tout est message et l’habit a une forte charge symbolique, souligne une jeune étudiante chercheuse de la région. A titre d’exemple, la coiffe dite Aqqelous est surélevée chez les femmes mariées et plate chez les jeunes filles, ajoute-t-elle. Quant aux hommes, ils portent des costumes communs, des djellabas ou encore des burnous en laine et se coiffent la tête d’un turban ou un bonnet.
· Même le billet vert se vend à Imilchil
Le souk sent le terroir, le thé fort à la menthe et les grillades tôt le matin. Les couleurs sont criardes et les marchands crient à tout-va. Ici, tout se vend, des vieux habits aux billets de banque qui datent du Protectorat. Même le billet vert, le dollar, se vend à Imilchil. Les céréales et le bétail constituent l’essentiel des achats.
Ici, l’on troque encore des bêtes. «La plupart des gens troquent de vieilles bêtes contre des jeunes pour les élever et les revendre lors du prochain moussem», souligne un sexagénaire, vendeur de bétail. Les mulets sont les plus prisés car c’est le moyen de labeur et de transport par excellence dans les sentiers montagneux, précise-t-il. Un bon mulet coûte entre 5.000 et 10.000 DH. Et c’est un intermédiaire qui assure la transaction, mais sans contrepartie: être «semsar» est mal perçu.
Chez les marchands de bétail, des ventes sont contractées sans paiement immédiat et ce, avec la promesse de paiement un an plus tard, c’est-à-dire lors du moussem prochain. Ici, la parole a encore de la valeur. La plupart des gens de la région se voient une fois par an. Certains se donnent rendez-vous dans un an, lors du moussem. L’enclavement de la plupart des tribus durant l’hiver où l’accès devient le plus difficile, les empêche de se revoir l’hiver où la neige contraint la population locale à passer la saison à l’abri. «Les gens parcourent parfois 6 à 7 heures à dos de mulet avant d’arriver chez eux», explique un ingénieur agronome de la région. La route n’est pas le seul handicap. La plupart des tribus n’ont ni électricité ni eau.
«L’électricité n’existe pas encore dans le village d’Imilchil, l’eau potable non plus», précise Moha Oulbia, le président de la Commune. Selon ce jeune du parti de l’Istiqlal (PI), «jamais aucun responsable du PI n’a mis les pieds à Imilchil».
Pour ses besoins en eau, la population locale recourt à l’eau de source ou celle des puits. Selon le président, le seul groupe électrogène dont dispose la commune est tombé en panne il y a quelques mois et sa réparation coûte cher. Pour étayer le peu de moyens de la commune, le président istiqlalien avance quelques chiffres. «Le budget annuel est de 1,26 million de DH, dont plus de la moitié (800.000 DH) est affectée aux salaires des fonctionnaires et 400.000 DH pour le gasoil».
Le reste est alloué à la paperasse et aux festivités, ajoute le président de commune. «A votre avis, est-ce que notre commune est nantie?» interroge-t-il sur un ton ironique. La réponse ne tarde pas à venir. «Eh bien, les 5 communes du Cercle d’Imilchil (Amouguer, Outerbate, Bouzmou, Aït Yahia et Imilchil) n’ont pas été retenues par l’Initiative nationale du développement humain», ajoute-t-il. Le revenu annuel par habitant ne dépasse pas les 2.000 DH dans cette région enclavée du Maroc. C’est dire que l’argent se fait rare. Les villages se vident de plus en plus de leurs jeunes et de dîplômés qui partent vers des ciels plus cléments. Selon une touriste française, des jeunes filles de 15 ans m’ont demandé de les mettre en contact avec des garçons français pour qu’elles vivent à l’étranger».
Pour dissuader les diplômés de la région de partir, une action a été entreprise il y a quelques années envers les jeunes promoteurs, souligne Malika Oukhatou, diplômée et gérante d’un café. Mais le problème, selon elle, c’est que nous avons tous la même activité, des cafés et des bazars. Ainsi, une dizaine de cafés et petits bazars animent timidement la rue principale. «En fait, vu le manque de clients, seul un café peut marcher ici», précise Malika. Et d’ajouter: «Moi au début, je voulais monter un labo pour le tirage et développement de photos. Seulement, les femmes d’ici ont honte de se faire prendre en photo».
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Une légende romanesque
Pour la petite histoire, il y a des siècles, un jeune homme et une jeune fille de factions rivales de la tribu des Aït Hdidou voulaient se marier. Les deux tribus (Aït Brahim et Aït Yaaza) s’y sont opposées, provoquant les pleurs des fiancés qui finirent par former deux lacs qui portent les noms des deux amants (Isli et Tislit). Cette légende a permis aux tribus de la région de célébrer le moussem des fiançailles chaque année après les moissons afin d’expier leur pêché. De là, l’événement permet aux jeunes, fidèles à leurs traditions ancestrales, de fêter un mariage collectif.
Le jeune homme offre une dot symbolique à sa future épouse (100 à 200 DH), alors que le père de la fille se charge du trousseau et des habits pour la première année. Un cérémonial s’ensuit, caractérisé par des chants et danses. Le rituel veut que la jeune fille monte une mule qui la transporte jusqu’à sa nouvelle demeure portant derrière elle un petit garçon, symbole de fertilité. Le cortège accompagnateur protégé par les proches du mari doit vaincre la résistance livrée par les proches de la mariée qui s’opposent à son départ.
Amin RBOUB
Leconomiste