CONFERENCE DE PRESSE DE Ferhat MEHENNI Rabat
le 03/07/2006.
L’AVENIR DE LA KABYLIE ET DU MONDE AMAZIGH.
Engagés, depuis les années quarante, dans le combat identitaire et linguistique, la Kabylie et le monde amazigh se sont subitement aperçus en 2001, que la voie qu’ils ont empruntée, jusque-là, est une impasse. Bien sûr, une impasse n’invalide pas une cause mais ne lui permet pas d’aboutir. Ayant généreusement servi l’entreprise de décolonisation de leur pays respectif, les peuples amazighs se sont heurtés, au lendemain des indépendances, à des pouvoirs trop englués dans l’idéologie arabo-islamiste et qui ont toujours du mal à s’en défaire quitte à passer pour de nouveaux colonialistes.
Les Etats nord-africains, soyons magnanimes, ne pouvaient pas percevoir, dès le début de sa manifestation, la légitimité de la demande identitaire, linguistique et culturelle du Mouvement amazighe. Pour eux, l’amazighité était au mieux, une espèce d’étendard de notre arriération, une sorte de souillure de l’Histoire, une maladie honteuse à cacher coûte que coûte devant les autres nations. Mais cette revendication était surtout férocement combattue sous prétexte d’être une menace à l’unité nationale dont l’arabisme était le socle assimilateur. Ils croyaient que le temps travaillait pour eux. Le monde figé par la guerre froide était de leur côté. Il ne restait à l’expression amazighe que sa répression.
En cette opportunité historique qui m’est offerte en ce royaume du Maroc que je crois apaisé, je voudrais demander solennellement des pouvoirs en place qui sont, sur la terre de Tamazgha, les héritiers de ceux d’hier, de reconnaître les fautes du passé et de demander pardon à leurs peuples pour tout ce qui a été commis par eux et/ou par leurs prédécesseurs comme assassinat, torture, emprisonnement sur leurs propres concitoyens, ainsi que pour tout ce retard occasionné à la langue amazighe du fait de leur attitude négative vis-à-vis d’elle.
Cela permettra de cicatriser les brûlures de l’Histoire récente et de permettre à nos peuples un redémarrage sur des bases plus sereines et plus équitables à même de leur assurer une meilleure insertion dans la modernité, la démocratie et le développement technologique dans le concert des nations.
La stratégie du Mouvement amazighe, qui par ailleurs ne pouvait qu’échouer, se basait sur la revendication de la constitutionnalisation de Tamazight en tant que langue nationale et officielle. Une voie culturaliste qui ignorait superbement une donnée fondamentale de la nature de nos états respectifs : le caractère politiquement raciste de ces derniers à l’égard de notre identité et de notre langue. Seul l’élan donné à notre jeunesse par le « printemps amazighe » de 1980 a permis de relancer un processus de réappropriation de notre mémoire et de notre quotidien à travers des actions pacifiques mais qui, hélas, ne pouvaient remettre en cause l’option stratégique panarabiste des pouvoirs nord-africains.
Il a fallu la création du Haut Commissariat à l’Amazighité en Algérie en 1995, puis celle de l’Institut Royal de la Culture Amazighe au Maroc en 2002, pour nous rendre compte de deux phénomènes complexes de notre problème de reconnaissance : Premièrement, tant que les pouvoirs anti-amazighes ont le monopole de la définition des objectifs, de la décision de nomination, d’affectation des crédits nécessaires à leurs fonctionnement ces institutions n’auront aucune chance de répondre aux aspirations des peuples qu’ils sont censés servir et qui ont placé tous leurs espoirs en elles. Deuxièmement, l’insoluble problème de la standardisation de la langue nous a révélé que les Amazighes sont des peuples distincts, entre eux, les uns des autres et que par conséquent il nous faut une révision déchirante de nos choix et de notre vision des choses.
Malheureusement, ce n’est qu’après l’effusion de sang de 2001 en Kabylie dont ont été victimes plus d’une centaine de vies humaines que nous en avons pris conscience. C’est alors que l’idée de réajuster notre tir s’est imposée pour nous pousser à revendiquer des autonomies régionales dont, aujourd’hui, dépend l’avenir de tous les Amazighes.
En effet la conception jacobine du pouvoir dans les pays nord-africains, héritée de la période coloniale, conjuguée au despotisme oriental indissoluble de tout mode de gouvernance arabo-musulman connu jusqu’ici, ne permet pas d’espérer un changement qualitatif en faveur de nos identité, langue et culture amazighes. S’il y en avait la moindre possibilité nous l’aurions déjà connue.
Il n’y a donc de solution que dans la maîtrise de notre destin à l’échelle de nos régions respectives pour que nous puissions changer la donne et faire en sorte que nous donnions à tamazight le statut que nous voudrions qu’elle ait sur nos territoires : celui de première langue, aussi bien à l’école, dans l’administration que les médias et la rue. Passer notre temps à revendiquer revient à nous condamner à la mendicité politique éternelle. Il me semble que nous méritons mieux. Les générations à venir ne nous pardonneraient jamais de réduire leur horizon à la répression, la violence, les sit-in, les grèves générales ou sectorielles pour lutter contre le déni de leur être individuel et collectif.
La solution autonomiste ou fédéraliste a pour avantage de ne pas imposer aux autres, qui ne les partagent pas, nos revendications de langue amazighe comme langue nationale et officielle. Elle ne transforme pas le problème de langue, comme c’était le cas jusque-là, en une confrontation nationale entre les tenants d’une option et ceux d’une autre, pour ne pas dire en une guerre civile linguistique.
A l’échelle internationale, cette solution des autonomies régionales présente un avantage insoupçonné : elle évite les dérives humanitaires à la rwandaise, l’ivoirienne, la somalienne, l’irakienne, la soudanaise ou l’afghane... Les pays anciennement colonisés n’ont jamais eu le choix de leurs frontières ni de la définition de leur identité. Le colonialisme avait dessiné à Londres, Paris, Lisbonne ou Rome des cartes géographiques sur lesquelles il avait apposé des noms de pays au mépris des peuples qui s’étaient retrouvés saucissonnés, à cheval sur plusieurs nouvelles identités, et obligés de vivre après l’indépendance sous le joug de pouvoirs aux réflexes ethniquement sectaires, voire racistes.
De nos jours, dans toutes ces contrées, la démocratie est compromise tant qu’on n’envisage pas la reconnaissance des peuples à disposer d’états fédérés ou régionaux, car les clivages y sont avant tout ethniques et non pas politiques.
Dans l’ensemble du monde amazighe où la France porte la première responsabilité historique de la situation de déni qui frappe toujours les berbères, la solution des autonomies régionales est le meilleur garant des unités nationales si malmenées par les pratiques des pouvoirs en place depuis cinq décennies. Elle recréera des solidarités interrégionales et internationales à même de dépasser les rancoeurs et les conflits locaux opposant des pays et des peuples. Ainsi, la proposition du roi du Maroc d’une autonomie régionale au Sahara Occidental est une avancée significative pour le règlement du conflit qui y sévit depuis trente ans.
Les Etats-Unis d’Afrique du Nord se feront ainsi avec les peuples des régions et non avec les pouvoirs actuels basés sur des considérations d’opposition à l’amazighité, exclue de la définition même de l’actuelle Union. Les unions les plus solides sont celles qui se font par adhésion et non par contrainte. La Kabylie et le monde amazigh marchent main dans la main sur la voie d’un rêve de fraternité entre eux et avec leur environnement qui, pourtant, leur est hostile. Partis d’une revendication de langue et d’identité méprisée par les tenants des régimes islamo baathistes en place, ils débouchent sur celle de la maîtrise de leur destin en ce qui concerne l’essentiel de leur quotidien. Leur marche ira jusqu’au bout même si l’insécurité qui s’attaque actuellement aux industriels kabyles pour mettre notre économie à genou est voulue par l’Algérie ; même si l’on y envoie officiellement de grosses légumes de l’intégrisme international pour la dévier de son chemin et l’empêcher d’accéder à la liberté. Le combat de la Kabylie profite à tous les Imazighen.
Ne dit-on pas ici que « quand il pleut en Kabylie la récolte se fait au Maroc ? » Ce n’est qu’une question de temps. Nous recommandons aux gouvernants actuels, y compris dans le souci de leur longévité par voie de réconciliation avec leurs peuples, d’en accélérer le tempo pour éviter de nouvelles épreuves et de nouvelles atrocités à ceux qu’ils ont pour mission de protéger et non de contrôler comme s’ils leur étaient étrangers.
Rabat le 03/07/06.
Ferhat MEHENNI
source : kabyle.com