
Roger Mimo est un écrivain espagnol spécialiste du Maroc. Il a publié 11 livres et guides de voyage portant sur le Maroc en langue espagnole et catalane. Il est également journaliste free-lance spécialisé dans les architectures en terre crue du sud est marocain. Roger Mimo a décidé de jeter les amarres au Maroc en 1989 et d’écrire des guides spécialisés sur le Maroc destinés aux touristes catalans et espagnols. Roger a également entrepris quelques affaires d’hôtellerie réussies en restaurant des vielles casbahs souvent abandonnées à la ruine au Sud Est marocain. De cette entreprise est née l’Hôtel Tombouctou de Tinghir et l’auberge musée Elkhorbat à Tinejdad. Roger s’était toujours efforcé de proposer un service d’accueil pour touristes respectueux de l’environnement et du patrimoine culturel locaux et contribuant au développement humain de la région Sud-est marocain. Il parcourt également l’Europe pour promouvoir le patrimoine architectural et culturel, riche et varié, de cette région.
- Yafleman.com : Roger Mimo, alors que de nombreux jeunes marocains ne rêvent que de traverser le détroit pour améliorer leurs conditions de vie, vous avez choisi de faire le chemin inverse ! N’était-ce une aventure pour vous jeune diplômé sans expérience de s’installer dans ce pays pauvre délaissant votre région prospère de Catalogne ?
- Roger Mimo : C’était sans doute une aventure, surtout parce qu’à mon arrivée je ne savais pas qu’est-ce que j’allais faire au Maroc ni de quoi j’allais vivre, mais je savais que le pays était plein de possibilités. En Europe tout a déjà été inventé ou crée par quelqu’un d’autre, étant au Maroc je voyais un grand nombre de choses qui pouvaient être faites et que personne ne pensait à les faire. Moi, même sans expérience, j’avais l’avantage d’avoir un certain bagage culturel acquis avec mes études et surtout avec mes voyages : je voyais des possibilités que d’autres personnes ne voyaient pas, même s’elles les avaient devant les yeux. Alors j’ai cherché ma petite place dans le secteur touristique, le seul que je connaissais un peu. J’ai travaillé quelques années comme accompagnateur et pendant ce temps j’ai pu apprendre petit à petit ce que je devais savoir pour aller un peu plus loin, pour investir de l’argent et avoir mes propres affaires.
- Yafelman.com : Il est certain que vous connaissez le Maroc peut être mieux que le commun des marocains puisque vous l’avez parcouru de long en large hors des circuits organisés. Quelle était votre première motivation ? Est-ce la volonté de faire découvrir le Maroc profond aux espagnols à travers vos écrits ou bien, est-ce la volonté d’investir dans des affaires hôtelières originales ?
- Roger Mimo : Ma première motivation était seulement d’arriver à connaître par moi même en profondeur ce pays et cette culture qui m’avaient attiré depuis que j’étais venu en simple touriste. Par la suite, j’ai voulu faire partager les résultats de mes recherches à d’autres personnes : tout d’abord aux clients que j’ai accompagnés, puis à mes lecteurs. Les affaires hôtelières sont venues plus tard par le besoin de m’assurer certaines ressources de vie, car la situation d’un accompagnateur est très instable et on vit difficilement de la littérature si on n’écrit pas des best-sellers.
- Yafelman.com : Etes vous le pionnier de la publication de guides de voyages sur le Maroc en Espagne ?
- Roger Mimo : Des guides de voyages du Maroc existaient déjà avant moi en espagnol : des traductions de guides anglais et français, et même quelque chose écrite par des espagnols, mais d’une qualité très médiocre. Un seul bon guide a été publié en 1990 par un certain J.A.Vidal, mais il faisait référence seulement aux villes impériales et le Nord. Il manquait quelque chose de sérieux sur l’ensemble du pays et j’ai essayé de couvrir ce manque.
- Yafelman.com : Etes vous pour quelques choses dans le déferlement de touristes espagnols dans la région Sud-est Marocain qui a débuté au milieu des années 90 ?
- Roger Mimo : Je dirais plutôt que je fais partie de la vague d’espagnols qui se sont intéressés par le Maroc entre la moitié des années 80 et la moitié des années 90. La plupart sont venus seulement comme touristes mais il y en a un certain nombre qui reviennent chaque année où même 2 ou 3 fois par an ; et quelques uns de nous, nous sommes restés. C’est clair que par la suite mes livres et la publicité de mes établissements ont attiré mes compatriotes vers le Maroc, mais ça ne donnerait même pas 1 % dans une statistique à niveau nationale.
- Yafelman.com : N’avez-vous pas l’impression que depuis que vous avez crée l’Hôtel Tombouctou à partir d’une casbah ayant une histoire certes, mais abandonnées par ses propriétaires, vous avez contribué à la flambée des prix de ce genre de battisses qui deux décennies auparavant ne valaient pas grand-chose ?
- Roger Mimo : No, la flambée des prix est arrivée presque une dizaine d’années plus tard et elle est venue des villes impériales. Les prix que j’ai payés restaient raisonnables, en rapport avec la valeur de marché du mètre carré de terrain à ce moment à Tinerhir. C’est l’argent noir qui fuit l’Europe au moment de l’implantation de l’euro qui a fait monter énormément la valeur des vieilles maisons de Marrakech, Essaouira, Fès et par la suite le reste du pays. Quand les investisseurs ont commencé à avoir des difficultés pour trouver un Riad dans une ville impériale ils se sont tournés vers les casbahs du sud et ont fait monter leur valeur.
- Yafelman.com : Les héritiers de la casbah de Caïd Fouass à Tamtatouchte, à titre d’exemple, en demandent pas moins de 700.000DH pour son acquisition. N’est-ce pas des surenchères totalement incongrues avec la rentabilité des projets touristiques sur ce genre de battisses ?
- Roger Mimo : Moi je le trouve incongrue, certainement, mais ce sont les lois du marché qui commandent. Quand la demande est plus grande que l’offre, les prix montent automatiquement. Aujourd’hui la plupart des casbahs ont des problèmes d’héritages qui en font impossible la vente ; alors, les quelques dizaines de casbahs qui pourraient par leur situation foncière être vendues acquièrent une grande valeur face aux centaines de potentiels investisseurs qui s’intéressent à elles. Quant à la rentabilité, ça dépend de l’investisseur. S’il a des possibilités d’avoir une clientèle comme celle de Dar Ahlam à Skoura, qui paye la nuitée à 6.000 DH, le prix d’achat de la casbah ne compte guère pour lui. C’est dommage parce que ça bloque les possibilités d’investir d’autres investisseurs plus modestes comme moi, mais on est dans une économie de libre marché.
- Yafelman.com : Quelles étaient vos relations avec les autorités locales? N’avaient-elles pas dressé des obstacles devant vous pour les affaires entreprises ?
- Roger Mimo : Les difficultés que j’ai trouvées à certains moments pour obtenir des autorisations de construction ou d’ouverture étaient dues au manque de connaissances de ma part sur la loi marocaine, plutôt qu’à une volonté de dresser des obstacles de la part des autorités. C’est l’information qui manque toujours au Maroc. On ne vous dit jamais tous les papiers qu’il faut préparer pour arriver où vous désirez. Mais ça est du à la lourdeur du système administratif et non à la mauvaise volonté des autorités.
- Yafelman.com : Est-ce que les autorités marocaines sont conscientes du danger qui guette le patrimoine architectural en terre crue du Sud-est marocain ?
- Roger Mimo : Oui, sans doute. C’est pour ça qu’ils ont crée en 1987 un organisme pour la protection de ce patrimoine, le CERKAS de Ouarzazate. Mais la même lourdeur du système administratif dont je parlais a beaucoup limité les possibilités d’action de cet organisme, qui n’a pas de budget ordinaire ni d’autonomie pour travailler comme il devrait. Je vois beaucoup plus des possibilités de sauver une petite partie du patrimoine à travers des investissements privés qu’à travers d’État.
- Yafelman.com : Quelles étaient vos relations avec la population locale? La réalisation de l’auberge et du musée au sein même du vieux ksar Elkhorbat, n’a-t-elle pas suscité l’hostilité de la population y voyant une menace aux mœurs locales par l’arrivée massive des touristes occidentaux ?
- Roger Mimo : C’est un grand défi ce que nous avons entrepris à El Khorbat : marier les bénéfices économiques du tourisme à la conservation de la vie traditionnelle dans un ksar. Mais si on y réussit –et pour l’instant nous n’avons pas de quoi nous plaindre-, ça sera un exemple à suivre pour la sauvegarde du patrimoine culturel du sud-est marocain, pas seulement le patrimoine bâti mais aussi le patrimoine humain, les habitudes, les moeurs, le folklore, etc. Ça prouve qu’il existe une autre sorte de tourisme alternatif aux grands complexes, un tourisme respectueux, capable de s’adapter à la réalité existante et qui n’a pas besoin d’un bar ni d’une piscine à chaque fin d’étape. Nous ne désirons pas l’arrivée massive de touristes, nous avons limité volontairement le nombre de chambres à 14 pour éviter de travailler avec des groupes et nous avons renoncé à construire une piscine parce que ça pourrait provoquer la sortie de certains clients des chambres en maillot de bain. Quant aux réactions de la population locale, je crois que la majorité a compris cette volonté de respect.
- Yafelman.com : Est-ce que la région SudEest marocain est prête à accueillir un tourisme de masse sans des effets pervers sur l’environnement et le style de vie des habitants ordinaires ?
- Roger Mimo : Moi je suis contre le tourisme de masse parce que, par son caractère même, il n’est pas respectueux ni vers l’environnement ni vers le style de vie des habitants. Nous en avons les preuves dans des sites comme les Gorges du Todra ou Merzouga. Je pense que la région pourrait accueillir un nombre assez important de touristes mais à condition de diversifier les points d’intérêt et d’accueil. C’est ça que j’essaye de promouvoir à travers ma page www.rogermimo.com : les endroits intéressants pour un tourisme qui peut être nombreux mais non massifié.
- Yafelman.com : De nombreux jeunes de la région portent des projets dans le tourisme mais buttent souvent sur l’absence de financement. Comment avez-vous financé votre première affaire, sachant que vous étiez jeune diplômé pas nécessairement argenté ? (si ce n’est pas indiscret, bien sur)
- Roger Mimo : À mon arrivée à Tinerhir j’ai d’abord loué un petit hôtel existant (l’Avenir), que j’ai meublé avec des aides de ma famille. Deux années plus tard j’ai loué la casbah du Cheikh Bassou Ou Ali et j’y ai fait les travaux minimaux pour la transformer en Hôtel Tomboctou avec l’argent que j’avais récupéré à l’Hôtel de l’Avenir et un peu plus que ma famille m’a envoyé. Mon investissement total ne dépassait guère les 400.000 DH, plus quelques crédits chez les fournisseurs et une facilité de caisse au Crédit du Maroc. Avec ça j’ai ouvert au public et tout le reste a été autofinancé par le projet lui-même, en faisant des travaux au fur et à mesure qu’on encaissait l’argent nécessaire. J’aurai bien voulu obtenir des crédits pour faire tout d’un seul coup avant l’ouverture, mais je n’avais pas des garanties à offrir aux banques : les locaux étaient juste en location et ils n’étaient même pas enregistrés chez la Conservation Foncière.
- Yafelman.com : Il existe 6 banques prospères à Tinghir qui collectent énormément de devises transférées par les migrants de cette région en Europe. Pourtant, nous n’avons pas vu une seule financer un jeune porteur d’un projet touristique. Qu’est ce qui ne vas pas selon vous ?
- Roger Mimo : Souvent le problème est le même que j’avais, la manque de garanties pour leur accorder des crédits. Les terrains enregistrés chez la Conservation Foncière sont assez rares au sud du Maroc et les banques préfèrent investir dans les grandes villes, où elles sont plus sûres de récupérer leur argent.
- Yafelman.com : Voulant tirer profit de votre expérience dans le domaine de structures touristiques originales, est-ce que ces petites structures tirent leur épingle du jeu devant les grands hôtels bénéficiant de l’aval des tours operators et des organisateurs de voyage ?
- Roger Mimo : Oui, je pense qu’il y a la place pour tout le monde. À chacun sa clientèle. Il y a un nombre assez grand de voyageurs qui préfèrent loger dans un riad ou dans un hôtel de charme, même si ça leur coûte plus chère, car c’est claire que les frais généraux sont plus réduits quant on possède 100 chambres que quand on en possède 10. Comme il y a aussi des touristes qui préfèrent le grand hôtel avec piscine, cour de tennis, discothèque, etc.
- Yafelman.com : Est-ce que l’Open Sky marocain et l’arrivée de compagnies aériennes Low Cost sur le Maroc vont favoriser le tourisme non organisé ? Bénéficiera-t-il aux petites structures?
- Roger Mimo : J’espère que oui. En tout cas, le manque de vols et de tarifs attirants a été un grand handicap pour le développement touristique au Maroc ces dernières années et ça devrait se résoudre avec ces nouvelles mesures.
- Yafelman.com : Est-ce que vous continuez à écrire sur le Maroc et le Sud-est en particulier ?
- Roger Mimo : Oui, en partie. J’ai écrit dernièrement un roman historique basé sur les événements du Sud-est marocain entre 1908 et 1920, mais je n’ai pas trouvé d’éditeur pour l’instant. Et je ramasse toujours des renseignements sur l’architecture en terre en vue d’un nouveau livre à propos de ce sujet.
- Yafelman.com : Le mot de la fin ? Etes vous heureux au Maroc ?
- Roger Mimo : Si j’habite au Maroc c’est juste pour le désir d’y vivre, le mien et celui de mon épouse. Si nous pensons que nous pouvons être mieux ailleurs, nous sérions déjà partis il y a longtemps.
Propos recueillis par Hassan Ihs (Amnay) pour Yafelman.com
A consulter aussi :
www.rogermimo.com site web de Roger Mimo
www.elkhorbat.com site web de l’auberge musée Elkhorbat
www.hoteltomboctou.com site web de l’hôtel casbah