1e partie
Libération
rès de cinq ans se sont écoulés après la création de l'Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM). Le "chantier" de l'introduction de la langue amazighe dans le système scolaire ne semble pas épouser vraiment l'essor requis. Et c'est pourtant, l'un des points qui soulèvent toujours la contestation aussi bien d'une grande frange du mouvement associatif amazigh que chez les ex-membres démissionnaires de l'IRCAM. Où en est-on actuellement?
Ahmed Boukous :L'IRCAM a commencé à fonctionner concrètement à partir de 2003. Depuis, il a pu réaliser d'excellentes choses, notamment dans les domaines de la recherche et de l'enseignement. Les équipes de chercheurs ont codifié la graphie tifinaghe et commencé le lent labeur de la standardisation de la langue et de la promotion de la culture amazighe dans ses différentes facettes. Dans le domaine de l'enseignement, les pédagogues ont réalisé le manuel de l'élève et le guide du maître pour les trois premiers niveaux de l'école primaire. Ils ont aussi formé un grand nombre d'enseignants et de formateurs à travers le pays. Le nombre des écoles, celui des élèves et des maîtres augmentent d'année en année en dépit de tout ce que l'on peut imaginer. Bien sûr, il reste des problèmes. Mais, plutôt que de baisser les bras, nous nous employons à les résoudre avec nos partenaires de l'Education nationale. C'est ainsi que nous pouvons avancer. Travailler constamment à tous les niveaux et faire à chaque fois de son mieux, c'est la voie qui permet d'avancer. Si on croit que les choses vont bien aller tout en croisant les bras ou tout nier en se cantonnant dans une position négative, on se trompe lourdement.
Le Centre de la traduction, de la documentation, de l'édition et de la communication est chargé en outre de contribuer à l'intégration de l'amazighité dans les médias. Aujourd'hui, l'IRCAM se targue d'avoir imposé une dizaine de programmes à la télévision(entendre les deux chaînes publiques), avec un taux seulement de 30% de télédiffusion.
Avant la signature de la convention liant l'IRCAM et le ministère de la Communication, la situation de l'amazigh dans les différentes chaînes de TV était quasiment nulle, si l'on excepte le journal télévisé de TVM. Aujourd'hui, avec la place réservée à l'amazige dans les cahiers des charges de la SNRT et SOREAD, nous voyons de plus en plus d'émissions, de films, de pièces de théâtre, de chansons en amazigh. Evidemment, cela est encore insuffisant et l'IRCAM le fait savoir aux institutions concernées. Nous pensons qu'avec la formation technique des professionnels, l'intéressement des réalisateurs, la motivation des téléspectateurs, les responsables accorderont une place de plus en plus importante à l'amazigh aussi bien en termes de structures appropriées qu'en production et diffusion.
Revenons à la langue amazighe. Peut-on prétendre, a posteriori, que l'adoption de la graphie tifinaghe est un choix judicieux?
Incontestablement. L'alphabet tifinagh représente l'écriture de nos ancêtres. Des vestiges de l'art rupestre disséminés un peu partout à travers l'espace marocain montrent combien nos ancêtres ont fait preuve d'une intelligence rare et d'une ingéniosité remarquable pour inventer l'une des plus vieilles écritures de l'histoire de l'humanité. Pourquoi voulez-vous que l'on dédaigne ce patrimoine pour emprunter un autre alphabet? Cet héritage doit être préservé du vandalisme dont il pâtit actuellement un peu partout et notamment à Tinzouline. Nous devons le promouvoir au rang de patrimoine de l'humanité et le protéger en tant que tel. Et il ne s'agit pas d'un patrimoine à reléguer dans les oubliettes des musées. L'IRCAM a modernisé cet alphabet, l'a codifié et l'a introduit dans les nouvelles technologies de la communication et de l'information.
C'est devenu un outil performant dont nous souhaitons une large implantation dans le paysage national
La standardisation de la langue amazighe est une exigence dictée par la problématique due à la diversité dialectale constituée par plusieurs variantes du parler amazigh. Où en est -on avec la standardisation de la langue amazighe, l'élaboration du lexique(dictionnaire de la langue)?
La standardisation est l'aboutissement d'un processus de normalisation de la langue à travers la gestion des divergences et des convergences entre les différentes variantes de l'amazigh. Pour y arriver, il y a deux options : ou bien les techniciens, relayés par les décideurs, imposent par différents moyens une variante au détriment des autres ou bien on construit patiemment un amazigh commun à partir des données des variantes régionales et du partage des structures et des formes nouvelles. L'IRCAM considère que la deuxième option est meilleure que la première pour différentes raisons, entre autres, parce qu'elle permet d'homogénéiser la langue tout en prenant en charge la richesse des variantes régionales, sans appauvrir la langue. Vous l'imaginez aisément, cette option nécessite de la compétence et du temps. C'est un travail qui progresse de manière satisfaisante. Le dictionnaire de l'amazigh fondamental est prêt, la grammaire de référence et le manuel de conjugaison aussi.
Assurer à la culture amazighe son insertion et son rayonnement dans l'espace social et culturel, ainsi que dans les institutions de l'Etat est l'essence même des prescriptions du dahir portant institution de l'IRCAM. Néanmoins, sur le terrain, l'état de fait dénote un déphasage parfois abyssal qui trahit d'indécrottables réticences à sa tangible traduction. On peut évoquer l'incident de la ville de Nador ;celui d'Errachidia où l'Etat civil a refusé l'inscription d'un bébé au nom d'Amazigh, ou, ces associations amazighes qui poireautent toujours sans recevoir leurs récépissé d'associations.. , etc.
Ce sont effectivement des choses inadmissibles. Que fait l'IRCAM pour remédier à cette situation ?
Il intervient pour interpeller les institutions concernées et c'est de cette façon que de nombreux problèmes ont été résolus, par exemple les prénoms amazighs, la situation juridique de certaines associations, la tenue de certaines activités, des cas d'abus d'autorité, le soutien apporté à certains projets culturels, etc. Il reste évidemment d'autres efforts à fournir pour que l'amazighité soit présente de manière effective dans les institutions et dans la société. Et cela ne peut se faire qu'avec le concours de tous
Près de 70 associations du mouvement amazigh se sont réunies le 8 avril dernier à Meknès. Il s'agit d'une mobilisation pour la constitutionnalisation de la culture amazighe
Une revendication, dont l'IRCAM vient, lui aussi, de faire une proposition au Roi. Quelle perspective avez-vous à l'égard de cette nouvelle donne dans le contexte de cette spirale revendicative du mouvement amazigh ?
Nous essayons ensemble de participer au processus de démocratisation et de modernisation de nos institutions et de notre pays en général. Participent à cet effort collectif la classe politique, l'élite intellectuelle, l'élite économique, la société civile et l'Etat. Le mouvement associatif amazigh, avec ses différentes sensibilités et dans la variété de ses styles de travail, est engagé dans ce processus.. . L'IRCAM aussi. En ce qui concerne la constitutionnalisation de l'amazighe, le Conseil d'administration a débattu de cette question lors de sa dernière session et préconisé certaines voies et modalités de l'inscription de l'amazigh dans le projet de réforme de la Constitution de notre pays dans le but de garantir la protection juridique des droits amazighs, notamment les droits linguistiques et culturels. C'est là notre marque de citoyenneté.
Tout récemment, le Réseau amazigh pour la citoyenneté(Azetta) a organisé à Rabat une table ronde sur la culture amazighe. Lors de cette réunion, certains intervenants ont stigmatisé les dispositions relatives au Dahir portant création de l'IRCAM. Notamment, entre autres critiques, l'aspect "restrictivement consultatif" de la mission qui lui est assignée ;sa dépendance financière de "la seule générosité de la Cour royale" et, l'absence de dispositions législatives devant amener les partenaires de l'IRCAM à la traduction effective des suggestions et consultations émanant de cet Institut à travers la politique gouvernementale de l'Etat. Que leur répliquez-vous ?
C'est un faux problème. L'IRCAM est l'aboutissement de plusieurs décennies de revendications. Un grand nombre de militants amazighs de la première heure y travaillent avec conscience, dévouement et en silence. Ils savent que l'Histoire leur donnera raison. Tout citoyen ayant le sens politique conclura à partir d'une analyse concrète de la situation politique concrète de notre pays que la meilleure option pour la promotion de l'amazigh dans les conditions actuelles est celle de l'IRCAM dans sa forme juridique présente.
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Libération
Ahmed Boukous :L'IRCAM a commencé à fonctionner concrètement à partir de 2003. Depuis, il a pu réaliser d'excellentes choses, notamment dans les domaines de la recherche et de l'enseignement. Les équipes de chercheurs ont codifié la graphie tifinaghe et commencé le lent labeur de la standardisation de la langue et de la promotion de la culture amazighe dans ses différentes facettes. Dans le domaine de l'enseignement, les pédagogues ont réalisé le manuel de l'élève et le guide du maître pour les trois premiers niveaux de l'école primaire. Ils ont aussi formé un grand nombre d'enseignants et de formateurs à travers le pays. Le nombre des écoles, celui des élèves et des maîtres augmentent d'année en année en dépit de tout ce que l'on peut imaginer. Bien sûr, il reste des problèmes. Mais, plutôt que de baisser les bras, nous nous employons à les résoudre avec nos partenaires de l'Education nationale. C'est ainsi que nous pouvons avancer. Travailler constamment à tous les niveaux et faire à chaque fois de son mieux, c'est la voie qui permet d'avancer. Si on croit que les choses vont bien aller tout en croisant les bras ou tout nier en se cantonnant dans une position négative, on se trompe lourdement.
Le Centre de la traduction, de la documentation, de l'édition et de la communication est chargé en outre de contribuer à l'intégration de l'amazighité dans les médias. Aujourd'hui, l'IRCAM se targue d'avoir imposé une dizaine de programmes à la télévision(entendre les deux chaînes publiques), avec un taux seulement de 30% de télédiffusion.
Avant la signature de la convention liant l'IRCAM et le ministère de la Communication, la situation de l'amazigh dans les différentes chaînes de TV était quasiment nulle, si l'on excepte le journal télévisé de TVM. Aujourd'hui, avec la place réservée à l'amazige dans les cahiers des charges de la SNRT et SOREAD, nous voyons de plus en plus d'émissions, de films, de pièces de théâtre, de chansons en amazigh. Evidemment, cela est encore insuffisant et l'IRCAM le fait savoir aux institutions concernées. Nous pensons qu'avec la formation technique des professionnels, l'intéressement des réalisateurs, la motivation des téléspectateurs, les responsables accorderont une place de plus en plus importante à l'amazigh aussi bien en termes de structures appropriées qu'en production et diffusion.
Revenons à la langue amazighe. Peut-on prétendre, a posteriori, que l'adoption de la graphie tifinaghe est un choix judicieux?
Incontestablement. L'alphabet tifinagh représente l'écriture de nos ancêtres. Des vestiges de l'art rupestre disséminés un peu partout à travers l'espace marocain montrent combien nos ancêtres ont fait preuve d'une intelligence rare et d'une ingéniosité remarquable pour inventer l'une des plus vieilles écritures de l'histoire de l'humanité. Pourquoi voulez-vous que l'on dédaigne ce patrimoine pour emprunter un autre alphabet? Cet héritage doit être préservé du vandalisme dont il pâtit actuellement un peu partout et notamment à Tinzouline. Nous devons le promouvoir au rang de patrimoine de l'humanité et le protéger en tant que tel. Et il ne s'agit pas d'un patrimoine à reléguer dans les oubliettes des musées. L'IRCAM a modernisé cet alphabet, l'a codifié et l'a introduit dans les nouvelles technologies de la communication et de l'information.
C'est devenu un outil performant dont nous souhaitons une large implantation dans le paysage national
La standardisation de la langue amazighe est une exigence dictée par la problématique due à la diversité dialectale constituée par plusieurs variantes du parler amazigh. Où en est -on avec la standardisation de la langue amazighe, l'élaboration du lexique(dictionnaire de la langue)?
La standardisation est l'aboutissement d'un processus de normalisation de la langue à travers la gestion des divergences et des convergences entre les différentes variantes de l'amazigh. Pour y arriver, il y a deux options : ou bien les techniciens, relayés par les décideurs, imposent par différents moyens une variante au détriment des autres ou bien on construit patiemment un amazigh commun à partir des données des variantes régionales et du partage des structures et des formes nouvelles. L'IRCAM considère que la deuxième option est meilleure que la première pour différentes raisons, entre autres, parce qu'elle permet d'homogénéiser la langue tout en prenant en charge la richesse des variantes régionales, sans appauvrir la langue. Vous l'imaginez aisément, cette option nécessite de la compétence et du temps. C'est un travail qui progresse de manière satisfaisante. Le dictionnaire de l'amazigh fondamental est prêt, la grammaire de référence et le manuel de conjugaison aussi.
Assurer à la culture amazighe son insertion et son rayonnement dans l'espace social et culturel, ainsi que dans les institutions de l'Etat est l'essence même des prescriptions du dahir portant institution de l'IRCAM. Néanmoins, sur le terrain, l'état de fait dénote un déphasage parfois abyssal qui trahit d'indécrottables réticences à sa tangible traduction. On peut évoquer l'incident de la ville de Nador ;celui d'Errachidia où l'Etat civil a refusé l'inscription d'un bébé au nom d'Amazigh, ou, ces associations amazighes qui poireautent toujours sans recevoir leurs récépissé d'associations.. , etc.
Ce sont effectivement des choses inadmissibles. Que fait l'IRCAM pour remédier à cette situation ?
Il intervient pour interpeller les institutions concernées et c'est de cette façon que de nombreux problèmes ont été résolus, par exemple les prénoms amazighs, la situation juridique de certaines associations, la tenue de certaines activités, des cas d'abus d'autorité, le soutien apporté à certains projets culturels, etc. Il reste évidemment d'autres efforts à fournir pour que l'amazighité soit présente de manière effective dans les institutions et dans la société. Et cela ne peut se faire qu'avec le concours de tous
Près de 70 associations du mouvement amazigh se sont réunies le 8 avril dernier à Meknès. Il s'agit d'une mobilisation pour la constitutionnalisation de la culture amazighe
Une revendication, dont l'IRCAM vient, lui aussi, de faire une proposition au Roi. Quelle perspective avez-vous à l'égard de cette nouvelle donne dans le contexte de cette spirale revendicative du mouvement amazigh ?
Nous essayons ensemble de participer au processus de démocratisation et de modernisation de nos institutions et de notre pays en général. Participent à cet effort collectif la classe politique, l'élite intellectuelle, l'élite économique, la société civile et l'Etat. Le mouvement associatif amazigh, avec ses différentes sensibilités et dans la variété de ses styles de travail, est engagé dans ce processus.. . L'IRCAM aussi. En ce qui concerne la constitutionnalisation de l'amazighe, le Conseil d'administration a débattu de cette question lors de sa dernière session et préconisé certaines voies et modalités de l'inscription de l'amazigh dans le projet de réforme de la Constitution de notre pays dans le but de garantir la protection juridique des droits amazighs, notamment les droits linguistiques et culturels. C'est là notre marque de citoyenneté.
Tout récemment, le Réseau amazigh pour la citoyenneté(Azetta) a organisé à Rabat une table ronde sur la culture amazighe. Lors de cette réunion, certains intervenants ont stigmatisé les dispositions relatives au Dahir portant création de l'IRCAM. Notamment, entre autres critiques, l'aspect "restrictivement consultatif" de la mission qui lui est assignée ;sa dépendance financière de "la seule générosité de la Cour royale" et, l'absence de dispositions législatives devant amener les partenaires de l'IRCAM à la traduction effective des suggestions et consultations émanant de cet Institut à travers la politique gouvernementale de l'Etat. Que leur répliquez-vous ?
C'est un faux problème. L'IRCAM est l'aboutissement de plusieurs décennies de revendications. Un grand nombre de militants amazighs de la première heure y travaillent avec conscience, dévouement et en silence. Ils savent que l'Histoire leur donnera raison. Tout citoyen ayant le sens politique conclura à partir d'une analyse concrète de la situation politique concrète de notre pays que la meilleure option pour la promotion de l'amazigh dans les conditions actuelles est celle de l'IRCAM dans sa forme juridique présente.
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