De l'origine et des différents usages du nom 'Rbbi'
En me basant sur mes propres intuitions, en tant que locuteur berbérophone, ainsi que sur une hypothèse non vérifiée de l'historique d'un conte berbère qui me donnait l'air d'être très ancien, je finis par traduire les occurences du syntagme 'baba rbbi', qui figurent dans ce conte, par "Dieu-Le Père" (Elmedlaoui 1999a : 91 et 100). Ces intuitions étaient surtout basées sur un rapprochement avec d'anciens chants chleuhs d'enfants tels que "Anzar a baba rbbi ; tuf tummit bufqqus, yuf bufqqus, etc." ("Pluie ! ô baba rbbi ! Le gâteau ensablé est préférable au pâté de dattes, etc.") ainsi qu'avec certaines appellations chleuhes particulières telles que 'tar3mt n baba rbbi' "le menthe religieuse" (lit. 'la chamelle de Dieu"). Il se trouve que Stroomer (2000) confirme formellement, par la suite, ces intuitions en documentant ce qui n'était pour moi qu'une hypothèse intuitive. Il présente une version chleuhe de la célèbre 'Prière du Seigneur' de la foi chrétienne, recueillie dans le Sous par un voyageur allemand en 1715, et où le syntagme pour 'Notre Père' (latin : 'Pater noster' ; fr. moyen 'Sire Pere') est justement rendu en chleuh par 'Baba-Rbbi'.
Comme dans les langues sémitiques, où les référents pour "père", "patriarche", "maître", "patron", "seigneur" et "propriétaire", constituent unchamp sémantique qui donne lieu à plusieurs tropes d'antonomase qui font entrer en jeu Rb, Ab et Sid pour l'arabe (Rb, etc. pour l'hébreu), la signification du terme bab(a) participe également en berbère au même réseau de signifiés. Il est donc à noter que le syntagme composé, Sidi-Rbbi, qui est le nom principal de Dieu en Afrique du Nord, berbérophone et arabophone, et qu'on ne trouve pas en Orient, n'est en fin de compte qu'un calque arabisé à partir du syntagme berbère Baba-Rbbi, qui n'est lui même qu'un syntagme pléonastique forgé d'un terme berbère et de son équivalent judéo-araméen. Bien sûr, la morphosyntaxe de départ de rabb-i ("Mon Seigneur, Mon Maître") n'est plus transparente pour le Berbère d'aujourd'hui, qui, pour dire 'Mon Dieu' dit Rbbi inu.
A ce niveau de représentation, dans la culture nord africaine, l'interférence et le syncrétisme sont de règle entre le substrat berbère et les adstrats judéo-araméen et arabe. Ainsi , les titres pour '(Mon/Notre) Seigneur', associés aux saints et marabouts, tout comme à Dieu et aux prophètes, varient pour les musulmans berbérophones entre Sidi/Sid-na et Baba (d'où : "Sidi Wagga' vs. 'Baba Hqqi' par exemple); tandis que ces titres varient pour les Juifs entre Sidi/Sid-na, Rbbi et Baba (d'où : 'Rbbi Sali', 'Baba Sali' ou 'Sid-na Baba Sali' pour un même saint).
Chez les musulmans arabophones, on trouve le titre Buay ("Mon père", d'où le saint 'Buya 3omar' par exemple).
A ne pas oublier non plus de noter le parallèle qui existe entre le judéo-araméen Aba Rbbi (?) (lit. "Mon père-seigneur"), le berbère Baba-Rbbi (lit. "Père-Dieu") et l'arabo-berbère Baba-Sidi ou Bbwa-Sidi ("Mon père-seigneur") d'une part, ni entre l'hébreu et l'arabo-berbère Sidi-Rbbi (lit. "Seigneur-Dieu") d'autre part.
Même la chanson populaire reflète ce syncrétisme : la fameuse formule 'ayli h'iyaani' de la chanson populaire marocaine, si répandue qu'elle devint un simple tralala porteur de mélodie, dont on ne comprend plus le sens linguistique à moins qu'on ait accès à la culture judéo-hébraïque, et qui a sans doute une origine psalmique, à savoir l'expression hébraïque El-i ! H'iyee-ni ! "Mon dieu, rends-moi la vie !" (cf. psaume 119 : 25), prend elle aussi parfois la forme à moitié berbérisée de : baba h'iyani, qui substitue ainsi 'Baba' à 'El-i'. D'autres tralalas de type 'ayli lillah, ayli yawa), ou l'alternance 'ya baba / ya sidi / ya buya), sont fréquents dans la chanson de transe chez les groupes 'Gnawa' ou 'Al-Ghiwan'. Le sort de l'expression hébraïque El-i ! H'iyee-ni ! dans l'aire linguistique nord-africaine rappelle celui de l'autre expression hébraïque de louange psalmique Halleluu Yah, qui donne le cri 'Alléluia' en français.
Signalons, enfin, que le titre Baba (lit. "père"), que les musulmans berbérophones associent à Dieu à travers le syntagme Baba-Rbbi, a même laissé certaines traces de polémique dogmatique sous forme de diatribes à ton acerbe, formulées de temps en temps jusqu'aux siècles récents, sur fond de rivalités ethno identitaires entre intellectuels arabophones et berbérophones.
El-Medlaoui (Amdlaw)
En me basant sur mes propres intuitions, en tant que locuteur berbérophone, ainsi que sur une hypothèse non vérifiée de l'historique d'un conte berbère qui me donnait l'air d'être très ancien, je finis par traduire les occurences du syntagme 'baba rbbi', qui figurent dans ce conte, par "Dieu-Le Père" (Elmedlaoui 1999a : 91 et 100). Ces intuitions étaient surtout basées sur un rapprochement avec d'anciens chants chleuhs d'enfants tels que "Anzar a baba rbbi ; tuf tummit bufqqus, yuf bufqqus, etc." ("Pluie ! ô baba rbbi ! Le gâteau ensablé est préférable au pâté de dattes, etc.") ainsi qu'avec certaines appellations chleuhes particulières telles que 'tar3mt n baba rbbi' "le menthe religieuse" (lit. 'la chamelle de Dieu"). Il se trouve que Stroomer (2000) confirme formellement, par la suite, ces intuitions en documentant ce qui n'était pour moi qu'une hypothèse intuitive. Il présente une version chleuhe de la célèbre 'Prière du Seigneur' de la foi chrétienne, recueillie dans le Sous par un voyageur allemand en 1715, et où le syntagme pour 'Notre Père' (latin : 'Pater noster' ; fr. moyen 'Sire Pere') est justement rendu en chleuh par 'Baba-Rbbi'.
Comme dans les langues sémitiques, où les référents pour "père", "patriarche", "maître", "patron", "seigneur" et "propriétaire", constituent unchamp sémantique qui donne lieu à plusieurs tropes d'antonomase qui font entrer en jeu Rb, Ab et Sid pour l'arabe (Rb, etc. pour l'hébreu), la signification du terme bab(a) participe également en berbère au même réseau de signifiés. Il est donc à noter que le syntagme composé, Sidi-Rbbi, qui est le nom principal de Dieu en Afrique du Nord, berbérophone et arabophone, et qu'on ne trouve pas en Orient, n'est en fin de compte qu'un calque arabisé à partir du syntagme berbère Baba-Rbbi, qui n'est lui même qu'un syntagme pléonastique forgé d'un terme berbère et de son équivalent judéo-araméen. Bien sûr, la morphosyntaxe de départ de rabb-i ("Mon Seigneur, Mon Maître") n'est plus transparente pour le Berbère d'aujourd'hui, qui, pour dire 'Mon Dieu' dit Rbbi inu.
A ce niveau de représentation, dans la culture nord africaine, l'interférence et le syncrétisme sont de règle entre le substrat berbère et les adstrats judéo-araméen et arabe. Ainsi , les titres pour '(Mon/Notre) Seigneur', associés aux saints et marabouts, tout comme à Dieu et aux prophètes, varient pour les musulmans berbérophones entre Sidi/Sid-na et Baba (d'où : "Sidi Wagga' vs. 'Baba Hqqi' par exemple); tandis que ces titres varient pour les Juifs entre Sidi/Sid-na, Rbbi et Baba (d'où : 'Rbbi Sali', 'Baba Sali' ou 'Sid-na Baba Sali' pour un même saint).
Chez les musulmans arabophones, on trouve le titre Buay ("Mon père", d'où le saint 'Buya 3omar' par exemple).
A ne pas oublier non plus de noter le parallèle qui existe entre le judéo-araméen Aba Rbbi (?) (lit. "Mon père-seigneur"), le berbère Baba-Rbbi (lit. "Père-Dieu") et l'arabo-berbère Baba-Sidi ou Bbwa-Sidi ("Mon père-seigneur") d'une part, ni entre l'hébreu et l'arabo-berbère Sidi-Rbbi (lit. "Seigneur-Dieu") d'autre part.
Même la chanson populaire reflète ce syncrétisme : la fameuse formule 'ayli h'iyaani' de la chanson populaire marocaine, si répandue qu'elle devint un simple tralala porteur de mélodie, dont on ne comprend plus le sens linguistique à moins qu'on ait accès à la culture judéo-hébraïque, et qui a sans doute une origine psalmique, à savoir l'expression hébraïque El-i ! H'iyee-ni ! "Mon dieu, rends-moi la vie !" (cf. psaume 119 : 25), prend elle aussi parfois la forme à moitié berbérisée de : baba h'iyani, qui substitue ainsi 'Baba' à 'El-i'. D'autres tralalas de type 'ayli lillah, ayli yawa), ou l'alternance 'ya baba / ya sidi / ya buya), sont fréquents dans la chanson de transe chez les groupes 'Gnawa' ou 'Al-Ghiwan'. Le sort de l'expression hébraïque El-i ! H'iyee-ni ! dans l'aire linguistique nord-africaine rappelle celui de l'autre expression hébraïque de louange psalmique Halleluu Yah, qui donne le cri 'Alléluia' en français.
Signalons, enfin, que le titre Baba (lit. "père"), que les musulmans berbérophones associent à Dieu à travers le syntagme Baba-Rbbi, a même laissé certaines traces de polémique dogmatique sous forme de diatribes à ton acerbe, formulées de temps en temps jusqu'aux siècles récents, sur fond de rivalités ethno identitaires entre intellectuels arabophones et berbérophones.
El-Medlaoui (Amdlaw)