Amale
Une histoire de dingue. Encore une, mais celle-là, je refuse de la comprendre. J’ai pourtant essayé de suivre et de trouver une certaine logique au délire, mais j’avoue que j’ai vite fait de laisser tomber car ça dépasse grave le seuil de l’entendement. Mais je tiens quand même à vous la raconter comme ça, en vrac, et ensuite vous en faites ce que vous voulez.
Amale Samie veut monter une école dans un bled paumé pas loin de Beni Mellal. L’administration et les intérêts personnels étant ce qu’ils sont, le projet prend énormément de retard. A une dizaine de kilomètres de Beni Mellal, on décide soudain d’installer une réserve pour la race des mouflons. Amale Samie n’est pas d’accord, car pour préserver la race des mouflons, on risque de faire disparaître la race des habitants qui se trouvent dans le coin. Des grillages sont installés et du coup, plusieurs familles sont privées d’eau. Le puits est en face, mais pour y parvenir, il va falloir contourner la réserve et marcher, marcher, marcher… L’association ASIDD, présidée par Amale Samie réagit. Quatre femmes passent devant le juge et deux d’entre elles écopent de deux mois de prison pour avoir sectionné une partie du grillage. La raison de cet acte de vandalisme : ne pas mourir de soif. Amale Samie est poursuivi pour racisme envers tout ce qui n’est pas berbérophone. Amale Samie est poursuivi pour atteinte aux institutions du pays parce que, et c’est là où ça devient rock & roll, dans le forum du site web de l’association, un message pas très porté sur la monarchie y a été déposé.
Amale Samie dénonce depuis pas mal de temps des gens haut placés à Beni Mellal qui braconnent dans la région et qui tirent sur tout ce qui marche sur quatre pattes ou qui déploie ses ailes.
Voilà. C’est brouillon, mais c’est comme ça que je l’ai eu. Mouflon, berbères, grillages, eau, femmes, racisme… J’y pige que dalle. Je sais pourtant que si Amale était raciste, je l’aurais su et il me l’aurait signifié depuis longtemps. Plus de 20 ans que le mec est dans le journalisme et jamais un mot là-dessus. Ou alors, il cache bien son jeu. Mais le truc impossible à avaler c’est l’atteinte aux institutions du pays. On dirait que ç’est à la mode. Lorsqu’un journaliste dérange, on lui colle une atteinte aux institutions sacrées.
Lorsque la presse indépendante parle d’un ministre qui ne fout rien, celui-ci crie à qui veut l’entendre que la presse « dite » indépendante se mêle trop de la vie privée du Palais. Dans le cas de Amale Samie, c’est tout nouveau. Un-message-déposé-par-un-anonyme-dans-le-forum-de-discussion-du-site-de-l’association-dont-il-est-le-président. Faut le faire ! Sachant qu’Internet est planétaire et que tout le monde peut mettre ce qu’il veut dans un forum de discussion virtuel, il y a une chance sur cinq milliards pour que Amale Samie en soit l’auteur. Pourtant, c’est lui que le procureur a choisi d’entendre.
Faut faire gaffe, les mecs. Une nouvelle arme vient de voir le jour. Elle s’appelle « message anonyme dans le web ». D’après Amale, le message a été imprimé sur une feuille puis envoyé par une main anonyme au procureur de Beni Mellal.
Après « Traque sur Internet », voici Cheria sur Internet. Tout le monde peut yechriha à quelqu’un. Il faut juste trouver un Cyber et savoir naviguer. Et vu les promos de Maroc Telecom, on peut même ne pas bouger de la maison. ADSL à 199 balles, c’est un flingue chargé à mort.
Encore plus fou, le message en question est resté plusieurs semaines sans que personne n’y prête attention. Il a fallu qu’il soit imprimé sur une feuille A4 pour qu’il devienne une pièce à conviction applicable par le code de la presse. J’aime pas les feuilles A4, j’aime pas les mouflons, j’aime pas les grillages, j’aime pas ADSL, je me méfie des Berbères, je me méfie des Arabes, je me méfie des Chinois, je me méfie de moi-même et si la chronique est aujourd’hui assez brouillonne, c’est parce que j’aime de moins en moins ce que je fais.
Yassine Zizi
Journal l'hebdo