Association Tin Hinan

aksel

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Solidarité



Pour Saoudata Aboubacrine et ses camarades de l'association Tin Hinan, défendre le peuple touareg, c'est lutter pour les droits des femmes. Rencontre en marge d'Indigenève, la plate-forme de rencontres entre délégués autochtones à l'ONU et Genevois, qui se tient aux Cropettes.

Dans la mémoire collective des Touareg, Tin Hinan est la mère fondatrice. Sa figure – belle et autoritaire – peuple les contes des nomades du Sahara central. Tin Hinan, «celle qui se déplace», aurait pris le désert du Hoggar comme on prend le maquis pour défendre sa liberté1. C'était il y a dix-sept siècles, nous disent les archéologues. Cette résistance pour l'autonomie et l'identité n'a cessé d'inspirer ses descendantes. Il y a dix ans, des femmes touarègues s'unissaient pour favoriser leur «épanouissement». Et appelaient leur association Tin Hinan.
Principalement basée au Burkina, mais aussi active au Mali et au Niger, cette ONG est confrontée au double défi de défendre les aspirations des femmes et celles de la minorité saharienne. Deux missions qui se renforcent mutuellement, assure, le sourire aux lèvres, Saoudata Aboubacrine.
Déléguée de Tin Hinan à l'ONU, cette jeune Imajeghen2 participe également à l'Organisation africaine des femmes autochtones (OAFA). On pourra aussi la retrouver, ce week-end, à Indigenève3, derrière un stand d'artisanat saharien!
Pour Le Courrier, Saoudata Aboubacrine souligne la place centrale de la femme parmi les «Hommes du désert» et dans la lutte pour la dignité touarègue.

Le Courrier: Pourquoi le peuple touareg a-t-il besoin d'être défendu au niveau international?

Saoudata Aboubacrine: Avec la décolonisation, dans les années soixante, nous nous sommes retrouvés répartis entre cinq Etats4. Nous sommes donc cinq fois minoritaires et donc privés de voix. Les sociétés dominantes dans ces Etats sont culturellement très différentes des Touareg. Ils nous connaissent surtout au travers des clichés légués par la colonisation... Les problèmes de cohabitation ont même entraîné des conflits [armés, ndlr] comme au Mali ou au Niger.


Quels sont les principauxobstacles qui se dressent entre les nomades et les sédentaires?

– L'éloignement géographique entre les Touareg – qui vivent dans des zones reculées – et les groupes sociaux dominants ne facilite pas la connaissance mutuelle. Or nos modes de vie tendent à se différencier de plus en plus, car nous sommes beaucoup moins touchés par la globalisation et l'occidentalisation des sociétés africaines. Cette différence n'est pas toujours acceptée et entraîne des problèmes politiques. Par exemple, pourquoi les enfants touaregs ne sont pas assez instruits? Tout simplement parce que les systèmes d'éducation n'ont jamais été réfléchis en fonction de nos modes de vie effectifs! On voudrait qu'une mère abandonne son enfant âgé de 6 ou 7 ans pendant une année scolaire?! Combien l'acceptent? Très peu. »L'un des objectifs de Tin Hinan est d'ailleurs de défendre l'adaptation des services publics au mode de vie des nomades. Et non pas l'inverse comme aujourd'hui.

Le nomadisme est-il encore majoritaire chez les Touareg?

– Oui. Malgré les pressions et les menaces, le nomadisme demeure majoritaire. Mais la communauté, qui compte environ 4 millions de membres, le paie par une absence presque totale des diverses vies nationales.


Y a-t-il des différences entre les Etats?

– Bien sûr. Les différences sont importantes. Il y a des pays qui respectent moins la vie que d'autres. Mais je ne peux les nommer; ils se reconnaîtront.


Quelles sont les objectifs principaux de Tin Hinan?

– Nous défendons un développement durable qui soit compatible avec le mode de vie touareg. Nous sommes aussi très engagés dans le mouvement autochtone mondial et participons, pour cela, aux instances des Nations Unies, dont le groupe de travail sur le projet de Déclaration sur les droits des peuples autochtones. Si elle était votée par l'ONU, elle ferait peser une responsabilité morale sur les Etats vis-à-vis des populations touarègues.


Les femmes peuvent-elles avoir un apport particulier dans la défense de la communauté touarègue et en son sein?

– Oui. L'action que nous menons, tant au niveau de Tin Hinan que de l'OAFA, s'appuie sur une stratégie féminine. Chez les Touareg comme dans certaines autres communautés autochtones, la voix de la femme arrive plus rapidement, plus aisément. Dans nos sociétés, la femme traite avec tout le monde, avec les hommes, avec les enfants, avec tout le monde. Elle est donc très bien placée pour mener un travail de mobilisation, de lobbying, une communication efficace. Ces compétences acquises par les femmes sont utiles tant à l'intérieur de la communauté que vers l'extérieur!


Mais la femme autochtone, touarègue par exemple, nerencontre-t-elle pas aussi des difficultés propres à son genre?

– On présente souvent les peuples autochtones à travers leurs difficultés. Mais leurs richesses sont aussi immenses, même si l'incapacité d'avoir des échanges équilibrés avec les sociétés dominantes les met en danger. Prenons l'exemple des femmes touarègues. Traditionnellement, elles régissaient un système matriarcal complexe qui imposait la monogamie. Malheureusement, les mauvaises relations entretenues entre les Touareg et les autres sociétés n'ont jamais permis aux femmes des peuples dominants de découvrir et de profiter de ce système social. Au contraire, sous l'influence de ces sociétés, nous sommes maintenant affectés par la polygamie... Plus largement, c'est la position de la femme – privilégiée dans la culture touarègue – qui s'affaiblit de façon vertigineuse!


Les héritières de la reine Tin Hinan ont-elles conservéun pouvoir politique?

– Oui, non seulement politique, mais aussi culturel et économique. Mais ce pouvoir est souterrain. Si vous venez dans une campement touareg, vous ne vous apercevrez pas forcément de la participation des femmes. Pourtant, la plupart des décisions passent par elles ou viennent d'elles.


Qu'une femme participe à une association comme Tin Hinan, vienne au Palais des Nations, ça ne pose aucun problème?

– Il y a des résistances. Mais je les vois comme un effet des influences extérieures, d'un multiculturalisme déséquilibré.

Note : 1 Fuyant sa famille ou par conviction politique? Nul ne le sait. Mais la longue odyssée en chamelle de Tin Hinan, qui la conduisit du Sahara occidental au désert du Hoggar marque encore l'identité touarègue.
2 Appellation des Touareg en langue berbère signifiant «Hommes libres». Le vocable «touareg» provient de l'arabe et signifie «oublié de dieu»...
3 Mali, Niger, Algérie, Burkina et Libye.

Sources: http://www.lecourrier.ch/modules.php?op=modload&name=NewsPaper&file=article&sid=38332&mode=thread&order=0&thold=0
 
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