Arabisation, mondialisation et langue amazighe.
Par: Mohammed Serhoual, Université de Tétouan - Maroc.
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«La langue est le principal signe d'une nationalité». Michelet.
Nous sommes tous concernés par la mondialisation. Tout le monde est impliqué et chacun doit prendre ses responsabilités face à un phénomène global qui prend et prendra encore de l'ampleur. N'étant ni philosophe, ni économiste de formation, la mondialisation pourrait également concerner le linguiste.
La langue est le réceptacle d'une culture; c'est la mémoire collective qui emmagasine l'histoire d'une communauté linguistique. La langue reflète la vision qu'un peuple a de l'univers, et par la même, elle est également le reflet de sa pensée. Une interaction réciproque s'instaure entre la langue et la communauté linguistique (Cf. J.-B. Marcellesi et B. Gardin 1974: 20 - 32). Pour illustrer cette idée, nous allons donner quelques exemples: aman «eau, en tamazight», ce mot existe seulement au masculin pluriel, il est invariable; en français il est au féminin et il connaît l'alternance singulier / pluriel; en arabe, il est au masculin (maa'un), il a un pluriel (miyaahun). Même constatation au niveau d'expressions idiomatiques figées comme: zi zzman n waman «litt. depuis le temps, l'époque des eaux, depuis longtemps». L'équivalent français de l'expression rifaine est: depuis la nuit des temps. Pour ce qui est de tamazight, nous sommes en présence d'une vision cosmogonique liée à l'existence de l'homme, elle est en rapport avec l'existence de l'eau. Cette expression nous rappelle le verset coranique: Nous avons fait de l'eau toute création vivante». L'arc-en-ciel est exprimé en tamazight par la lexie complexe tassrit n
wnzar «litt. la mariée ou la fiancée de la pluie», c'est une autre vision du monde. L'arabe dispose du mot qawsu quzaà «litt. l'arc - de - Satan (la dénomination remonte à l'époque anté-islamique).
Le nombre des langues du monde dépasse de loin celui des Etats politiques; il n'y a pas d'isomorphisme entre la carte politique et la répartition des langues à l'échelle mondiale. Mackey (1976: 109) donne le chiffre de 3000 langues environ pour 200 pays. Ces langues se répartissent en langues dites savantes et langues dites populaires. Tamazight, étant à la base de la culture maghrébine, fait partie de la seconde catégorie. Notre but, à travers cette communication, est de s'interroger sur l'avenir de cette langue et de sensibiliser, l'honnête homme à l'existence de cette langue séculaire menacée d'extinction à cause de la politique d'arabisation menée au lendemain de l'indépendance dans les pays du Maghreb; bien que la langue arabe soit, elle aussi victime de la mondialisation. Tamazight joue sa dernière chance existentielle à cause de la mondialisation. Nous assistons à un phénomène de glottophagie hiérarchisée.
I.La mondialisation: essai de définition générale
La mondialisation est un phénomène tentaculaire, il est vécu au quotidien à l'échelle planétaire. L'origine de la mondialisation remonte à l'époque des Temps modernes qui a mis fin à la féodalité médiévale en Europe. La mondialisation a vu le jour à l'aube de
la Renaissance européenne. Elle s'est traduite, dans sa première phase sous forme d'européanisation (mondialisation européenne) dès le 18ème siècle. Elle n'a cessé de progresser tout s'affermissant avec plus de force au 19ème et 20ème siècles. La mondialisation a changé de pôle d'attraction suite à l'éclatement du 1er conflit mondial; d'européenne, elle devenue américaine; il s'agit d'une américanisation idéologique du monde. Elle se manifeste sur tous les plans: économique, politique, militaire, médiatique, et sur le plan culturel et linguistique. Seul ce dernier nous intéresse. Néanmoins, nous allons faire des incursions dans les autres domaines pour signaler quelques indications sommaires mais éclairantes ayant trait à la mondialisation.
La mondialisation économique se traduit par une expansion horizontale et ascension verticale des entreprises et des multinationales. Le mot de liberté y occupe une place centrale: on parle de libéralisation des marchés mondiaux et de la suppression des frontières douanières entre Etats, de liberté de la finance et du commerce. Par conséquent, un fossé se creuse entre les pays du nord et les pays du sud. C'est la liberté du renard dans le poulailler ou le pot de terre et le pot de fer. Cet état de choses entraîne l'endettement des pays pauvres évalué à 1465 milliards de dollars (Cf. Berrada 1998: 154). Une poignée de personnes, au nombre de 200 environ accapare 43% de la richesse mondiale, contre 2,3 milliards d'êtres qui vivent avec le minimum vital, pour ne pas dire au seuil de la pauvreté. Le décalage se creuse entre pays nantis et pays démunis. L'endettement des pays du Tiers-monde est en progression géométrique; ce qui entraîne des crises économiques et soulèvements populaires.
Le plan militaire et stratégique: à l'hégémonie économique des E.U. s'ajoute la puissance mondiale sur le plan technologique; ainsi les E.U. ont la suprématie sur le plan logistique et au niveau de l'armement sophistiqué. Nous nous contentons de deux cas de figure (i) l'intervention militaire des E.U. au Koweit, en Afghanistan, (ii) les E. U. assurent la médiation partiale entre Israéliens et Palestiniens tout en usant de deux poids deux mesure. Les Palestiniens, en légitime défense, sont taxés de terroristes et sont massacrés au vu et au su du monde entier par les Israéliens qui jouissent du soutien inconditionnel de la puissance mondiale numéro un
Sur le plan politique, on assiste à l'hégémonie d'un seul camp, suite à la chute du bloc socialiste en 1989 et à la disparition de l'antagonisme capitalisme-socialisme et de la guerre froide. Cette suprématie est exclusivement américaine.
Moyens de communications et média: l'information est accaparée par la puissance mondiale numéro un. En cas de conflit, les images télévisées diffusées sont contrôlées par le Pentagone (Ministère de la Défense américaine). Lors de la guerre du Golfe, on donne l'illusion qu'on s'apitoie sur le sort de l'oiseau blanc dont le plumage est maculé de taches d'huile pétrolière et on occulte les déformations corporelles causées par l'uranium aux civils irakiens.
Le niveau culturel et linguistique: l'anglais possède également la part du lion dans ce domaine névralgique. Une ruée pour l'apprentissage de l'anglais se fait en Chine (50 millions Chinois apprennent l'anglais) et partout dans la monde. Les Etats européens, bien qu'unis sur le plans économique et monétaire tiennent à la diversité linguistique qu'ils considèrent comme enrichissante. Le lexique anglais envahit des domaines comme la technologie, l'informatique et l’Internet. On assiste à une mondialisation du vocabulaire.
La mondialisation se situe à plusieurs niveaux qui convergent tous vers l'hégémonie. Il y a interaction des niveaux économique, politique et culturel, mais il y a également une hiérarchie et une priorité accordée à l'un des niveaux privilégiés. Le niveau linguistique est la clé de voûte, étant donné qu'il est le plus lent et le plus profond au niveau des valeurs sur le marché symbolique; il est irréversible, une fois l'homogénéisation linguistique est réalisée. La langue est omniprésente et sur tous les plans.
De manière générale, H. Janhani (1998: 168) signale trois tendances au sein du monde arabe à l'égard de la mondialisation: la première choisit le camp occidental (occidentalisation) et rejette de la pluralité culturelle; la seconde prône pour un attachement aux valeurs ancestrales (courant passéiste), la troisième tendance, éclectique, est réconciliante, elle est pour une fusion entre la mondialisation et le patrimoine culturel.
Dans des pays occidentaux avancés techniquement, des manifestations anti-mondialisation sont menées; ces mouvements contestataires débouchent sur des affrontements violents opposant société civile et autorités; ils aboutissent à la répression; il s'agit du maintien de la différence pour la dominance. Il y a lieu de rappeler que la mondialisation ne doit pas être confondue avec la culture de l'Universel telle qu'elle a été réclamée par L.-S. Senghor invitant l'humanité à un dialogue des civilisations et au métissage des cultures, en se fondant sur une dialectique du local et de l'universel. Les deux dimensions doivent cohabiter et coexister en harmonie.
L'Islam n'a jamais renié les langues locales, tout en poursuivant ses conquêtes religieuses. Des pays asiatiques, tels que l'Iran, Afghanistan, Indonésie, ont été islamisés sans perdre leur langue(s) autochtone(s). Notre intervention concerne la mise en rapport langue amazighe, arabisation et mondialisation. La langue, même minorée, est le véhicule d'un ensemble de valeurs symboliques. Nous allons donc essayer de voir quelle place est accordée à une langue minorée comme tamazight.
II. Situation de tamazight:
Une première remarque concerne les ethnonymes berbère et Chlouh et son dérivé tachelhit. L.-J. Calvet (1974: 57) affirme dans son ouvrage Linguistique et colonialisme que certains ethnonymes comme Nigeria, Niger, Cameroun et Soudan sont des dénominations
péjoratives données par le colonisateur. Concernant l'ethnonyme berbère, Vicychl (1989: 85-86) affirme qu'«il serait plus correct d'appeler les Berbères par leur propre nom, à savoir Amazigh, au pluriel Imazighen, c'est-à-dire les hommes libres ou les nobles, car le nom de Barbari s'appliquait dans l'Antiquité aux peuples qui ne parlaient ni le grec, ni le latin (latin Barbarus, pl. Barbari). Aussi des peuples qui possédaient une haute civilisation, comme les Egyptiens, les Babyloniens, les Perses étaient des Barabari aux yeux des Romains parce qu'ils ne parlaient pas le latin». Quant à l'ethnonyme chleuh d'origine arabe, comme Soudan, signifie «bandit, coupeur de routes qui déshabille les passants» (Cf. Ibn Manطur 1994: 200, t. 2). Cette remarque se justifie par l'emploi de l'adjectif en langue arabe: toute agression taxée de sauvage ou de criminelle - comme le massacre des Palestiniens par les Sionistes - est immanquablement suivie de l'adjectif barbari , terme donc bi-sémique; il signifie sauvage; il est forcément lié à une ethnie.
Une seconde remarque concerne la dichotomie langue / dialecte. D'un point de vue strictement linguistique, la langue et le dialecte sont des moyens de communication, la différence réside au niveau de son statut politique et de sa valeur sociale. Tamazight est une langue et non dialecte puisqu'elle ne provient pas d'une autre langue-mère; ayant ses propres lois internes, elle jouit d'autonomie; elle est vivante; elle a un ancrage historique; exclusivement orale, elle n'est pas une langue scripturaire. L'arabe classique a une profondeur historique, elle est autonome et écrite mais elle n'est pas parlée au quotidien, par la masse. L'arabe dialectal a une histoire, elle est parlée par la masse, dans la vie courante, elle n'est pas autonome, c'est un meelting-pot tamazight - arabe classique, elle n'est pas écrite (Cf. Boukous 1974). Essayons tout d'abord de définir la langue amazighe dans l'espace et dans le temps.
Cadre géolinguistique de la langue amazighe:
La langue amazighe couvre un domaine immense; elle se répartit en 3 grandes familles: Zenata, Senhaja et Masmouda. C'est la langue de l'identité maghrébine en général. L'aire amazighe s'étend tout au long de la rive Ouest de la Méditerranée méridionale et englobe
une dizaine de pays: le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, la Libye et l'oasis de Siwa (Egypte-ouest), et d'autres pays comme la Mauritanie, le Mali, le Niger et le Burkina - Faso (soit une superficie de plusieurs milliers de kilomètres carrés). Les Iles Canaries en faisaient partie, la toponymie fait foi; les Guanaches ont des revendications identitaires. A l'immensité de l'aire amazighe correspond une unité profonde de la langue malgré la diversité des parlers. Basset (1929: 23) fait une estimation formulée en terme de «poussière de parlers» allant de 4000 à 5000 (1959: 4) et de 300 dialectes (Ibid. p. 23).
Il y a lieu de signaler la présence de trois variétés régionales (ou géolectes): tarifit au nord, tamazight au centre (Moyen et Haut-Atlas) et tassoussit, au sud du pays, comprenant la partie méridionale du Haut-Atlas, tout l'Anti-Atlas jusqu'à l'Océan
Atlantique. L. Galand (1988: 207) nous dit que «Avant l'arrivée des Arabes en Afrique du Nord, le berbère occupait le domaine d'un seul tenant». Le nombre de locuteurs amazighophones varie d'un pays à l'autre. Les données du recensement de la population ne sont jamais explicites. Néanmoins, on peut donner quelques indications approximatives: Selon A. Boukous (1999: 62), «l'arabe dialectal est parlé par 70 à 80%, l'amazighe par 45 à 55% , l'arabe standard par 10 à 20 %, le français 10 à 20 %»; ces chiffres donnés à titre indicatif, soit une évaluation quantitative variant entre 13,5 et 16,5 millions de locuteurs amazighiphones pour le Maroc. L'Algérie vient après le Maroc quant au nombre de locuteurs. La Kabylie représente, à elle seule, les deux-tiers des amazighophones (6 à 7 millions). Autres variétés: la Chaouia des Aurès (1 million), le Mzab (Ghardaïa), Ouargla et le touareg. Cette variété est attestée dans plusieurs Etats dont le nombre dlocuteurs atteint un million. On connaît par ailleurs la politique de décimination à laquelle sont soumis les Touaregs. Les locuteurs amazighophones en d'autres pays (Libye,
Mali, Nigeria et Haute-volta se comptent par dizaines de milliers; Tunisie: 1% ; Iles Canaries : 0 % (Cf. Chaker 1990 : 238-9). Les amazighophones, souvent analphabètes, mènent la vie dure et sont livrés à eux-mêmes; ils sont confinés dans le monde rural; privés d'une infrastructure de première nécessité (eau, électricité, routes.), ils affluent également vers les grandes métropoles: Tanger, Tétouan, Oujda, Casa, Fès, Meknès, Marrekech, Alger, Oran, Constantine.
La situation de tamazight n'est plus ce qu'elle fut. La carte de l'amzighphonie, telle une peau de chagrin, s'est rétrécie au fil du temps. Cernée par l'arabe, tamazight se présente sous forme d'archipels dont les liens subsistent en profondeur: les structures syntaxiques et lexicales sont homogènes de manière générale; même si le lexique présente un fonds commun et une diversité due au relief géographique, au mode de vie et à la culture.
Historique: Si l'existence des Imazighen est arrêtée à 33 siècles par M. Chafiq (1989), Vicychl (1989: 85 - 86), quant à lui, démontre, arguments archéologiques à l'appui que leur Histoire étend sur cinquante siècles; il conclut que«l'histoire des Imazighen ou Berbères commence au seuil même de l'histoire égyptienne, vers 3000 avant J.-C., et non tardivement avec les Grecs et les Romains ou encore avec les Arabes». Donc à l'immensité de l'étendue géographique s'ajoute la profondeur historique qui sont le propre de tamazight. Langue séculaire mais exclusivement orale, elle a subi des sévices étant donné qu'elle n'a jamais eu d'existence autonome. Compte tenu de ces données, nous allons nous interroger sur son avenir. Mais avant d'en venir à la mondialisation proprement dite, essayons de voir ce qu'il en a de la langue amazighe en contact avec l'arabisation.
Ce concept referme l'idée d'expansion linguistique et d'hégémonie qu'on trouve dans le mot mondialisation. Une mise au point sémantique est possible pour un rapprochement entre les deux concepts. Si le terme mondialisation est sémantiquement analysable en sèmes, unités minimales de signification, comme chaise: siège + pour s'asseoir + pieds + dossier,
L'arabisation et la mondialisation sont dotés de sèmes communs comme hégémonie et substitution d'une langue à une autre; donc l'arabisation est, par anachronisme, un autre aspect de la mondialisation bien que cette dernière soit elle aussi, victime de la mondialisation, malgré la différence de statut.
III.Arabisation et mondialisation: une même convergence glottophagique:
Rappelons que tamazight n'a jamais eu une existence autonome depuis l'Antiquité: une présence de substrats linguistiques tels que le latin, le punique, l'arabe, le français et l'espagnol se manifeste sur le plan lexical. L'isolement et le manque de contact, la disparité des reliefs, la diversité des cultures locales, et des régimes politiques mis en place des différents Etats, convergent vers une accentuation des écarts sur le plan linguistique.
Arabisation: Il y a lieu de distinguer islamisation et arabisation, deux concepts différents mais intimement liés ( Cf. G.تCamps 1997: 49). L'islamisation est un concept religieux qui relève du sacré et qui ne condamne pas la diversité linguistique; tandis que l'idéologie
panarabe est négatrice de la pluralité linguistique et culturelle, en tous cas dans les pays du Maghreb, devenu Maghreb arabe. Selon G.-H. Bousquet, le processus de l'arabisation peut être appréhendé de deux façons possibles: (i) par le rétrécissement de l'aire amazighophone, (ii) par l'exode des Imazighen vers les centres urbains; assimilés, ils adoptent l'arabe marocain comme moyen de communication. L'arabisation est un processus qui s'étend sur des siècles; elle est causée par les tribus arabes Banu Hilal et Maâqil «berbères arabisés ». Ils se sont adonnés au pillage du pays mis à feu et sang. IbnKhaldoun cité par Bousquet (1974: 59) parle de ces tribus «semblables à une armée de sauterelles, ils détruisaient tout sur leur passage». M. Chafik (1989: 86-100) distingue 4 étapes d'arabisation: les deux premières, liées à l'islamisation, se caractérisent par la lenteur et la spontanéité, l'appel à la prière et le sermon du vendredi étaient prononcés en tamazight. Le monarque almoravide Youssef Ibn Tachfine (1061-1107) ne savait aucun mot de l'arabe, était intégralement amazighophone. (le règne des Almoravides a duré de la
fin du IXème jusqu'au début XIIème siècle). La 2ème étape de l'arabisation a eu lieu sous
l'instigation directe du roi Almohade, Abd-el-Moumen (1130-1163) qui a fait appel à des tribus arabes qui ont sillonné le Maroc en long et en large; des tribus amazighes marocaines ont été arabisées. L'arabe fut utilisée comme langue officielle pour la correspondance administrative (Cf. Chafik: 1991: 64). L'arabisation a commencé a atteindre les centres urbains sous le règne des Mérinides (XIIIème -XVème siècle.) avec l'implantation d'écoles. Des monarques marocains alaouites tels que Mohammed ben Abdallah (1757-1790) et Hassan 1er (1873-1994) maîtrisaient tamazight et s'adressaient aux tribus non arabisées dans leur langue d'origine, il y a un peu plus d'un siècle. La 3ème étape d'arabisation (1912-1955) est liée la résistance armée contre l'occupant: elle provient du contact des combattants amazighs avec les citadins, et du brassage des ethnies. Encore faut-il ajouter l'obédience idéologique panarabe importée d'Orient qui a fait tache d'huile au sein de la société maghrébine, et la promulgation, en1930, du Dahir berbère décrété par le Protectorat français qui a contribué à stigmatiser la scission entre les ethnies; le Mouvement National (citadin) a saisi l'occasion pour jeter l'anathème sur ce dahir machiavélique et a attisé le feu afin d'embraser l'ardeur des citoyens et les inciter à rejeter la référence amazighe; seule la référence arabe est considérée comme légitime.
L'amazighité, selon la vision panarabe, est une menace pour l'unité nationale. Cette exclusion va être concrétisée par l'implantation d'écoles privées pour l'apprentissage de la langue arabe dans les milieux urbains, l'enseignement de la langue arabe s'en trouve renforcée. Cette politique a eu pour conséquences le reniement des origines amazighes chez certaines familles et l'affiliation à une généalogie arabe factice faisant référence à l'arabité, à l'invention d'arbres généalogiques d'obédience arabe crées de toutes pièces. Ainsi l'on voit certains amazighs se réclamer de chorfas d'ascendance sacrée. Nous voyons donc qu'il s'agit de l'intrication de deux dimensions amalgamées: la dimension religieuse est exploitée au profit de l'idéologie panarabe. Les fonctions de la langue arabe sont limitées à la liturgie et à la littérature. Le slogan du panarabisme est hissé par les ténors du parti de l'Istiqlal au détriment de la majorité écrasant du peuple.
la 4ème et dernière phase d'arabisation se caractérise par une accélération progressive dont les objectifs sont clairs, précis et bien défini au lendemain de l'indépendance. Quatre principes président à cette nouvelle politique linguistique: unification, arabisation, généralisation et marocanisation (Cf. M. Chafik 1989: 94-95 et A. Boukous 1999: 65). Cette politique linguistique est menée dans un but idéologique d'arabiser les apprenants de la plèbe; tandis que les fils de l'élite ont accès aux écoles étrangères. M. Boudhan (1995: 9-26) voit dans la politique d'arabisation «un subterfuge pour préserver les privilèges de classe». A. Boukous (1999: 133) parle du paradoxe de l'arabisation pour la masse d'un côté et d'accès aux écoles européennes et / étrangères (M.U.C.F., école espagnole, école américaine) privées et payantes réservées aux fils des notables. L'auteur (1999: 103 et 133) affirme que «le recours à l'enseignement étranger, notamment français, apparaît ainsi comme une des conditions de la sélection sociale». Donc, l'arabisation n'est qu'un leurre, c'est un choix linguistique qui a des soubassements idéologiques. Nous assistons à une arabisation pour une classe moyenne ou même pauvre et à un enseignement des langues étrangères pour l'élite pour une meilleure ascension sociale; alors que la plupart des Imazighen (montagnards ou campagnards) stagnent dans l'analphabétisme et tout ce qui s'en suit. On constate alors une certaine lenteur du processus d'arabisation durant douze siècles révolus, face à une vitesse de croisière entamée dans la seconde moitié du 20ème siècle . Il découle de cet état de choses que les deux langues ont coexisté ensemble. Mais cette coexistence millénaire n'est pas la même qu'auparavant. Au début, tamazight était une langue intégrante. Mais depuis l'indépendance et à cause de la scolarisation et l'expansion des mass-média (radio et télévision surtout), la langue amazighe est devenue intégrée et soumises aux aléas de l'Histoire; elle prend du recul par rapport à l'arabe dialectal qui fait tache d'huile. Tamazight et l'arabe entretiennent une relation double et complexe: l'appartenance génétique à la famille chamito-sémétique et la coexistence millénaire
Par: Mohammed Serhoual, Université de Tétouan - Maroc.
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«La langue est le principal signe d'une nationalité». Michelet.
Nous sommes tous concernés par la mondialisation. Tout le monde est impliqué et chacun doit prendre ses responsabilités face à un phénomène global qui prend et prendra encore de l'ampleur. N'étant ni philosophe, ni économiste de formation, la mondialisation pourrait également concerner le linguiste.
La langue est le réceptacle d'une culture; c'est la mémoire collective qui emmagasine l'histoire d'une communauté linguistique. La langue reflète la vision qu'un peuple a de l'univers, et par la même, elle est également le reflet de sa pensée. Une interaction réciproque s'instaure entre la langue et la communauté linguistique (Cf. J.-B. Marcellesi et B. Gardin 1974: 20 - 32). Pour illustrer cette idée, nous allons donner quelques exemples: aman «eau, en tamazight», ce mot existe seulement au masculin pluriel, il est invariable; en français il est au féminin et il connaît l'alternance singulier / pluriel; en arabe, il est au masculin (maa'un), il a un pluriel (miyaahun). Même constatation au niveau d'expressions idiomatiques figées comme: zi zzman n waman «litt. depuis le temps, l'époque des eaux, depuis longtemps». L'équivalent français de l'expression rifaine est: depuis la nuit des temps. Pour ce qui est de tamazight, nous sommes en présence d'une vision cosmogonique liée à l'existence de l'homme, elle est en rapport avec l'existence de l'eau. Cette expression nous rappelle le verset coranique: Nous avons fait de l'eau toute création vivante». L'arc-en-ciel est exprimé en tamazight par la lexie complexe tassrit n
wnzar «litt. la mariée ou la fiancée de la pluie», c'est une autre vision du monde. L'arabe dispose du mot qawsu quzaà «litt. l'arc - de - Satan (la dénomination remonte à l'époque anté-islamique).
Le nombre des langues du monde dépasse de loin celui des Etats politiques; il n'y a pas d'isomorphisme entre la carte politique et la répartition des langues à l'échelle mondiale. Mackey (1976: 109) donne le chiffre de 3000 langues environ pour 200 pays. Ces langues se répartissent en langues dites savantes et langues dites populaires. Tamazight, étant à la base de la culture maghrébine, fait partie de la seconde catégorie. Notre but, à travers cette communication, est de s'interroger sur l'avenir de cette langue et de sensibiliser, l'honnête homme à l'existence de cette langue séculaire menacée d'extinction à cause de la politique d'arabisation menée au lendemain de l'indépendance dans les pays du Maghreb; bien que la langue arabe soit, elle aussi victime de la mondialisation. Tamazight joue sa dernière chance existentielle à cause de la mondialisation. Nous assistons à un phénomène de glottophagie hiérarchisée.
I.La mondialisation: essai de définition générale
La mondialisation est un phénomène tentaculaire, il est vécu au quotidien à l'échelle planétaire. L'origine de la mondialisation remonte à l'époque des Temps modernes qui a mis fin à la féodalité médiévale en Europe. La mondialisation a vu le jour à l'aube de
la Renaissance européenne. Elle s'est traduite, dans sa première phase sous forme d'européanisation (mondialisation européenne) dès le 18ème siècle. Elle n'a cessé de progresser tout s'affermissant avec plus de force au 19ème et 20ème siècles. La mondialisation a changé de pôle d'attraction suite à l'éclatement du 1er conflit mondial; d'européenne, elle devenue américaine; il s'agit d'une américanisation idéologique du monde. Elle se manifeste sur tous les plans: économique, politique, militaire, médiatique, et sur le plan culturel et linguistique. Seul ce dernier nous intéresse. Néanmoins, nous allons faire des incursions dans les autres domaines pour signaler quelques indications sommaires mais éclairantes ayant trait à la mondialisation.
La mondialisation économique se traduit par une expansion horizontale et ascension verticale des entreprises et des multinationales. Le mot de liberté y occupe une place centrale: on parle de libéralisation des marchés mondiaux et de la suppression des frontières douanières entre Etats, de liberté de la finance et du commerce. Par conséquent, un fossé se creuse entre les pays du nord et les pays du sud. C'est la liberté du renard dans le poulailler ou le pot de terre et le pot de fer. Cet état de choses entraîne l'endettement des pays pauvres évalué à 1465 milliards de dollars (Cf. Berrada 1998: 154). Une poignée de personnes, au nombre de 200 environ accapare 43% de la richesse mondiale, contre 2,3 milliards d'êtres qui vivent avec le minimum vital, pour ne pas dire au seuil de la pauvreté. Le décalage se creuse entre pays nantis et pays démunis. L'endettement des pays du Tiers-monde est en progression géométrique; ce qui entraîne des crises économiques et soulèvements populaires.
Le plan militaire et stratégique: à l'hégémonie économique des E.U. s'ajoute la puissance mondiale sur le plan technologique; ainsi les E.U. ont la suprématie sur le plan logistique et au niveau de l'armement sophistiqué. Nous nous contentons de deux cas de figure (i) l'intervention militaire des E.U. au Koweit, en Afghanistan, (ii) les E. U. assurent la médiation partiale entre Israéliens et Palestiniens tout en usant de deux poids deux mesure. Les Palestiniens, en légitime défense, sont taxés de terroristes et sont massacrés au vu et au su du monde entier par les Israéliens qui jouissent du soutien inconditionnel de la puissance mondiale numéro un
Sur le plan politique, on assiste à l'hégémonie d'un seul camp, suite à la chute du bloc socialiste en 1989 et à la disparition de l'antagonisme capitalisme-socialisme et de la guerre froide. Cette suprématie est exclusivement américaine.
Moyens de communications et média: l'information est accaparée par la puissance mondiale numéro un. En cas de conflit, les images télévisées diffusées sont contrôlées par le Pentagone (Ministère de la Défense américaine). Lors de la guerre du Golfe, on donne l'illusion qu'on s'apitoie sur le sort de l'oiseau blanc dont le plumage est maculé de taches d'huile pétrolière et on occulte les déformations corporelles causées par l'uranium aux civils irakiens.
Le niveau culturel et linguistique: l'anglais possède également la part du lion dans ce domaine névralgique. Une ruée pour l'apprentissage de l'anglais se fait en Chine (50 millions Chinois apprennent l'anglais) et partout dans la monde. Les Etats européens, bien qu'unis sur le plans économique et monétaire tiennent à la diversité linguistique qu'ils considèrent comme enrichissante. Le lexique anglais envahit des domaines comme la technologie, l'informatique et l’Internet. On assiste à une mondialisation du vocabulaire.
La mondialisation se situe à plusieurs niveaux qui convergent tous vers l'hégémonie. Il y a interaction des niveaux économique, politique et culturel, mais il y a également une hiérarchie et une priorité accordée à l'un des niveaux privilégiés. Le niveau linguistique est la clé de voûte, étant donné qu'il est le plus lent et le plus profond au niveau des valeurs sur le marché symbolique; il est irréversible, une fois l'homogénéisation linguistique est réalisée. La langue est omniprésente et sur tous les plans.
De manière générale, H. Janhani (1998: 168) signale trois tendances au sein du monde arabe à l'égard de la mondialisation: la première choisit le camp occidental (occidentalisation) et rejette de la pluralité culturelle; la seconde prône pour un attachement aux valeurs ancestrales (courant passéiste), la troisième tendance, éclectique, est réconciliante, elle est pour une fusion entre la mondialisation et le patrimoine culturel.
Dans des pays occidentaux avancés techniquement, des manifestations anti-mondialisation sont menées; ces mouvements contestataires débouchent sur des affrontements violents opposant société civile et autorités; ils aboutissent à la répression; il s'agit du maintien de la différence pour la dominance. Il y a lieu de rappeler que la mondialisation ne doit pas être confondue avec la culture de l'Universel telle qu'elle a été réclamée par L.-S. Senghor invitant l'humanité à un dialogue des civilisations et au métissage des cultures, en se fondant sur une dialectique du local et de l'universel. Les deux dimensions doivent cohabiter et coexister en harmonie.
L'Islam n'a jamais renié les langues locales, tout en poursuivant ses conquêtes religieuses. Des pays asiatiques, tels que l'Iran, Afghanistan, Indonésie, ont été islamisés sans perdre leur langue(s) autochtone(s). Notre intervention concerne la mise en rapport langue amazighe, arabisation et mondialisation. La langue, même minorée, est le véhicule d'un ensemble de valeurs symboliques. Nous allons donc essayer de voir quelle place est accordée à une langue minorée comme tamazight.
II. Situation de tamazight:
Une première remarque concerne les ethnonymes berbère et Chlouh et son dérivé tachelhit. L.-J. Calvet (1974: 57) affirme dans son ouvrage Linguistique et colonialisme que certains ethnonymes comme Nigeria, Niger, Cameroun et Soudan sont des dénominations
péjoratives données par le colonisateur. Concernant l'ethnonyme berbère, Vicychl (1989: 85-86) affirme qu'«il serait plus correct d'appeler les Berbères par leur propre nom, à savoir Amazigh, au pluriel Imazighen, c'est-à-dire les hommes libres ou les nobles, car le nom de Barbari s'appliquait dans l'Antiquité aux peuples qui ne parlaient ni le grec, ni le latin (latin Barbarus, pl. Barbari). Aussi des peuples qui possédaient une haute civilisation, comme les Egyptiens, les Babyloniens, les Perses étaient des Barabari aux yeux des Romains parce qu'ils ne parlaient pas le latin». Quant à l'ethnonyme chleuh d'origine arabe, comme Soudan, signifie «bandit, coupeur de routes qui déshabille les passants» (Cf. Ibn Manطur 1994: 200, t. 2). Cette remarque se justifie par l'emploi de l'adjectif en langue arabe: toute agression taxée de sauvage ou de criminelle - comme le massacre des Palestiniens par les Sionistes - est immanquablement suivie de l'adjectif barbari , terme donc bi-sémique; il signifie sauvage; il est forcément lié à une ethnie.
Une seconde remarque concerne la dichotomie langue / dialecte. D'un point de vue strictement linguistique, la langue et le dialecte sont des moyens de communication, la différence réside au niveau de son statut politique et de sa valeur sociale. Tamazight est une langue et non dialecte puisqu'elle ne provient pas d'une autre langue-mère; ayant ses propres lois internes, elle jouit d'autonomie; elle est vivante; elle a un ancrage historique; exclusivement orale, elle n'est pas une langue scripturaire. L'arabe classique a une profondeur historique, elle est autonome et écrite mais elle n'est pas parlée au quotidien, par la masse. L'arabe dialectal a une histoire, elle est parlée par la masse, dans la vie courante, elle n'est pas autonome, c'est un meelting-pot tamazight - arabe classique, elle n'est pas écrite (Cf. Boukous 1974). Essayons tout d'abord de définir la langue amazighe dans l'espace et dans le temps.
Cadre géolinguistique de la langue amazighe:
La langue amazighe couvre un domaine immense; elle se répartit en 3 grandes familles: Zenata, Senhaja et Masmouda. C'est la langue de l'identité maghrébine en général. L'aire amazighe s'étend tout au long de la rive Ouest de la Méditerranée méridionale et englobe
une dizaine de pays: le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, la Libye et l'oasis de Siwa (Egypte-ouest), et d'autres pays comme la Mauritanie, le Mali, le Niger et le Burkina - Faso (soit une superficie de plusieurs milliers de kilomètres carrés). Les Iles Canaries en faisaient partie, la toponymie fait foi; les Guanaches ont des revendications identitaires. A l'immensité de l'aire amazighe correspond une unité profonde de la langue malgré la diversité des parlers. Basset (1929: 23) fait une estimation formulée en terme de «poussière de parlers» allant de 4000 à 5000 (1959: 4) et de 300 dialectes (Ibid. p. 23).
Il y a lieu de signaler la présence de trois variétés régionales (ou géolectes): tarifit au nord, tamazight au centre (Moyen et Haut-Atlas) et tassoussit, au sud du pays, comprenant la partie méridionale du Haut-Atlas, tout l'Anti-Atlas jusqu'à l'Océan
Atlantique. L. Galand (1988: 207) nous dit que «Avant l'arrivée des Arabes en Afrique du Nord, le berbère occupait le domaine d'un seul tenant». Le nombre de locuteurs amazighophones varie d'un pays à l'autre. Les données du recensement de la population ne sont jamais explicites. Néanmoins, on peut donner quelques indications approximatives: Selon A. Boukous (1999: 62), «l'arabe dialectal est parlé par 70 à 80%, l'amazighe par 45 à 55% , l'arabe standard par 10 à 20 %, le français 10 à 20 %»; ces chiffres donnés à titre indicatif, soit une évaluation quantitative variant entre 13,5 et 16,5 millions de locuteurs amazighiphones pour le Maroc. L'Algérie vient après le Maroc quant au nombre de locuteurs. La Kabylie représente, à elle seule, les deux-tiers des amazighophones (6 à 7 millions). Autres variétés: la Chaouia des Aurès (1 million), le Mzab (Ghardaïa), Ouargla et le touareg. Cette variété est attestée dans plusieurs Etats dont le nombre dlocuteurs atteint un million. On connaît par ailleurs la politique de décimination à laquelle sont soumis les Touaregs. Les locuteurs amazighophones en d'autres pays (Libye,
Mali, Nigeria et Haute-volta se comptent par dizaines de milliers; Tunisie: 1% ; Iles Canaries : 0 % (Cf. Chaker 1990 : 238-9). Les amazighophones, souvent analphabètes, mènent la vie dure et sont livrés à eux-mêmes; ils sont confinés dans le monde rural; privés d'une infrastructure de première nécessité (eau, électricité, routes.), ils affluent également vers les grandes métropoles: Tanger, Tétouan, Oujda, Casa, Fès, Meknès, Marrekech, Alger, Oran, Constantine.
La situation de tamazight n'est plus ce qu'elle fut. La carte de l'amzighphonie, telle une peau de chagrin, s'est rétrécie au fil du temps. Cernée par l'arabe, tamazight se présente sous forme d'archipels dont les liens subsistent en profondeur: les structures syntaxiques et lexicales sont homogènes de manière générale; même si le lexique présente un fonds commun et une diversité due au relief géographique, au mode de vie et à la culture.
Historique: Si l'existence des Imazighen est arrêtée à 33 siècles par M. Chafiq (1989), Vicychl (1989: 85 - 86), quant à lui, démontre, arguments archéologiques à l'appui que leur Histoire étend sur cinquante siècles; il conclut que«l'histoire des Imazighen ou Berbères commence au seuil même de l'histoire égyptienne, vers 3000 avant J.-C., et non tardivement avec les Grecs et les Romains ou encore avec les Arabes». Donc à l'immensité de l'étendue géographique s'ajoute la profondeur historique qui sont le propre de tamazight. Langue séculaire mais exclusivement orale, elle a subi des sévices étant donné qu'elle n'a jamais eu d'existence autonome. Compte tenu de ces données, nous allons nous interroger sur son avenir. Mais avant d'en venir à la mondialisation proprement dite, essayons de voir ce qu'il en a de la langue amazighe en contact avec l'arabisation.
Ce concept referme l'idée d'expansion linguistique et d'hégémonie qu'on trouve dans le mot mondialisation. Une mise au point sémantique est possible pour un rapprochement entre les deux concepts. Si le terme mondialisation est sémantiquement analysable en sèmes, unités minimales de signification, comme chaise: siège + pour s'asseoir + pieds + dossier,
L'arabisation et la mondialisation sont dotés de sèmes communs comme hégémonie et substitution d'une langue à une autre; donc l'arabisation est, par anachronisme, un autre aspect de la mondialisation bien que cette dernière soit elle aussi, victime de la mondialisation, malgré la différence de statut.
III.Arabisation et mondialisation: une même convergence glottophagique:
Rappelons que tamazight n'a jamais eu une existence autonome depuis l'Antiquité: une présence de substrats linguistiques tels que le latin, le punique, l'arabe, le français et l'espagnol se manifeste sur le plan lexical. L'isolement et le manque de contact, la disparité des reliefs, la diversité des cultures locales, et des régimes politiques mis en place des différents Etats, convergent vers une accentuation des écarts sur le plan linguistique.
Arabisation: Il y a lieu de distinguer islamisation et arabisation, deux concepts différents mais intimement liés ( Cf. G.تCamps 1997: 49). L'islamisation est un concept religieux qui relève du sacré et qui ne condamne pas la diversité linguistique; tandis que l'idéologie
panarabe est négatrice de la pluralité linguistique et culturelle, en tous cas dans les pays du Maghreb, devenu Maghreb arabe. Selon G.-H. Bousquet, le processus de l'arabisation peut être appréhendé de deux façons possibles: (i) par le rétrécissement de l'aire amazighophone, (ii) par l'exode des Imazighen vers les centres urbains; assimilés, ils adoptent l'arabe marocain comme moyen de communication. L'arabisation est un processus qui s'étend sur des siècles; elle est causée par les tribus arabes Banu Hilal et Maâqil «berbères arabisés ». Ils se sont adonnés au pillage du pays mis à feu et sang. IbnKhaldoun cité par Bousquet (1974: 59) parle de ces tribus «semblables à une armée de sauterelles, ils détruisaient tout sur leur passage». M. Chafik (1989: 86-100) distingue 4 étapes d'arabisation: les deux premières, liées à l'islamisation, se caractérisent par la lenteur et la spontanéité, l'appel à la prière et le sermon du vendredi étaient prononcés en tamazight. Le monarque almoravide Youssef Ibn Tachfine (1061-1107) ne savait aucun mot de l'arabe, était intégralement amazighophone. (le règne des Almoravides a duré de la
fin du IXème jusqu'au début XIIème siècle). La 2ème étape de l'arabisation a eu lieu sous
l'instigation directe du roi Almohade, Abd-el-Moumen (1130-1163) qui a fait appel à des tribus arabes qui ont sillonné le Maroc en long et en large; des tribus amazighes marocaines ont été arabisées. L'arabe fut utilisée comme langue officielle pour la correspondance administrative (Cf. Chafik: 1991: 64). L'arabisation a commencé a atteindre les centres urbains sous le règne des Mérinides (XIIIème -XVème siècle.) avec l'implantation d'écoles. Des monarques marocains alaouites tels que Mohammed ben Abdallah (1757-1790) et Hassan 1er (1873-1994) maîtrisaient tamazight et s'adressaient aux tribus non arabisées dans leur langue d'origine, il y a un peu plus d'un siècle. La 3ème étape d'arabisation (1912-1955) est liée la résistance armée contre l'occupant: elle provient du contact des combattants amazighs avec les citadins, et du brassage des ethnies. Encore faut-il ajouter l'obédience idéologique panarabe importée d'Orient qui a fait tache d'huile au sein de la société maghrébine, et la promulgation, en1930, du Dahir berbère décrété par le Protectorat français qui a contribué à stigmatiser la scission entre les ethnies; le Mouvement National (citadin) a saisi l'occasion pour jeter l'anathème sur ce dahir machiavélique et a attisé le feu afin d'embraser l'ardeur des citoyens et les inciter à rejeter la référence amazighe; seule la référence arabe est considérée comme légitime.
L'amazighité, selon la vision panarabe, est une menace pour l'unité nationale. Cette exclusion va être concrétisée par l'implantation d'écoles privées pour l'apprentissage de la langue arabe dans les milieux urbains, l'enseignement de la langue arabe s'en trouve renforcée. Cette politique a eu pour conséquences le reniement des origines amazighes chez certaines familles et l'affiliation à une généalogie arabe factice faisant référence à l'arabité, à l'invention d'arbres généalogiques d'obédience arabe crées de toutes pièces. Ainsi l'on voit certains amazighs se réclamer de chorfas d'ascendance sacrée. Nous voyons donc qu'il s'agit de l'intrication de deux dimensions amalgamées: la dimension religieuse est exploitée au profit de l'idéologie panarabe. Les fonctions de la langue arabe sont limitées à la liturgie et à la littérature. Le slogan du panarabisme est hissé par les ténors du parti de l'Istiqlal au détriment de la majorité écrasant du peuple.
la 4ème et dernière phase d'arabisation se caractérise par une accélération progressive dont les objectifs sont clairs, précis et bien défini au lendemain de l'indépendance. Quatre principes président à cette nouvelle politique linguistique: unification, arabisation, généralisation et marocanisation (Cf. M. Chafik 1989: 94-95 et A. Boukous 1999: 65). Cette politique linguistique est menée dans un but idéologique d'arabiser les apprenants de la plèbe; tandis que les fils de l'élite ont accès aux écoles étrangères. M. Boudhan (1995: 9-26) voit dans la politique d'arabisation «un subterfuge pour préserver les privilèges de classe». A. Boukous (1999: 133) parle du paradoxe de l'arabisation pour la masse d'un côté et d'accès aux écoles européennes et / étrangères (M.U.C.F., école espagnole, école américaine) privées et payantes réservées aux fils des notables. L'auteur (1999: 103 et 133) affirme que «le recours à l'enseignement étranger, notamment français, apparaît ainsi comme une des conditions de la sélection sociale». Donc, l'arabisation n'est qu'un leurre, c'est un choix linguistique qui a des soubassements idéologiques. Nous assistons à une arabisation pour une classe moyenne ou même pauvre et à un enseignement des langues étrangères pour l'élite pour une meilleure ascension sociale; alors que la plupart des Imazighen (montagnards ou campagnards) stagnent dans l'analphabétisme et tout ce qui s'en suit. On constate alors une certaine lenteur du processus d'arabisation durant douze siècles révolus, face à une vitesse de croisière entamée dans la seconde moitié du 20ème siècle . Il découle de cet état de choses que les deux langues ont coexisté ensemble. Mais cette coexistence millénaire n'est pas la même qu'auparavant. Au début, tamazight était une langue intégrante. Mais depuis l'indépendance et à cause de la scolarisation et l'expansion des mass-média (radio et télévision surtout), la langue amazighe est devenue intégrée et soumises aux aléas de l'Histoire; elle prend du recul par rapport à l'arabe dialectal qui fait tache d'huile. Tamazight et l'arabe entretiennent une relation double et complexe: l'appartenance génétique à la famille chamito-sémétique et la coexistence millénaire