Les Marocains ont réservé un accueil largement favorable à la nouvelle Constitution. Toute crainte de contagion du “Printemps arabe” semble écartée.
Ce référendum du 1er juillet 2011 est évidemment un acte fort dans la construction démocratique à l’ordre du jour. Nul doute que le projet de Constitution rendu public le 17 juin 2011 par S.M le Roi Mohammed VI sera largement plébiscité par le peuple marocain, on attend donc un “oui franc et massif ”, mais on scrutera aussi, avec autant d’intérêt, ses résultats et en particulier le taux de participation. Fini le temps des 99% de oui “soviétiques”: voici l’ère de la transparence et de la prise en compte des réalités telles qu’en elles-mêmes. Comment en est-on arrivé, par-delà cette consultation référendaire, à un tel processus? D’une autre manière, quel processus a conduit à cette “voie marocaine”, présentée au dedans et au dehors commeexemplaire dans l’aire maghrébine et arabe? Ya-t-il vraiment une spécificité, voire une exception, marocaine? Et enfin, pourquoi?
Tsunami revendicatif On s’en souvient, l’alerte avait été chaude dans la région à la fin de l’année écoulée, puis tout au long du premier semestre de 2011. L’étincelle? On la doit à l’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi, le 17 décembre 2010, dans la ville tunisienne de Sidi Bouzid. La Tunisie, pourtant soumise à un joug sécuritaire de plus en plus marqué durant la présidence Ben Ali depuis 1987, s’enflamme. Le régime s’effondre avec la fuite du chef d’Etat le 14 janvier 2011. La lame de fond s’étend à l’Egypte et voilà que les centaines de milliers de manifestants qui ont occupé durant dix-huit jours la Place Attahrir, au centre du Caire, obtiennent eux aussi gain de cause: ce que les Tunisiens ont obtenu, pourquoi les Egyptiens ne l’auraient pas, à savoir la chute du président Moubarak?
Sous d’autres latitudes, le tsunami se prolonge avec des répliques, pourrait-on dire, en Algérie, au Yémen, en Syrie, en Libye et, enfin, au Maroc. Si l’on devait risquer une première typologie des effets de ce que l’on a appelé “le Printemps arabe”, on pourrait présenter trois schémas. Le premier est celui de la Tunisie et de l’Egypte, sanctionné par la chute des présidents en exercice. Une opération qui s’est déroulée pratiquement en quatre semaines. L’autre cas de figure regarde des pays où l’insurrection populaire se poursuit –comme en Libye, en Syrie et au Yémen– sans que les dirigeants mis en cause n’aient été déchus.
Une situation fortement déstabilisée où la répression sanglante est quotidienne et qui risque de connaître un palierde plusieurs semaines, voire de plusieurs mois, sans qu’une sortie de crise ne s’impose. Des facteurs régionaux et internationaux pèsent de tout leur poids d’ailleurs pour faire perdurer cette situation dans l’équation politique intérieure. L’Algérie de Bouteflika était entrée dans ce schéma au cours du mois de février, mais avec un niveau de violence de basse intensité. On dira que c’est une variante “soft” sauf à préciser que, pour des raisons propres à ce pays, il est fortement improbable que les précédents tunisien ou égyptien s’y reproduisent.
Prédictions catastrophistes Avec le Maroc, on a eu affaire à un troisième schéma. La contestation au mois de février –couronnée le dimanche 20– s’est inscrite dans l’onde de choc initiée quelques semaines auparavant en Tunisie puis en Egypte. Elle a mobilisé des centaines de milliers de personnes dans le Royaume et elle a présenté un caractère national attesté par la géographie des lieux. De quoi nourrir, ici et là, un climat alarmiste adossée à des prédictions pour le moins catastrophistes. Les pouvoirs publics ont pris l’exacte mesure des risques de ce spasme.
Mais comment y faire face? Problématique démocratique Les manifestations ont enregistré des débordements qui se sont traduits par des actes de vandalisme ainsi que par des agressions contre des personnes et des atteintes aux biens. L’ordre public devait être rétabli et garanti mais avec mesure et retenue. L’appareil sécuritaire a reçu pour directives d’éviter la répression aveugle à la tunisienne ou à l’égyptienne et de ne pas faire couler le sang.
Des flottements sont apparus dans l’entrée en action de certains dispositifs locaux. Mais, globalement, cette mauvaise passe porteuse de tous les dangers, a pu être surmontée grâce au discours historique du Roi, le 9 mars 2011. Auxslogans du Mouvement du 20 Février, mélangeant pêle-mêle des thèmes comme la dignité, la démocratie, l’emploi, la lutte contre la corruption et des réformes, le Souverain a axé son discours sur les axes d’une nouvelle Constitution.
Il a ainsi repris la main en s’attelant à une problématique démocratique de fond: un nouveau visage du Maroc. Non pas un toilettage cosmétique pouvant faire illusion mais une véritable refonte du système institutionnel, issu de la Constitution de 1996. La méthodologie adoptée pour l’élaboration de la nouvelle Constitution retient également l’intérêt par son caractère novateur. Alors qu’il aurait pu, de son propre chef, prendre seul l’initiative de la révision constitutionnelle –comme l’y autorise l’article 103– en la soumettant directement au référendum, le Roi opte pour une formule combinant, d’un côté, une commission consultative formée d’une vingtaine de juristes et de militants des droits de l’Homme et, de l’autre côté, un mécanisme de suivi et de concertation présidé par l’un de ses conseillers.
Une Constitution consensuelle Tous les acteurs politiques, syndicaux, professionnels et associatifs ont été entendus lors des trois mois de préparation du projet constitutionnel. Cette procédure n’est ni celle d’une assemblée constituante –laquelle était sans objet d’ailleurs parce qu’il ne s’agissait pas de substituer un nouvel “ordre” à celui en place– ni celle d’une constitution octroyée par le “bon plaisir du Roi”.
Elle a offert un cadre informel de concertation et de délibération où les amendements n’ont pas manqué, même lors des tout derniers jours de finalisation du projet; on pense notamment au rejet du terme “liberté de croyance”, et à l’adoption de la formulation “l’Islam religion d’Etat” au lieu de “le Maroc, pays musulman”…
Au final, une Constitution consensuelle à telle enseigne que les partis de l’ancienne opposition historique (USFP, Istiqlal et PPS) ont souligné que leurs propositions et leurs revendications avaient été très largement prises en compte. Et seuls le Mouvement du 20 Février, la CDT de Noubir Amaoui et le “front du refus”, formé de quatre partis de gauche ou d’extrême gauche (le PSU, le PADS, Annahj Adimocratie et le CNI) se sont prononcés pour le “non” ou le boycott du référendum du 1er juillet. Dès le discours royal du 9 mars 2011, s’est opérée une décompression du climat politique. Le Roi n’était-il pas allé au-devant et même plus loin que les mots d’ordre du 20 Février?
Dès lors, la contestation avait-elle de sérieuses raisons de continuer? “Exceptionnalisme” marocain Elle a pourtant persisté, mais sans pouvoir monter en puissance et promouvoir ses capacités de mobilisation. Et puis, elle péchait par certains paramètres rédhibitoires: absence de leadership, confusion des mots d’ordre axés sur la dénonciation de personnes et sur des réformes politiques vagues et imprécises, aucun contre-projet alternatif lisible et mobilisateur, sans oublier une instrumentalisation d’un élan généreux au départ par des groupes tant de l’extrême gauche que de l’association islamiste Al Adl Wal Ihsane, du cheikh Abdesslam Yacine, tous deux prompts à s’engouffrer dans un mouvement social qui s’était déclenché sans eux.
D’où, par étapes successives, un Mouvement du 20 Février “mutant”, passant même, de manière échevelée, de revendications de dignité et de changement à d’autres nettement politisées. Paradoxe ou ironie de l’Histoire? Plus il se politisait et moins il mobilisait, accusant ainsi une déflation progressive nourrie par l’autre Mouvement, pourrait-on dire, celui du 9 Mars, dont le couronnement est le référendum sur la nouvelle Constitution du vendredi 1er juillet. Voilà bien un traitement singulier d’un “printemps”, pourtant lié au Printemps arabe et qui a paru se déployer suivant des modalités éligibles à la même vague contestataire mais qui change de nature et de finalité dès les premières semaines.
Une situation qui conduit à se poser des questions sur les raisons de ce qu’il faut bien appeler “l’exceptionnalisme” marocain. La contestation reste gérable Schématiquement, on peut identifier au moins cinq facteurs qui ont poussé dans ce sens et qui donnent à la contestation dans le Royaume un label “made in Morocco” significatif d’un mode de production sociale et politique. Le premier d’entre eux a trait à l’existence et même à l’extension des espaces de liberté.
Même sous le précédent règne, ce champ existait, avec des hauts et des bas suivant les conjonctures. Avec le nouveau règne, l’option résolument démocratique –même avec des “bavures” contreproductives– s’est imposée dans le champ social et politique.
Le manifestant existe, il a un droit respecté, sinon toléré. Même une association islamiste comme Al Adl Wal Ihsane bénéficie de ce statut de tolérance qui lui permet d’être partie prenante dans la vie sociale et politique. En 2009, l’on a recensé 90 mouvements sociaux dans le Royaume; en 2010, ils ont atteint 1.300 –en Algérie, la même année, on en a décompté plus de 10.000.
La contestation sociale reste à un niveau gérable comme elle peut l’être; dans le pays voisin, elle s’apparente au rejet et à la délégitimation d’un “ordre” antipopulaire, clientéliste et mafieux. La répression a minima Un autre trait regarde la politique de préservation de l’ordre public. Lors du demi-siècle écoulé, de graves répressions ont ponctué cette période (mars 65 puis juin 1981 à Casablanca; janvier 1984 au Nord; décembre 1990 à Fès). Mais ces actes étaient dictés, aux yeux des pouvoirs publics, par les exigences de rétablissement de la sécurité publique face à des émeutes.
Depuis une vingtaine d’années, la politique sécuritaire s’emploie à être mieux déclinée suivant les situations: le “tout répressif” n’est plus jugé comme l’expression d’une politique conséquente et efficace, c’est a minima que le recours à la force est utilisé. On l’a vu, lors des événements de Gdim Izik du 8 novembre 2010 près de Laâyoune où les forces de l’ordre ont fait montre d’une exceptionnelle retenue face à des manifestants encadrés par des séparatistes –elles ont d’ailleurs payé le lourd tribut de huit morts et d’une quarantaine de blessés. On est aux antipodes du modèle tunisien, égyptien, syrien ou libyen!
Le troisième facteur explicatif procède sans doute de la culture de la négociation et du compromis, tellement prégnante dans le comportement des acteurs. Le “logiciel” marocain accorde en effet une place de choix à ce mode de règlement des différends et des conflits. La rupture et la répression ne sont que des épisodes de crispation cristallisant à un moment une nouvelle donne dans un système davantage articulé sur le contact, les bons offices et les négociations informelles par de multiples canaux. Et le pouvoir et l’opposition excellent dans cette méthodologie: elle est structurante dans la culture sociale et politique.
La trame des solidarités sociales Une autre clé d’interprétation et d’intelligibilité tient à la spécificité du tissu social. Sa texture reste vivace. Malgré la diversité des cultures locales et les particularismes régionaux, la trame des solidarités pèse de tout son poids. La contestation ne divise pas la société en clans ou en minorités séparatistes, qu’elles soient tribales (Libye) ou communautaristes (Syrie) pour ne citer que ces deux pays. De plus, après la séquence historique d’un Etat unificateur et centralisateur depuis l’indépendance, la physiologie sociale va marquer un saut qualitatif avec la nouvelle régionalisation, encore un nouvel espace d’expression confortant les liens de solidité et de solidarité.
Enfin, ce dernier paramètre n’est pas le moins significatif: celui de la place et du rôle de la monarchie. Sa centralité est établie et institutionnalisée depuis des siècles. Depuis l’indépendance, par-delà les conjonctures, le Roi est et demeure l’instance capitale de référence. La légitimité de l’institution monarchique est structurante dans le système politique. Place et rôle de la monarchie Avec le nouveau règne, l’objectif est d’arriver à bâtir et à conforter une monarchie citoyenne axée sur le statut démocratique des citoyens, sur la consolidation des libertés et de l’Etat de droit et sur une vision de société.
Des aspirations populaires profondes se sont exprimées à cet égard. Celles-ci ont été relayées par les jeunes du Mouvement 20 Février et elles sont largement traduites dans la nouvelle Constitution. C’est un projet de société à édifier. Le cap est fixé. Il reste à oeuvrer pour optimiser les conditions de réalisation de ce vaste chantier d’avenir. Telle est donc l’exception marocaine: un principe de légitimité consensuelle autour de la monarchie, des formes de compétition, voire de contestation régies par des méthodes d’action et des codes culturels, un ordre social avec un maillage serré, sans oublier l’attachement à une certaine pratique politique tranchant avec les méthodes éradicatrices et sanguinaires d’autres pays de l’espace arabe.
Une médication d’adhésion et une posologie opératoire: n’est-ce pas le bon choix et le modèle emblématique? Le discours royal du 9 mars et le nouveau projet de Constitution soumis à référendum le vendredi 1er juillet témoignent d’un acte fondateur du règne de S.M Mohammed VI. Il a compris ce qui était en jeu, il a osé aller encore plus loin. Il a fait sienne cette observation de Henry Kissinger dans sa thèse sur le Congrès de Vienne: «lorsque la révolution est en marche, ce qui est important; c’est de se placer à sa tête…»
Source;.maroc-hebdo
Ce référendum du 1er juillet 2011 est évidemment un acte fort dans la construction démocratique à l’ordre du jour. Nul doute que le projet de Constitution rendu public le 17 juin 2011 par S.M le Roi Mohammed VI sera largement plébiscité par le peuple marocain, on attend donc un “oui franc et massif ”, mais on scrutera aussi, avec autant d’intérêt, ses résultats et en particulier le taux de participation. Fini le temps des 99% de oui “soviétiques”: voici l’ère de la transparence et de la prise en compte des réalités telles qu’en elles-mêmes. Comment en est-on arrivé, par-delà cette consultation référendaire, à un tel processus? D’une autre manière, quel processus a conduit à cette “voie marocaine”, présentée au dedans et au dehors commeexemplaire dans l’aire maghrébine et arabe? Ya-t-il vraiment une spécificité, voire une exception, marocaine? Et enfin, pourquoi?
Tsunami revendicatif On s’en souvient, l’alerte avait été chaude dans la région à la fin de l’année écoulée, puis tout au long du premier semestre de 2011. L’étincelle? On la doit à l’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi, le 17 décembre 2010, dans la ville tunisienne de Sidi Bouzid. La Tunisie, pourtant soumise à un joug sécuritaire de plus en plus marqué durant la présidence Ben Ali depuis 1987, s’enflamme. Le régime s’effondre avec la fuite du chef d’Etat le 14 janvier 2011. La lame de fond s’étend à l’Egypte et voilà que les centaines de milliers de manifestants qui ont occupé durant dix-huit jours la Place Attahrir, au centre du Caire, obtiennent eux aussi gain de cause: ce que les Tunisiens ont obtenu, pourquoi les Egyptiens ne l’auraient pas, à savoir la chute du président Moubarak?
Sous d’autres latitudes, le tsunami se prolonge avec des répliques, pourrait-on dire, en Algérie, au Yémen, en Syrie, en Libye et, enfin, au Maroc. Si l’on devait risquer une première typologie des effets de ce que l’on a appelé “le Printemps arabe”, on pourrait présenter trois schémas. Le premier est celui de la Tunisie et de l’Egypte, sanctionné par la chute des présidents en exercice. Une opération qui s’est déroulée pratiquement en quatre semaines. L’autre cas de figure regarde des pays où l’insurrection populaire se poursuit –comme en Libye, en Syrie et au Yémen– sans que les dirigeants mis en cause n’aient été déchus.
Une situation fortement déstabilisée où la répression sanglante est quotidienne et qui risque de connaître un palierde plusieurs semaines, voire de plusieurs mois, sans qu’une sortie de crise ne s’impose. Des facteurs régionaux et internationaux pèsent de tout leur poids d’ailleurs pour faire perdurer cette situation dans l’équation politique intérieure. L’Algérie de Bouteflika était entrée dans ce schéma au cours du mois de février, mais avec un niveau de violence de basse intensité. On dira que c’est une variante “soft” sauf à préciser que, pour des raisons propres à ce pays, il est fortement improbable que les précédents tunisien ou égyptien s’y reproduisent.
Prédictions catastrophistes Avec le Maroc, on a eu affaire à un troisième schéma. La contestation au mois de février –couronnée le dimanche 20– s’est inscrite dans l’onde de choc initiée quelques semaines auparavant en Tunisie puis en Egypte. Elle a mobilisé des centaines de milliers de personnes dans le Royaume et elle a présenté un caractère national attesté par la géographie des lieux. De quoi nourrir, ici et là, un climat alarmiste adossée à des prédictions pour le moins catastrophistes. Les pouvoirs publics ont pris l’exacte mesure des risques de ce spasme.
Mais comment y faire face? Problématique démocratique Les manifestations ont enregistré des débordements qui se sont traduits par des actes de vandalisme ainsi que par des agressions contre des personnes et des atteintes aux biens. L’ordre public devait être rétabli et garanti mais avec mesure et retenue. L’appareil sécuritaire a reçu pour directives d’éviter la répression aveugle à la tunisienne ou à l’égyptienne et de ne pas faire couler le sang.
Des flottements sont apparus dans l’entrée en action de certains dispositifs locaux. Mais, globalement, cette mauvaise passe porteuse de tous les dangers, a pu être surmontée grâce au discours historique du Roi, le 9 mars 2011. Auxslogans du Mouvement du 20 Février, mélangeant pêle-mêle des thèmes comme la dignité, la démocratie, l’emploi, la lutte contre la corruption et des réformes, le Souverain a axé son discours sur les axes d’une nouvelle Constitution.
Il a ainsi repris la main en s’attelant à une problématique démocratique de fond: un nouveau visage du Maroc. Non pas un toilettage cosmétique pouvant faire illusion mais une véritable refonte du système institutionnel, issu de la Constitution de 1996. La méthodologie adoptée pour l’élaboration de la nouvelle Constitution retient également l’intérêt par son caractère novateur. Alors qu’il aurait pu, de son propre chef, prendre seul l’initiative de la révision constitutionnelle –comme l’y autorise l’article 103– en la soumettant directement au référendum, le Roi opte pour une formule combinant, d’un côté, une commission consultative formée d’une vingtaine de juristes et de militants des droits de l’Homme et, de l’autre côté, un mécanisme de suivi et de concertation présidé par l’un de ses conseillers.
Une Constitution consensuelle Tous les acteurs politiques, syndicaux, professionnels et associatifs ont été entendus lors des trois mois de préparation du projet constitutionnel. Cette procédure n’est ni celle d’une assemblée constituante –laquelle était sans objet d’ailleurs parce qu’il ne s’agissait pas de substituer un nouvel “ordre” à celui en place– ni celle d’une constitution octroyée par le “bon plaisir du Roi”.
Elle a offert un cadre informel de concertation et de délibération où les amendements n’ont pas manqué, même lors des tout derniers jours de finalisation du projet; on pense notamment au rejet du terme “liberté de croyance”, et à l’adoption de la formulation “l’Islam religion d’Etat” au lieu de “le Maroc, pays musulman”…
Au final, une Constitution consensuelle à telle enseigne que les partis de l’ancienne opposition historique (USFP, Istiqlal et PPS) ont souligné que leurs propositions et leurs revendications avaient été très largement prises en compte. Et seuls le Mouvement du 20 Février, la CDT de Noubir Amaoui et le “front du refus”, formé de quatre partis de gauche ou d’extrême gauche (le PSU, le PADS, Annahj Adimocratie et le CNI) se sont prononcés pour le “non” ou le boycott du référendum du 1er juillet. Dès le discours royal du 9 mars 2011, s’est opérée une décompression du climat politique. Le Roi n’était-il pas allé au-devant et même plus loin que les mots d’ordre du 20 Février?
Dès lors, la contestation avait-elle de sérieuses raisons de continuer? “Exceptionnalisme” marocain Elle a pourtant persisté, mais sans pouvoir monter en puissance et promouvoir ses capacités de mobilisation. Et puis, elle péchait par certains paramètres rédhibitoires: absence de leadership, confusion des mots d’ordre axés sur la dénonciation de personnes et sur des réformes politiques vagues et imprécises, aucun contre-projet alternatif lisible et mobilisateur, sans oublier une instrumentalisation d’un élan généreux au départ par des groupes tant de l’extrême gauche que de l’association islamiste Al Adl Wal Ihsane, du cheikh Abdesslam Yacine, tous deux prompts à s’engouffrer dans un mouvement social qui s’était déclenché sans eux.
D’où, par étapes successives, un Mouvement du 20 Février “mutant”, passant même, de manière échevelée, de revendications de dignité et de changement à d’autres nettement politisées. Paradoxe ou ironie de l’Histoire? Plus il se politisait et moins il mobilisait, accusant ainsi une déflation progressive nourrie par l’autre Mouvement, pourrait-on dire, celui du 9 Mars, dont le couronnement est le référendum sur la nouvelle Constitution du vendredi 1er juillet. Voilà bien un traitement singulier d’un “printemps”, pourtant lié au Printemps arabe et qui a paru se déployer suivant des modalités éligibles à la même vague contestataire mais qui change de nature et de finalité dès les premières semaines.
Une situation qui conduit à se poser des questions sur les raisons de ce qu’il faut bien appeler “l’exceptionnalisme” marocain. La contestation reste gérable Schématiquement, on peut identifier au moins cinq facteurs qui ont poussé dans ce sens et qui donnent à la contestation dans le Royaume un label “made in Morocco” significatif d’un mode de production sociale et politique. Le premier d’entre eux a trait à l’existence et même à l’extension des espaces de liberté.
Même sous le précédent règne, ce champ existait, avec des hauts et des bas suivant les conjonctures. Avec le nouveau règne, l’option résolument démocratique –même avec des “bavures” contreproductives– s’est imposée dans le champ social et politique.
Le manifestant existe, il a un droit respecté, sinon toléré. Même une association islamiste comme Al Adl Wal Ihsane bénéficie de ce statut de tolérance qui lui permet d’être partie prenante dans la vie sociale et politique. En 2009, l’on a recensé 90 mouvements sociaux dans le Royaume; en 2010, ils ont atteint 1.300 –en Algérie, la même année, on en a décompté plus de 10.000.
La contestation sociale reste à un niveau gérable comme elle peut l’être; dans le pays voisin, elle s’apparente au rejet et à la délégitimation d’un “ordre” antipopulaire, clientéliste et mafieux. La répression a minima Un autre trait regarde la politique de préservation de l’ordre public. Lors du demi-siècle écoulé, de graves répressions ont ponctué cette période (mars 65 puis juin 1981 à Casablanca; janvier 1984 au Nord; décembre 1990 à Fès). Mais ces actes étaient dictés, aux yeux des pouvoirs publics, par les exigences de rétablissement de la sécurité publique face à des émeutes.
Depuis une vingtaine d’années, la politique sécuritaire s’emploie à être mieux déclinée suivant les situations: le “tout répressif” n’est plus jugé comme l’expression d’une politique conséquente et efficace, c’est a minima que le recours à la force est utilisé. On l’a vu, lors des événements de Gdim Izik du 8 novembre 2010 près de Laâyoune où les forces de l’ordre ont fait montre d’une exceptionnelle retenue face à des manifestants encadrés par des séparatistes –elles ont d’ailleurs payé le lourd tribut de huit morts et d’une quarantaine de blessés. On est aux antipodes du modèle tunisien, égyptien, syrien ou libyen!
Le troisième facteur explicatif procède sans doute de la culture de la négociation et du compromis, tellement prégnante dans le comportement des acteurs. Le “logiciel” marocain accorde en effet une place de choix à ce mode de règlement des différends et des conflits. La rupture et la répression ne sont que des épisodes de crispation cristallisant à un moment une nouvelle donne dans un système davantage articulé sur le contact, les bons offices et les négociations informelles par de multiples canaux. Et le pouvoir et l’opposition excellent dans cette méthodologie: elle est structurante dans la culture sociale et politique.
La trame des solidarités sociales Une autre clé d’interprétation et d’intelligibilité tient à la spécificité du tissu social. Sa texture reste vivace. Malgré la diversité des cultures locales et les particularismes régionaux, la trame des solidarités pèse de tout son poids. La contestation ne divise pas la société en clans ou en minorités séparatistes, qu’elles soient tribales (Libye) ou communautaristes (Syrie) pour ne citer que ces deux pays. De plus, après la séquence historique d’un Etat unificateur et centralisateur depuis l’indépendance, la physiologie sociale va marquer un saut qualitatif avec la nouvelle régionalisation, encore un nouvel espace d’expression confortant les liens de solidité et de solidarité.
Enfin, ce dernier paramètre n’est pas le moins significatif: celui de la place et du rôle de la monarchie. Sa centralité est établie et institutionnalisée depuis des siècles. Depuis l’indépendance, par-delà les conjonctures, le Roi est et demeure l’instance capitale de référence. La légitimité de l’institution monarchique est structurante dans le système politique. Place et rôle de la monarchie Avec le nouveau règne, l’objectif est d’arriver à bâtir et à conforter une monarchie citoyenne axée sur le statut démocratique des citoyens, sur la consolidation des libertés et de l’Etat de droit et sur une vision de société.
Des aspirations populaires profondes se sont exprimées à cet égard. Celles-ci ont été relayées par les jeunes du Mouvement 20 Février et elles sont largement traduites dans la nouvelle Constitution. C’est un projet de société à édifier. Le cap est fixé. Il reste à oeuvrer pour optimiser les conditions de réalisation de ce vaste chantier d’avenir. Telle est donc l’exception marocaine: un principe de légitimité consensuelle autour de la monarchie, des formes de compétition, voire de contestation régies par des méthodes d’action et des codes culturels, un ordre social avec un maillage serré, sans oublier l’attachement à une certaine pratique politique tranchant avec les méthodes éradicatrices et sanguinaires d’autres pays de l’espace arabe.
Une médication d’adhésion et une posologie opératoire: n’est-ce pas le bon choix et le modèle emblématique? Le discours royal du 9 mars et le nouveau projet de Constitution soumis à référendum le vendredi 1er juillet témoignent d’un acte fondateur du règne de S.M Mohammed VI. Il a compris ce qui était en jeu, il a osé aller encore plus loin. Il a fait sienne cette observation de Henry Kissinger dans sa thèse sur le Congrès de Vienne: «lorsque la révolution est en marche, ce qui est important; c’est de se placer à sa tête…»
Source;.maroc-hebdo