À l'instar des groupes de Casa, Rabat et Meknès, la nouvelle scène berbère a privilégié l'autoproduction pour accéder au public. Mais, avec un avantage de taille : elle s'appuie sur le réseau de distribution large et ultraperformant des grossistes de musique amazighe.
Affluence inhabituelle au cimetière d'Anu n Âddi près de Tiznit. Les participants du colloque sur le'Haj Belaïd, tenu le week-end dernier dans le cadre de Timitar off, se recueillent sur la tombe du roi des raïss. Parmi eux, trois musiciens du groupe Amarg Fusion, un des représentants de la nouvelle scène amazighe. 60 ans après la mort du Haj Belaïd, les Amarg Fusion, Massinissa et Tafessoute, trois membres (un peu esseulés) de la chanson amazighe revisitée sont “encore dans la veine de Belaïd quant aux paroles”, explique Mohamed Khattabi, président du syndicat des musiciens pour le Souss. “Nous faisons découvrir un patrimoine aux jeunes générations grâce à des rythmes plus actuels”, surenchérit Ali Faiq d'Amarg Fusion. Mohamed Moustaoui, écrivain berbère dans la pure tradition, et se vantant souvent de son grand âge, proposera même à Amarg Fusion, lors de ce pèlerinage, de mettre en musique l'un de ses poèmes sur l'amour. La veille, ce même groupe, plutôt reggae et fusion, s'est produit avec le classique Ammouri M'barek. “Tout coulait de source sous les vivats”, constate pour sa part Mohamed El Medlaoui, chercheur à l'Institut royal de la culture amazighe (IRCAM). Dès sa première édition, le Festival Timitar a ouvert les bras aux nouveaux groupes qui commencent, depuis deux ans, à être programmés dans les fêtes officielles des wilayas et les rassemblements d'associations amazighes. Tout baigne, toutes générations confondues, près de la tombe de Belaïd. A première vue, pas de Papa Doukkali ou Belkhayat locaux, à tuer symboliquement à la façon des groupes casablancais. Est-ce pour autant la mélodie du bonheur dans le Souss ?
Des producteurs frileux
Un bémol, un, mais du type “grosse caisse” quand on fait de la musique. Etre adoubé par les gardiens de la culture amazighe ne fait pas de vous pour autant un artiste présent dans les rayonnages des disquaires berbérophones “Les producteurs de musique amazighe du Souss et de Casablanca préfèrent miser sur les valeurs sûres”, explique Mohamed Khattabi. “Ils sont suiveurs, pas producteurs”, surenchérit Jamal Oussfin, autre musicien d'Amarg Fusion qui déplore la pléthore de stars fabriquées façon produits dérivés : les bn'at Oudadene, groupe de filles castées pour surfer sur la notoriété des Oudadene, champions au box-office des ventes (près de 300 000 exemplaires vendus pour chaque nouveau disque), ou fabriquées de bric et de broc par certains producteurs de la place à la manière d'une Rotana artisanale : exemple de Omar et Bahija, un bogosse et une bogossa castés à Casa, des voix qui ne sont pas les leurs, mais succès assuré au box-office du VCD. “C'est le MTV tachelhite” achève de dresser le décor, Brahim Mazned, directeur artistique du festival Timitar. “Il n'y a pas de public pour les groupes de fusion amazighs”, se défend pour sa part Messaoud El Yazidi, président de Studiovision et producteur de Oudadene. Il juge tout cela trop “avant-garde” pour le marché de la cassette et du CD audio. “Ils auraient dû introduire leur nouvelle orchestration au fur et à mesure pour habituer le public. Pas tout d'un coup comme ça”, analyse-t-il, en hommes d'affaires. Son studio d'enregistrement, situé à Tarast entre Tiznit et Agadir, est l'un des cinq existant dans la région. Niché dans la cave d'une maison, insonorisé grâce à des cartons pour œufs, le local ne paie pas de mine. Et pourtant, c'est le dessus du panier. Dans certains studios, en plus du matériel obsolète, l'absence de climatisation impose parfois des séances de hammam inédites : “J'ai du sortir du studio un vieux raïss en nage à cause de la chaleur”, raconte, pour l'anecdote, Mohamed Khattabi. Très peu tentés par les mauvaises expériences de leurs glorieux aînés, pris entre la frilosité des producteurs, les girls-bands fabriquées et les Minny Vanilly du Souss, Amarg Fusion et consorts ont-ils une échappatoire ? La bonne vieille recette déjà rodée à Casa, Meknès et Marrakech : l'autoproduction. Mais avec un avantage de taille que ne possèdent pas les groupes des autres villes.
Des points de vente de Tanger à Lagouira
La scène amazighe peut s'appuyer sur le réseau de distribution traditionnel, très performant, des grossistes en musique amazighe. “Nous les démarchons nous- mêmes à Inezgane et au Souk Laâyoune à Casabanca pour couvrir tout le Maroc”, raconte Habou Imghrane, fondateur de la formation Imghrane. Après avoir eu un producteur classique, Imghrane a décidé de s'autoproduire et de se distribuer afin de contrôler les ventes de ses albums. “Un producteur peut vous annoncer ce qu'il veut, il n'y a pas de vérification”, ajoute Habou Imghrane qui a fait la pub pour son album à travers la presse amazighe et sur les sites berbères. “Le seul problème, c'est qu'on nous remet des bons payables selon l'écoulement de la marchandise comme pour n'importe quel produit vendu à un grossiste”, ironise Habou Imghrane. Ils ont cependant, grâce à ce procédé, vendu, pour l'heure, 20 000 exemplaires de leur dernier opus, un score plus qu'honorable comparé à des stars de la chanson amazighe qui, bénéficiant d'une campagne de communication, réalisent des ventes comprises entre 50 et 80 000 albums. On est loin des 3000 exemplaires écoulés laborieusement par les groupes casablancais. Ici le réflexe consommation de cassettes et CD audio existe chez le public. Amarg Fusion a fait de même et a sorti 10 000 exemplaires de son album distribué également par la voie des grossistes. Les producteurs classiques avantagent la cassette par rapport au CD car ce dernier est trop piraté selon Messaoud El Yazidi. Pourtant, Amarg Fusion n'a pas hésité à équilibrer la proportion cassettes/CD pour son opus. “Nous nous adressons davantage à des citadins qu'au monde rural. Il nous faut donc nous adapter aux habitudes de consommation de notre public”, explique Ali Faiq. L'album, dans sa version CD, marcherait très fort, toujours selon lui, justifiant le risque qu'a pris le groupe de se faire pirater. Contrairement à ce que pensent les producteurs de musique amazighe, il existerait donc bien un marché pour la nouvelle scène berbère. “Le public amazigh a déjà accepté le changement en faisant un accueil triomphal aux Izenzaren dans les années 70. Pourquoi pas aux nouveaux groupes en 2006 ?”, conclut Mohamed Khattabi, un président de syndicat musical davantage open-minded que ses confrères de Rabat...
Hip Hop. La berbérité, soluble dans le rap ?
Il fallait bien des jeunes pour se plaindre des vieux. Le rôle est revenu à Styl Souss, group de rap gadiri : “Le syndicat des musiciens ne fait rien pour nous aider. Pour eux, on est juste des gamins qui s'amusent”, accuse Aziz Akou, membre de la formation. Le rap du Souss, qui mélange anglais, arabe et berbère, ne trouve pas d'amateurs parmi les puristes de la langue. “Saupoudrage d'amazighité”, selon Mohamed El Medlaoui, notre chercheur à l'IRCAM. “Désir de s'adresser à tous et sortir du double ghetto rap et amazigh. Qui plus est, le flow du rap, en parlant des problèmes du quotidien, correspond sur le principe au tanddamant des raïss (composition poétique)”, rétorque Aziz Akou. La scène rap gadiri n'a qu'un véritable soutien : Brahim Mazned, qui en plus de les programmer sur la scène de Timitar, organise pour eux depuis 2001, des stages de formation dans le cadre de ses fonctions d'animateur culturel à l'IF d'Agadir. “C'est là- bas que j'ai tout appris”, déclare Idrgui Abdallah de Styl Souss, entre deux cours à l'atelier electro qui se tient en marge du Festival Timitar 2006. Styl Souss n'a cependant sorti que 1000 exemplaires de son album "Ha yy agh nucka-d" (On arrive). C'est encore trop peu pour bénéficier pleinement, comme les groupes de fusion, du réseau de distribution des grossistes de la musique amazighe.
Affluence inhabituelle au cimetière d'Anu n Âddi près de Tiznit. Les participants du colloque sur le'Haj Belaïd, tenu le week-end dernier dans le cadre de Timitar off, se recueillent sur la tombe du roi des raïss. Parmi eux, trois musiciens du groupe Amarg Fusion, un des représentants de la nouvelle scène amazighe. 60 ans après la mort du Haj Belaïd, les Amarg Fusion, Massinissa et Tafessoute, trois membres (un peu esseulés) de la chanson amazighe revisitée sont “encore dans la veine de Belaïd quant aux paroles”, explique Mohamed Khattabi, président du syndicat des musiciens pour le Souss. “Nous faisons découvrir un patrimoine aux jeunes générations grâce à des rythmes plus actuels”, surenchérit Ali Faiq d'Amarg Fusion. Mohamed Moustaoui, écrivain berbère dans la pure tradition, et se vantant souvent de son grand âge, proposera même à Amarg Fusion, lors de ce pèlerinage, de mettre en musique l'un de ses poèmes sur l'amour. La veille, ce même groupe, plutôt reggae et fusion, s'est produit avec le classique Ammouri M'barek. “Tout coulait de source sous les vivats”, constate pour sa part Mohamed El Medlaoui, chercheur à l'Institut royal de la culture amazighe (IRCAM). Dès sa première édition, le Festival Timitar a ouvert les bras aux nouveaux groupes qui commencent, depuis deux ans, à être programmés dans les fêtes officielles des wilayas et les rassemblements d'associations amazighes. Tout baigne, toutes générations confondues, près de la tombe de Belaïd. A première vue, pas de Papa Doukkali ou Belkhayat locaux, à tuer symboliquement à la façon des groupes casablancais. Est-ce pour autant la mélodie du bonheur dans le Souss ?
Des producteurs frileux
Un bémol, un, mais du type “grosse caisse” quand on fait de la musique. Etre adoubé par les gardiens de la culture amazighe ne fait pas de vous pour autant un artiste présent dans les rayonnages des disquaires berbérophones “Les producteurs de musique amazighe du Souss et de Casablanca préfèrent miser sur les valeurs sûres”, explique Mohamed Khattabi. “Ils sont suiveurs, pas producteurs”, surenchérit Jamal Oussfin, autre musicien d'Amarg Fusion qui déplore la pléthore de stars fabriquées façon produits dérivés : les bn'at Oudadene, groupe de filles castées pour surfer sur la notoriété des Oudadene, champions au box-office des ventes (près de 300 000 exemplaires vendus pour chaque nouveau disque), ou fabriquées de bric et de broc par certains producteurs de la place à la manière d'une Rotana artisanale : exemple de Omar et Bahija, un bogosse et une bogossa castés à Casa, des voix qui ne sont pas les leurs, mais succès assuré au box-office du VCD. “C'est le MTV tachelhite” achève de dresser le décor, Brahim Mazned, directeur artistique du festival Timitar. “Il n'y a pas de public pour les groupes de fusion amazighs”, se défend pour sa part Messaoud El Yazidi, président de Studiovision et producteur de Oudadene. Il juge tout cela trop “avant-garde” pour le marché de la cassette et du CD audio. “Ils auraient dû introduire leur nouvelle orchestration au fur et à mesure pour habituer le public. Pas tout d'un coup comme ça”, analyse-t-il, en hommes d'affaires. Son studio d'enregistrement, situé à Tarast entre Tiznit et Agadir, est l'un des cinq existant dans la région. Niché dans la cave d'une maison, insonorisé grâce à des cartons pour œufs, le local ne paie pas de mine. Et pourtant, c'est le dessus du panier. Dans certains studios, en plus du matériel obsolète, l'absence de climatisation impose parfois des séances de hammam inédites : “J'ai du sortir du studio un vieux raïss en nage à cause de la chaleur”, raconte, pour l'anecdote, Mohamed Khattabi. Très peu tentés par les mauvaises expériences de leurs glorieux aînés, pris entre la frilosité des producteurs, les girls-bands fabriquées et les Minny Vanilly du Souss, Amarg Fusion et consorts ont-ils une échappatoire ? La bonne vieille recette déjà rodée à Casa, Meknès et Marrakech : l'autoproduction. Mais avec un avantage de taille que ne possèdent pas les groupes des autres villes.
Des points de vente de Tanger à Lagouira
La scène amazighe peut s'appuyer sur le réseau de distribution traditionnel, très performant, des grossistes en musique amazighe. “Nous les démarchons nous- mêmes à Inezgane et au Souk Laâyoune à Casabanca pour couvrir tout le Maroc”, raconte Habou Imghrane, fondateur de la formation Imghrane. Après avoir eu un producteur classique, Imghrane a décidé de s'autoproduire et de se distribuer afin de contrôler les ventes de ses albums. “Un producteur peut vous annoncer ce qu'il veut, il n'y a pas de vérification”, ajoute Habou Imghrane qui a fait la pub pour son album à travers la presse amazighe et sur les sites berbères. “Le seul problème, c'est qu'on nous remet des bons payables selon l'écoulement de la marchandise comme pour n'importe quel produit vendu à un grossiste”, ironise Habou Imghrane. Ils ont cependant, grâce à ce procédé, vendu, pour l'heure, 20 000 exemplaires de leur dernier opus, un score plus qu'honorable comparé à des stars de la chanson amazighe qui, bénéficiant d'une campagne de communication, réalisent des ventes comprises entre 50 et 80 000 albums. On est loin des 3000 exemplaires écoulés laborieusement par les groupes casablancais. Ici le réflexe consommation de cassettes et CD audio existe chez le public. Amarg Fusion a fait de même et a sorti 10 000 exemplaires de son album distribué également par la voie des grossistes. Les producteurs classiques avantagent la cassette par rapport au CD car ce dernier est trop piraté selon Messaoud El Yazidi. Pourtant, Amarg Fusion n'a pas hésité à équilibrer la proportion cassettes/CD pour son opus. “Nous nous adressons davantage à des citadins qu'au monde rural. Il nous faut donc nous adapter aux habitudes de consommation de notre public”, explique Ali Faiq. L'album, dans sa version CD, marcherait très fort, toujours selon lui, justifiant le risque qu'a pris le groupe de se faire pirater. Contrairement à ce que pensent les producteurs de musique amazighe, il existerait donc bien un marché pour la nouvelle scène berbère. “Le public amazigh a déjà accepté le changement en faisant un accueil triomphal aux Izenzaren dans les années 70. Pourquoi pas aux nouveaux groupes en 2006 ?”, conclut Mohamed Khattabi, un président de syndicat musical davantage open-minded que ses confrères de Rabat...
Hip Hop. La berbérité, soluble dans le rap ?
Il fallait bien des jeunes pour se plaindre des vieux. Le rôle est revenu à Styl Souss, group de rap gadiri : “Le syndicat des musiciens ne fait rien pour nous aider. Pour eux, on est juste des gamins qui s'amusent”, accuse Aziz Akou, membre de la formation. Le rap du Souss, qui mélange anglais, arabe et berbère, ne trouve pas d'amateurs parmi les puristes de la langue. “Saupoudrage d'amazighité”, selon Mohamed El Medlaoui, notre chercheur à l'IRCAM. “Désir de s'adresser à tous et sortir du double ghetto rap et amazigh. Qui plus est, le flow du rap, en parlant des problèmes du quotidien, correspond sur le principe au tanddamant des raïss (composition poétique)”, rétorque Aziz Akou. La scène rap gadiri n'a qu'un véritable soutien : Brahim Mazned, qui en plus de les programmer sur la scène de Timitar, organise pour eux depuis 2001, des stages de formation dans le cadre de ses fonctions d'animateur culturel à l'IF d'Agadir. “C'est là- bas que j'ai tout appris”, déclare Idrgui Abdallah de Styl Souss, entre deux cours à l'atelier electro qui se tient en marge du Festival Timitar 2006. Styl Souss n'a cependant sorti que 1000 exemplaires de son album "Ha yy agh nucka-d" (On arrive). C'est encore trop peu pour bénéficier pleinement, comme les groupes de fusion, du réseau de distribution des grossistes de la musique amazighe.