Actualité (Mercredi 12 Avril 2006)
Le guide libyen appelle les tribus à se fédérer dans le sud
Al-Kadhafi, les Touareg et le "Grand-Sahara"
Par : Mounir Boudjema, Lu : (236 fois)
L'imprévisible Mouammar Al-Kadhafi a encore frappé. De Tombouctou
où se tenaient les festivités liées au Mawlid Ennabaoui, le Guide
libyen a appelé les habitants du Sahara, notamment les Touareg, à se
réunir pour fonder une "fédération".
Le Guide libyen a choisi le moment propice pour lancer ce qu'il
appelle le "Grand-Sahara". Cet ensemble géographique et ethnique
regrouperait, selon lui, "les Touareg, Arabes, Toubous, Sonraïs,
Bambaras, les riverains du Nil, les habitants du Soudan, du Sinaï,
de la Jordanie et de la péninsule arabique", soit toutes les ethnies
qui habitent le Sud, notamment subsaharien. Si les observateurs sont
habitués aux provocations de Mouammar Al-Kadhafi, pour leur
caractère superflu et irréalisable, ils signalent que Al-Kadhafi n'a
jamais cessé d'encourager les Touareg d'Algérie, du Mali et du Niger
à se "fédérer" en force politique et militaire.
À Tombouctou, le leader libyen était entouré de plusieurs chefs
d'état africains et subsahariens qui ont, à maintes reprises, eu à
contrer des rébellions touareg. Le président malien, Amadou Toumani
Touré, qui redoute que les accords de Bamako après la rébellion
azawed de 1993 ne soient rejetés.
Son homologue Mamadou Tandja du Niger pour qui les Touareg ne
pardonnent toujours pas les affrontements de 1990, et le colonel Ely
Ould Mohamed Vall, le nouvel homme fort de Mauritanie, qui avait
déjà évoqué des risques d'infiltration de thèses salafistes au sein
de certaines tribus touareg.
Tous ces présidents étaient présents à Tombouctou et personne n'a
osé contredire Al-Kadhafi qui affirmait avoir abordé le sujet
avec "plusieurs dignitaires" (cheikhs, rois, sultans...) et
dirigeants des pays concernés "tous d'accord avec le projet".
D'ailleurs, Al-Kadhafi n'a pas perdu du temps pour concrétiser son
projet puisque des représentants de ces régions et communautés
présents à Tombouctou devaient se réunir en marge de la célébration
du Mawlid pour signer la charte de ce "Grand-Sahara".
À quoi joue Tripoli ? Si le projet paraît utopique, il n'en
constitue pas moins une menace dans un Sahel déjà traversé par
l'émergence de courants salafistes, l'odeur du pétrole et les
risques d'implantation d'Al-Qaïda. Si on y ajoute la famine et la
paupérisation des populations tribales, la proposition libyenne vise
à déstabiliser un ensemble déjà mouvant.
Car Al-Kadhafi n'en est pas à sa première incartade même vis-à-vis
de l'Algérie. Au milieu des années 80, Al-Kadhafi avait créé "la
légion islamique" regroupant les Touareg du Niger, du Mali et
d'Algérie. Les incidents, qui s'étaient déroulés aux frontières
algériennes en 1991, impliquaient des groupes azawed, financés par
Tripoli et dotés d'un armement russe et chinois. Incidents réglés
après l'intervention d'Ahmed Ouyahia dans la région.
Mais depuis, Kadhafi n'a cessé d'avancer ses pions dans le Sahara.
En avril 2005, il avait réuni des chefs touareg des pays limitrophes
dans la ville frontière d'Oubari (sauf pour ce qui est des Algériens
qui avaient refusé de s'y rendre), pour leur exprimer sa volonté de
les doter d'une "fédération" à cheval sur les frontières
algériennes, nigériennes et maliennes. "La Libye est le pays des
Touareg, leur base et leur soutien", avait-il martelé.
Depuis, avec l'intérêt des Américains pour la région du Sahel, la
donne est devenue subitement plus complexe. Tripoli, qui veut se
refaire une virginité diplomatique après l'affaire de Lockerbie,
semble décidée à se positionner comme un interlocuteur
incontournable dans la région subsaharienne face à Washington.
Et on retrouve Al-Kadhafi dans tous les bons coups où il se pose
comme médiateur. Libération des prisonniers de guerre marocains par
le Polisario, financement de la guérilla du Tibesti au nord du
Tchad, encouragement des islamistes mauritaniens contre la présence
des Israéliens à Nouakchott, tractations avec les ravisseurs des
otages allemands dans le nord du Mali, livraison de l'ex-"émir" du
GSPC, Abderrezak Al-Para à l'Algérie… Tous les moyens sont utilisés
pour se placer, à coups de dollars et de kalachnikovs, dans la bande
sahélienne surtout que la Libye avait accueilli les principales
factions touareg en fuite de leur pays.
Face à l'Algérie, la donne est plus délicate pour Al-Kadhafi. Alors
qu'Alger tente d'apaiser la tension tribale entre capitales
subsahariennes et mouvements touareg, pour la sécurité de ses
frontières, et se consacrer à la lutte contre le GSPC et ses
filières sahéliennes, la sortie de Al-Kadhafi gêne plus qu'elle
n'inquiète.
Même si quelques incursions militaires libyennes à nos frontières,
qualifiées "d'unités égarées" à la poursuite d'immigrés clandestins
et de contrebandiers, ont eu lieu récemment.
Le guide libyen appelle les tribus à se fédérer dans le sud
Al-Kadhafi, les Touareg et le "Grand-Sahara"
Par : Mounir Boudjema, Lu : (236 fois)
L'imprévisible Mouammar Al-Kadhafi a encore frappé. De Tombouctou
où se tenaient les festivités liées au Mawlid Ennabaoui, le Guide
libyen a appelé les habitants du Sahara, notamment les Touareg, à se
réunir pour fonder une "fédération".
Le Guide libyen a choisi le moment propice pour lancer ce qu'il
appelle le "Grand-Sahara". Cet ensemble géographique et ethnique
regrouperait, selon lui, "les Touareg, Arabes, Toubous, Sonraïs,
Bambaras, les riverains du Nil, les habitants du Soudan, du Sinaï,
de la Jordanie et de la péninsule arabique", soit toutes les ethnies
qui habitent le Sud, notamment subsaharien. Si les observateurs sont
habitués aux provocations de Mouammar Al-Kadhafi, pour leur
caractère superflu et irréalisable, ils signalent que Al-Kadhafi n'a
jamais cessé d'encourager les Touareg d'Algérie, du Mali et du Niger
à se "fédérer" en force politique et militaire.
À Tombouctou, le leader libyen était entouré de plusieurs chefs
d'état africains et subsahariens qui ont, à maintes reprises, eu à
contrer des rébellions touareg. Le président malien, Amadou Toumani
Touré, qui redoute que les accords de Bamako après la rébellion
azawed de 1993 ne soient rejetés.
Son homologue Mamadou Tandja du Niger pour qui les Touareg ne
pardonnent toujours pas les affrontements de 1990, et le colonel Ely
Ould Mohamed Vall, le nouvel homme fort de Mauritanie, qui avait
déjà évoqué des risques d'infiltration de thèses salafistes au sein
de certaines tribus touareg.
Tous ces présidents étaient présents à Tombouctou et personne n'a
osé contredire Al-Kadhafi qui affirmait avoir abordé le sujet
avec "plusieurs dignitaires" (cheikhs, rois, sultans...) et
dirigeants des pays concernés "tous d'accord avec le projet".
D'ailleurs, Al-Kadhafi n'a pas perdu du temps pour concrétiser son
projet puisque des représentants de ces régions et communautés
présents à Tombouctou devaient se réunir en marge de la célébration
du Mawlid pour signer la charte de ce "Grand-Sahara".
À quoi joue Tripoli ? Si le projet paraît utopique, il n'en
constitue pas moins une menace dans un Sahel déjà traversé par
l'émergence de courants salafistes, l'odeur du pétrole et les
risques d'implantation d'Al-Qaïda. Si on y ajoute la famine et la
paupérisation des populations tribales, la proposition libyenne vise
à déstabiliser un ensemble déjà mouvant.
Car Al-Kadhafi n'en est pas à sa première incartade même vis-à-vis
de l'Algérie. Au milieu des années 80, Al-Kadhafi avait créé "la
légion islamique" regroupant les Touareg du Niger, du Mali et
d'Algérie. Les incidents, qui s'étaient déroulés aux frontières
algériennes en 1991, impliquaient des groupes azawed, financés par
Tripoli et dotés d'un armement russe et chinois. Incidents réglés
après l'intervention d'Ahmed Ouyahia dans la région.
Mais depuis, Kadhafi n'a cessé d'avancer ses pions dans le Sahara.
En avril 2005, il avait réuni des chefs touareg des pays limitrophes
dans la ville frontière d'Oubari (sauf pour ce qui est des Algériens
qui avaient refusé de s'y rendre), pour leur exprimer sa volonté de
les doter d'une "fédération" à cheval sur les frontières
algériennes, nigériennes et maliennes. "La Libye est le pays des
Touareg, leur base et leur soutien", avait-il martelé.
Depuis, avec l'intérêt des Américains pour la région du Sahel, la
donne est devenue subitement plus complexe. Tripoli, qui veut se
refaire une virginité diplomatique après l'affaire de Lockerbie,
semble décidée à se positionner comme un interlocuteur
incontournable dans la région subsaharienne face à Washington.
Et on retrouve Al-Kadhafi dans tous les bons coups où il se pose
comme médiateur. Libération des prisonniers de guerre marocains par
le Polisario, financement de la guérilla du Tibesti au nord du
Tchad, encouragement des islamistes mauritaniens contre la présence
des Israéliens à Nouakchott, tractations avec les ravisseurs des
otages allemands dans le nord du Mali, livraison de l'ex-"émir" du
GSPC, Abderrezak Al-Para à l'Algérie… Tous les moyens sont utilisés
pour se placer, à coups de dollars et de kalachnikovs, dans la bande
sahélienne surtout que la Libye avait accueilli les principales
factions touareg en fuite de leur pays.
Face à l'Algérie, la donne est plus délicate pour Al-Kadhafi. Alors
qu'Alger tente d'apaiser la tension tribale entre capitales
subsahariennes et mouvements touareg, pour la sécurité de ses
frontières, et se consacrer à la lutte contre le GSPC et ses
filières sahéliennes, la sortie de Al-Kadhafi gêne plus qu'elle
n'inquiète.
Même si quelques incursions militaires libyennes à nos frontières,
qualifiées "d'unités égarées" à la poursuite d'immigrés clandestins
et de contrebandiers, ont eu lieu récemment.