Manne des sources, paupérisation persistante... les contrastes d’Oulmès · Zoom sur une petite commune rurale en marge du développement
· Une poignée de propriétaires détient la quasi-totalité des terres fertiles
«Les pays du Golfe ont le pétrole. Nous, nous avons l’eau. C’est notre pétrole!». Comme ce vieux berbère au nez aquilin et aux yeux vert clair, les habitants d’Oulmès estiment qu’avec une manne aussi précieuse que l’or bleu, leur région, connue pour ses terres fertiles et ses grands espaces forestiers, mériterait un sort meilleur.
A perte de vue, sur ce plateau du Moyen Atlas réputé pour ses sources s’étendent de vastes champs. Les uns sont cultivés et les arbres en floraison en ce début de printemps déploient toute leur splendeur en une symphonie de couleurs et de senteurs enivrantes. Les autres, à l’état de friche ou parsemés de quelques allées de lavande, n’en sont pas moins resplendissants. Sans parler des forêts denses (67.000 hectares) qui couvrent près de 67% de la superficie totale de la région. Le ciel, d’un bleu limpide, complète cette riche palette de couleurs. Çà et là, des bergers font paître leurs troupeaux.
Cet éblouissement des sens commence en fait depuis la petite vallée de Maaziz et se prolonge tout au long de la route sinueuse, jonchée de petits massifs montagneux, qui mène vers Oulmès, cette région aux multiples contrastes.
L’entrée de la «ville», mal conçue et somme toute banale, altère quelque peu cet enchantement. Les bruits et le désordre qui règnent dans ce qui tient lieu de gare routière ou encore l’anarchie de ce souk hebdomadaire finissent par briser l’émerveillement. Ce sera là une première fausse note. D’autres ressurgiront rapidement à mesure que l’on s’enfonce un peu plus dans la région.
Les contrastes sont frappants et les inégalités sociales crèvent les yeux. D’une part, de vastes propriétés, qui s’étendent sur des centaines d’hectares. De l’autre, des hameaux bidonvillois où des dizaines de personnes s’entassent dans des cabanes dépourvues du strict minimum.
Le plateau d’Oulmès, perché à quelque 1.300 mètres d’altitude, se trouve à la croisée des chemins menant vers Khémisset (90 km), Mriret (75 km) et Meknès (90 km). Une aubaine dont la région n’a pas su tirer profit, explique ce jeune élu communal.
· Ces «seigneurs» d’Oulmès
Tout semble avoir été fait pour confiner la région dans un état de total isolement. Isolement qui, de l’avis de ce groupe d’anciens résistants des tribus d’Aït Alla et Aït Bouhou, s’est accentué depuis la dernière opération de cession des terres (près de 650 hectares) de la Sodea-Sogeta et qui a profité aux «incontournables» gros propriétaires terriens de la région: Mahjoubi Aherdan et Sekkat (les fermes Arbor réputées pour la production de pommes).
«Regardez, toutes ces terres à droite. Elles sont à Aherdan. Celles-là, qui leur font face, sont à Sekkat», indique un villageois. Une phrase que l’on entendra tout au long du parcours de la région. Un vieux berbère se dit dépossédé de pas moins de 50 hectares «titrés» aujourd’hui entre les mains d’Aherdan. Ce que contestera Aherdan (voir entretien).
A en croire les différentes sources, c’est Aherdan qui s’accapare, à lui seul, le plus de terres d’Oulmès, «des centaines d’hectares dans la vallée, en montagne et même dans la forêt!». «Avec les 300 hectares de celles de la Sogeta qu’il vient d’avoir, les terres en sa possession forment pratiquement un demi-cercle, entourant la région», lance cet autre vieillard originaire d’Aït Alla, une des tribus, qui revendique la propriété de terres aujourd’hui entre les mains de celui que les habitants qualifient ironiquement de «seigneur» d’Oulmès.
A côté d’Aherdan qui tient la tête d’affiche, trois ou quatre autres noms sont identifiés comme gros propriétaires terriens. Outre Sekkat, il y a les familles Mesnaoui, Raïssi ou encore Caïd El Haj. Cette poignée de propriétaires se partagent la quasi-totalité des terres fertiles.
Des habitants, originaires notamment des tribus d’Aït Alla et Aït Bouhou, ont à maintes reprises tenté d’attirer l’attention des autorités sur cette situation. Certains se disent dépossédés des terres qu’ils avaient héritées de leurs ancêtres et qui constituent l’unique source de revenus pour leurs familles. Une histoire qui remonte au lendemain de l’indépendance quand l’Etat a mis la main sur les terrains occupés par des colons et qui appartenaient auxdites tribus. Par une correspondance fournie avec une centaine de signatures dont, disent-ils, des lettres au Palais royal et à la Primature, ces vieux combattants sollicitent l’intervention des autorités pour l’ouverture d’une enquête urgente.
Outre le problème des terres dont ils se disent dépossédés depuis près d’un demi-siècle, les habitants ont d’autres griefs. Et c’est contre le conseil de la commune et sa gestion que leur courroux est dirigé. «On ne baissera pas les bras tant que l’on a pas mis un terme aux malversations et innombrables aberrations de gestion», assène d’une voix déterminée cet infatigable retraité qui multiplie les actions pour faire entendre la voix des habitants d’Oulmès.
La commune dispose de ressources importantes qui lui permettraient de figurer parmi les plus riches.
· Une commune riche, mais…
Les recettes de la commune frôlent annuellement les 40 millions de dirhams. Chiffre confirmé d’ailleurs par Mouloud Ouhtit, président communal de la commission financière du conseil communal. Parmi elles figurent, en bonne place, la participation annuelle des Eaux minérales d’Oulmès (environ 35 millions de dirhams), le produit de l’exploitation de la manne forestière (près d’un million de DH(1)), le fruit de l’exploitation du patrimoine de la commune (près d’un million de DH)… Sans oublier l’excédent budgétaire des années précédentes dont même des membres du conseil parlent.
En somme, des ressources énormes pour une petite commune rurale qui devrait logiquement, de ce fait, avoir meilleur visage. Or, il n’en est rien et une simple visite permet vite de s’en rendre compte.
Le visiteur n’a qu’à faire un tour dans le «centre» ou du côté de Tarmilet pour constater de visu l’ampleur du désastre.
Rapidement des questions s’imposent. Surtout quand on voit certains bidonvilles, dont celui de Tarmilet (à proximité de l’unique hôtel). Des cabanes exiguës sont plantées çà et là dans un grand désordre. Leurs antennes paraboliques dénotent au milieu du spectacle désolant de pauvreté qu’elles offrent. Le comble, c’est que ce hameau est équipé en eau et électricité alors que les responsables de la commune affirment que ce douar devait être rasé et le sera en tout cas bientôt. «Un projet de lotissement est en cours pour le relogement des habitants de ce douar», affirme Mouloud Ouhtit.
Moins chanceux, les habitants du lotissement de douar Jdid (plus connu sous le nom de douar «Chichane»), ne sont toujours pas équipés en eau. «Nous ne disposons que d’une fontaine. Et si seulement elle était ouverte en permanence», explique un vieil habitant de ce douar.
A la commune, les responsables ne nient pas ces faits. «C’est à l’amicale qui a présidé à la construction de ce douar que revient la responsabilité de l’équiper en eau».
Plus grave encore, les nombreux projets lancés par la commune depuis des années et qui traînent toujours (hôpital, Dar Taliba, gare routière,…).
Le cas de l’hôpital du village est symptomatique. Cela fait plus de 10 ans que le chantier est enclenché. A ce jour, il ne fonctionne toujours pas. Le ministère de la Santé estime, à juste titre, que l’établissement n’est pas conforme aux normes requises dans un établissement hospitalier (voir encadré). Et pourtant, de l’aveu même de membres du conseil communal, le budget prévu au départ a été largement dépassé. «On parle aujourd’hui de plus de 24 millions de DH, sinon plus, sachant qu’à chaque fois de nouveaux travaux sont entamés et sans parler des vols et détérioration des équipements déjà mis en place», souligne Mjidou Khatem, technicien communal. Mais le comble pour la population est que le conseil communal vient de valider la décision de recourir à un prêt du FEC (Fonds d’équipement communal) de l’ordre de 90 millions de DH sur 3 ans. Un prêt qui s’inscrit, comme se plaisent à le préciser les responsables dudit conseil, dans le cadre d’un programme de mise à niveau. «C’est le seul moyen pour mener à bien nos projets de mise à niveau sans risque d’interruption faute de fonds suffisants», explique Mouloud Ouhtit, conseiller. Reste à savoir si l’on en fera bon usage.
Khadija EL HASSANI
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(1) Un chiffre qui s’explique par la décision de la commune qui, depuis quelques années, a décidé de restreindre l’exploitation de la forêt.
source:leconomiste.com
· Une poignée de propriétaires détient la quasi-totalité des terres fertiles
«Les pays du Golfe ont le pétrole. Nous, nous avons l’eau. C’est notre pétrole!». Comme ce vieux berbère au nez aquilin et aux yeux vert clair, les habitants d’Oulmès estiment qu’avec une manne aussi précieuse que l’or bleu, leur région, connue pour ses terres fertiles et ses grands espaces forestiers, mériterait un sort meilleur.
A perte de vue, sur ce plateau du Moyen Atlas réputé pour ses sources s’étendent de vastes champs. Les uns sont cultivés et les arbres en floraison en ce début de printemps déploient toute leur splendeur en une symphonie de couleurs et de senteurs enivrantes. Les autres, à l’état de friche ou parsemés de quelques allées de lavande, n’en sont pas moins resplendissants. Sans parler des forêts denses (67.000 hectares) qui couvrent près de 67% de la superficie totale de la région. Le ciel, d’un bleu limpide, complète cette riche palette de couleurs. Çà et là, des bergers font paître leurs troupeaux.
Cet éblouissement des sens commence en fait depuis la petite vallée de Maaziz et se prolonge tout au long de la route sinueuse, jonchée de petits massifs montagneux, qui mène vers Oulmès, cette région aux multiples contrastes.
L’entrée de la «ville», mal conçue et somme toute banale, altère quelque peu cet enchantement. Les bruits et le désordre qui règnent dans ce qui tient lieu de gare routière ou encore l’anarchie de ce souk hebdomadaire finissent par briser l’émerveillement. Ce sera là une première fausse note. D’autres ressurgiront rapidement à mesure que l’on s’enfonce un peu plus dans la région.
Les contrastes sont frappants et les inégalités sociales crèvent les yeux. D’une part, de vastes propriétés, qui s’étendent sur des centaines d’hectares. De l’autre, des hameaux bidonvillois où des dizaines de personnes s’entassent dans des cabanes dépourvues du strict minimum.
Le plateau d’Oulmès, perché à quelque 1.300 mètres d’altitude, se trouve à la croisée des chemins menant vers Khémisset (90 km), Mriret (75 km) et Meknès (90 km). Une aubaine dont la région n’a pas su tirer profit, explique ce jeune élu communal.
· Ces «seigneurs» d’Oulmès
Tout semble avoir été fait pour confiner la région dans un état de total isolement. Isolement qui, de l’avis de ce groupe d’anciens résistants des tribus d’Aït Alla et Aït Bouhou, s’est accentué depuis la dernière opération de cession des terres (près de 650 hectares) de la Sodea-Sogeta et qui a profité aux «incontournables» gros propriétaires terriens de la région: Mahjoubi Aherdan et Sekkat (les fermes Arbor réputées pour la production de pommes).
«Regardez, toutes ces terres à droite. Elles sont à Aherdan. Celles-là, qui leur font face, sont à Sekkat», indique un villageois. Une phrase que l’on entendra tout au long du parcours de la région. Un vieux berbère se dit dépossédé de pas moins de 50 hectares «titrés» aujourd’hui entre les mains d’Aherdan. Ce que contestera Aherdan (voir entretien).
A en croire les différentes sources, c’est Aherdan qui s’accapare, à lui seul, le plus de terres d’Oulmès, «des centaines d’hectares dans la vallée, en montagne et même dans la forêt!». «Avec les 300 hectares de celles de la Sogeta qu’il vient d’avoir, les terres en sa possession forment pratiquement un demi-cercle, entourant la région», lance cet autre vieillard originaire d’Aït Alla, une des tribus, qui revendique la propriété de terres aujourd’hui entre les mains de celui que les habitants qualifient ironiquement de «seigneur» d’Oulmès.
A côté d’Aherdan qui tient la tête d’affiche, trois ou quatre autres noms sont identifiés comme gros propriétaires terriens. Outre Sekkat, il y a les familles Mesnaoui, Raïssi ou encore Caïd El Haj. Cette poignée de propriétaires se partagent la quasi-totalité des terres fertiles.
Des habitants, originaires notamment des tribus d’Aït Alla et Aït Bouhou, ont à maintes reprises tenté d’attirer l’attention des autorités sur cette situation. Certains se disent dépossédés des terres qu’ils avaient héritées de leurs ancêtres et qui constituent l’unique source de revenus pour leurs familles. Une histoire qui remonte au lendemain de l’indépendance quand l’Etat a mis la main sur les terrains occupés par des colons et qui appartenaient auxdites tribus. Par une correspondance fournie avec une centaine de signatures dont, disent-ils, des lettres au Palais royal et à la Primature, ces vieux combattants sollicitent l’intervention des autorités pour l’ouverture d’une enquête urgente.
Outre le problème des terres dont ils se disent dépossédés depuis près d’un demi-siècle, les habitants ont d’autres griefs. Et c’est contre le conseil de la commune et sa gestion que leur courroux est dirigé. «On ne baissera pas les bras tant que l’on a pas mis un terme aux malversations et innombrables aberrations de gestion», assène d’une voix déterminée cet infatigable retraité qui multiplie les actions pour faire entendre la voix des habitants d’Oulmès.
La commune dispose de ressources importantes qui lui permettraient de figurer parmi les plus riches.
· Une commune riche, mais…
Les recettes de la commune frôlent annuellement les 40 millions de dirhams. Chiffre confirmé d’ailleurs par Mouloud Ouhtit, président communal de la commission financière du conseil communal. Parmi elles figurent, en bonne place, la participation annuelle des Eaux minérales d’Oulmès (environ 35 millions de dirhams), le produit de l’exploitation de la manne forestière (près d’un million de DH(1)), le fruit de l’exploitation du patrimoine de la commune (près d’un million de DH)… Sans oublier l’excédent budgétaire des années précédentes dont même des membres du conseil parlent.
En somme, des ressources énormes pour une petite commune rurale qui devrait logiquement, de ce fait, avoir meilleur visage. Or, il n’en est rien et une simple visite permet vite de s’en rendre compte.
Le visiteur n’a qu’à faire un tour dans le «centre» ou du côté de Tarmilet pour constater de visu l’ampleur du désastre.
Rapidement des questions s’imposent. Surtout quand on voit certains bidonvilles, dont celui de Tarmilet (à proximité de l’unique hôtel). Des cabanes exiguës sont plantées çà et là dans un grand désordre. Leurs antennes paraboliques dénotent au milieu du spectacle désolant de pauvreté qu’elles offrent. Le comble, c’est que ce hameau est équipé en eau et électricité alors que les responsables de la commune affirment que ce douar devait être rasé et le sera en tout cas bientôt. «Un projet de lotissement est en cours pour le relogement des habitants de ce douar», affirme Mouloud Ouhtit.
Moins chanceux, les habitants du lotissement de douar Jdid (plus connu sous le nom de douar «Chichane»), ne sont toujours pas équipés en eau. «Nous ne disposons que d’une fontaine. Et si seulement elle était ouverte en permanence», explique un vieil habitant de ce douar.
A la commune, les responsables ne nient pas ces faits. «C’est à l’amicale qui a présidé à la construction de ce douar que revient la responsabilité de l’équiper en eau».
Plus grave encore, les nombreux projets lancés par la commune depuis des années et qui traînent toujours (hôpital, Dar Taliba, gare routière,…).
Le cas de l’hôpital du village est symptomatique. Cela fait plus de 10 ans que le chantier est enclenché. A ce jour, il ne fonctionne toujours pas. Le ministère de la Santé estime, à juste titre, que l’établissement n’est pas conforme aux normes requises dans un établissement hospitalier (voir encadré). Et pourtant, de l’aveu même de membres du conseil communal, le budget prévu au départ a été largement dépassé. «On parle aujourd’hui de plus de 24 millions de DH, sinon plus, sachant qu’à chaque fois de nouveaux travaux sont entamés et sans parler des vols et détérioration des équipements déjà mis en place», souligne Mjidou Khatem, technicien communal. Mais le comble pour la population est que le conseil communal vient de valider la décision de recourir à un prêt du FEC (Fonds d’équipement communal) de l’ordre de 90 millions de DH sur 3 ans. Un prêt qui s’inscrit, comme se plaisent à le préciser les responsables dudit conseil, dans le cadre d’un programme de mise à niveau. «C’est le seul moyen pour mener à bien nos projets de mise à niveau sans risque d’interruption faute de fonds suffisants», explique Mouloud Ouhtit, conseiller. Reste à savoir si l’on en fera bon usage.
Khadija EL HASSANI
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(1) Un chiffre qui s’explique par la décision de la commune qui, depuis quelques années, a décidé de restreindre l’exploitation de la forêt.
source:leconomiste.com