Agadir: une ville sous influence

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La capitale du Souss est de plus en plus prisée par les touristes nationaux.

“Agadir âamer…», ou Agadir affiche complet, c’est le leitmotiv qui revient chaque fois que vous racontez à l’une de vos connaissances la destination de vos vacances. Il y a beaucoup de vrai dans cet énoncé : la capitale du Souss demeure en effet un choix de plus en plus prisé par les touristes nationaux. Et ce, malgré les campagnes de dénigrement aux relents fanatiques menées par des médias en mal de sensationnel, exploitant des faits divers communs à toutes les villes du monde. Agadir est chérie par les Marocains, par le peuple marocain ; ville martyr, au sens propre comme au sens figuré; c’est aussi la ville de la résurgence même si les politiques officielles menées jusqu’à une époque récente omettaient d’inscrire la ville et sa région dans la carte des grands chantiers susceptibles d’assurer la ville comme pôle régional, comme locomotive du développement. Cela est particulièrement flagrant en termes de réseau routier et d’infrastructure de communication. Pour accéder à Agadir par route, à partir de Casablanca ou de Marrakech, c’est toujours un exercice délicat. On peut y parvenir par trois grands axes : le classique, la route nationale N° 1, celle qui passe par El-Jadida, Safi et Essaouira. C’est l’axe historique qui présente l’avantage de traverser différentes régions aux spécificités fortement marquées ; elle est relativement bien entretenue sauf si vous avez la mauvaise idée de longer la côte à partir de Safi vers Essaouira en passant par la plage de Souiria très fréquentée par les Safiots. Elle offre de merveilleux paysages, permet entre autres, juste en sortant de Safi, de découvrir la zone des fabriques des conserves, la banlieue industrielle qui faisait de Safi le premier port des sardines au monde et une ville ouvrière ouverte sur la modernité. Les séquelles de cette phase historique sont palpables encore : Safi est une de nos rares vraies villes au sens urbain du mot.

C’est d’ailleurs une ville qui s’offre au visiteur à l’image d’un palimpseste, par couches successives. Aujourd’hui, le rythme des usines est réduit au minimum et la récession économique fait des ravages ; la ville subit de plein fouet le sort de la classe qui a porté ses espoirs de modernisation, la classe ouvrière. Plus loin en sortant de la ville, on découvre, une des explications à la crise de l’économie du poisson, des usines de transformation d’engrais à partir des phosphates : un véritable monstre écologique; une agression sur l’écosystème de la région qui a fait fuir le poisson plus au Sud et a instauré des maladies nouvelles parmi les hommes. Des jeunes sur des motos passent à vive allure pour changer d’air ailleurs; notamment à Souiria. Nous, on continue plus au Sud. A peine cette magnifique plage dépassée la route change d’aspect : on ne croit pas à ce qu’on voit, sur des kilomètres et des kilomètres il n’y a plus de route. Sous l’effet de l’actualité triste de cette fin de juillet, on pense aux routes du Liban Sud bombardées par l’aviation israélienne! On commence à regretter le choix d’avoir opté pour cet axe. Finalement, le charme discret d’Essaouira nous permet de reprendre notre souffle.

Pour aller à Agadir, deux autres voies sont possibles, le passage par le col de Tizi n’test, le plus haut d’Afrique, il culmine à plus de 2000 mètres, la route à peine goudronnée est sinueuse mais splendide. Ou par Amskroud qui reste la meilleure puisque la plus récente, elle est née avec la Marche Verte : avec le train elle a joué un rôle stratégique dans l’acheminement des marcheurs. Cependant, elle offre un sinistre bilan, c’est l’une des plus meurtrières du Maroc.
 
Il n’y a donc ni train, ni autoroute pour aller à Agadir. Cela lui a certainement permis de prendre dans son développement une configuration particulière : elle est restée pendant longtemps et pour de nombreux Marocains une destination qui ne manquait pas d’exotisme. Passer des vacances à Agadir bénéficie toujours d’une aura particulière. La carte des réseaux de communication contribue à la sociologie urbaine. Agadir était en quelque sorte notre Californie ou notre Côte d’Azur…avant l’instauration des congés payés qui ont démocratisé les sites et les voyages. La ville offre essentiellement des atouts naturels ; ses magnifiques plages attiraient déjà les jeunes de la mouvance hippie et la pratique du nudisme s’abritait dans des sites merveilleux ouverts sur les splendeurs de l’Atlantique. Outre ses plages, son soleil, sa cuisine typique, Agadir offre surtout un climat culturel inédit : c’est la ville de tolérance par excellence. C’est la ville prisée par exemple par les jeunes femmes fonctionnaires qui viennent en groupe ou individuellement passer des vacances tranquilles. C’est cette image qu’une cabale de faux dévots tentent de casser en mettant en exergue des affaires liées au tourisme.

Les Gadiris sont conscients des enjeux qui se posent à leur ville. Il y a une grande prise de conscience qui traverse l’espace civil : faut-il rappeler qu’Agadir et sa région connaissent une véritable dynamique de la société civile bien avant que ce vocable ne soit récupéré par des stars du business, notamment pour la défense de la langue et de la culture amazighes. Cet été parmi les jeunes, nous avons relevé un vent de colère suite à l’exclusion de la langue amazighe du concours de Studio 2M ; en guise de riposte, une initiative a été menée pour organiser un concours local sous l’égide de la grande chanteuse Fatéma Tabaâmrante, diva de la chanson amazighe connue pour son engagement au bénéfice de cette culture. Cette réaction est emblématique de la mentalité soussie qui privilégie le sens de l’autonomie, de l’entreprise privée à la simple litanie des lamentations. Ici, la société civile s’est forgée dans l’indépendance de l’action face à l’absence récurrente des politiques publiques d’envergure. Avec la nouvelle ambiance qui règne dans le pays de Mohammed VI (il aime beaucoup la capitale du Souss où son sport favori connaît un réel engouement), avec la perspective de la régionalisation effective, Agadir se trouve dotée des meilleurs atouts pour une position en symbiose avec son histoire.
Mohammed Bakrim


Libération
 
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