Quia un article sur cette affaire ?
Le procès du commissaire maudit a été un montage politico- judiciaire
L’affaire Tabit rebondit
Il fallait éliminer ce pervers sexuel doublé d’un maître chanteur qui consignait soigneusement les orgies du gotha politico-militaire. En toile de fond, une guerre des services qui ne disait pas son nom.
Enquête de T. Chadi
et A. El Azizi
Le 2 février 1993, sans crier gare, les éléments de la gendarmerie royale effectuent une perquisition à la garçonnière de Tabit. Quatre jours après, ils arrêtent le commissaire des RG.
L’affaire Tabit, qui a défrayé la chronique durant tout le mois de Ramadan en 1993, refait surface. Mohamed Mouatassim, conseiller du souverain, a repris le dossier en main, deux années après la grâce royale octroyée aux anciens collègues de l’ex-commissaire Mustapha Mohamed Tabit. Deux tâches attendent M. Mouatassim. Étudier d'abord la possibilité d’indemnisation ou de réintégration des officiers de police que le commissaire maudit avait entraînés dans sa chute et dont certains ont passé sept années dans les prisons de Kenitra et de Casablanca. L’autre tâche du conseiller du Roi sera de rechercher la vérité, dix ans après l’éclatement de l’affaire. En effet, plusieurs enquêtes ont été entreprises par les services de police pour définir les responsabilités des personnes impliquées, à tort ou à raison, dans ce scandale.
Machine
L’une de ces enquêtes avait été menée par le chef des Renseignements Généraux de la préfecture de police de Casablanca-Anfa, Ahmed Benabdillah, aujourd’hui à la retraite.
Les révélations contenues dans ce rapport sont restées dans les tiroirs. Ces données confidentielles seront d’une grande utilité pour l’enquête en cours. Elles devraient, confirmer la thèse de la manipulation de l’affaire Tabit par des services occultes.
• Le commissaire divisionaire Ahmed Ouachi.
Parce qu’à l’époque, la mafia politico-militaire qui a exploité l’affaire du commissaire véreux pour son propre compte était puissante. Ce goût d’inachevé qui reste après l’enterrement rapide de cette affaire est encore plus profond maintenant que les langues commencent à se délier. On savait également que l’affaire du commissaire violeur avait été instrumentalisée pour déstabiliser l’état major de la DGSN.
Mais on ne soupçonnait pas un seul instant que la mise en scène spectaculaire du phénomène Tabit masquait une situation tendue qui s’apparente à une véritable guerre des services.
Il s’agissait plus à l’époque de détourner l’attention d’une société marocaine au bord de l’implosion sous les effets d’une crise sociale que pour régler certains comptes personnels.
• Une vue du procès avec El Boussaïri au milieu.
La montée de l’islamisme menaçait le Maroc, déjà en proie à une crise économique et sociale aiguë. L’année 1993, c’était aussi la première tentative avortée de l’alternance politique. Il était donc nécessaire et urgent de trouver un dérivatif susceptible de détourner l’attention de l’opinion publique.
Le tout puissant ministre de l’Intérieur de l’époque, Driss Basri, était tout indiqué pour accomplir cette besogne. Il est chargé notamment de superviser l’ensemble des opérations destinées à assainir l’administration de la sûreté nationale, entre autres.
Les tribulations immorales du commissaire Tabit sont venues à point nommé. Elles donneront matière à enquêtes policières et poursuites judiciaires de même qu’elles occuperont l’opinion publique pendant plusieurs semaines. La presse, toutes tendances confondues, s’en est donné à cœur joie. Tabit était devenu un anti-héros chargé de tous les maux.
“Ce gardien de la loi qui la viole éhontément " qui avait été condamné le 18 février 1993 pour “attentat à la pudeur, défloration, viol avec violence, rapt et séquestration d’une femme mariée, actes de barbarie, incitation à la débauche entre autres”, n’est pas une victime, loin de là. Au contraire, l’odieux personnage au moment de son arrestation avait déjà les mains pleines de sang et la conscience tout aussi chargée.
Tribulations
En 1980, il était déjà impliqué dans une affaire de tentative de suicide d’une jeune fille qu’il avait violée à Beni Mellal à l’époque où il était en poste dans cette ville. L’affaire avait été étouffée bien que la jeune fille en question soit la fille d’un caïd encore en fonction. Plus grave encore, en 1990, le commissaire des Renseignements Généraux (RG) avait été traîné devant la justice par une femme qui l’accusait de viol avec séquestration et violence. Le parquet avait alors cédé à des pressions en haut lieu pour classer l’affaire.
On parle souvent du rôle important du contrôleur de police Hassan Sefrioui qui faisait office de protecteur de Tabit. Accusations que l’ancien patron des RG récuse avec force.
Il s’est avéré que la version officielle de l’affaire Tabit orchestrée selon un timing bien établi n’avait rien à voir avec la réalité. L’histoire remonte effectivement à cet hiver de l’année 1993 qui a été le théâtre de ce feuilleton ramadanesque.
Les deux filles par qui le scandale est arrivé ont été présentées comme d’innocentes étudiantes tombées dans le piège du commissaire doublé d’un obsédé sexuel. En fait les deux jeunes dames, Sofia Bensouda et Loubna Kamouri Alami avaient des relations professionnelles avec un certain M.F, proxénète notoire qui fournissait les grosses huiles de Rabat en “dame de compagnie”. Malgré leur statut d’étudiantes à la faculté de médecine de Casablanca, les deux filles n’étaient pas inconnues du milieu de la prostitution de luxe.
D’ailleurs, Tabit qui avait leurs dossiers en main avait décidé de s’en servir à des fins personnelles. Il passe alors à l’action. Pour recouper les renseignements qu’il avait sous la main, Tabit suit au pas les deux jeunes femmes durant quelques jours. Il finit par consigner les lieux et le statut élevé de leurs clients. Une belle découverte !
Manipulation
Le 5 janvier 1993, Tabit met à exécution son plan. Il voulait utiliser ces dames dans une vaste opération de chantage dans laquelle elles serviraient aussi bien d’appât que d’objet de jouissance pour la machine sexuelle qu’il était.
L’après-midi de la même journée, elles sont draguées par le commissaire félon et acceptent dans la joie l’invitation à accompagner ce client, bien sous tous rapports, à sa garçonnière sise au No 36 du boulevard Abdellah Ben Yassine à Casablanca.
Après avoir mis leurs corps au service de Tabit, comme elles le font régulièrement dans leur exercice du plus vieux métier du monde, les deux jeunes frimousses ont été priées de quitter les lieux sans pouvoir toucher un kopeck. Mieux, Tabit exhibant une cassette vidéo les met devant le fait accompli. Non seulement, il tient une copie de leurs ébats coupables, mais il s’offre même le luxe de leur jeter à la figure des informations privées comme le numéro de leurs cartes d’identité nationale, ou encore leurs adresses précises.
Sans oublier, une description au scalpel de leur agenda rose.
Terrifiées, Loubna et Sofia avisent leur proxénète qui panique. Celui-ci n’hésite pas à alerter et mobiliser ses contacts au niveau de Rabat. Il met au parfum son protecteur, Ahmed Reda Guédira, principal conseiller de feu S.M le Roi Hassan II. L’opération Tabit est désormais lancée.
L’ensemble des appareils sécuritaires du pays est mis à contribution. Mais c’est la gendarmerie de Hosni Benslimane qui aura les premiers rôles.
Au ministère de la Justice, un homme est désigné pour gérer la procédure judiciaire: Abdelhak Doumou, directeur des affaires pénales. L’inspection générale de la police est tout bonnement écartée du processus d’instruction.
Le général Hosni Benslimane charge, à son tour, son homme de confiance à Casablanca le lieutenant-colonel Abdellatif Dinar de prendre en main le dossier en collaboration avec les colonels major Bennouna et Serbout. Le commandant régional de la gendarmerie à Casa, Mohamed Hajoui suit de près l’enquête.
Le 2 février 1993, sans crier gare, les éléments de la gendarmerie royale effectuent une perquisition à la garçonnière de Tabit. Quatre jours après, ils arrêtent le commissaire des RG. 118 cassettes vidéo ont permis ainsi d’identifier plus de 518 femmes et nombre de personnalités, du monde politique et financier, qui se sont subitement retrouvées dans de beaux draps. On en verra très peu au cours du procès. Il fallait bien préserver la virginité de tout ce beau monde. Dès lors, il fallait éliminer ce pervers sexuel doublé d’un maître chanteur qui consignait soigneusement les orgies du gotha politico-militaire.
En toile de fond, une guerre des services qui ne disait pas son nom.
C’est ce qui explique les nombreux vices de forme dans le procès, la précipitation à juger Tabit, la précipitation également à l’exécuter et la manipulation des médias pour maintenir le zoom sur le monstre du sexe. Sur le terrain, les scènes cocasses se multiplient. On verra donc les deux jeunes dames être accompagnées au tribunal par un des chauffeurs personnels de Réda Guedira.
Un des substituts du procureur siégeant dans le procès n’est autre que Noureddine Riahi. Un jeune premier de la magistrature qui se retrouvera comme par hasard à la tête de ses paires dans la fameuse campagne d’assainissement déclenchée par Driss Basri en 1996.
Celui-ci fera valoir toutes ses prérogatives de ministre de tutelle pour faire porter le chapeau au patron de la sûreté nationale, le général Aziz Ouazzani, limogé quelques mois après.
D’autres hauts gradés de la police connaîtront le même sort.
Dans le lot, on retrouvera entre autres, le directeur de cabinet du général Aziz Ouazzani, Ali Bentahila, le préfet de police de Casablanca, Ali Belkacem et Hassan Sefrioui, jugés “peu coopératifs". Ils ne seront pas, pour autant, incarcérés.
Déstabilisation
Par contre, les commissaires Ahmed Ouachi, Abdeslam Bekkali, Mustapha Ben Maghnia, les officiers Aziz Sebbar, Abdellatif Abbad, Lahcen Jaafari, Zouhaïr Fikri, Aït Si Mustapha et les inspecteurs Sliman Jouhari, Selam Fedali, vont passer à la moulinette. Ainsi que les civils, Abdellatif Boussaïri, directeur d’école à Casablanca, Driss Lahlou, gynécologue de son état, Dou Naïm Abdelkader, Mohamed Rabii et Abdelahad Lamrini. Il y a en tout 16 personnes entraînées par Tabit dans sa chute.
Ahmed Ouachi, alors commissaire divisionnaire et chef de la sûreté de la préfecture de Hay Mohammadi-Aïn Sebâa, est puni pour ne pas “avoir sanctionné son subordonné". Bien que ce dernier eût à plusieurs reprises adressé des rapports à la direction de la DGSN pour dénoncer Tabit. Quant à Abdeslam Bakkali et Mustapha Ben Maghnia, ils ont été accusés de “destruction de documents publics, falsification, entrave à la justice, complicité dans un bris de scellés et non-dénonciation ".
Tous ces inculpés bénéficieront de la grâce royale, pendant l’année 2000. Sauf le commissaire Abdeslam Bekkali qui a décédé durant sa détention.
L’affaire Tabit aura été un vrai roman rose avec des détails croustillants et des chapitres indécents.
Et dire que dans un quartier banal de Casablanca, un underground sordide, où se mêlent sexe pouvoir et argent, un microcosme social se vautre dans la dépravation. Homosexualité, viol, sadisme, et autres relations contre-nature.
En gigolo expérimenté, Tabit avait mis la main sur des femmes de la haute société, mais il avait eu aussi le malheur de marcher sur des plates-bandes qui n’étaient pas les siennes. Dix ans après son exécution, compte tenu de la personnalité trouble du condamné, cette affaire restera à jamais gravée dans la mémoire des Marocains.
5 septembre 1993. Il est 5 heures du matin. Le quartier des condamnés à mort de la prison civile de Kénitra est particulièrement animé ce jour-là. Le commissaire Tabit fait sa prière. La dernière avant sa rencontre avec la mort. Un groupe de personnes prend place pour assister à l’exécution de la sentence. Il y a là, le général Hosni Benslimane, Ahmed Midaoui, devenu directeur général de la police depuis, Mohamed Lididi, directeur de l’administration pénitentiaire, le directeur de la prison, les avocats de l’accusé et des magistrats.
Face au peloton d’exécution, Tabit refuse de porter le bandeau noir sur les yeux. Dans un dernier sursaut, il lance d’une voix tremblante : “Je suis condamné pour ce que tout le monde fait. Mais les gars qui ont été condamnés avec moi n’ont rien à faire dans cette histoire… ! "