Thami El Glaoui, pacha de Marrakech, réhabilité par son fils

agerzam

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Le seigneur des bandits

Abdessadeq El Glaoui tente par la publication de son livre-témoignage, “Le Ralliement”, de réhabiliter son père le pacha Thami El Glaoui. Un livre qui retrace les dernières années du Protectorat français au Maroc. Retour sur la fabuleuse vie du pacha El Glaoui.


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• Thami El Glaoui.



Le pays Glaoua est un pays dur, été comme hiver, mais les pluies, et surtout la neige, y sont abondantes. Les Glaoua, Iglioua en amazigh, constituent une tribu influente qui s’est peu à peu agrandie au détriment de ses voisins. Ils vivent près des plus hautes cimes de l’Atlas occidental, c’est une terre de pasteurs montagnards et de petits agriculteurs spécialisés dans les céréales de montagne. Le chef le plus puissant, un genre de roitelet berbère, devait faire face à ses voisins, appartenant à d’autres tribus aussi puissantes du Haut Atlas occidental, les Mtougga et les Goundafa, qui fourniront des caïds presque aussi fameux que ceux des Glaoua.
Le plus connu des enfants de cette tribu, c’est Thami. Il est le frère cadet de Madani, allié et protégé précoce des Français de 1907 à 1911, où il fut destitué de son poste de Grand Vizir par le sultan Moulay Hafid. Il mourra en 1918. C’était le premier «félon» de la famille, il avait pactisé avec la France coloniale avant même qu’elle n’envahisse le Maroc et ne lui impose le protectorat.

Fantaisies

Le second sera Thami, nommé pacha de Marrakech. Cet enfant de seigneur berbère s’est hissé jusqu’à tenir tête au Roi Mohammed V lors des conseils. Le résident français, le maréchal Juin, ennemi juré du Roi Mohammed V qui parviendra à le faire exiler en 1953, tenta même de donner quelque crédit à ses prétentions chérifiennes, étayées par une généalogie plus que fantaisiste. Le protectorat assurait son impunité, ce qui lui permettait d’éviter certains conseils et de manquer régulièrement de politesse au Roi. Thami, fils d’une concubine noire, était brun, filiforme avec un profil de rapace qui a fondu sur Marrakech comme ses ancêtres ont toujours opéré des raids sur les plaines.
Mais son ascension, à lui, fut fulgurante, même s’il connut quelques revers de fortune. Pourtant, ce pacha-là recevait les généraux Patton et De Gaulle pour de mémorables méchouis.
La compagnie de tels convives monta certainement à la tête du Glaoui, qui se voyait secrètement roi. C’est ainsi qu’il s’oublia au point d’offrir un collier d’émeraudes à la reine d’Angleterre pour son couronnement, en 1952. On lui rendit son cadeau en précisant que seules les Majestés offrent aux Majestés.
Politicien retors, sans états d’âme, le pacha de Marrakech était un nocturne. Il ne buvait pas beaucoup, mais il était perpétuellement en chasse, culbutant au passage des Françaises fascinées par son image clinquante de «Seigneur de l’Atlas». On le voyait à Paris, en smoking, dansant aux bras de belles Parisiennes, il se mit même au golf, et, pour couvrir les frais pharamineux de son train de vie royal, il pillait encore plus les montagnards et taxait les 5000 prostituées de Marrakech de 25%.

Couronnement

À qui doit-il son irrésistible ascension? D’abord à la puissance de sa tribu, ensuite à lui-même car il avait une personnalité marquante. Il parlait fort, se faisait baiser les mains en féodal très ambitieux. Sournois, patient, sachant redevenir humble, dépensier, viveur et manœuvrier, il finit par acquérir une fortune plus grande que celle du sultan.
Car si l’homme était fruste, il était clairvoyant. Il avait investi dans l’économie moderne, y compris à l’Omnium Nord Africain de l’époque. Mais surtout, il a accaparé terres après terres, asservissant des tribus plus faibles. Les Aït Atta ne durent d’échapper à sa tutelle qu’à la résistance de Assou Ou Baslam qui posa comme condition à sa reddition celle de ne jamais être assujettis au Glaoui.
Mais ce pacha indocile, au faîte de sa puissance, se sentait de plus en plus proche du trône et les résidents ne firent jamais rien pour l’en dissuader car il gardait tout de même la caution de celui qui lui avait mis le pied à l’étrier, le général Lyautey, royaliste lui-même, qui fut peut-être le résident le plus respectueux de la légitimité alaouite.
C’est cet homme-là qui essaya d’attaquer le Roi sur le terrain de l’orthodoxie religieuse. Il s’appuya sur les notables les plus réactionnaires et sur un âalem meurtrier incestueux, Abdelhai El Kettani, pour stigmatiser «la dissolution des mœurs» de la Maison royale et sur la tenue européennes des princesses. Il n’en tira pas grand bénéfice. Le caïd des caïds n’en continua pas moins à manœuvrer pour déconsidérer le Roi Mohammed V et l’écarter du Trône. Les choses commencèrent à se précipiter en 1950, car le Roi Mohammed V, même surveillé, même soumis aux pires avanies, commençait à tenir tête au résident et à nouer des contacts très serrés avec le parti de l’Istiqlal. Ce que lui reprochera à haute voix le pacha, dépité, en disant que lui ne s’allierait jamais à des communistes et des athées. Il fit tant et si bien qu’excédé, le sultan le prit un jour par le bras et le reconduisit sans ménagement jusqu’à la porte. Il ne se remit jamais de cet affront. Ici se pose pour l’historien la question de savoir si c’est son dépit ou la hargne du maréchal Juin contre le Sultan et la résistance qui avait été déterminant dans la trahison.
Ce mouvement n’était pas récent. Déjà, après son discours de Tanger, en 1947, le Roi dénonçait le protectorat. Mais pour le chercheur, c’est à cette date-là que la rupture fut consommée, c’est là que la trahison devint irréversible. «Le Seigneur de l’Atlas» voulait devenir sultan, fût-ce en neutralisant le sultan légitime pour avancer d’un pas vers l’intronisation.

Frasques

Pour l’Histoire, mais surtout pour la réhabilitation de son père, le fils du Glaoui, Abdessadeq, a publié un livre où il présente son père comme un résistant et un sujet fidèle qui aurait été dupé par le maréchal Juin ou les ultras. La piété filiale est un noble sentiment. De là à tenter de faire passer celui que tous les Marocains considèrent comme un traître pour un grand résistant, il y a tout de même un monde. La pudeur sied mieux à la vérité que la piété filiale quand on écrit sur «Papa». Dire que le Glaoui avait été manipulé le dédouanerait de toutes ses frasques, de l’arbitraire et de l’avidité .Ce n’était ni un égaré, ni un faible. Il fut le grand exécuteur de la politique des caïds, il ne cessa jamais de manœuvrer pour atteindre le sommet du pouvoir.
En 1953; le Sultan est expédié en Corse puis à Madagascar. Jamais ce hold-up n’aurait pu réussir sans un accord entre la résidence et le pacha. Conscients de l’impopularité de «leur sultan», Mohamed Ben Arafa, conscients aussi d’avoir joué la mauvaise carte, les ultras et El Glaoui tentèrent de se remettre en selle. En vain. Le peuple marocain et la résistance avaient plébiscité le Roi et, en novembre 1955, le pacha félon implore le pardon du Roi Mohammed V, qui le lui accordera. Mais l’homme ne s’en relèvera pas, il en mourra quelques semaines après.
C’est cet homme que son fils, Abdessadeq El Glaoui, cherche à réhabiliter quitte à prendre les gens pour des imbéciles en le proclamant héros de la résistance. C’est beau et triste à la fois, un fils qui essaie de sortir la mémoire de son père de la fange réservée aux traîtres.

Amal Samie.
Maroc-Hebdo
 
Entretien avec Abdessadeq El Glaoui, auteur du livre Le Ralliement
“El Glaoui était un héros”

L’objectif premier de Abdessadeq El Glaoui, fils du plus célèbre des pachas marocains, est d’abord d’apporter son éclairage de témoin oculaire sur les dernières années du Protectorat français au Maroc. Pour lui, Thami El Glaoui est un patriote dupé par les autorités françaises de l’époque.

Propos recueillis par
Chifaâ Nassir

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• Abdessadeq El Glaoui.




• Maroc Hebdo International: Pour quelles raisons avez-vous écrit ce témoignage?
- Abdessadeq El Glaoui: C’était un impératif de conscience. Fixer pour la mémoire des événements de cette phase cruciale de l’histoire de notre pays, et en donner une image aussi franche et aussi objective que possible.
• MHI: Vous voulez défendre votre père?
- Abdessadeq El Glaoui: L’objectif de ce livre est d’apporter un témoignage sur l’histoire, en relatant des faits historiques exacts et très importants, dont je fus témoin. Cependant, si en disant la vérité j’arrive à défendre mon père et à expliquer son comportement, c’est tant mieux. Il faut savoir que les Français, jusqu’à la fin, ont continué à tenter de s’appuyer sur le Glaoui, dont ils se sont servis pour monter une conjuration insensée. Aussi, en offrant au Sultan de l’installer en France, ils espéraient construire je ne sais quelle structure qui puisse sauvegarder le maximum de leurs intérêts. Il faut bien le dire: Le retour du Sultan, dès novembre 1955, a déjoué bien des calculs et coupé court à bien des ambitions, et pas seulement françaises.
MHI : Comment expliquez-vous le comportement de votre père ?
- Abdessadeq El Glaoui: Sans vouloir justifier le comportement de mon père, je sais qu’il avait réalisé son erreur et constaté que, aussi bien à l’intérieur du Maroc qu’à l’étranger, cette action funeste soulevait l’indignation de tous. De toutes les façons, ce que j’ai voulu souligner, c’est que le Glaoui, de 1951 à 1955, a vécu, malgré toutes les apparences, dans une souffrance morale intense et qu’il n’a trouvé de répit qu’en revenant à son allégeance à Sidi Mohammed Ben Youssef, dont il a, par son ralliement surprenant pour beaucoup, précipité la restauration. Le pacha El Glaoui a demandé le retour de Mohammed V, et a obtenu son pardon pour son égarement. Chose que le Roi n’a pas hésité à lui accorder. Je pense qu’il est de mon devoir, moi qui ai vécu aux côtés d’un personnage important de l’histoire, de le faire découvrir à ceux qui ne connaissent pas tout de lui.
• MHI : Racontez-nous comment s’est déroulé ce ralliement ?
- Abdessadeq El Glaoui: Ce revirement spectaculaire du Glaoui a été obtenu dans des circonstances, il faut le dire, assez dramatiques: invité à se présenter le 25 octobre 1955 devant le Conseil des Gardiens du Trône, mon père allait, sans le savoir, en reconnaissant ce conseil, servir à mettre en place une structure qui n’est pas susceptible à mon avis de résoudre le véritable problème. En effet, mon livre, Le Ralliement, décrit la manière dont a été réalisé ce véritable coup de théâtre, avec quelques amis du parti de l’Istiqlal: Haj Ahmed Bennani, Abbas El Kabbaj, et Ahmed Guessous. Ainsi, nous avons déjoué, ensemble, ce que je considérais à l’époque comme une désastreuse machination. Nous avons convaincu Haj Thami El Glaoui qu’il n’y avait pas une meilleure solution que le retour du Sultan Mohammed V. Nous l’avions convaincu, et c’était similaire à une bombe pour beaucoup de personnes qui s’attendaient à ce que cette brouille dure. A l’époque, j’avais trente ans, et je me lançais dans une opération délicate. Le délai dont nous disposions était très court: entre le 22 octobre, date de l’invitation de Haj Fathmi Ben Slimane, et le 25 octobre, date fixée par lui pour la visite du Glaoui au Conseil des Gardiens du Trône. Il nous a fallu donc nous activer pour convaincre le pacha de déclarer publiquement son ralliement au retour immédiat de Mohammed V, juste après cette visite.
• MHI : Comment la famille El Glaoui a-t-elle toujours été proche de la famille royale?
- Abdessadeq El Glaoui: Le Pacha El Glaoui était très proche de Mohammed V. Et, depuis toujours, notre famille a eu des liens très forts avec la famille alaouite. Nous sommes demeurés attachés à eux par des liens basés sur l’allégeance et le respect que notre famille leur a toujours témoignés, dans toutes les circonstances. Nos relations sont vraiment très anciennes. Mon père m‘envoyait souvent le représenter à des fêtes organisées au Palais, lorsqu’il était malade ou avait un empêchement. C’est ainsi que j’ai tissé, à mon tour, des liens, avec feu Hassan II, qui avait presque mon âge. J’ai également vécu un moment fort lorsque j’ai été reçu par Sidi Mohammed Ben Youssef, le 8 novembre 1955, à Saint-Germain en Laye.
• MHI : Quelle est l’importance des documents qui figurent dans ce livre?
- Abdessadeq El Glaoui: Les documents qui illustrent ce livre constituent une preuve des relations anciennes de notre famille avec la dynastie alaouite. D’autres sont pour démontrer les relations entretenues par mon père avec des personnalités françaises, marocaines ou américaines, prouvant par là son civisme et son amour pour son pays quoi qu’on ait pu dire de lui.
• MHI : L’histoire témoigne de la trahison de votre père, qui a indigné tous les Marocains.
- Abdessadeq El Glaoui: A mon avis, cela doit être dépassé. Je trouve que ça ne sert à rien de parler de quelqu’un en mal après sa mort. Je ne suis pas en train de nier ce qu’a fait mon père, ou de justifier son comportement. Cependant, il ne faut pas perdre de vue tout ce qu’il a fait de bien autour de lui. C’était une dérive pour lui, qu’il a regrettée, et je pense que le meilleur exemple à suivre est celui de Sidi Mohammed Ben Youssef, qui n’a pas hésité à pardonner mon père, quand ce dernier le lui a demandé. Feu Hassan II, après lui, a continué à traiter notre famille avec la même façon, et n’a plus évoqué cet acte du passé.
• MHI :Comment avez-vous procédé pour expliquer le déroulement des évènements dans votre livre?
- Abdessadeq El Glaoui: En ce qui concerne le déroulement des événements de 1950 à 1955, je me suis permis de brosser un tableau qui situe le personnage du Glaoui, mon père, dans l’environnement qui a été le cadre de sa vie. Ainsi, son itinéraire, depuis le début du siècle dernier jusqu’en 1956, serait peut-être mieux compris. La phase importante de mon discours couvrira bien entendu la crise qui a bouleversé le Maroc avec la déportation du Sultan Sidi Mohammed Ben Youssef. Autant Juin et Guillaume représentaient un durcissement après le fameux discours de Tanger, dans l’intention de perpétuer la domination de la France sur le Maroc, autant la France s’inclinait progressivement devant la revendication nationale du retour du Souverain: Il était évident pour tous que Sidi Mohammed Ben Youssef n’avait pas cessé de régner sur les cœurs de ses sujets.
• MHI : Quels sont les souvenirs forts que vous gardez de votre père ?
- Abdessadeq El Glaoui: Le pacha nous a élevés, mes frères et moi, dans une éthique religieuse et morale. Cependant, il y avait une grande distance entre nous: C’était un homme fort, au caractère impressionnant, qu’il était difficile de contredire. Ce n’est qu’en 1954 que je me suis rapproché de lui, jusqu’à lui servir de secrétaire et de l’accompagner dans quelques-uns de ses voyages, notamment à Londres en 1954, à l’occasion de sa rencontre avec Churchill. J’ai pu ainsi exercer sur lui un peu d’influence. J’ai pu le rapprocher des média et lui faire suivre, en lui traduisant les journaux, l’évolution de la situation au Maroc.
 
Je rêve...
El Glaoui serait un résistant de première heure!Imbéciles que nous sommes et idiots qu'étaient nos parents et grands parents de ne pas déceler dans les actes de ce félon les signes invisibles d'un héroisime dont la grandeur n'a d'égal que sa discrétion...Ouf, heureusement que justice fini par se faire jour. Merci fiston!! Tout s'arrache - encore chez les Glaoui - hier c'était les terrains, aujourd'hui c'est l'Histoire. Décidément, quelle gloire et quelle vigueur post scriptum!! Idiots que nous sommes, je vous dis.

Eh bien, les amis, que Glaoui JR soit content. Car si le ridicule tuait...Le fils aurait vite retrouvé Papi dans l'Arwass...

Allez, riez un coup en attendant que les poubelles de l'Histoire se vident...

Anamir.
 
Dans mon enthousiasme, j'ai oublié de remercier Agerzam pour nous avoir déniché un tel billet d'humour.

Agerzam merci encore.

PS / A quand "Bush" était un acteur de méconnu de l'intifida?
 
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