Tamou ou l'enfance violée

waggag

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J'ai écrit une nouvelle en m'inspirant de l'histoire d'une jeune amazighe du Moyen Atlas qui a été tuée par les forces makhzenienne après un viol collectif qu'elles lui ont fait subir pour se venger de son père qui était un opposant du régime hassanien. D'ailleurs l'histoire de cette jeune fille a été racontée par quelqu'un lors des séances de l'IER. Mon texte est une manière de rendre hommage à cette jeune fille qui a été massacrée injustement par les sbires du régime arabiste marocain.

"J’ai vraiment peur ce soir. Mon papa n’est pas rentré depuis hier. Je ne sais pas où ce qu’il est. On m’a dit que jjadarmiya le cherchent. Mais je ne sais pas pourquoi. Mon père n’a jamais tué personne, n’a jamais volé personne, n’a jamais agressé personne. Je ne comprends pas, je ne comprends pas, je ne comprends pas…

Je suis toute seule en plus. Je n’ai que mon père dans cette vie. Ma mère était morte depuis que j’étais très petite. En fait, je ne l’ai jamais connue. Mon père a refusé de se remarier de peur que sa future femme ne me maltraite. Oui, mon père s’est sacrifié pour moi, sa petite Tamou, comme il préfère m’appeler.

Mon père aussi est orphelin de père. Mon grand-père, dont on disait qu’il était le courage même, a été tué par les Français, car il ne voulait pas qu’on lui prenne sa terre. On se ressemble moi et mon père. Lui a perdu très jeune son père; moi, j’ai perdu ma mère. Une famille d’orphelins quoi !

Mon père a toujours été sensible à la misère des petites gens. Il les aidait toujours avec le peu de moyens qu’il possède. C’est peut-être parce qu’il est contre la misère que mon père est recherché par les jjadarmiya.

Ces ogres en uniforme me font terriblement peur. D’ailleurs, mes cousines et moi, on se faisait peur on imaginant des jjadarmiya partout. Ce sont des gens sans aucune humanité. Ce sont des monstres qui peuvent vous manger cru en plein milieu du jour. Moi, j’ai vraiment peur d’eux.

Mon Dieu, que la nuit est sombre! Mon Dieu, que je suis seule. Mon père, mais tu es où ? Mon père, mais pourquoi es-tu parti? Je ne sais plus quoi faire! Je suis perdue!

Tamou, complètement seule et en désespoir de cause, est partie se coucher sans avoir mangée. Elle était très angoissée de ce qu’il advenait de son père. Au moment où elle somnolait, elle a été réveillée brutalement par les coups très violents donnés à la porte. Debout et morte de peur, elle n’a pas su se retenir : un filet de pisse coulait de son entrejambe..

Cassant la porte avec une violence inouïe, les Jadarmiya la trouvent dans la maison à cause de ses cris. Ils l’ont prise violemment par le cou et l’ont jetée comme une chose dans leur fourgounette. Elles n’en avaient cure que son corps tout frêle de jeune fille de juste dix printemps, ait été blessé. C’était le dernier de leur souci . D ’ailleurs, Tamou n’a pas pu se retenir. Elle a crié de toutes ses forces. Elle a supplié le monde entier pour la délivrer de ses bourreaux. Les voisins, morts de peur, voyaient la scène des fentes de leurs protes. Que pouvaient-ils faire contre ces barbares des temps modernes ?

Dans ses pleurs désespérés, une main d’une violence inouïe l’a frappée sur le visage. Elle en a perdu conscience. Elle s’est tue presque immédiatement. Dans la fourgounette, plus de pleurs, plus de larmes, plus de vie... Dans le siège avant, les Jadarmiya discutaient joyeusement. Une idée leur a passé dans la tête. Les Amazighs, a dit le plus sadique parmi eux , pour leur foutre la plus grande des honte, il faut violer leurs filles. Cette idée a eu un succès immédiat.

Tout d’un coup, la fourgounette s’arrêta à la lisière d’une forêt de sapin. Là, on tira Tamou de sa léthargie pour la jeter à terre. A demi consciente, et carrément insensible au toucher, les jadarmiya la violaient un par un tandis qu’elle les regardait s’alterner sur son petit corps en lançant des cris jouisseurs qui étaient les seuls à briser le silence de la cédrière.

Elle a presque pitié de ces hommes sans aucune humanité qui agressaient son enfance, son petit corps, son enfance, son intimité… Mais comment mon Dieu pevt-on arriver à cette sauvagerie? N’ont-ils pas des enfants comme moi? N’ont-ils pas été des enfants comme moi?

Laissée là comme un loque avec laquelle on s’est torchée le derrière, Tamou, seule, triste, meurtrie, massacrés, déchiquetée… Elle ne pleurait même plus tellement qu’elle n’en voyait pas l’intérêt. Toujours allongée les yeux dans les étoiles en se demandant bien qui pouvait encore l’arracher à son étant d’inconscience, à sa douleur, à son malheur.

Tout d’un coup le miracle a eu lieu. Les cèdres ont commencé à lui parler. Ils ont eu au moins un minimum d’humanité, pensa-t-elle. Ils commençaient même à bouger et à se rassembler autour d’elle. Elle n’en croyait pas ses yeux !

Il y en a des petits, des grands, des moyens. Enfin, il y en a de toute sorte et de toutes les longueurs. Ils faisaient progressivement un cercle autour d’elle comme dans l’ahidous local. D’ailleurs, elle aurait bien aimé se lever pour le jouer, mais en vain . Son petit corps chétif ne répondait plus.

Dans son village, elle aimait bien se mettre avec les adultes. Elle restait toujours collée à son père en imitant ses faits et gestes jusqu’aux premières lueurs du jour. Il essaye souvent de la convaincre d’aller se coucher vu son jeune âge, mais rien n’y est fait. Ah, pense-t-elle, mon baba inu, où peut-il bien être, j’espère au moins que ces maudits de Jadarmiyya ne l’ont pas arrêté, ces ogres de la nuit, ces barbares qui ne trouvent le plaisir qu’ en vous découpant, en vous massacrant, en vous écrasant…


En levant un peu la tête, Tamou a vu que les cèdres avaient formés un cercle autour d’elle, des alluns à la main. Tout d’un coup, le plus grand cèdre prit la parole pour chanter un poème dans la plus pure tradition ahidoussiennes. Un poème qui perçait les cieux et qui était d’une tristesse à vous arracher des larmes même si vous êtes le plus grand des insensibles.

Le autres cèdres le reprenaient en chœur, et c’est ainsi presque toute la soirée. Entres temps, Tamou en larmes a eu presque le sentiment que c’était le dernier des ahidouss auquel elle allait assister. Elle sentait presque la chaleur de son sang, en contact avec son corps, qui coulait de son bas ventre pour arroser la terre, la terre de ses ancêtres et de son peuple. Elle sentait déjà qu’elle n’était plus de ce monde.

Aux premières lueurs du jour, les cèdres ont pris le corps de Tamou, cette descendante des derniers hommes libres, pour l’inhumer dans un lieu inconnu, au fin fond de la forêt et éviter que son corps soit encore souillé par les mains des hommes sans cœur..
 
Magnifique nouvelle, waggag! merci infiniment pour cette histoire réaliste, bien qu'elle soit tragique: c'est l'horreur vraie telle que l'ont connue des millions de maghrébins, de toute tamazgha, kabyles ou chaouis, imazighen ou chleuhs, rifains ou touaregs, nous avons subi les siècles de plomb et de mépris, au delà du cauchemar que tu racontes.

Je me le rappelle personnellement, enfant, dans mon pauvre quartier, orphelin de père, ma pauvre mère et nos voisins qui tremblaient de peur à la vue d'un uniforme, cette terreur inspirée par le makhzen, les flics et les merdas du moqaddem qui nous terrorisaient, j'en avais fait pipi dans mon froc, enfant, et cette terreur nous la traînons comme un complexe d'enfant maltraité au fond de nos coeurs et dans nos cauchemars, on nous a dressés à avoir peur, à baisser les yeux et à filer droit en rasant les murs, à nous taire et à embrasser les mains de nos maîtres.

La peur de l'autorité, c'est notre chaîne, c'est notre servitude. Le taleb de la mosquée, le maître de l'école, le moqaddem du quartier, le gendarme sur la route et le flic dans la cité, ce sont les représentants d'une idéologie d'oppression et de terreur au service de l'exploitation, du vol et de la corruption de la super mafia arabo- islamiste que chacun de nous maintenant doit dénoncer et combattre. Pour la dignité. Pour la liberté. Pour l'honneur. Pour les générations amazighes futures. Plus jamais ça!

Ullac smah ullac, comme diraient nos frères kabyles, et ils savent de quoi ils parlent.
 
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