Pays touareg
Situation dans l’Azawad : témoignage d’un Touareg de Kidal
Nous publions ci-après le témoignage d’un Touareg de Kidal à propos de la situation actuelle marquée par la re-prise des armes par des combattants touaregs...
Je voudrais apporter mon témoignage, en tant qu’Amachagh (Touareg) de l’Adagh (Adrar des Iforas). Mon témoignage porte sur deux éléments essentiels :
1- les raisons qui ont conduit, pour la troisième fois, depuis la création de l’Etat malien (la première fois étant en 196363 et la deuxième en 1990) les Kel Tamashek à recourir aux armes dans leur rapports avec le pouvoir central de Bamako ;
2- la réaction de la population civile à ce nouveau mouvement.
Ce dernier point pourrait être scindé en trois principales parties :
a - la réaction des citoyens ;
b- la réaction des élites traditionnelles (chefs coutumiers) ;
c- la réaction des cadres touaregs scolarisés.
I- Sur les raisons du soulèvement
Pour aborder ce point, je me baserai sur trois sources essentielles qui sont ma propre expérience, les déclarations des responsables actuels du mouvement et les réactions de certains responsables politiques de l’ancienne rébellion.
- De mon expérience, en tant que militant pour la cause touarègue et ancien combattant lors du deuxième soulèvement de 1990.
En 1963, mon père a été arrêté par une patrouille de l’armée malienne sur la frontière algéro-malienne, puis emmené à Kidal et depuis il a disparu. Nous n’avons même pas retrouvé son corps pour lui donner une sépulture. J’avais alors six mois. A l’âge de dix ans, je me suis réfugié en Algérie, où j’ai rejoint, en 1979 le réseau politique de la "révolution touarègue". En 1981, je rejoignis la Libye où j’ai subi un entraînement militaire. En 1990, j’ai participé au deuxième soulèvement dans l’Adagh des Ifoghas. Pendant cette expérience, la revendication a beaucoup mûrie : elle est passée de l’indépendance pure et simple à une espèce de fédéralisme ou autonomie dans le cadre de l’Etat malien. L’attitude et les propositions du président A. O. Konari, nous a emmenés, mes amis et moi, à croire sérieusement à une cohabitation possible dans un Mali démocratique et pluriculturel renonçant ainsi à toute idée d’indépendance.
Les déclarations des responsables du mouvement actuel :
Mais certains de ces mêmes amis se trouvent aujourd’hui, malheureusement, les armes à la main, obligés de demander l’application, qui tarde toujours à venir, des termes des accords (Pacte national) selon lesquels nous avons renoncé à la lutte armée.
Mais avant que cela n’arrive, ces mêmes amis ont, à travers la prise de position du Lieutenant colonel Fagaga, demandé l’application de ces mêmes accords sur le terrain.
La réponse des autorités centrales a été l’envoi d’une colonne de blindés venant du Sud et qui avait pour ordre "d’occuper les puits de parcours des nomades et réduire toutes les poches de résistance". A ce moment là, mes amis se sont trouvés devant un dilemme : Faut-il attendre l’arrivée de la troisième expédition punitive envoyée depuis le Sud pour soumettre le Nord, ou agir en auto-défense.
Ils ont choisi cette dernière possibilité et ainsi ils ont pris et occupé tous les postes militaires basés au Nord et rallié à leur cause tous les autres combattants intégrés qui s’y trouvaient. Mais ayant vite saisi les intentions du pouvoir militaire, ils ont évacué les positions qu’ils venaient d’occuper et ce pour deux raisons stratégiques :
- la majorité des forces envoyées depuis le Sud sont composées, essentiellement, d’anciens camarades de lutte, pris au piège de l’intégration, pour servir de chaire à canon. Ils ont donc évité l’affrontement ;
- Ayant fait leur coup de main pour amener le pouvoir en place à appliquer les accords qu’il avait signés, ils ont privilégié la négociation.
Les réactions de certains responsables politiques de l’ancienne rébellion.
Face à cette escalade dangereuse dont le Mali aurait pu faire l’économie, les avis sont mitigés au sein des ex-responsables politiques de la rébellion sur l’application ou non des accords. Là aussi, deux catégories d’opinions se dégagent :
- ceux qui pensent et déclarent (voir kidal.info) que l’application du pacte national connaît des problèmes et nécessite donc une évaluation.
- ceux qui considèrent que le pacte est complètement dépassé puisque des nouvelles négociations doivent inévitablement être engagées.
La réaction de la population civile (tamashek, j’entends)
1- la réaction des citoyens
Elle est aussi de deux ordres :
- ceux qui voient déjà poindre les risque de stigmatisation ethnique qui a conduit par le passé à plonger le pays dans une véritable guerre civile nourrie et appuyée par le pouvoir central ;
- ceux qui pensent réellement que les Touaregs ont des spécificités qu’ils se doivent de garder et qui méritent d’être défendues. Cette catégorie des personnes est constituée, en grande partie, des habitants de l’Adagh des Ifoghas.
2- la réaction des élites traditionnelles (chefs coutumiers) :
Elle est également de deux ordres :
- Ceux qui pensent que le moment est, enfin, venu pour regagner leur rôle d’intermédiaires entre le pouvoir central est les populations locales, mis à mal par l’émergence des scolarisés qui ont négocié les accords portant sur le Pacte National, en proposant leurs médiation ;
- Ceux qui ont rejoint le mouvement tout en essayant d’inscrire leur rôle de chefs traditionnels dans un contexte moderne.
3- les cadres touareg scolarisés
Deux catégories sont à distinguer :
- Ceux qui se sont engagé publiquement au côté du pouvoir, en réactivant leur rôle de chefs politiques de l’ancienne rébellion à travers des appels au calme et de désolidarisation avec les responsables du mouvement actuels qu’ils accusent d’être animés (pour reprendre le terme de l’un d’entre eux) par des motivations purement mercantiles, à leurs anciens éléments intégrés ;
- Ceux qui se sont imposés un silence radio (sauf quelques échos donnés ça et là) faisant état de leur invisibilité politique compte tenu de la nature un peu ambiguë, selon eux du mouvement actuel.
C’était un point de vu personnel sur la situation que vit la région de l’Adagh des Ifoghas, au Nord Mali, actuellement.
In Allaghen Ag Alla,
Depuis Kidal
source: forum : www.tamaynutfrance.org
Situation dans l’Azawad : témoignage d’un Touareg de Kidal
Nous publions ci-après le témoignage d’un Touareg de Kidal à propos de la situation actuelle marquée par la re-prise des armes par des combattants touaregs...
Je voudrais apporter mon témoignage, en tant qu’Amachagh (Touareg) de l’Adagh (Adrar des Iforas). Mon témoignage porte sur deux éléments essentiels :
1- les raisons qui ont conduit, pour la troisième fois, depuis la création de l’Etat malien (la première fois étant en 196363 et la deuxième en 1990) les Kel Tamashek à recourir aux armes dans leur rapports avec le pouvoir central de Bamako ;
2- la réaction de la population civile à ce nouveau mouvement.
Ce dernier point pourrait être scindé en trois principales parties :
a - la réaction des citoyens ;
b- la réaction des élites traditionnelles (chefs coutumiers) ;
c- la réaction des cadres touaregs scolarisés.
I- Sur les raisons du soulèvement
Pour aborder ce point, je me baserai sur trois sources essentielles qui sont ma propre expérience, les déclarations des responsables actuels du mouvement et les réactions de certains responsables politiques de l’ancienne rébellion.
- De mon expérience, en tant que militant pour la cause touarègue et ancien combattant lors du deuxième soulèvement de 1990.
En 1963, mon père a été arrêté par une patrouille de l’armée malienne sur la frontière algéro-malienne, puis emmené à Kidal et depuis il a disparu. Nous n’avons même pas retrouvé son corps pour lui donner une sépulture. J’avais alors six mois. A l’âge de dix ans, je me suis réfugié en Algérie, où j’ai rejoint, en 1979 le réseau politique de la "révolution touarègue". En 1981, je rejoignis la Libye où j’ai subi un entraînement militaire. En 1990, j’ai participé au deuxième soulèvement dans l’Adagh des Ifoghas. Pendant cette expérience, la revendication a beaucoup mûrie : elle est passée de l’indépendance pure et simple à une espèce de fédéralisme ou autonomie dans le cadre de l’Etat malien. L’attitude et les propositions du président A. O. Konari, nous a emmenés, mes amis et moi, à croire sérieusement à une cohabitation possible dans un Mali démocratique et pluriculturel renonçant ainsi à toute idée d’indépendance.
Les déclarations des responsables du mouvement actuel :
Mais certains de ces mêmes amis se trouvent aujourd’hui, malheureusement, les armes à la main, obligés de demander l’application, qui tarde toujours à venir, des termes des accords (Pacte national) selon lesquels nous avons renoncé à la lutte armée.
Mais avant que cela n’arrive, ces mêmes amis ont, à travers la prise de position du Lieutenant colonel Fagaga, demandé l’application de ces mêmes accords sur le terrain.
La réponse des autorités centrales a été l’envoi d’une colonne de blindés venant du Sud et qui avait pour ordre "d’occuper les puits de parcours des nomades et réduire toutes les poches de résistance". A ce moment là, mes amis se sont trouvés devant un dilemme : Faut-il attendre l’arrivée de la troisième expédition punitive envoyée depuis le Sud pour soumettre le Nord, ou agir en auto-défense.
Ils ont choisi cette dernière possibilité et ainsi ils ont pris et occupé tous les postes militaires basés au Nord et rallié à leur cause tous les autres combattants intégrés qui s’y trouvaient. Mais ayant vite saisi les intentions du pouvoir militaire, ils ont évacué les positions qu’ils venaient d’occuper et ce pour deux raisons stratégiques :
- la majorité des forces envoyées depuis le Sud sont composées, essentiellement, d’anciens camarades de lutte, pris au piège de l’intégration, pour servir de chaire à canon. Ils ont donc évité l’affrontement ;
- Ayant fait leur coup de main pour amener le pouvoir en place à appliquer les accords qu’il avait signés, ils ont privilégié la négociation.
Les réactions de certains responsables politiques de l’ancienne rébellion.
Face à cette escalade dangereuse dont le Mali aurait pu faire l’économie, les avis sont mitigés au sein des ex-responsables politiques de la rébellion sur l’application ou non des accords. Là aussi, deux catégories d’opinions se dégagent :
- ceux qui pensent et déclarent (voir kidal.info) que l’application du pacte national connaît des problèmes et nécessite donc une évaluation.
- ceux qui considèrent que le pacte est complètement dépassé puisque des nouvelles négociations doivent inévitablement être engagées.
La réaction de la population civile (tamashek, j’entends)
1- la réaction des citoyens
Elle est aussi de deux ordres :
- ceux qui voient déjà poindre les risque de stigmatisation ethnique qui a conduit par le passé à plonger le pays dans une véritable guerre civile nourrie et appuyée par le pouvoir central ;
- ceux qui pensent réellement que les Touaregs ont des spécificités qu’ils se doivent de garder et qui méritent d’être défendues. Cette catégorie des personnes est constituée, en grande partie, des habitants de l’Adagh des Ifoghas.
2- la réaction des élites traditionnelles (chefs coutumiers) :
Elle est également de deux ordres :
- Ceux qui pensent que le moment est, enfin, venu pour regagner leur rôle d’intermédiaires entre le pouvoir central est les populations locales, mis à mal par l’émergence des scolarisés qui ont négocié les accords portant sur le Pacte National, en proposant leurs médiation ;
- Ceux qui ont rejoint le mouvement tout en essayant d’inscrire leur rôle de chefs traditionnels dans un contexte moderne.
3- les cadres touareg scolarisés
Deux catégories sont à distinguer :
- Ceux qui se sont engagé publiquement au côté du pouvoir, en réactivant leur rôle de chefs politiques de l’ancienne rébellion à travers des appels au calme et de désolidarisation avec les responsables du mouvement actuels qu’ils accusent d’être animés (pour reprendre le terme de l’un d’entre eux) par des motivations purement mercantiles, à leurs anciens éléments intégrés ;
- Ceux qui se sont imposés un silence radio (sauf quelques échos donnés ça et là) faisant état de leur invisibilité politique compte tenu de la nature un peu ambiguë, selon eux du mouvement actuel.
C’était un point de vu personnel sur la situation que vit la région de l’Adagh des Ifoghas, au Nord Mali, actuellement.
In Allaghen Ag Alla,
Depuis Kidal
source: forum : www.tamaynutfrance.org