Si le Tifinagh n'était conté...

achelhey

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Les caractères berbères, utilisés aujourd'hui par les Touaregs, ou encore, tels que nous les retrouvons dans les plus anciennes inscriptions numidiques, sont nommés le Tifinagh. La signification analytique du mot Tifinagh d'après Louis Linn est « ce que a envoyé ou a révélé le Dieu Enn créateur ». Ces caractères auxquels la légende voudrait attribuer une « origine divine », étaient au début au nombre de dix seulement. Cette dénomination montre, chez les berbères ainsi que chez les peuples anciens, que les caractères de l'écriture furent d'abord en usage chez les prêtres qui les présentèrent comme les effets d'une révélation surnaturelle.

Après s'être servi des signes géométrique à éléments rectilignes pendant un temps assez long pour que le souvenir de leur invention ait pu disparaître, les premiers prêtres touraniens perfectionnèrent le système en usage par l'adjonction de signes complémentaires destinés à préciser et à déterminer la valeur des mots en Tifinagh : c'est la naissance du système dit « Tiddebakin ». En effet, chacun de ces signes, porte le nom de Tiddebaka, mot dont la traduction analytique est « indice d'action et d'extension ». A côté des valeurs usuelles et pratiques, ces caractères ont une valeur hiéroglyphique, une valeur idéologique et une valeur phonétique. En effet, le berbère, constituant un reliquat remarquable des premiers âges par ses attaches inéluctables avec les plus vielles civilisations, renferme, suivant l'expression d'Auguste Bernard, les alluvions égyptiennes, phéniciennes, éthiopiennes, arabes... Par exemple, certains caractères tels O, o, ][ ont une valeur hiéroglyphique de sigles astronomiques respectivement, de la pleine lune, du soleil et du premier et dernier quartier de lune. Ces sigles sont curieusement utilisés par nos astronomes modernes, pour symboliser la lune et le soleil. Ils étaient aussi adoptés par les anciens Egyptiens pour désigner l'astre du jour et celui de la nuit. D'après Halévy et Duveyrier, le berbère s'écrit indistinctement, horizontalement ou verticalement, de gauche à droite et de droite à gauche, de bas en haut ou de haut en bas. Cependant, aujourd'hui, l'usage de l'écriture horizontale de droite à gauche semble avoir prévalu dans la pratique ordinaire ; l'écriture verticale étant surtout réservée pour les inscriptions rupestres tracées en creux ou en relief, que les anciens traçaient toujours de bas en haut à la façon des inscriptions lybiques. Il y a seulement quelques siècles que le berbère a cessé d'être la langue usuelle de Marrakech ; on sait par les auteurs anciens, qu'on n'y parlait guère encore que l'amazigh au XVIIème siècle. Depuis, il n'a cessé de régresser ; ainsi, les Imazighen ont perdu le souvenir de leur origine, l'écriture de leur langue et jusqu'au sens des rites dont quelques uns ont survécu grâce à l'inaccessibilité des montagnes et à la force des traditions. Heureusement, de bonne heure, des berbérologues émérites se sont attaqués aux problèmes ardus de l'éthologie pour expliquer les noms des objets ou des lieux et par leur capacité d'ethnologue de révéler à partir du folklore la survivance des vieux rites. En effet, certains toponymes (par exemple Marrakech, composé des mots « amour et Kouch » désigne le pays des fils de Kouch, figure historique qui n'est autre que le fils de Sidna Nouh), se sont révélé reproduire, après deux millénaires écoulés, le thème central de leur dénomination primitive, ce qui est la meilleure démonstration linguistique qui soit de la permanence séculaire du rôle historique rempli par certains sites prédestinés. Le Père de Foucault, un de ces vétérans de la langue amazighe, a payé de sa vie ses recherches sur la langue et la littérature touarègues, ces berbérophones qui faisaient partie de ce grand ensemble berbère qui s'étendait du Maroc à l'Egypte. L'adoption du Tifinagh par l'Institut Royal de la Culture Amazighe ne peut être que légitime, même si certains pourraient suspecter quelque forme de déviationnisme culturel. Il faudrait en effet, voir cet alphabet-relique comme ces vieux tableaux de maître italien dont les siècles ont oxydé le vernis au point de les couvrir d'une partie ténébreuse, mais que des réactifs appropriés pourront faire disparaître pour ramener, dans leur fraîcheur et pour le ravissement de nos yeux, les coloris originels. En fait, l'idéal serait d'adapter à l'Amazigh un système de transcription simple répondant à toutes ses variétés articulatoires adaptées à la phonologie et à la phonétique qui lui sont propres, avec toute sa richesse vocalique, permettant en plus d'éviter le phénomène de l'homonymie qui a été la cause de bonne heure de la confusion des langues, comme elle provoque aujourd'hui la polémique dans les milieux intellectuels. En principe, une langue ne peut être écrite et lue correctement que par sa propre écriture. Toute adaptation d'une autre forme d'écriture à une langue lui serait fatale à la longue. L'exemple le plus éloquent c'est celui de l'Egyptien ancien. Au temps d'Alexandre Le Grand, les habitants de l'Egypte ont commencé à écrire leur langue avec les caractères grecs, langue des aristocrates de l'époque. Résultat : les fameux hiéroglyphes sont restés indéchiffrables pendant vingt- quatre siècles et toute une culture partie en fumée. Ce n'est que grâce au génial Champolion que ce type d'écriture a pu être ressuscité grâce à la découverte de la stèle de la Rosette en 1799.

O. Lakhdar
 
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