Moyen Orient: entretien avec Olivier Roy

Tafart

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Entretien avec Olivier Roy pour @LorientLeJour
“Le Hamas n'a jamais fait partie du jihad global”
https://lorientlejour.com/article/1357750

Extraits:

KB : “Quatre décennies après 1979, vous avez analysé un paradoxe particulièrement étonnant : la seule révolution islamique qui ait “réussi” a donné naissance à la société la plus sécularisée de tout le monde musulman, avec une chute considérable de la pratique religieuse et un rejet de la théocratie par les jeunes. Vous voyez dans l’Iran d’aujourd’hui “l’archétype de l’échec.“ Mais si la révolution s’est essoufflée en interne, le nationalisme iranien perdure. Pensez-vous que l’Iran pourra profiter de la guerre en cours pour accroître sa projection de puissance sur les pays voisins et tenter de se positionner en “gendarme du Moyen-Orient” ?

OR: L’Iran continuera à se positionner en “gendarme du Moyen-Orient” en jouant sur deux tableaux : d’une part sur sa capacité de nuisance (pressions militaires par l’intermédiaire de ses alliés locaux, l’axe chiite) et d’autre part en se présentant comme un arbitre bienveillant et un protecteur du monde arabe qui aurait tout à perdre de se rapprocher d’Israël et de compter sur l’Amérique. Pour cela, Téhéran ne joue plus sur la déstabilisation interne des régimes arabes sunnites, comme elle a pu le faire dans les années 1980-1990, mais sur la désillusion des pays arabes par rapport à la protection américaine. En gros, l’Iran fait de sa malveillance un argument de bienveillance : “Faites un accord avec nous maintenant, sinon vous serez en position plus faible quand la faiblesse américaine sera irréversible” (et sans doute, sans le dire, quand nous aurons la dissuasion nucléaire). Autrement dit : seul Téhéran peut contenir Téhéran… Mais c’est un jeu d’équilibre instable, qui peut déraper à tout moment : trop de pression sur les pays arabes les pousse vers les États-Unis, moins de pression et l’Arabie saoudite pourrait se croire capable de s’imposer comme maître du jeu en ignorant Téhéran. Il faut donc à la fois faire peur et rassurer. D’où une rhétorique de guerre régionale contre Israël et une assurance discrète que l’Iran ne se lancera pas dans la guerre pour sauver le Hamas (qui n’est d’ailleurs pas partie prenante de l’axe chiite). Seulement cela suppose que tout le monde joue le jeu. Or Israël n’a guère d’intérêt à le jouer et peut au contraire penser que le moment est favorable pour écraser le Hezbollah grâce au parapluie américain.” (…) “La société iranienne est opposée à l’aventurisme extérieur, mais reste très nationaliste. Il y aura un ralliement autour du drapeau si le territoire iranien est attaqué, d’autant que cela prendrait la forme d’attaques aériennes et non terrestres. Et ces attaques ne dureront pas suffisamment longtemps pour que la population s’en lasse, d’autant qu’il n’y aucune opposition politique structurée capable de jouer un rôle.”

KB: Dans quelle mesure et dans quelles circonstances l’Iran pourrait-t-il inciter ses alliés régionaux, libanais, yéménites ou irakiens à s’engager dans ce conflit ?

OR: “Uniquement sous contrôle iranien, et dans un dosage subtil de pressions et de négociations. Je ne pense pas que l’Iran déclenchera une vraie guerre régionale, et je ne pense pas non plus que ses alliés locaux y soient prêts. Téhéran ne dispose plus d’un créneau pour une attaque surprise. Aujourd’hui les Américains sont présents et sur le pied de guerre, l’armée israélienne est mobilisée. Le seul créneau pour une attaque surprise c’était le 7-8 octobre: une offensive brutale du Hezbollah au moment où la mobilisation israélienne n’était pas opérationnelle et où les États-Unis n’avaient pas encore renforcé leur présence. Cela prouve ou bien que Téhéran n’était pas au courant de l’attaque prévue par le Hamas, ou bien avait de toute façon renoncé par avance à lancer une guerre régionale, en laissant le Hamas mettre Israël et l’Arabie saoudienne en difficulté, pour apparaître ensuite comme un arbitre, certes partisan, mais efficace”
 
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