Coupe d'Afrique. Le match Maroc-Algérie, à Sfax, dimanche, a déclenché de violents heurts.
A foot et à sang
Par Christophe AYAD et José GARÇON
mercredi 11 février 2004
Jets de pierre, voitures incendiées, vitrines saccagées, Sfax ressemble à un champ de bataille. Au total, les émeutes auraient fait 200 blessés. ue s'est-il vraiment passé avant, pendant et après le quart de finale Maroc-Algérie de la Coupe d'Afrique des nations (CAN), dimanche, à Sfax, en Tunisie ? Selon la version de la TAP, l'agence de presse tunisienne, 69 personnes ont été blessées au cours «d'incidents provoqués par une partie du public algérien, qui n'a pas fait preuve d'esprit sportif». «Ces incidents n'ont fait que 51 blessés légers algériens, qui ont aussitôt été secourus, tandis que 14 agents de l'ordre ont été légèrement blessés», poursuit la TAP dans une dépêche qui tient surtout du communiqué officiel. «Des éléments du public algérien ont commencé à provoquer des perturbations lorsque l'équipe marocaine a obtenu l'égalisation. »
Marché noir. D'après le récit d'un témoin à Libération, les incidents ont débuté avant même la rencontre. «Les autorités ont commis une erreur grave, raconte un Tunisien. Le stade Taieb-Mehiri, qui accueillait la rencontre, ne compte que 18 000 places, alors que, depuis vingt-quatre heures, Sfax était rempli d'Algériens venus en voisins.» Une présence bruyante et massive qui heurte la très bourgeoise métropole économique tunisienne. Les autorités ont certes incité les Tunisiens à ne pas assister au match afin de laisser plus de places aux Algériens. Le comité d'organisation avait suggéré à la Confédération africaine de football (CAF) de déplacer le match à Tunis, dans le stade Al-Menzah (50 000 places). Mais la CAF avait refusé un changement de dernière minute, négligeant le côté explosif d'un match entre les deux grands rivaux du Maghreb. D'autant que des centaines de places «fantômes» avaient été vendues au marché noir jusqu'à 60 dinars tunisiens (39 euros) alors que le prix officiel varie entre 6 et 10 dinars.
Les écrans géants installés dans la ville n'ont pas empêché la foule de se presser au stade. Débordées, les autorités ont alors demandé aux supporters de se mettre en file indienne, exigeant passeports et billets. Furieux, les refoulés ont protesté, provoquant l'intervention des «Bop» (Brigades de l'ordre public). Surnommées les «ninjas», ces forces antiémeutes, casquées et vêtues de noir, sont accompagnées par des chiens, et ont la réputation d'avoir la matraque lourde.
Au coup d'envoi donné dans un stade aux couleurs de l'Algérie, tout est rentré dans l'ordre. Un demi-millier de supporters marocains peinent à se faire entendre. Les incidents reprennent à la fin du match, lorsque le Maroc égalise (1-1) pendant les arrêts de jeu. «Là, les supporters algériens sont devenus fous», raconte un témoin. Enragés par les deux buts marqués par le Maroc au cours de la prolongation, ils arrachent les sièges. La fin du match est sifflée dans une confusion totale. La police et les Bop chargent. Les heurts débordent dans Sfax. «Une chasse à l'homme», raconte un Tunisien. Jets de pierre, voitures incendiées, vitrines saccagées, le centre-ville ressemble à un champ de bataille. Plusieurs dizaines de supporters algériens sont arrêtés une soixantaine selon un journaliste et expulsés vers l'Algérie. Au total, les heurts auraient fait plus de 200 blessés, tandis que la rumeur parle d'un supporter algérien mort. Radio et bouche-à-oreille relaient rapidement les troubles de Sfax et le voyage de retour des Algériens, dimanche soir et lundi, a lieu dans une atmosphère explosive. Postés le long de la route, les villageois tunisiens attaquent à coups de pierres les véhicules immatriculés en Algérie. Des heurts relatés hier par le quotidien le Soir d'Algérie comme des exactions de «la police de Ben Ali qui s'en prend sauvagement aux supporters (...) humiliés, mutilés et, pour plusieurs d'entre eux, grièvement blessés par balle. Des morts auraient été dénombrés. (...)Un vrai carnage, racontent des rescapés». Le récit est pour le moins fantaisiste. Mais il en dit long sur les relations entre l'Algérie et la Tunisie ou... sur la volonté d'Alger de laisser le Maroc à l'écart de cette affaire. Reste que ces incidents risquent de torpiller la candidature tunisienne à l'organisation de la Coupe du monde 2010.
Présidentielle. Une fois passé la frontière, les Algériens attaquent le consulat de Tunisie à Tébessa, la première ville algérienne traversée. Lundi soir, des affrontements se poursuivaient à Tébessa, où les forces de l'ordre ont utilisé des lacrymogènes contre les manifestants. Au même moment, une fausse rumeur une de plus venant de l'Est algérien, et gonflant au fur et à mesure, va faire sortir dans les rues d'Alger et Oran des dizaines de supporters : l'équipe marocaine aurait été disqualifiée à la suite de la découverte de cinq cas de dopage. «Drapeaux nationaux, klaxons, défilé d'automobilistes, les scènes étaient surréalistes. Jusqu'au démenti de la radio», raconte le Quotidien d'Oran en s'interrogeant sur l'innocence d'une telle rumeur à deux mois d'une élection présidentielle délicate. Comme s'il s'agissait de «tester les ressorts émotionnels et la capacité de mobilisation de la population pour la faire sortir dans la rue ».
A foot et à sang
Par Christophe AYAD et José GARÇON
mercredi 11 février 2004
Jets de pierre, voitures incendiées, vitrines saccagées, Sfax ressemble à un champ de bataille. Au total, les émeutes auraient fait 200 blessés. ue s'est-il vraiment passé avant, pendant et après le quart de finale Maroc-Algérie de la Coupe d'Afrique des nations (CAN), dimanche, à Sfax, en Tunisie ? Selon la version de la TAP, l'agence de presse tunisienne, 69 personnes ont été blessées au cours «d'incidents provoqués par une partie du public algérien, qui n'a pas fait preuve d'esprit sportif». «Ces incidents n'ont fait que 51 blessés légers algériens, qui ont aussitôt été secourus, tandis que 14 agents de l'ordre ont été légèrement blessés», poursuit la TAP dans une dépêche qui tient surtout du communiqué officiel. «Des éléments du public algérien ont commencé à provoquer des perturbations lorsque l'équipe marocaine a obtenu l'égalisation. »
Marché noir. D'après le récit d'un témoin à Libération, les incidents ont débuté avant même la rencontre. «Les autorités ont commis une erreur grave, raconte un Tunisien. Le stade Taieb-Mehiri, qui accueillait la rencontre, ne compte que 18 000 places, alors que, depuis vingt-quatre heures, Sfax était rempli d'Algériens venus en voisins.» Une présence bruyante et massive qui heurte la très bourgeoise métropole économique tunisienne. Les autorités ont certes incité les Tunisiens à ne pas assister au match afin de laisser plus de places aux Algériens. Le comité d'organisation avait suggéré à la Confédération africaine de football (CAF) de déplacer le match à Tunis, dans le stade Al-Menzah (50 000 places). Mais la CAF avait refusé un changement de dernière minute, négligeant le côté explosif d'un match entre les deux grands rivaux du Maghreb. D'autant que des centaines de places «fantômes» avaient été vendues au marché noir jusqu'à 60 dinars tunisiens (39 euros) alors que le prix officiel varie entre 6 et 10 dinars.
Les écrans géants installés dans la ville n'ont pas empêché la foule de se presser au stade. Débordées, les autorités ont alors demandé aux supporters de se mettre en file indienne, exigeant passeports et billets. Furieux, les refoulés ont protesté, provoquant l'intervention des «Bop» (Brigades de l'ordre public). Surnommées les «ninjas», ces forces antiémeutes, casquées et vêtues de noir, sont accompagnées par des chiens, et ont la réputation d'avoir la matraque lourde.
Au coup d'envoi donné dans un stade aux couleurs de l'Algérie, tout est rentré dans l'ordre. Un demi-millier de supporters marocains peinent à se faire entendre. Les incidents reprennent à la fin du match, lorsque le Maroc égalise (1-1) pendant les arrêts de jeu. «Là, les supporters algériens sont devenus fous», raconte un témoin. Enragés par les deux buts marqués par le Maroc au cours de la prolongation, ils arrachent les sièges. La fin du match est sifflée dans une confusion totale. La police et les Bop chargent. Les heurts débordent dans Sfax. «Une chasse à l'homme», raconte un Tunisien. Jets de pierre, voitures incendiées, vitrines saccagées, le centre-ville ressemble à un champ de bataille. Plusieurs dizaines de supporters algériens sont arrêtés une soixantaine selon un journaliste et expulsés vers l'Algérie. Au total, les heurts auraient fait plus de 200 blessés, tandis que la rumeur parle d'un supporter algérien mort. Radio et bouche-à-oreille relaient rapidement les troubles de Sfax et le voyage de retour des Algériens, dimanche soir et lundi, a lieu dans une atmosphère explosive. Postés le long de la route, les villageois tunisiens attaquent à coups de pierres les véhicules immatriculés en Algérie. Des heurts relatés hier par le quotidien le Soir d'Algérie comme des exactions de «la police de Ben Ali qui s'en prend sauvagement aux supporters (...) humiliés, mutilés et, pour plusieurs d'entre eux, grièvement blessés par balle. Des morts auraient été dénombrés. (...)Un vrai carnage, racontent des rescapés». Le récit est pour le moins fantaisiste. Mais il en dit long sur les relations entre l'Algérie et la Tunisie ou... sur la volonté d'Alger de laisser le Maroc à l'écart de cette affaire. Reste que ces incidents risquent de torpiller la candidature tunisienne à l'organisation de la Coupe du monde 2010.
Présidentielle. Une fois passé la frontière, les Algériens attaquent le consulat de Tunisie à Tébessa, la première ville algérienne traversée. Lundi soir, des affrontements se poursuivaient à Tébessa, où les forces de l'ordre ont utilisé des lacrymogènes contre les manifestants. Au même moment, une fausse rumeur une de plus venant de l'Est algérien, et gonflant au fur et à mesure, va faire sortir dans les rues d'Alger et Oran des dizaines de supporters : l'équipe marocaine aurait été disqualifiée à la suite de la découverte de cinq cas de dopage. «Drapeaux nationaux, klaxons, défilé d'automobilistes, les scènes étaient surréalistes. Jusqu'au démenti de la radio», raconte le Quotidien d'Oran en s'interrogeant sur l'innocence d'une telle rumeur à deux mois d'une élection présidentielle délicate. Comme s'il s'agissait de «tester les ressorts émotionnels et la capacité de mobilisation de la population pour la faire sortir dans la rue ».