Portrait. Un écrivain dans un douar
Mohamed Nedali a fait une entrée remarquée dans le monde de la littérature. Dans la vie, il enseigne le français dans un lycée de Tahennaout. Lauréat du prix Grand Atlas 2005, il y mène une vie simple. TelQuel lui a rendu visite.
Vendredi 17 juin, jardins de la résidence de France à Rabat, Jean-Marie Gustave Le Clézio, préside le jury du Prix Grand Atlas. Les jurés ont choisi à l’unanimité de primer l’auteur de Morceaux de choix, paru aux éditions du Fennec en 2003. Bien avant de remporter la plus haute distinction littéraire du pays,
Mohamed Nedali s’était, il est vrai, imposé comme la révélation de ces deux dernières années. Après le succès des Amours d’un apprenti boucher (c’est le sous-titre de Morceaux de choix) la confirmation ne s’est pas fait attendre avec son deuxième roman, Grâce à Jean de la Fontaine, sorti en décembre 2004. En imposant un style original, empreint à la fois de truculence et de simplicité, il déroule son itinéraire personnel, riche d’anecdotes et réussit à redonner de l’espoir en la scène littéraire marocaine. Pourtant, Mohamed Nedali ne ressemble en rien aux écrivains – et autres imposteurs – qui font et défont le champ intellectuel local. Professeur de français à Tahennaout, à quelque trente kilomètres de Marrakech, encore en marge du Maroc utile, il mène une vie simple, loin des mondanités.
L’enfant de Tahennaoute
Mohamed Nedali est né à Tahennaout en 1962, un 25 décembre – "Jésus était aussi un grand poète. Céline [ndlr, l’auteur préféré de Mohamed Nedali] est le plus grand styliste après Jésus" dit-il en souriant. Enfant, il ne se plaît pas beaucoup à l’école. Jusqu’au collège, c’est un élève souvent médiocre, au mieux passable. Il redouble quand même son cours préparatoire, et triple son CM2. "Les enseignants nous frappaient. Au collège ça s’est arrêté". Le collège, c’est une autre affaire. Il a fallu quitter la maison parentale pour rejoindre le lycée El Mansour Eddahbi à Marrakech. Il y est hébergé par un "lointain proche". Si Boubker est boucher, l’adolescent apprend le métier dans les abbatoirs pour subvenir à ses besoins et se faire de l’argent de poche. De là est né le personnage de Thami dans Morceaux de choix. En tout cas, au collège, Mohammed Nedali s’épanouit. Il est à l’aise en français, mais encore plus en espagnol et en philosophie. S’il a choisi une filière littéraire, c’est parce qu’"à l’époque la philo, les lettres dotent l’élève d’un pouvoir de communication, par la maîtrise du lexique". Après son bac, il est confronté à la réalité. Au début des années 80, une sécheresse terrible s’abat sur le pays, elle touche de plein fouet le monde rural. C’est la période de "rab’a fel khancha" (quatre par sac) : le gouvernement distribue des sacs de farine de 25 kg à partager entre quatre familles. La situation matérielle de la famille se détériore brutalement, Mohamed Nedali doit se procurer un revenu. Il passe deux ans au CPR où il n’apprendra rien, même si certains enseignants sortent du lot. Il en gardera une idée fixe. Pour compenser, il sera autodidacte, toute sa vie. à côté des cours du CPR, il a décidé de tout réapprendre depuis le début. Un véritable "travail de fourmi : je me suis mis à noircir des petits calepins : lexique, citations, syntaxe et grammaire, tout y passait". Sa soif d’apprendre ne fait que commencer.
Les affres de l’enseignant
Professeur frais émoulu, il est affecté en 1985 à Tinghir. Cette première expérience d’enseignant, il la raconte dans son deuxième roman, Grâce à Jean de La Fontaine, largement autobiographique. Il y décrit, simplement, avec doigté, le Maroc du terroir. Sans concession, le narrateur, Monsieur Né, dresse un tableau truculent du milieu de l’enseignement, fourmillant de petites anecdotes sur les abus, les passe-droit et les humiliations de toutes sortes. "J’arrivai à Tinghir le seize septembre mille neuf cent quatre-vingt, vers le milieu de l’après-midi. Pour tout bagage, j’avais un petit sac de voyage, mes vingt-trois hivers, quelques notions de grammaire française, autant d’incertitudes et le ferme espoir de tirer les miens d’une gêne matérielle de plus en plus insoutenable". L’auteur dit n’avoir pas eu à trop forcer son imagination. Au collège Zaïd ou Hmad, il entretient, dès la signature du PV, des rapports difficiles avec son directeur, surnommé l’émir, illettré autoritaire et obsédé sexuel qui harcèle les jeunes enseignantes et brime les hommes. Le roman se termine par l’examen d’admission au cycle spécial de formation en France. Le héros réussit à entrer dans les grâces de l’examinateur barbu, à qui il tient un discours de circonstance. Plus tard, il se vengera, dans ses écrits, des "frérots" et de leur bigoterie. Mais, pour l’heure, Mohamed Né rêve d’ailleurs. Après quatre ans à Tinghir, il n’en peut plus de la médiocrité qui l’entoure. Il saisit l’occasion d’aller à Nancy, en compagnie d’une vingtaine d’enseignants du Maroc. Là-bas, il ne fréquente pas ses collègues. Trop occupé à parfaire sa formation, il s’inscrit en licence de lettres modernes, qu’il décroche brillamment. Sans attaches en France, Mohamed Nedali choisit de rentrer. "Aujourd’hui, lorsque je dis à mes élèves qu’ils ne s’adapteraient pas à l’immigration, ils ne comprennent pas". Lui a goûté à la liberté en France, mais il s’y sent étranger.
Retour au bercail
De retour au Maroc, major de la promotion du cycle supérieur, il demande un poste dans son village. Sa requête est acceptée, il se réinstalle à Tahennaout où il rencontre celle qui deviendra sa femme. Hanane est également professeur de français, dans le même lycée que lui. Aujourd’hui, père de deux enfants, il dégage une sérénité rassurante. Au premier abord, il peut sembler timide. Il n’apprécie pas la compagnie de ses collègues, et évite les cafés. Dans son lycée, personne ne lui parle de littérature, même pas les professeurs,. La sienne ou celle des autres. Certains lui reprochent de ne "pas vivre dans la réalité". Solitaire, il préfère s’isoler dans son petit bureau pour lire et écrire. Ces deux passions, des balades en vélo dans la région ou de longues marches suffisent amplement à son plaisir. Sur les murs de sa maison, il a choisi d’accrocher trois portraits encadrés, disposés l’un au-dessus de l’autre. Un portrait de Rimbaud, une photo du Che au béret, une belle photo en noir et blanc, enfin, du colonel Massoud. Trois rêveurs, révoltés, "incompris" et morts précocement. Il vient d’y ajouter un tableau offert par les lycéens du jury du Prix Grand Atlas des lycéens, Quand on lui pose la question, Mohamed Nedali répond de sa voix posée, que "le prix est une reconnaissance qui [le] touche". Pour autant, rien n’a radicalement changé dans la vie du professeur de français. à la rentrée prochaine, il continuera certainement d’enseigner le français au Lycée Toubkal de Tahennaout. L’homme garde la tête froide, et ne démord pas de ses projets d’écriture. Après Grâce à Jean de la Fontaine, qu’il envisage comme le premier volet d’un triptyque, il prépare un roman sur la période nancéenne, dans la veine autobiographique. En cours d’écriture aussi, une fiction dramatique qui se déroule en 1995, après les inondations de l’Ourika. Les deux livres déjà parus intéressent les éditions de l’Aube, et ses voisins l’ont vu à la télé. De là à ce que sa littérature entre au programme, l’avenir nous le dira.
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Mohamed Nedali a fait une entrée remarquée dans le monde de la littérature. Dans la vie, il enseigne le français dans un lycée de Tahennaout. Lauréat du prix Grand Atlas 2005, il y mène une vie simple. TelQuel lui a rendu visite.
Vendredi 17 juin, jardins de la résidence de France à Rabat, Jean-Marie Gustave Le Clézio, préside le jury du Prix Grand Atlas. Les jurés ont choisi à l’unanimité de primer l’auteur de Morceaux de choix, paru aux éditions du Fennec en 2003. Bien avant de remporter la plus haute distinction littéraire du pays,
Mohamed Nedali s’était, il est vrai, imposé comme la révélation de ces deux dernières années. Après le succès des Amours d’un apprenti boucher (c’est le sous-titre de Morceaux de choix) la confirmation ne s’est pas fait attendre avec son deuxième roman, Grâce à Jean de la Fontaine, sorti en décembre 2004. En imposant un style original, empreint à la fois de truculence et de simplicité, il déroule son itinéraire personnel, riche d’anecdotes et réussit à redonner de l’espoir en la scène littéraire marocaine. Pourtant, Mohamed Nedali ne ressemble en rien aux écrivains – et autres imposteurs – qui font et défont le champ intellectuel local. Professeur de français à Tahennaout, à quelque trente kilomètres de Marrakech, encore en marge du Maroc utile, il mène une vie simple, loin des mondanités.
L’enfant de Tahennaoute
Mohamed Nedali est né à Tahennaout en 1962, un 25 décembre – "Jésus était aussi un grand poète. Céline [ndlr, l’auteur préféré de Mohamed Nedali] est le plus grand styliste après Jésus" dit-il en souriant. Enfant, il ne se plaît pas beaucoup à l’école. Jusqu’au collège, c’est un élève souvent médiocre, au mieux passable. Il redouble quand même son cours préparatoire, et triple son CM2. "Les enseignants nous frappaient. Au collège ça s’est arrêté". Le collège, c’est une autre affaire. Il a fallu quitter la maison parentale pour rejoindre le lycée El Mansour Eddahbi à Marrakech. Il y est hébergé par un "lointain proche". Si Boubker est boucher, l’adolescent apprend le métier dans les abbatoirs pour subvenir à ses besoins et se faire de l’argent de poche. De là est né le personnage de Thami dans Morceaux de choix. En tout cas, au collège, Mohammed Nedali s’épanouit. Il est à l’aise en français, mais encore plus en espagnol et en philosophie. S’il a choisi une filière littéraire, c’est parce qu’"à l’époque la philo, les lettres dotent l’élève d’un pouvoir de communication, par la maîtrise du lexique". Après son bac, il est confronté à la réalité. Au début des années 80, une sécheresse terrible s’abat sur le pays, elle touche de plein fouet le monde rural. C’est la période de "rab’a fel khancha" (quatre par sac) : le gouvernement distribue des sacs de farine de 25 kg à partager entre quatre familles. La situation matérielle de la famille se détériore brutalement, Mohamed Nedali doit se procurer un revenu. Il passe deux ans au CPR où il n’apprendra rien, même si certains enseignants sortent du lot. Il en gardera une idée fixe. Pour compenser, il sera autodidacte, toute sa vie. à côté des cours du CPR, il a décidé de tout réapprendre depuis le début. Un véritable "travail de fourmi : je me suis mis à noircir des petits calepins : lexique, citations, syntaxe et grammaire, tout y passait". Sa soif d’apprendre ne fait que commencer.
Les affres de l’enseignant
Professeur frais émoulu, il est affecté en 1985 à Tinghir. Cette première expérience d’enseignant, il la raconte dans son deuxième roman, Grâce à Jean de La Fontaine, largement autobiographique. Il y décrit, simplement, avec doigté, le Maroc du terroir. Sans concession, le narrateur, Monsieur Né, dresse un tableau truculent du milieu de l’enseignement, fourmillant de petites anecdotes sur les abus, les passe-droit et les humiliations de toutes sortes. "J’arrivai à Tinghir le seize septembre mille neuf cent quatre-vingt, vers le milieu de l’après-midi. Pour tout bagage, j’avais un petit sac de voyage, mes vingt-trois hivers, quelques notions de grammaire française, autant d’incertitudes et le ferme espoir de tirer les miens d’une gêne matérielle de plus en plus insoutenable". L’auteur dit n’avoir pas eu à trop forcer son imagination. Au collège Zaïd ou Hmad, il entretient, dès la signature du PV, des rapports difficiles avec son directeur, surnommé l’émir, illettré autoritaire et obsédé sexuel qui harcèle les jeunes enseignantes et brime les hommes. Le roman se termine par l’examen d’admission au cycle spécial de formation en France. Le héros réussit à entrer dans les grâces de l’examinateur barbu, à qui il tient un discours de circonstance. Plus tard, il se vengera, dans ses écrits, des "frérots" et de leur bigoterie. Mais, pour l’heure, Mohamed Né rêve d’ailleurs. Après quatre ans à Tinghir, il n’en peut plus de la médiocrité qui l’entoure. Il saisit l’occasion d’aller à Nancy, en compagnie d’une vingtaine d’enseignants du Maroc. Là-bas, il ne fréquente pas ses collègues. Trop occupé à parfaire sa formation, il s’inscrit en licence de lettres modernes, qu’il décroche brillamment. Sans attaches en France, Mohamed Nedali choisit de rentrer. "Aujourd’hui, lorsque je dis à mes élèves qu’ils ne s’adapteraient pas à l’immigration, ils ne comprennent pas". Lui a goûté à la liberté en France, mais il s’y sent étranger.
Retour au bercail
De retour au Maroc, major de la promotion du cycle supérieur, il demande un poste dans son village. Sa requête est acceptée, il se réinstalle à Tahennaout où il rencontre celle qui deviendra sa femme. Hanane est également professeur de français, dans le même lycée que lui. Aujourd’hui, père de deux enfants, il dégage une sérénité rassurante. Au premier abord, il peut sembler timide. Il n’apprécie pas la compagnie de ses collègues, et évite les cafés. Dans son lycée, personne ne lui parle de littérature, même pas les professeurs,. La sienne ou celle des autres. Certains lui reprochent de ne "pas vivre dans la réalité". Solitaire, il préfère s’isoler dans son petit bureau pour lire et écrire. Ces deux passions, des balades en vélo dans la région ou de longues marches suffisent amplement à son plaisir. Sur les murs de sa maison, il a choisi d’accrocher trois portraits encadrés, disposés l’un au-dessus de l’autre. Un portrait de Rimbaud, une photo du Che au béret, une belle photo en noir et blanc, enfin, du colonel Massoud. Trois rêveurs, révoltés, "incompris" et morts précocement. Il vient d’y ajouter un tableau offert par les lycéens du jury du Prix Grand Atlas des lycéens, Quand on lui pose la question, Mohamed Nedali répond de sa voix posée, que "le prix est une reconnaissance qui [le] touche". Pour autant, rien n’a radicalement changé dans la vie du professeur de français. à la rentrée prochaine, il continuera certainement d’enseigner le français au Lycée Toubkal de Tahennaout. L’homme garde la tête froide, et ne démord pas de ses projets d’écriture. Après Grâce à Jean de la Fontaine, qu’il envisage comme le premier volet d’un triptyque, il prépare un roman sur la période nancéenne, dans la veine autobiographique. En cours d’écriture aussi, une fiction dramatique qui se déroule en 1995, après les inondations de l’Ourika. Les deux livres déjà parus intéressent les éditions de l’Aube, et ses voisins l’ont vu à la télé. De là à ce que sa littérature entre au programme, l’avenir nous le dira.
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