Les enseignants amazighophones perturbés par le recours à l'

Mazigh

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Les enseignants amazighophones perturbés par le recours à l'arabe dialectal : la traduction, une arme à double tranchant

06.05.2005 | 16h55


La refonte des programmes entreprise par le MEN a prévue l'intégration de l'amazighe dans le cursus scolaire des apprenants marocains de l'école primaire. Cette refonte constitue une première dans les annales de l'histoire des réformes de l'école marocaine. En fait, cette intégration de l'amazighe n'a pas été consolidée par un train de mesures administratives et pédagogiques, ce qui a entraîné une certaine confusion parmi les différents acteurs du secteur de l'enseignement .

Le MEN a recencé les enseignants amazighophones qui désirent enseigner l'amazighe. Helas, ces derniers n'ont pas été sufisamment outillés pour relever le défi et assurer un enseignement de qualité. Le manuel scolaire de la langue amazighe de la première année n'a été distribué que vers la fin de l'année scolaire ce qui a poussé certains enseignants à recourir à leur propre initiatives pour meubler le vide.

D'autres, par contre, soucieux de mieux faire, se servent des automatismes acquis au cours de leur parcours professionnel et tentent d'enseigner l'amazighe comme ils ont l'habitude d'enseigner l'arabe sans se rendre compte que l'enseignement de l'amazighe nécessite une approche différente de celle de la langue arabe.

En effet, depuis septembre 2003, l'enseignement de la langue amazighe est devenue une réalité au sein d'un échantillon d'écoles primaires. Un quota horaire de 3 heures par semaine est accordé à cet enseignement en vue d'atteindre les objectifs suivants :
- Promouvoir l'identité multiculturelle de l'enfant marocain
- Affermir et enraciner l'enfant amazighophone dans sa langue et dans sa culture
- Insérer harmonieusement l'enfant dans le système scolaire
- Assurer la réussite scolaire et l'intégration socioculturelle.

Jadis, La méthode traditionnelle de l'enseignement des langues considérait la traduction comme un passage obligatoire pour tout apprentissage. Contestée au 18e siècle, elle avait connu son plein épanouissement au 19e siècle, en particulier en Allemagne, et avait continué à être utilisée pendant une bonne partie du 20e siècle.

Avant l'introduction des langues vivantes, les langues mortes - latin et grec - langues de culture, étaient seules enseignées. Il est donc normal que l'on ait calqué l'enseignement des langues vivantes sur le seul modèle existant. C'est ainsi qu'en partant, au début, de petites phrases et, très vite, de textes d'auteurs,
• on lisait
• on expliquait le sens des mots
• on présentait des règles de grammaire
• enfin on traduisait
Les contraintes inhérentes à l'intégration de l'amazighe ont incité un certain nombre d'enseignants de la langue amazighe par souci de mieux faire à recourir à des procédés saugrenus pour assurer un enseignement on ne peut plus efficace de cette langue. la traduction en arabe dialectal reste à leurs yeux l'unique adjuvant qui facilite l'apprentissage et aide les apprenants à maîtriser cette langue dans ses multiples aspects stylistiques et culturels.
Si la traduction en amazighe est légitime pour combler son déficit lexical et terminilogique qui lui permet de dénommer les réalités relatives à la technologie, à l'informatique, aux sciences et à tous les domaines de la recherche et ce, à la suite de l'invasion de toute part de la révolution exponentielle du savoir et la rapidité avec laquelle il se propage dans ce village planétaire qu «est la terre» en vue de faciliter l'accès aux Imazighens à ce flot d'informations et aux découvertes quasiment quotidiennes et les aider à la maîtrise du savoir maillon central dans le développement durable et la qualité de vie indispensable au bien être. La traduction reste, néanmoins, une arme à double tranchants qui peut tout aussi enrichir le répertoire lexical de l'amazighe et l'appauvrir en même temps en créant une sorte d'anarchie dans l'enseignement de cette langue . Chaque enseignant se sert des structures qui lui sont propres et qui peut être ne figurent que dans le répértoire linguistique du manuel ce qui va à l'encontre de la standardisation de la langue. La traduction telle qu'elle est pratiquée en classe annihile toute possibilité d'un apprentissage direct de l'amazighe et limite indéniablement les chances de sa promotion et le développement harmonieux de la personnalité de chaque apprenant. L'expérience a prouvé d'ailleurs qu'il ne suffit pas de connaître le code d'une langue ou d'avoir une compétence linguistique pour pouvoir traduire convenablement et instantanément en respectant les normes communément admises en la matière .En dépit de leur bonne volonté, ces enseignants n'ont jamais bénéficié d'une quelconque formation théorique ou pratique relative à la traduction: La pragmatique et la science du langage qui étudient les éléments qui interviennent dans le discours, l'émetteur, le récepteur, le canal, la circonstance ou le contexte indispensables à la traduction ne figurent point dans le référentiel de leurs compétences et demeurent inconnus par la majorité de ceux qui se servent de la traduction.
En fait, les enseignants de la langue amazighe recourent uniquement à leurs aptitudes à parler en amazighe en se servant de la traduction comme un support didactique essentiel qui pensent-ils aide les apprenants à la maîtrise de la langue. Ainsi, sans se rendre compte des répercussions fâcheuses d'une traduction sauvage sur l'exactitude du choix des tournures et son impact négatif sur la qualité des performances des apprenants .Ainsi; les enseignants bâtissent –ils l'enseignement- apprentissage de la langue amazighe sur une hypothèse qui considère l'initiation à la perception de la langue comme étant un stock d'étiquettes se substituant aux signifiants de la langue arabe, alors que chaque langue envisage l'aventure humaine selon son propre génie.

Cette approche ne pourrait garantir les chances d'un apprentissage efficient puisqu'elle développe chez les apprenants le reflexe de la compréhension par le biais de l'analogie ou l'équivalence emprunté à une autre langue : procédé qui consiste à rendre une même réalité par des moyens stylistiques ou structuraux supposés équivalents à ceux de l'amazighe sans tenir compte de la cohérence du sens global du message à acquérir .D'ailleurs , on ne vise que les mots indépendamment les uns des autres comme si la phrase amazighe n'est qu'une suite de mots sans la moindre cohésion ni la moindre logique . Les apprenants se voient privés d'un apprentissage direct de la langue amazighe et deviennent impuissants à appréhender le sens et pouvoir maîtriser l'amazighe sans le recours au support artificiel de l'arabe dialectal .

D'autant plus quil ne faut surtout pas oublier que le public cible n'est qu'en deuxième année du primaire où l'apprentissage doit être appuyé par des supports didactiques tels les figurines, les images , les cassettes audio et vidéo... et également par des approches avantgardistes et innovatrices.

La traduction instantannée ne pourrait pas non plus rendre service à l'enseignement de la langue amazighe puisqu'elle l'ettoufe et le tient prisonnier dans le giron de l'arabe dialectal. En plus, les apprenants amazighophones sont perturbés par ce recours fréquent à l'arabe dialectal, sans oublier que les prémices de la standardisation compliquent encore une fois pour eux l'existence.La didactique des langues a démontré que l'apprentissage d'une langue quelconque ne peut se faire qu'à travers cette même langue et d'une manière directe, par contre , le recours à des «béquilles linguistiques» ne pourrait que niure et porter préjudice à la qualité de l'apprentissage.
D'ailleurs , les études ont mis l'accent sur le fait que cette pratique enseignante limite la performance des habiletés intellectuelles des apprenants et tue en quelque sorte leur motivation et risquerait même de les scléroser à jamais. Mais, qu'est ce qu'on entend par traduire insantanément lors des activités d'apprentissage de la langue amazighe?

Traduire instantanément dans ce contexte typiquement scolaire consiste à trouver l' équivalence de certaines réalités linguistiques ou lexicales de l' arabe dialectal jugés conformes au génie de la langue amazighe qui pourraient éventuellement faciliter la compréhension. L'enseignant, en ayant recours à la traduction, oublie que chaque langue a sa propre identité et de ce fait ne peut rendre la réalité de la même façon qu'une autre. La traduction instantannée comporte d'énormes risques pouvant géner le processus de l'apprentissage sachant que l'âge des apprenants et leur niveau intellectuel sont des obstacles devant cette jonglerie.

D'ailleurs, l' adaptation recherchée par les enseignants ne pourrait réussir à tous les coups puisque cette traduction instantnnée est assujetie à des normes. Mais l'enseignant, en recourant à la traduction est-il vraiment conscient des enjeux de la traduction et en mesure d'analyser avec pertinence l'idée qui renvoie au fond et le concept qui revoie à la forme et les différentes ramifications inéhrentes à cette situation..

Si les enseignants cherchent par la traduction d'amener l'apprenant à saisir le sens d'un concept de la langue amazighe à travers un autre concept inhérent à la langue arabe , ils empruntent alors le cheminement suivant en voulant créer un certain parallélisme entre les deux langues .

Trois configurations se présentent :
(1) Par le mot traduit instantanément par l'enseignant, celui-ci estime qu'il y a une similitude structurale entre l'arabe dialectal et l'amazighe : l'apprenant n'aura alors pas de difficulté à passer de l'amazighe à l'arabe dialectal ou l'inverse, il lui suffira de calquer la structure de la langue de l'input sur l'output et le tour est joué et les apprenants comprennent mais est –possible pour des élèves de la deuxième année primaire de faire cette jonglerie intellectuelle ? Ont –ils les aptitudes intellectuelles pour réaliser cette performance?

(2) les mots d'une séquence dans les deux langues n'ont aucune similitude ; la réalisation de l'exercice nécessite que l'enseignant aide l'apprenant à connaître la structure spécifique valant pour la langue de l'output et des règles de correspondance ce qui hélas n'est pas le cas et risque de ne pas l'être avant plusieurs années d'apprentissage.

(3) à une même structure de la langue de l'output correspondent deux ou plusieurs structures dans la langue de l'output (contraste divergent) : la réalisation de l'exercice nécessite de la part des apprenants une réflexion métalinguistique sur les facteurs qui conditionnent le choix entre deux ou plusieurs structures dans la langue de l'output. Cela est il imaginable pour un enfant qui vient juste de commencer l'école ? Avouez que c'est aberrant de recourir à ces procédés ingénieux!

Dans ces circonstances, s'aventurer dans ce domaine de la traduction en amazighe exige des dispositions intellectuelles relatives à la sensibilité, à l'imagination, à la rigueur et surtout à la mobilisation de certains schèmes qui s'acquièrent par la pratique, ce qui ne signifie pas qu'ils ne s'appuient guère sur des théories.

Il ne s'agit pas simplement de traduire des mots, des phrases ou des des tournures stylistiques pour faciliter l'imprégnation du sens, mais de transposer le génie d'une langue vers une autre ce qui ne pourrait être réalisé que par des spécialistes chevronnés. En effet, la transposition de l'amazighe en arabe requiert des habiletés rigoureuses relatives aux subtilités linguistiques et culturelles necéssaires pour garantir une traduction on ne peut plus efficiente .

L'enseignant de la langue amazighe doit imaginer des attitudes novatrices en vue de consrtuire un répértoire didactique adapté aux vicissitudes de cette langue et aux besoins des apprenants.La traduction comme approche didactique de l'enseignement de la langue amazighe rompt avec les normes didactico pédagogiques qui prônent plutôt des supports adaptés à chaque situation problème et cherche avant tout à faire passer le message en faisant appel à des situations concrètes. D'ailleurs, les règles fondamentales de l'enseignement ne peuvent garantir les conditions de la réussite que s'ils sont appuyées au cours des différentes pratiques enseignantes des mîmes, des gestes et des icones.... bref à tout ce qui peut contribuer à une acquisition directe de la langue amazighe sans le moindre artifice. En fait, la traduction présente non seulement des difficultés d'ordre didactico-pédagogiques, mais également des difficultés d'ordre linguistiques, culturels, méthodologiques et notionnels .

Le danger de la traduction à laquelle recourent les enseignants tel qu'il est conçu en dehors de toute formation académique et également en dehors de normes communément admises ouvre la voie à des spéculations lexicales nuisibles à la promotion de l'amazighe.

Certes, cette langue a besoin de s'adapter à l'air du temps, mais cette adaptation ne doit se faire au détriment de l'originalité de la langue amazighe par des enseignants qui sont plutôt préoccupés par des impératifs didactiques que linguistiques. D'ailleurs, ils n'ont ni les moyens , ni l'autorité scientifique pour jouer ce rôle de promoteurs de la langue amazighe dans la mesure où la traduction instantannée suppose des compétences spécifiques à cette situation qui restent bien différentes des préoccupations de la fonction de l'enseignement dans son sens le plus srticte. La traduction dans ce sens exige les compétences suivantes:
Compétences requises.

Savoir-faire
Préalable à la formation : bonne connaissance et maniement correct de la langue maternelle écrite et parlée, bonne capacité de mémorisation, intérêt et facilité pour l'apprentissage des langues, bonne culture générale des deux langues d'un point de vue syntaxique, grammatical, stylistique, lexical et culturel,

Savoir -être
Curiosité, ténacité, agilité d'esprit et capacité de rédaction.
Savoir -devenir :
Capacité d'anticipation et ouverture d'esprit…
• Imbus d'une formation en langues arabe et amazighe : cours de phonétique et exercices d'orthophonie, grammaire, exercices lexicologiques, exercices pratiques d'interprétation, exercices de compréhension à l'audition et en réaction à une longue tradition de traduction dans l'enseignement des langues qui a été bannie des programmes de l'enseignement secondaire, au moins comme moyen d'apprentissage. L'argument essentiel à l'appui de ce refus de la traduction est qu'apprendre une langue, ce doit être apprendre à la comprendre, à la parler, à l'écrire et non à la traduire – c'est-à-dire à passer sans cesse d'une langue à l'autre.
Cette position appelle néanmoins ces remarques :
(1) Il est assez évident que l'objectif fondamental, incontournable, de l'enseignement- apprentissage de la langue amazighe au niveau du primaire est d'être en mesure de communiquer et non de faire des «va et vient» entre les deux langues.

(2) A côté des quatre compétences (compréhension orale et écrite, production orale et écrite), on peut considérer la traduction comme une cinquième compétence que les enseignants tentent d'instaurer à l'insu du Ministère de l'Education Nationale.

(3) La traduction, hormis dans le cas d'immersion linguistique totale, accompagne immanquablement l'apprentissage. Ceci est flagrant dans le domaine du lexique (quand on ne sait pas un mot de L2, on le produit en L1), mais également dans le domaine de la grammaire (quand on ne connaît pas une structure spécifique en L2, on peut tendre à reproduire la structure existante en L1 – même si on peut également innover). Autant dire que si l'on peut vouloir bannir la traduction de la classe, il est plus difficile de la bannir de la tête des élèves qui ont été forgés par cette approche du travail.

En dépit de leur bonne volonté, le référentiel des compétences des enseignants chargés de l'enseignement de la langue amazighe est loin de répondre à ces exigences communément admises dans de telles circonstances ce qui hélas ne fait que nuire à leurs pratiques enseignantes et gêner en quelque sorte la qualité des apprentissages de la langue amazighe.



Driss almou |
 
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