Re : Les berbères de France...
Voici l'article en question
Sur le coeur des Français règne
un Berbère. Un amour qui n’a
rien d’un coup de tête, puisque,
selon le top 50 du Journal
du dimanche, pour la sixième
année consécutive, Zinedine
Zidane reste leur personnalité
préférée. Adulé des Français, Zizou reste
l’emblème indépassable d’une communauté,
celle des Berbères de France, qu’au
demeurant nos concitoyens connaissent
plutôt mal. D’une part, encore aujourd’hui,
la majorité d’entre eux ignorent que les
Kabyles (comme Zidane) sont des Berbères
d’Algérie ; d’autre part, ils ne différencient
pas les Berbères (habitants du Maghreb
avant l’invasion arabo-islamique) des
Arabes. Et, sur ce point, les Berbères sont
très chatouilleux. Algériens, Marocains ou
Français, oui ; Arabes, non.
Elle est mal connue et c’est pourtant la
plus ancienne des immigrations maghrébines
en France. Le mouvement a commencé
dès 1871 : après l’écrasement de
l’insurrection kabyle par l’armée française,
quelques centaines de Berbères d’Algérie
avaient été « importés » en France. Mais il
est bien loin le temps où, comme en 1906,
le patronat français, très friand de cette
main-d’oeuvre soumise et laborieuse, faisait
venir des Kabyles pour briser les grèves
des ouvriers italiens dans les huileries et
savonneries de Marseille. Colonisation,
guerres mondiales, guerre d’Algérie, décolonisation
du Maghreb, Printemps berbère
(1980), assassinats terroristes : au gré des
crises économiques et des conflits, ballottés
par l’histoire quand ils ne la faisaient
pas, poussés par la nécessité de survivre
ou transportés par leurs rêves de réussite,
d’Algérie surtout mais aussi du Maroc,
par vagues successives, les Berbères sont
venus vivre en France.
En 1914, sur 13 000 Algériens en
France, on comptait plus de 10 000 Kabyles.
Aujourd’hui, selon les conclusions
d’un colloque (1) tenu à l’Institut national
des langues et civilisations orientales
(Inalco) : « On peut raisonnablement
estimer la proportion de berbérophones à
35 % de l’ensemble de la population originaire
d’Afrique du Nord établie en France
(quel que soit son statut juridique). Si l’on
retient une fourchette de 4 à 5 millions
de personnes d’origine maghrébine, on
aboutit à un total de 1,5 à 2 millions de
berbérophones en France. » Dans leur
musitrès
grande majorité, ils sont d’origine
kabyle, suivis par les Marocains (de
400 000 à 500 000) : « Il existe bien sûr des
berbérophones issus d’autres pays (Tunisie,
Libye et pays du Sahel), mais leur nombre
reste peu significatif (de quelques centaines
à quelques milliers de personnes). »
Une géographie de l’exil
Et, comme c’est le cas pour toutes les
immigrations, ils ont commencé par se
regrouper tantôt en fonction de leurs
choix professionnels, tantôt en fonction
de leurs origines géographiques. Métiers
de l’industrie et du bâtiment obligent,
on les trouvait surtout à Paris et dans le
Bassin parisien, dans le Pas-de-Calais, à
Marseille et à Lyon. Peu à peu, ils ont fait
en sorte d’habiter dans les mêmes quartiers
: par exemple, les gens de Tizi Ouzou
vont se retrouver dans les XVe, XVIIIe et
XXe arrondissements de Paris, alors que les
gens de la vallée de la Soummam vivront
dans le Ve ou le XIe.
Et même si beaucoup ont dû quitter
Paris intra-muros, il subsiste des traces
de cette géographie de l’exil, comme à
Ménilmontant, où l’on trouve plusieurs
restaurants et bars tenus par des Kabyles,
la Librairie chrétienne berbère où
l’on peut acheter la Vie de Jésus et des
dessins animés en tamazight (la langue
berbère kabyle) ou encore l’Association de
culture berbère (ACB), la plus ancienne des
innombrables associations berbères.
Un modeste local au bas d’un immeuble,
rue des Maronites, où nous reçoit son
directeur, Chérif Benbouriche, dit Bébène :
« Mon grand-père est venu en France en
1932 comme militaire, puis ce fut mon
père après la guerre d’Algérie, pour des
raisons économiques. Moi, j’avais 7 ans.
C’est seulement à mon retour du service
militaire en Algérie que j’ai eu envie de
m’occuper de la culture et de la langue
berbères. » Avec d’autres, il fonde l’ACB
en 1978. Aujourd’hui reconnue d’utilité
publique, l’association compte environ
six permanents et des bénévoles qui dispensent
cours de langue et cours de danse
(berbères). On peut y faire du théâtre
franco-berbère ou s’inscrire au football
club berbère. En outre, l’ACB organise
des débats, des colloques, des rencontres
autour d’écrivains et des expositions. Certes,
on y traite des thèmes en relation avec
la culture berbère, mais pas seulement.« Bien sûr, notre objectif principal reste
la transmission de notre langue et notre
culture, poursuit Bébène. Mais tout ce qui
se passe en France nous concerne, l’islam
et la laïcité, les valeurs républicaines, l’intégration
de nos adhérents et les difficultés
sociales qu’ils rencontrent. » Ainsi, à l’ACB,
des bénévoles tiennent une permanence
juridique et sociale pour régler les problèmes
de papiers et de logement. Enfin, les
cours de soutien scolaire (niveau primaire
et collège), ouverts aux enfants du quartier,
remportent un franc succès.
Quand on demande à M. Benbouriche
si les Berbères sont communautaristes,
il répond sans hésiter : « Non, nous sommes
une communauté, c’est sûr, nous nous
battons pour notre culture et notre langue,
mais nous le faisons toujours en liaison
avec la République. Je ne vais pas voter
pour un candidat parce qu’il est kabyle
mais parce qu’il est de même sensibilité
politique que moi ! A mon sens, la solidité
de notre socle culturel nous permet de
mieux résister à l’islamisation. »
« Etre kabyle, pour moi, cela ne veut
dire ni enfermement ni communautarisme,
confirme Samia Messaoudi, animatrice sur
Beur FM. C’est un cumul de valeurs et de
traditions : la langue, la cuisine, la musique, la poésie, les proverbes, etc. Parfois
c’est un peu pesant, mais j’y tiens beaucoup.
Ma mère ne parlait pas un mot de
français. Nous avons toujours parlé kabyle
à la maison, même si je ne sais ni le lire
ni l’écrire. » Paradoxalement, Samia, née
à Levallois-Perret, n’a jamais demandé la
nationalité française : « J’ai grandi avec
l’idée du retour en Algérie. Mon rêve était
de devenir instit au bled. Pourtant, mon
père vit ici depuis 1937, il nous apprenait
le Laboureur et ses enfants. Mais, comme
tous les Algériens, il a longtemps rêvé d’un
retour. Et puis, à la fois ce qui se passait làbas
et le fait que ses enfants aient construit
leur vie ici, tout ça a peu à peu éteint le
rêve. L’Algérie me tient à coeur, même si
finalement il n’est plus question de retour.
Mais j’y vais souvent. »
L’enseignement de la langue
Culturalistes, sans aucun doute, et parfois
jusqu’à l’extrême, mais, dans leur majorité,
les Berbères de France souffrent moins du
complexe communautariste que d’autres
Français issus de l’immigration. Et leur
ressentiment est tout entier réservé aux
gouvernements de leurs pays d’origine,
rarement tourné contre la société française.
Seule revendication notable : que
leur chère langue, le tamazight, « une
seconde peau », disent certains d’entre
eux, soit mieux enseignée en France. Elle
l’est déjà à l’Inalco, ainsi que dans quelques
universités, mais trop peu, trop mal,
selon les plus militants d’entre eux. C’était
l’un des thèmes récurrents aux assises de
la Coordination des Berbères de France
(lire l’encadré ci-contre).
Et, bien sûr, il leur arrive de se rassembler,
par exemple pour assister
au spectacle d’un artiste kabyle comme
Fellag, ou à l’occasion de Yennayer, le jour
de l’an berbère, (mi-janvier). Et même si
les systèmes de solidarité, très actifs au
début de l’immigration, se sont effondrés,
il en reste une multitude d’associations de
village, essentiellement fréquentées par
les premières générations.
« Beaucoup de Kabyles originaires de
Guenzet, le village de ma famille, vivent
entre Levallois, Clichy et Saint-Denis,
raconte Samia Messaoudi. A partir de
1981, quand les immigrés ont eu le droit
de se grouper en association, nous en avons
fondé une d’environ 400 personnes. Ces
associations sont surtout précieuses