Par Ahmed R. Benchemsi
“Sebbiti l’malik”<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" width="555"> <tbody><tr height="26"> <td height="26" valign="top" width="365">
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Ahmed R. Benchemsi
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“L’mess bil mouqaddassat” est devenu un instrument de règlements de comptes en tous genres
“Flouss chaâb fin mchat / f’jet ski ou l’hafalat” (où est passé l’argent du peuple / dans le jet ski et les festivités). Ce slogan, scandé le 1er mai dernier à Agadir par deux syndicalistes, était indéniablement populiste. Tout aussi indéniablement, la référence au jet ski visait le roi Mohammed VI, dont c’est le sport préféré. Bon, et alors ? Et alors ces deux hommes ont été condamnés à 2 ans de prison ferme, pour “atteinte aux sacralités”. Même scénario à Ksar El Kébir où 5 activistes
</td> <td height="126" valign="top" width="190"> “Flouss chaâb fin mchat / f’jet ski ou l’hafalat” (où est passé l’argent du peuple / dans le jet ski et les festivités). Ce slogan, scandé le 1er mai dernier à Agadir par deux syndicalistes, était indéniablement populiste. Tout aussi indéniablement, la référence au jet ski visait le roi Mohammed VI, dont c’est le sport préféré. Bon, et alors ? Et alors ces deux hommes ont été condamnés à 2 ans de prison ferme, pour “atteinte aux sacralités”. Même scénario à Ksar El Kébir où 5 activistes

À Tata, un marchand ambulant croupit en prison depuis plus d’un an pour avoir… déchiré une revue. Sans doute pour empocher 20 DH (c’est son prix), des agents d’autorité voulaient le forcer à l’acheter, il avait résisté. Cédant à la menace, il avait fini par payer, avant de déchirer la revue en signe d’énervement. Pas de chance, il y avait une photo du roi dedans. 2 ans ferme. Idem à Safi, où un condamné continue de purger sa peine à l’heure où ces lignes sont écrites. Lui n’a “insulté” personne, et n’a rien déchiré. Son tort est de s’être disputé, dans un bar, avec un officier de police. Le lendemain, le procureur l’accusait, à sa grande surprise, d’avoir “insulté le roi”. Sans preuves, sans témoins. 5 ans ferme quand même. Autre exemple, à Casablanca. Au tribunal, pendant un procès pour défaut d’entretien conjugal, une femme se plaint, à la barre, que son mari, depuis qu’elle travaille, “hatt rjel 3la rjel ou ma kaydir oualou, b’hal chi malik” (n’en soulève pas une, comme un roi). Un roi ?!! Hop, inculpation immédiate, procès dans le procès, 1 an ferme.
Des cas pareils, on en signale tous les mois, à tous le coins du royaume. Qui peut trouver ça normal ? “L’atteinte à la sacralité du roi”, à l’origine, était un outil politique imaginé par Hassan II pour museler d’avance toute velléité d’opposition. Avec le temps, il s’est transformé en instrument pour règlements de comptes en tous genres. Vous voulez envoyer votre voisin en prison ? Accusez-le d’avoir insulté le roi, fût-ce par lettre anonyme (cas fréquent). Le juge ne réclamera aucune preuve. Pire : il ne se trouvera personne pour témoigner en sa faveur, et la plupart du temps, aucun avocat n’acceptera de le défendre. Le greffier notera sur son registre, en toute mauvaise foi, que l’accusé aura choisi de se défendre tout seul, déclinant la proposition (obligatoire) de se voir commettre un avocat d’office. Comme la plupart du temps, ledit accusé est un homme du peuple, analphabète et totalement ignorant de ses droits, cette injustice criante “passera” sans que personne ne s’en soucie.
Le crime de “tsebb l’malik” (insulter le roi) est inscrit dans nos gènes comme quelque chose de gravissime, d’impardonnable. Il nous faudra peut-être - il vous faudra peut-être, cher lecteur - secouer violemment la tête, vous ébrouer, vous extraire de votre carcan mental pour voir la chose telle qu’il faut la voir vraiment : un inacceptable relent de dictature. Oui, insulter quelqu’un est un délit, partout dans le monde, et c’est normal. Mais d’abord, ça n’envoie jamais le coupable en prison et ensuite, pour caractériser ce délit, il faut deux conditions : que ce quelqu’un soit insulté les yeux dans les yeux, et qu’il dépose plainte lui-même contre celui qui l’a insulté. Critiquer le chef de l’Etat, plus ou moins violemment, avec plus ou moins d’ironie, est en revanche un droit élémentaire, dans toute démocratie. Il est scandaleux de prétendre que le Maroc se démocratise tout en s’aveuglant, obstinément, sur une anomalie flagrante comme celle-là. Même la schizophrénie a des limites.</td></tr></tbody></table>