Voici un article plus qu'intéressant sur un livre qui vient de sortir.
L'auteur es ttrès très lucide.
« Le Futur du monde arabe a-t-il un avenir ? » de Abdellatif Laroui
02.09.2004 | 14h04
Abdellatif Laroui, dans ce livre « Le futur du monde arabe a-t-il un avenir ? » nous livre un diagnostic de la société arabe et de sa culture. Pour lui, c'est l'interprétation religieuse du monde qui est à la source de l'immobilisme dans cette région et bientôt de son implosion si elle persiste dans son refus de se transformer en société ouverte. Dans le contexte des bouleversements en œuvre dans le monde actuellement, la région arabe joue son avenir : participer activement à la marche du monde en s'adaptant aux normes de la société ouverte et bâtir son avenir, où se barricader derrière ses archaïsmes et disparaître.
C'est le thème que développe Abdellatif Laroui dans son livre «Le Futur du monde arabe a-t-il un avenir ? » édité récemment chez Publisud.
La forme interrogative du titre n'est pas fortuite. Elle dit toute l'incertitude de l'auteur quant à l'avenir du monde arabe dans l'état actuel où il se trouve englué. S'il a certainement un futur, le monde arabe aura-t-il pour autant un avenir dans le sens où il aura été maître de son destin, facteur de sa propre trajectoire dans le temps, où, simple fétus de paille à la merci des courants qui le bousculent ?
Ancien chercheur au CNRS en France, Abdellatif Laroui (à ne pas confondre avec Abdellah ni avec Fouad Laroui) a plusieurs casquettes : psychosociologue, docteur en Intelligence Artificielle et consultant en Business-Inlligence et en Knowledge management. Le présent ouvrage et sans doute son premier. Du moins sur ce thème.
Le grand danger pour le monde arabe, d'après l'auteur, est la complaisance dans le cloisonnement culturel où le monde arabe s'enfonce à mesure que ces certitudes dogmatiques, sa représentation du monde et des rapports avec autrui, se fissurent de toutes parts sous les coups de boutoir d'une réalité qui bouge et qui l'entraîne dans son sillage, et dont il n'a pas la moindre maîtrise.
Qu'est-ce qu'un monde clos ? C'est d'abord une société qui nourrit l'illusion d'une spécificité culturelle et sociale qu'il revendique comme immuable et donc réfractaire à toute évolution.
C'est aussi un monde, qui ne peut fonctionner que dans l'ombre de ces certitudes et ses vérités acquises et définitives, qui exclut toute velléité de questionnement et de relativisation, qui suppose le doute et la curiosité de savoir, c'est à dire la liberté de penser, de contester et d'agir en tant qu'individu. En fait, dans une telle société, l'individu n'a aucun droit de cité, seul prime le groupe sous la férule d'un chef concentrant tous les pouvoirs dont celui de la coercition. La moindre contestation, la moindre protestation est considérée comme une tentative de déstabilisation de l'ordre établi sinon comme une trahison appelant châtiment.
Pour Abdellatif Laroui, les raisons de l'immobilisme dont est victime le monde arabo-musulman sont d'ordre culturel, et tout d'abord l'interprétation religieuse du monde qui structure la raison et influe sur les comportements dans cette région du monde.
Or, le caractère absolu et éternel des vérités religieuses qui donnent une interprétation définitive du monde, en interdisant le doute, entrave du même coup la réflexion critique qui prétend transgresser la clôture dogmatique, et partant la liberté de penser au-delà du tracé autorisé. Comment s'étonner dès lors de l'incapacité de la culture arabe à penser le monde tel qu'il évolue, le monde d'aujourd'hui avec des idées d'hier ? En interdisant la liberté de penser la culture arabe «passa d'une culture en spirale à une culture en boucle », écrit A. Laroui. Il n'est plus question dès lors, pour ce genre de pensées, de se référer à la réalité pour faire valoir une idée, mais de faire l'apologie des ses propres croyances et de ses propres fantasmes à partir de l'énoncée de ses propres croyances.
C'est ce piège de la pensée, d'après Laroui, qui a fait que les Arabes ont raté une première occasion de portée historique, celle de l'utilisation de l'imprimerie qu'ils connaissaient au contact avec la Chine, dès le XI e siècle, à un moment où leur culture était d'un grand apport à l'humanité. Ils n'ont pas fait, suite à l'interdiction des autorités religieuses qui leur a fait manqué l'occasion de connaître une seconde jeunesse, une « bifurcation » qui aurait changé le cours de l'Histoire dans la région. «Cette décision est d'une gravité inouïe , car elle a provoqué une déviation du cours de l'Histoire. Elle porte l'empreinte de l'obscurantisme et reflète les rigidités et les crispations dues à la mainmise du « clergé » sur la gestion de la cité et au rebut de la science jugée incompatible avec la foi ».
Pour Laroui, seule la séparation de la politique de la religion, en clair, la laïcité serait une chance pour le monde arabe de renouer avec son époque et partant avec la modernité. Ce n'est pas la seule condition. La démocratie, le respect de la diversité, la refonte totale du système d'éducation et de formation, l'investissement dans la recherche scientifique et technique, le combat contre la pauvreté et l'analphabétisme sont autant d'exigences dont le monde arabe doit s'acquitter pour laisser quelque espoir à ses enfants d'avoir un avenir.
Ce que Laroui en somme réclame, c'est le passage du monde arabe d'une société cloisonnée à une société ouverte.
Qu'est-ce qu'une société ouverte ? C'est une société qui se conçoit comme imparfaite mais qui puise son courage et sa détermination dans sa foi en la possibilité d'être perfectible. Une société où toute chose est relative, les idées comme les croyances, liées qu'elles sont aux circonstance qui les génèrent, meurent ou s'altèrent sous d'autres conditions. Une telle société cultive, plus que les connaissance et le savoir, l'intelligence du réel et le savoir-faire pour poser les problèmes et leur trouver des solutions.
C'est aussi une société qui a besoin de toutes les compétences des citoyens et qui leur donne leur chance. D'où l'insistance de Laroui sur l'importance de l'ouverture sur les autres cultures, mais surtout sur la formation des Hommes. Une formation qui développe l'intelligence et l'esprit critique plus qu'elle ne « formate les esprits » en leur fournissant du « prêt à penser ».
Il rejoint en cela Montaigne qui disait, il y a des siècles déjà : « Eduquer, ce n'est pas remplir des bouteilles, c'est allumer un feu ».
Le feu de l'intelligence s'entend.
Abdelaziz Mouride
LeMatin
L'auteur es ttrès très lucide.
« Le Futur du monde arabe a-t-il un avenir ? » de Abdellatif Laroui
02.09.2004 | 14h04
Abdellatif Laroui, dans ce livre « Le futur du monde arabe a-t-il un avenir ? » nous livre un diagnostic de la société arabe et de sa culture. Pour lui, c'est l'interprétation religieuse du monde qui est à la source de l'immobilisme dans cette région et bientôt de son implosion si elle persiste dans son refus de se transformer en société ouverte. Dans le contexte des bouleversements en œuvre dans le monde actuellement, la région arabe joue son avenir : participer activement à la marche du monde en s'adaptant aux normes de la société ouverte et bâtir son avenir, où se barricader derrière ses archaïsmes et disparaître.
C'est le thème que développe Abdellatif Laroui dans son livre «Le Futur du monde arabe a-t-il un avenir ? » édité récemment chez Publisud.
La forme interrogative du titre n'est pas fortuite. Elle dit toute l'incertitude de l'auteur quant à l'avenir du monde arabe dans l'état actuel où il se trouve englué. S'il a certainement un futur, le monde arabe aura-t-il pour autant un avenir dans le sens où il aura été maître de son destin, facteur de sa propre trajectoire dans le temps, où, simple fétus de paille à la merci des courants qui le bousculent ?
Ancien chercheur au CNRS en France, Abdellatif Laroui (à ne pas confondre avec Abdellah ni avec Fouad Laroui) a plusieurs casquettes : psychosociologue, docteur en Intelligence Artificielle et consultant en Business-Inlligence et en Knowledge management. Le présent ouvrage et sans doute son premier. Du moins sur ce thème.
Le grand danger pour le monde arabe, d'après l'auteur, est la complaisance dans le cloisonnement culturel où le monde arabe s'enfonce à mesure que ces certitudes dogmatiques, sa représentation du monde et des rapports avec autrui, se fissurent de toutes parts sous les coups de boutoir d'une réalité qui bouge et qui l'entraîne dans son sillage, et dont il n'a pas la moindre maîtrise.
Qu'est-ce qu'un monde clos ? C'est d'abord une société qui nourrit l'illusion d'une spécificité culturelle et sociale qu'il revendique comme immuable et donc réfractaire à toute évolution.
C'est aussi un monde, qui ne peut fonctionner que dans l'ombre de ces certitudes et ses vérités acquises et définitives, qui exclut toute velléité de questionnement et de relativisation, qui suppose le doute et la curiosité de savoir, c'est à dire la liberté de penser, de contester et d'agir en tant qu'individu. En fait, dans une telle société, l'individu n'a aucun droit de cité, seul prime le groupe sous la férule d'un chef concentrant tous les pouvoirs dont celui de la coercition. La moindre contestation, la moindre protestation est considérée comme une tentative de déstabilisation de l'ordre établi sinon comme une trahison appelant châtiment.
Pour Abdellatif Laroui, les raisons de l'immobilisme dont est victime le monde arabo-musulman sont d'ordre culturel, et tout d'abord l'interprétation religieuse du monde qui structure la raison et influe sur les comportements dans cette région du monde.
Or, le caractère absolu et éternel des vérités religieuses qui donnent une interprétation définitive du monde, en interdisant le doute, entrave du même coup la réflexion critique qui prétend transgresser la clôture dogmatique, et partant la liberté de penser au-delà du tracé autorisé. Comment s'étonner dès lors de l'incapacité de la culture arabe à penser le monde tel qu'il évolue, le monde d'aujourd'hui avec des idées d'hier ? En interdisant la liberté de penser la culture arabe «passa d'une culture en spirale à une culture en boucle », écrit A. Laroui. Il n'est plus question dès lors, pour ce genre de pensées, de se référer à la réalité pour faire valoir une idée, mais de faire l'apologie des ses propres croyances et de ses propres fantasmes à partir de l'énoncée de ses propres croyances.
C'est ce piège de la pensée, d'après Laroui, qui a fait que les Arabes ont raté une première occasion de portée historique, celle de l'utilisation de l'imprimerie qu'ils connaissaient au contact avec la Chine, dès le XI e siècle, à un moment où leur culture était d'un grand apport à l'humanité. Ils n'ont pas fait, suite à l'interdiction des autorités religieuses qui leur a fait manqué l'occasion de connaître une seconde jeunesse, une « bifurcation » qui aurait changé le cours de l'Histoire dans la région. «Cette décision est d'une gravité inouïe , car elle a provoqué une déviation du cours de l'Histoire. Elle porte l'empreinte de l'obscurantisme et reflète les rigidités et les crispations dues à la mainmise du « clergé » sur la gestion de la cité et au rebut de la science jugée incompatible avec la foi ».
Pour Laroui, seule la séparation de la politique de la religion, en clair, la laïcité serait une chance pour le monde arabe de renouer avec son époque et partant avec la modernité. Ce n'est pas la seule condition. La démocratie, le respect de la diversité, la refonte totale du système d'éducation et de formation, l'investissement dans la recherche scientifique et technique, le combat contre la pauvreté et l'analphabétisme sont autant d'exigences dont le monde arabe doit s'acquitter pour laisser quelque espoir à ses enfants d'avoir un avenir.
Ce que Laroui en somme réclame, c'est le passage du monde arabe d'une société cloisonnée à une société ouverte.
Qu'est-ce qu'une société ouverte ? C'est une société qui se conçoit comme imparfaite mais qui puise son courage et sa détermination dans sa foi en la possibilité d'être perfectible. Une société où toute chose est relative, les idées comme les croyances, liées qu'elles sont aux circonstance qui les génèrent, meurent ou s'altèrent sous d'autres conditions. Une telle société cultive, plus que les connaissance et le savoir, l'intelligence du réel et le savoir-faire pour poser les problèmes et leur trouver des solutions.
C'est aussi une société qui a besoin de toutes les compétences des citoyens et qui leur donne leur chance. D'où l'insistance de Laroui sur l'importance de l'ouverture sur les autres cultures, mais surtout sur la formation des Hommes. Une formation qui développe l'intelligence et l'esprit critique plus qu'elle ne « formate les esprits » en leur fournissant du « prêt à penser ».
Il rejoint en cela Montaigne qui disait, il y a des siècles déjà : « Eduquer, ce n'est pas remplir des bouteilles, c'est allumer un feu ».
Le feu de l'intelligence s'entend.
Abdelaziz Mouride
LeMatin