Le Berbère est une langue de France.

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Le berbère, langue de France.

par Hocine Sadi,
(Le Monde, jeudi 4 mars 1999)


Depuis la publication, en octobre 1998, de l'extrait du rapport de Guy Carcassonne au premier ministre proposant d'intégrer le berbère comme langue de France pour la signature de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires, une certaine fébrilité a gagné les milieux berbères de France. Pétitions, rassemblements, prises de position se multiplient.

Dans les années 80, des associations culturelles ont commencé à poser la question berbère. A cette époque, déjà, un premier rapport, établi par Henri Giordan, proposait d'inclure la langue berbère dans les langues de France. Cette proposition n'a pas franchi le seuil du rapport puisqu'elle n'a pas été retenue dans la proposition de la loi qui l'a suivi. Seules avaient été gardées les langues régionales liées à un territoire de France.

Présent à la discussion qui eut lieu à l'Assemblée nationale au sein du groupe qui préparait ce projet de loi, je garde en mémoire la violence du rejet de la proposition Giordan de la part d'élus très fortement marqués par la tradition jacobine. Considérer le berbère comme langue de France était assimilé à un encouragement au communautarisme, inadmissible au sein de la République française, une et indivisible. En fait, d'autres langues non territorialisées, comme l'arménien et l'hébreu, avaient été prises en compte dans différentes circulaires. En aparté, il nous avait été dit que le poids électoral de citoyens d'origine arménienne dans la région Rhône-Alpes n'avait pas laissé indifférents certains élus.

Cette fois, le débat vient d'être réintroduit par le biais européen. Il s'agit d'une charte qui émane du Conseil de l'Europe. Ce Conseil, créé en 1949, regroupe une quarantaine d'Etats — dont certains ne sont pas européens — et n'a qu'un pouvoir consultatif.

Avant d'aborder les conséquences de ce cadre institutionnel, remarquons que, lorsque le premier ministre, Lionel Jospin, fait référence à cette charte des langues régionales ou minoritaires, le titre en est tronqué, réduit à celui de “charte des langues régionales”. Faut-il craindre que le choix de cette dénomination exprime à nouveau la volonté d'exclusion des langues minoritaires non régionales ?

Pour ce qui est du cadre juridique proprement dit, il est évident qu'il en limite la portée. Par exemple, rien dans la charte n'est prévu pour sanctionner un Etat qui aurait signé, puis ratifié cette charte mais se refuserait à l'appliquer dans les faits ! Mieux, il est spécifié que celle-ci peut à tout moment être dénoncée par une partie.

Avant cette tentative de M. Jospin, Alain Juppé avait, dans la perspective de la signature puis de la ratification, sollicité l'avis du Conseil d'Etat. La réponse de ce dernier, le 24 septembre 1996, fut nette : “L'obligation de retenir un nombre minimum d'obligations dans les articles 9 et 10 s'oppose à la ratification.” Dans le même esprit, le Conseil constitutionnel, interprétant le fameux article 2 de la Constitution disposant que “la langue de la République est le français”, a considéré que l'article 115 de la loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française, disposant que, “le français étant la langue officielle de la République, la langue tahitienne et les autres langues polynésiennes peuvent être utilisées”, devait être modifié.

Pourtant, en dépit de ces réponses, M. Jospin a relancé le processus de signature. Le rapporteur Bernard Poignant a recommandé une expertise juridique de la charte pour déterminer les trente-cinq points de celle-ci — minimum requis pour son adoption — conformes à la Constitution sur la centaine y figurant. Un autre rapporteur, M. Carcassonne, conclut à la compatibilité de la charte avec la Constitution en faisant valoir qu'un certain nombre d'alinéas retenus sont des possibilités offertes et non des droits accordés.

Se référant à l'esprit de la charte, qui est de protéger un patrimoine linguistique historique menacé de disparition, M. Carcassonne donne des critères pouvant servir à dresser la liste des langues à retenir. L'effet Zidane aidant, il argumente fortement en faveur de la langue berbère. Suivant ces critères, le berbère a toutes les chances de figurer dans la liste finale, d'abord parce qu'il est la langue de plusieurs centaines de milliers de ressortissants français, ensuite comme langue de territoires qui ont été historiquement des départements français et, enfin, il n'est la langue officielle d'aucun Etat étranger. Par conséquent, les menaces de disparition qui pèsent sur lui font qu'il devrait être protégé.

A l'heure actuelle, d'autres experts ont pris le relais, et il semble que le yiddish, le romani, le berbère et l'arabe dialectal soient retenus dans la liste des langues de France, en plus des langues régionales. A l'instar d'autres pays, le gouvernement français devrait signer rapidement cette charte. Longtemps réticent, le Royaume-Uni s'apprête également à la signer, tandis que l'Allemagne, qui l'a signée en 1992, l'a ratifiée en septembre 1998.

Les engagements prescrits sont nombreux et importants. Il est raisonnable d'envisager des retombées bénéfiques, notamment sur le mouvement associatif berbère, jusqu'ici marginalisé — par exemple, pas un seul des projets de radios de langue berbère n'a reçu d'agrément de la part du Conseil supérieur de l'audiovisuel. Par ailleurs, si le texte n'est pas contraignant vis-à-vis de l'Etat signataire de la charte, il autorise désormais des actions en faveur des langues régionales ou minoritaires dès lors que la volonté politique existe. Le verrou juridique, blocage absolu par le passé, aura sauté.

Au temps des fractures sociales, et pour paradoxal que cela paraisse, il est sain de permettre l'épanouissement d'éléments culturels qui constituent l'intimité du vécu réel de nombreux citoyens. On ne leur avait laissé comme seul référent identitaire reconnu que l'aspect confessionnel. Mais si l'on a pu vérifier que, loin d'être incompatibles avec les valeurs de la République, ces éléments s'inséraient harmonieusement dans la vie nationale, on a également pu mesurer le danger qu'il y avait à laisser se structurer une identité seulement autour d'une religion qui soude en un seul bloc de multiples entités.

Il n'est que justice que la langue berbère, celle de la grand-mère d'Edith Piaf, celle du poète Jean Amrouche, ancien directeur à l'ORTF et compagnon du général de Gaulle, celle de saint Augustin et, aujourd'hui, celle de centaines de milliers de ressortissants français, soit enfin considérée comme langue de France.

Hocine Sadi est professeur agrégé de mathématiques
à l'université d'Evry (Essonne).
 
Une politique pour les langues de France.

Article paru dans Ouest-France le 08 octobre 2003, suite aux
Premières Assises nationales des Langues de France (Paris, 04/10/2003)

par Philippe Blanchet

Le 4 octobre, le Ministre de la Culture a ouvert à Paris les premières Assises nationales des Langues de France (LF) en affirmant « Il est (…) légitime que nos concitoyens qui le désirent puissent parler, aimer, transmettre les langues de leur région ». Selon le Délégué général à la langue française et aux langues de France, ces Assises vont « contribuer à redéfinir le rôle de l’Etat et des différentes collectivités dans la valorisation du patrimoine linguistique français ».

Que peut être une politique désormais explicite pour les LF autres que le français ? L’absence de politique publique a jusqu’ici abandonné la question, hors des régulations démocratiques, à des mouvements militants souvent sincères, parfois peu représentatifs des réalités et des populations, par leurs revendications idéologiques exagérées. D’où des mesures inadaptées, inefficaces à terme, qui peuvent menacer la république en alimentant les plus vindicatifs pour les calmer. Une politique uniquement culturelle et éducative exclut les langues de France de sphères décisives de la vie sociale comme l’économie, le droit, la politique. D’où une ghettoïsation muséographique et non la valorisation d’un potentiel vivant.
Il faut donc une prise en compte explicite des langues de France par la nation, l’État, les collectivités territoriales, dans tous domaines. Les langues concernent en profondeur l’ensemble de la vie sociale, d’autant qu’on admet, avec ces Assises que les LF jouent un rôle dans la société française (1). Il reste à se donner des moyens pour cette nouvelle politique linguistique.

La dynamique d’une langue est un équilibre complexe entre son statut (affectif, socio-politique), ses pratiques (communicatives et symboliques), les langues en présence et le contexte social. Une politique efficace de dynamisation rétablit en priorité le statut et suscite des pratiques étendues, dans le cadre d’un plurilinguisme non concurrentiel avec la langue commune. Des travaux scientifiques sont disponibles : une méthode de « revitalisation d’une langue en péril » validée par des experts internationaux (2) , les travaux du Conseil de l’Europe (3).

Mais jusqu’ici, les actions en faveur des LF sont restées inadaptées et incohérentes. Faute du recours à une analyse scientifique sérieuse des situations sociolinguistiques diverses et des paramètres sur lesquels agir. Faute d’un traitement démocratique de cette question, monopolisée par quelques décideurs et militants dogmatiques, comme si « la France d’en bas » n’avaient rien à en dire et que les humains étaient au service des langues, et non l’inverse.

Rien que dans l’éducation, la liste des inégalités et des aberrations est longue, à côté de réussites notables : le gallo est la seule langue d’oïl au bac ; le berbère y est mais n’est pas enseigné ; le provençal est centralisé sous l’occitan alors que c’est une autre langue ; il y a eu des programmes de lycée en 1988, pas de collège ; les programmes des LF sont désormais alignés sur les langues étrangères, dont ceux du primaire, parus en 2003 avec des fautes et sans consultation publique ; etc.

Des pistes méritent intérêt, comme l’initiation « polynomique » (4) généralisée (pour le corse), la sensibilisation préalable à des options non concurrentielles (permettant un choix réel), une véritable écoute des attentes sociales. Le temps est venu d’une politique plurilingue démocratique globale, cohérente et adaptée.


Notes
(1): Selon le recensement 1999, au moins 1/4 de la population en est directement porteuse
(2): The Green Book of Language Revitalization in Practice, Academic Press (2001).
(3): Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe, Conseil de l’Europe (2003).
(4): Une langue "polynomique" est une langue dont l'unité est construite par la perception et les pratiques sociolinguistiques de ses usagers, sans l'unifier sous une norme de référence, et dont toutes les variétés locales et sociales sont interolérées à égalité.
 
Langues et cultures de France

« Tout homme a droit à la protection contre toute discrimination, y compris linguistique. »
Déclaration universelle des Droits de l'Homme, 1948.

« L'enracinement peut devenir nostalgie et passéisme (...).

Elle peut être aussi désaliénation et ré appropriation (...),

fraternité vis-à-vis des opprimés et respect des différences. »

Michel Tozzi, dans Apprendre et vivre sa langue, Syros, 1984.

Le droit à se réapproprier sa langue
Apprendre sa langue n'est pas une revendication simplement linguistique. Il s'agit de s'approprier, se réapproprier un héritage culturel pour agir dans le présent et peser sur l'avenir.

Une langue, c'est plus qu'un moyen de communication, c'est ce qui permet de se comprendre, de se situer, de vivre ensemble.
La reconnaissance de la pluralité linguistique doit être vécue comme un enrichissement et non une division.

Une telle reconnaissance doit être l'affirmation du droit pour chaque individu de pouvoir connaître et pratiquer la langue de ses parents sans pour cela conduire à l'isolement des communautés qui reste contraire au principe de laïcité que défend le Sgen-CFDT.

source :sgen-cfdt.org
 
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