La morphologie des noms berbèresen w-
Considérations diachroniques
(Vermondo BRUGNATELLI — Università di Udine)
Comme l'ont rappelé les organisateurs de ce congrès, c'est au Xe siècle que «le comparatisme (sémitique) systématique et conscient a vu le jour pour la première fois» grâce au «fameux épître (risala ou iggereth) que Ibn Quraych Almaghribiy a adressé à la communauté juive de Fès». A vrai dire, cet auteur n'avait pas limité ses efforts aux langues sémitiques tout-court (surtout hébreu, araméen et arabe), mais avait inclus dans sa recherche même quelques mots d'une langue "chamitique", le berbère. En effet, «cette dernière langue devait être familière à l'écrivain originaire d'une région alors berbérophone» (1) (il état originaire de Tahert).
Et c'est justement un des mots berbères rapportés par Yehuda Ibn Quraych qui peut introduire l'argument de cette communication. Il s'agit du nom du "lion", héb. 'ari:, 'arye:, comparé, dans l'épître, à une forme berbère 'ry'r (à lire, peut-être, aryar). Si le redoublement de r n'est pas (ou n'est plus?) attesté dans les parlers modernes, (2) il est quand même évident que le mot auquel se référait Ibn Quraych était un ancien nom berbère du "lion", présent aujourd'hui dans plusieurs parlers avec des formes différentes: touar. ahar (pl. iharren), Mzab war (pl. iwaren), senhayi buharu / buharru (pl. ibuharuten / ibuharruten), Rif (A. Touzine) buharu (pl. ibuharuten), zenaga wa'r' / a'r (pl. i'ren, i'ran) , (3) Sened är (pl. arrawn), Aurès ar (pl. iran), etc. Probablement, c'est ce même terme qui a donné les noms de la ville d'Ibn Quraych, Tahert ("la lionne") et d'Oran, Wehr'en.
La multiplicité des formes a déjà fait penser à K.-G. Prasse (1969: 20) que dans les formes en wa- il y ait eu une «fausse interprétation du préfixe d'état d'annexion». Et, en effet, le wa- à l'initiale du nom en mozabite et en zenaga paraît un préfixe ajouté à un nom —de forme, hypothétiquement, *(a)har(w) — tout comme le préfixe bu- en senhayi.
J'ai déjà abordé ailleurs le problème de l'initiale des noms berbères (Brugnatelli sous presse), et je considère que l'hypothèse la plus probable sur l'origine des deux états du nom c'est celle d'un figement d'un ancien article/démonstratif de forme wa- (m.) /ta- (f.). Pour les noms masculins, il y aurait eu en suite la chute de la semi-voyelle à l'état libre (en touareg à l'état d'annexion aussi), (4) chute qui n'aurait affecté certains noms qui gardent ce réliquat, surtout en chleuh mais —d'une façon plus réduite— en d'autres parlers aussi. C'est justement à l'étude de ces noms qu'est consacrée cette étude.
D'abord, j'ai dressé une liste des noms pourvus de w- initial. Au total j'en ai relevé 150 dans les différents parlers. J'ai essayé de comprendre surtout les noms dont le w(a)- correspond effectivement à un ancien préfixe, en éliminant donc ceux dont le w- pouvait appartenir à la racine ou ceux qui étaient sûrement composés avec war- "depourvu de...". J'ai aussi utilisé au minimum les noms propres (parmi lesquels il y a beaucoup de noms en w-), dont la morphologie et l'étymologie se heurtent souvent à des difficultés. Je n'ai retenu qu'un nombre très reduit de cas très clairs.
http://www.brugnatelli.net/vermondo/articoli/WA-Testo.html
suite---
Considérations diachroniques
(Vermondo BRUGNATELLI — Università di Udine)
Comme l'ont rappelé les organisateurs de ce congrès, c'est au Xe siècle que «le comparatisme (sémitique) systématique et conscient a vu le jour pour la première fois» grâce au «fameux épître (risala ou iggereth) que Ibn Quraych Almaghribiy a adressé à la communauté juive de Fès». A vrai dire, cet auteur n'avait pas limité ses efforts aux langues sémitiques tout-court (surtout hébreu, araméen et arabe), mais avait inclus dans sa recherche même quelques mots d'une langue "chamitique", le berbère. En effet, «cette dernière langue devait être familière à l'écrivain originaire d'une région alors berbérophone» (1) (il état originaire de Tahert).
Et c'est justement un des mots berbères rapportés par Yehuda Ibn Quraych qui peut introduire l'argument de cette communication. Il s'agit du nom du "lion", héb. 'ari:, 'arye:, comparé, dans l'épître, à une forme berbère 'ry'r (à lire, peut-être, aryar). Si le redoublement de r n'est pas (ou n'est plus?) attesté dans les parlers modernes, (2) il est quand même évident que le mot auquel se référait Ibn Quraych était un ancien nom berbère du "lion", présent aujourd'hui dans plusieurs parlers avec des formes différentes: touar. ahar (pl. iharren), Mzab war (pl. iwaren), senhayi buharu / buharru (pl. ibuharuten / ibuharruten), Rif (A. Touzine) buharu (pl. ibuharuten), zenaga wa'r' / a'r (pl. i'ren, i'ran) , (3) Sened är (pl. arrawn), Aurès ar (pl. iran), etc. Probablement, c'est ce même terme qui a donné les noms de la ville d'Ibn Quraych, Tahert ("la lionne") et d'Oran, Wehr'en.
La multiplicité des formes a déjà fait penser à K.-G. Prasse (1969: 20) que dans les formes en wa- il y ait eu une «fausse interprétation du préfixe d'état d'annexion». Et, en effet, le wa- à l'initiale du nom en mozabite et en zenaga paraît un préfixe ajouté à un nom —de forme, hypothétiquement, *(a)har(w) — tout comme le préfixe bu- en senhayi.
J'ai déjà abordé ailleurs le problème de l'initiale des noms berbères (Brugnatelli sous presse), et je considère que l'hypothèse la plus probable sur l'origine des deux états du nom c'est celle d'un figement d'un ancien article/démonstratif de forme wa- (m.) /ta- (f.). Pour les noms masculins, il y aurait eu en suite la chute de la semi-voyelle à l'état libre (en touareg à l'état d'annexion aussi), (4) chute qui n'aurait affecté certains noms qui gardent ce réliquat, surtout en chleuh mais —d'une façon plus réduite— en d'autres parlers aussi. C'est justement à l'étude de ces noms qu'est consacrée cette étude.
D'abord, j'ai dressé une liste des noms pourvus de w- initial. Au total j'en ai relevé 150 dans les différents parlers. J'ai essayé de comprendre surtout les noms dont le w(a)- correspond effectivement à un ancien préfixe, en éliminant donc ceux dont le w- pouvait appartenir à la racine ou ceux qui étaient sûrement composés avec war- "depourvu de...". J'ai aussi utilisé au minimum les noms propres (parmi lesquels il y a beaucoup de noms en w-), dont la morphologie et l'étymologie se heurtent souvent à des difficultés. Je n'ai retenu qu'un nombre très reduit de cas très clairs.
http://www.brugnatelli.net/vermondo/articoli/WA-Testo.html
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