La Journée internationale de la langue maternelle

Agraw_n_Bariz

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La Journée internationale de la langue maternelle.

Message du Directeur général de l’UNESCO à cette occasion
21 février 2007 .


« Aucune langue n’est sans histoire »

"La langue maternelle est chère à chacun d’entre nous. C’est de la langue maternelle que viennent les premiers mots que nous prononçons, c’est elle qui exprime le mieux la pensée individuelle.

Elle est la fondation sur laquelle tout être humain se construit dès son premier souffle, et qui le soutient tout au long de sa vie. Elle est l’école du respect de soi, de son histoire et de sa culture mais aussi – et surtout – du respect de l’autre et de sa différence.

Car la différence, toute langue la porte en elle même comme une « seconde nature ».
Les spécialistes savent bien : les langues, loin de constituer des systèmes immuables et fermés, sont toujours le résultat d’innombrables fusions, interactions et influences intervenues au cours du temps.
Aucune langue n’est sans histoire. Aussi savante et correcte que soit notre façon de parler, celle-ci est faite d’emprunts multiples, où identité et altérité s’entremêlent. L’étymologie nous renvoie, justement, à cette histoire plurielle. Une histoire où l’identité est le fruit de la diversité et de la complémentarité et qui prépare un avenir marqué par d’autres contacts, d’autres convergences.

Le lien qui unit de manière dialectique identité et diversité n’est pas seulement un héritage du passé. Dans un monde où le global et le local se croisent et devront interagir de façon harmonieuse, les concepts de « langue maternelle » et de « multilinguisme » deviennent structurellement complémentaires La communication de la sphère familiale ou communautaire se double ainsi de l’exercice de la parole à l’école, au travail et au marché, dans les journaux et en politique, dans le culte et dans les tribunaux, dans l’administration et les loisirs. Il s’agit de vivre tous ces aspects de la vie sociale de manière linguistiquement adaptée.

C’est pourquoi l’UNESCO s’efforce de promouvoir le multilinguisme, notamment dans le système scolaire, en encourageant la reconnaissance et l’acquisition d’au moins trois niveaux de compétences linguistiques pour tous : une langue maternelle ou primaire, une langue nationale et une langue véhiculaire.

La promotion de la diversité linguistique et culturelle s’accompagne d’un engagement en faveur du dialogue entre les peuples, les cultures et les civilisations. Diversité et dialogue, identité et altérité sont en effet les pôles d’une complémentarité fonctionnelle qu’il convient d’assumer, par le multilinguisme, dans sa totalité. Et ce, à travers un aménagement harmonieux des différentes langues existantes aux niveaux national et régional, par des stratégies ou des plans capables de promouvoir les langues dans toutes les situations de la vie.

Certes, malgré des exemples de bonnes pratiques dans différentes parties du monde, le multilinguisme fait aujourd’hui plus figure d’idéal que de réalité tangible. Plus de 50 % des 6 000 langues parlées dans le monde, vecteurs de mémoire collective et de patrimoine immatériel, risquent de disparaître. 96 % d’entre elles ne sont parlées que par 4 % de la population mondiale. Moins d’un quart de l’ensemble des langues existant sur cette planète sont utilisées à l’école et dans le cyberespace, et, pour la plupart, seulement sporadiquement. Les langues véritablement mises à l’honneur dans le système éducatif et le domaine public se chiffrent à quelques centaines, et moins de cent sont présentes dans le monde digital.

Prenons comme exemple ce continent-berceau de l’Humanité qu’est l’Afrique: un tiers des langues de la planète y est parlé ! Bien que parfaitement maîtrisées par les populations dont elles sont le moyen quotidien d’expression, la plupart de ces langues ne sont guère utilisées à l’école, dans l’administration, la justice ou la presse publique.
C’est pourquoi l’Union Africaine, pour laquelle les langues constituent l’un des piliers pour l’intégration du continent, s’efforce de réaliser un plan d’aménagement linguistique régional susceptible d’harmoniser local et global, et ce, dans l’intérêt de tous.

C’est cette approche ouverte et intégrée, éloignée de toute conception purement identitaire des langues, qu’il convient de retenir et, avec la coopération de tous les amis et partenaires de l’UNESCO, d’appuyer avec générosité, en vue d’un avenir multilingue de diversité et de respect mutuel.

Ainsi, à l’occasion de cette édition de la Journée internationale de la langue maternelle, je lance un appel pour que des stratégies linguistiques nationales et régionales soient promues de manière à ménager un espace harmonieux à toutes les langues du monde."

Source : www.unesco.org
 
Re : La Journée internationale de la langue maternelle

Quand le fil d'Ariane devient l'oreille

2 mars 2007
Le Monde des Livres


A l'Unesco, mercredi 21 février, l'académicienne Assia Djebar a évoqué le rapport entre langues maternelle et d'écriture

Une journée internationale, fêtée sous l'égide de l'Unesco, a célébré " la " ou " les langues maternelles " que chacun de nous porte en lui, intacte, ébréchée ou à demi effacée, à l'ombre le plus souvent d'une autre langue importée de l'extérieur - du temps où, dans toutes les époques coloniales (anglaise, française, etc.), la langue du nouveau pouvoir devenait langue officielle, qui marginalisait alors de facto les langues autochtones qui, elles, reculaient, se murmuraient, disparaissaient de l'espace public, des écoles, des administrations.

Ainsi, quand des pays autrefois indépendants se retrouvaient " dominés ", bâillonnés, leurs langues ancestrales entraient dans l'ombre, ou dans la dissidence silencieuse : langues maternelles du Maghreb colonisé de mon enfance - l'arabe dialectal dans ses variations multiples d'accent et de sonorité, ainsi que le berbère, langue de Jugurtha et de l'irréductibilité, apparemment en retrait, se laissaient mettre le bâillon, et seulement au coeur des chaumières se chuchotaient.

Pourrai-je, quant à moi, rappeler la situation de tout enfant émigré d'aujourd'hui, en Europe, allant à l'école et se socialisant peu à peu dans la langue du pays d'accueil, dans " la langue du dehors ", dirais-je : cet enfant rentre chaque jour chez lui et il retrouve la mère, le père aussi quelquefois, parlant dans " la langue d'ailleurs ", celle de la rupture et de la séparation. C'est dans cette langue qu'il entend la mère, son de l'origine, quelquefois sans pouvoir y répondre. Comme si l'Absence, en tant qu'absence, en lui-même l'interpellait. Car il a été trop vite précipité dans la " langue d'ici " - langue de l'autre, langue du dehors et par contraste intime, langue devenue celle de " l'ici et de maintenant ".

Imaginons quel tangage fragile, quel déséquilibre imperceptible, quelquefois quel risque sournois de vertige - sinon de schizophrénie - s'introduit dans cette précoce identité.

Et j'en viens, pour ma part, à cet " autre " de toute écriture, comme de toute création audiovisuelle. Depuis au moins vingt ans, dans mon travail d'écriture sur la mémoire visuelle du Maghreb, comme pareillement en littérature, j'ai compris que l'occulté, l'oublié de mon groupe d'origine devait être ramené à la clarté, précisément dans la langue française. Dans cette langue dite de l'autre, je me trouvais habitée d'un devoir de mémoire, d'une exigence de réminiscence d'un passé mort arabo-berbère, le mien. Comme si l'hérédité de sang devait être transmuée dans la langue de l'accueil : et c'est en fait, cela, le vrai accueil, pas seulement franchir le seuil chez l'autre.

Ainsi, pour moi, le fil d'Ariane devenait mon oreille. Oui, j'entendais arabe et berbère (les plaintes, les cris, les youyous de mes ancêtres du XIXe siècle), je les entendais eux, les barbares, dans la langue française. Si bien qu'écrire devient inscrire, transcrire, écrire en creux, ramener au texte, au papier, au manuscrit, à la main, ramener à la fois chants funèbres et corps enfouis : oui, ramener l'autre (autrefois ennemis et inassimilables) dans la langue d'écriture.

Peut-être qu'un écrivain fait d'abord cela : ramener toujours ce qui est enterré, ce qui est enfermé, l'ombre si longtemps engloutie dans les mots de sa langue, même si elle n'est pas maternelle. Ramener l'obscur à la lumière. En conclusion, je pourrais m'interroger : vivre sur deux cultures, tanguer entre deux mémoires, deux langages ; rééclairer ainsi dans une seule écriture la part noire, le refoulé, à quel changement cela m'amène-t-il ? Déplacement progressif, déracinement lent et à l'infini, sans doute : comme s'il fallait s'arracher sans cesse. S'arracher en se retrouvant, se retrouver parce que s'arrachant.

Assia Djebar
 
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