La censure n’est plus l’apanage de l’Etat

agerzam

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Par Ahmed R. Benchemsi
“Photos quasi nues”

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Ahmed R. Benchemsi
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La censure n’est plus l’apanage de l’Etat, mais celui de la société


D’après Attajdid, un groupe d’employés de la Poste ont exprimé leur indignation face à la présence de “photos quasi nues” sur des brochures pour lingerie que Poste Maroc “s’entête à distribuer”. Sûrs de leur bon droit, les pudiques facteurs, affirme le quotidien islamiste, ont demandé à leur direction de ne plus accepter ce genre de dépliants (à moins qu’ils ne soient cachés dans des enveloppes opaques) “par respect de la déontologie professionnelle” (si !). Interrogé par Attajdid, un responsable de la Poste a déclaré (anonymement) que son
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</td> </tr> </tbody></table> <table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" width="555"> <tbody><tr> <td>administration a le devoir de distribuer tout ce qu’elle reçoit, sans rien exiger d’autre que le paiement des frais correspondants. Sinon, ça s’appelle un refus de vente, et c’est passible de poursuites. Ce responsable est bien gentil. S’il l’avait moins été , il aurait émis une note de service rappelant quelques vérités essentielles : la “déontologie professionnelle” du facteur consiste à distribuer le courrier, pas à en analyser le contenu. Et si, faute d’enveloppe, d’éventuelles “photos quasi nues” lui tombent sous les yeux, eh bien, il n’a qu’à regarder ailleurs.

Mais imaginez ce qui se serait passé si cette note de service avait été effectivement émise… Une poignée de facteurs barbus aurait immédiatement appelé à la grève, certains journaux (dont Attajdid n’est pas le plus influent) auraient monté l’affaire en épingle en publiant le fac-similé de la note, à la suite de quoi de gros bataillons de facteurs se seraient joints à la grève – moins par réprobation de la lingerie que pour saisir l’opportunité de ne pas travailler quelques jours, un bras de fer aussi fiévreux que sans issue s’en serait suivi sur le thème des “valeurs musulmanes”, etc. Voilà pourquoi, en se contentant de soupirer en silence à la lecture d’Attajdid, le responsable de la Poste a eu raison.

Au groupe TelQuel (qui édite aussi Nichane), nous avons été plusieurs fois confrontés à ce phénomène. Exemple parmi tant d’autres : quand, il y a quelques semaines, Nichane avait traité en couv’ du sentiment amoureux chez les Marocains, nous avions d’abord essuyé le refus de plusieurs imprimeurs, sollicités pour réaliser des affiches promotionnelles*. Le personnage masculin de la photo de couv’ se contentait pourtant d’un chaste baiser sur la joue du personnage féminin (et encore, on ne voyait ni les lèvres ni la joue en question). Faut-il en déduire que les Marocains sont particulièrement pudiques, et passer à autre chose ? Même pas. Ont subi le même sort deux affiches de couv’ respectivement intitulées “Le patronage royal, un cadeau empoisonné ?” et “À quoi sert le premier ministre (dans un système de monarchie absolue) ?”. Critiquer l’Etat, c’est tout aussi dangereux que les mœurs ? Admettons. Mais que dire alors de cette pub audio qui a eu un mal fou à trouver preneur parmi les nouvelles radios privées parce que, au sujet du plan d’autonomie du Sahara, nous déclarions que “l’maghrib sayyed l’jazaïr” (le Maroc a piégé l’Algérie) ? Que se serait-il passé si ça avait été le contraire ?!?

Tout ça pour dire que, depuis quelque temps, la censure n’est plus l’apanage de l’Etat, mais celui de la société. Désormais, chacun se sent le droit de censurer son prochain au nom de sa propre vision du monde, qu’elle se nourrisse d’une morale rétrograde, d’une peur irraisonnée de tout ce qui touche à la politique… ou de rien d’identifié. Ma bghitch, safi ! À chacun de ces incidents, le groupe TelQuel aurait été dans son droit le plus absolu en intentant des procès pour refus de vente (des imprimeurs, des stations radio…). Nous ne l’avons pas fait, tout comme le patron de la Poste n’a rien fait. Parce que ça ne sert à rien. Parce que, tant que ce pays est ce qu’il est, la bonne foi ne fera pas le poids contre la mauvaise. Parce que compter sur la justice pour rétablir le droit et le bon sens serait – d’expérience – une grave erreur. C’est triste, et surtout, c’est inquiétant.
* Finalement, n
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