L’apparition des néologismes en Tamazight de Kabylie.

Agraw_n_Bariz

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Après l’indépendance, la production néologique va stagner avant de reprendre, à la fin des années 60, sous l’impulsion du bulletin de l’Académie berbère, Imazighènes, puis ce sera l’œuvre majeure de Mouloud Mammeri, Tajerrumt n Tmazight, première grammaire berbère rédigée entièrement en berbère’’ et qui est encore aujourd’hui à la base de l’enseignement de tamazight dans les établissement scolaires algériens.

En dépit de leur succès auprès des jeunes, les chants nationalistes n’ont pas eu beaucoup d’effet sur le renouvellement de la langue : aucun mot nouveau n’y a été intégré, y compris ceux à forte connotation affective comme tera “amour’’ ou tilleli ‘’liberté’’. On continue donc à utiliser les termes empruntés à l’arabe, lh’ubb et lh’uria, comme on peut le constater dans les chants de guerre, tel Ayemma aâzizen urett’ru, ‘’mère bien aimée, ne pleure pas’’, de Farid Ali. Même l’usage du mot amazigh, ‘’berbère’’ et tamazight ‘’langue berbère’’ ne s’est pas répandu dans les milieux populaires. On continue à dire aqbayli, ‘’kabyle’’ et taqbaylit ‘’langue kabyle’’ ;

Le Bulletin de l’Académie berbère

Après l’indépendance, il faut attendre le bulletin de l’Académie berbère, Imazighènes pour voir le lancement de nouveaux mots. Rappelons que cette académie, fondée en 1967, à Paris, par un ancien officier de l’ALN, se proposait de défendre et de promouvoir la langue et la culture berbère, mais en réalité elle était beaucoup plus préoccupée de politique (opposition au gouvernement algérien de l’époque) que de recherche scientifique. On lui doit néanmoins une tentative de rénovation de l’alphabet tifinagh ainsi qua la proposition d’un certain nombre de néologismes.

On relève principalement le nom berbère des nombres, empruntés aux dialectes qui les emploient encore, des mots empruntés à divers dialectes pour remplacer des emprunts en kabyle, des mots forgés pour exprimer des réalités modernes. Des mots usuels kabyles sont également repris avec des significations nouvelles.

Voici des exemples :

1-Les noms de nombre :
Les chiffres 1 à 10 sont repris du système numéral berbère, mais les chiffres composés sont obtenus avec la juxtaposition des chiffres simples, alors que dans les dialectes qui emploient encore la numérotation berbère, les éléments simples sont réunis par le joncteur d’’et’’ comme dans mrawtza ‘’dix neuf’’, mraw d tza, en touareg.. Certains noms de nombres sont forgés, ainsi que l’indique warem ‘’vingt’’ (touareg : snatet tmrawin). Les noms exprimant des dizaines sont également forgés à partir des termes exprimant les unités tels caret ‘’trentaine’’, ukkuset ‘’, semmuset ‘’cinquantaine’,’ etc.

2-Mots repris à divers dialectes :

acengu ‘’ennemi’’ , asel ‘’nouvelle’’ (touareg), amedyaz ‘’poète’’, agarew ‘’mer, océan’’ (chleuh) imalas ‘’semaine’’ tifesnaxt ‘’carotte’’ (dialecte de Djerba, en Tunisie’’ etc.

3-Termes kabyles dont le sens a été modifié (néologismes de sens) :

Afernas ‘’hécatombe’’
tajmilt ‘’reconnaissance’’ tujjma ‘’nostalgie’’
acacfal ‘’géant’’ (sens habituel : long baton pendu aux poutres du toit et servant à accrocher les vêtements), etc.

4-Néologismes formés à partir de mots relevés dans divers dialectes berbères :

Aghrif ‘’peuple’’, tigduda ‘’république’’, tigemmi ‘’patrimoine’’, agraw ‘’assemblée’’, anbad’ ‘’gouvernement’’, iswi ‘’but, objectif’’, asekkil ‘’alphabet’’ tigherma ‘’civilisation’’ tallit ‘’époque’’ etc.

Un certain nombre des néologismes de l’Académie berbère ont été repris par l’Awal pour devenir, notamment dans les médias, d’un usage courant. Mais le gros de la production est aujourd’hui en grande partie oublié. Il est vrai que la production du Bulletin, boycottée en Algérie, n’a pas connu de diffusion. D’ailleurs, quelques années après son lancement, l’organe de l’Académie berbère, allait être dépassé par deux productions majeures :
Tajerrumt, ‘’Grammaire berbère, en berbère’’ et Awal, ‘’Lexique de vocabulaire berbère moderne’’

Tajerrumt .

C’est la première grammaire berbère publiée entièrement en berbère. Œuvre du romancier et de l’essayiste algérien Mouloud Mammeri, elle a été éditée en 1976. Depuis, elle a connu d’autres éditions, et elle a servi de base à l’enseignement, d’abord dans le cadre associatif, puis dans les écoles, après l’introduction de l’enseignement du berbère.
C’est dans cet ouvrage que l’on trouve, pour la première fois, une terminologie complète d’un vocabulaire spécialisé, celui de la grammaire :
Amyag ‘’verbe’’ isem ‘’nom, substantif’’, asg’et ‘’pluriel’’, amalay ‘’masculin’’, asuf ‘’singulier’’, ilam ‘’futur’’, tawsit ‘’genre’’ asentel ‘’subordination’’, etc.

On trouve aussi tout un vocabulaire usuel en kabyle, généralement emprunté, comme acku ‘ maca ‘’mais’’, acku ‘’parce que’’, amezruy ‘’histoire’’ ad’lis ‘’livre’’ etc. ainsi qu’un système d’abréviation tels ’’atg ‘’ar trigra, etc.’’, gt. ‘’g’et, pluriel’’ etc. Le mot tajerrumt, ‘’grammaire, syntaxe’’, est emprunté, lui, à l’arabe dialectal : djerrumiya, qui signifiait ‘’grammaire d’Ibn Adjurrum’’. Mais rappelons tout de même qu’Ibn Adjurum était un Berbère.

Ce célèbre grammairien marocain, né en 1273 ou 74 de l’ère chrétienne, mort en 1329, est l’auteur de la fameuse Muqaddima, ou Prolégomènes, cours précis de grammaire arabe, que des générations entières d’étudiants ont apprise par cœur. Cet ouvrage, qui a connu une grande diffusion dans le monde musulman et au Maghreb, on l’appelait couramment al Djurumia, ce qui a donné à Mammeri l’idée de le reprendre.

La plupart des néologismes de Tajerrumt sont empruntées, ainsi que l’indique Ramdan Achab dans son étude sur la néologie kabyle, au touareg (43%) une partie au kabyle (20%), une petite proportion au chleuh (8%). Quelques mots viennent de divers dialectes : chaoui, tamazight du Maroc central, dialectes du Mzab, du Gourara…etc. (5%). Le reste des mots, soit 20% , relèvent de racines pan berbères, c’est-à-dire communes à la plupart des dialectes, y compris le kabyle.

On relève même l’utilisation de quelques mots arabes comme base de production de la néologie ! timt’iqt ‘’syllabe’’ (de nt’eq ‘’parler, dire quelque chose’’ ou taxtimt ‘’désinence’’ de xtem ‘’finir’’.

Mammeri, non seulement varie la provenance de ses néologismes mais, aussi, il mobilise les ressources de la langue. Ainsi, il introduit, pour la première fois, l’affixation, à la base, dans de nombreuses langues de créations. On citera parmi les préfixes :
azgen ‘’moitié, semi’’, dans azgenaghri ‘’semi-voyelle’’, azgenaggagh ‘’semi-occlusif’’ sn’’connaissance, science’’, par exemple : tasnilsit ‘’linguistique’’, de sen’’connaissance’’ et iles ‘’langue’’
ar/ur, préfixe privatif, comme dans arawsun ‘’neutre’’, formé de ar, négatif, et du mot touareg tawsit ’’genre’’ etc.

Il est vrai que ar/ur est déjà attesté dans la langue avec des formations comme warisem ‘’anonyme’’, nom de mois dans le calendrier des femmes, formé par ar/war et isem ‘’nom’’ Tous les néologismes de Tajerrumt seront repris dans Awal, œuvre néologique majeure, composée sous la direction de Mammeri.

Œuvre d’un écrivain et d’un grammairien, de surcroît berbérisant, Tajerrumt est la première œuvre de néologie berbère réfléchie, qui repose sur des bases scientifiques. D’ailleurs, en dépit du temps, elle est encore largement utilisée dans les milieux scolaires de kabylie. Aujourd’hui encore, en dépit des critiques qui lui ont été faites, elle sert encore de base à l’enseignement dans les cours de tamazight des établissements scolaires.

M.A. Haddadou

Source : kabyle.com
 
Je trouve que la methode des amazighes marocains ets nettement meilleure que celle des Kabyles.
Les amazighes marocains ne creent un NEOLOGISME que lorsque les differents parlers amazighes n offrent pas un equivalent en amazighe.
Le neologisme chez les Kabyles traduit une attitude hative et non reflechie de produire des neologismes a la COCOTTE MINUTE ............
Il faut d abord voir si ce neologisme n existe pas chez les autres dans sa forme authentique amazighe.
Ataturk quand il a voulu creer le TURC moderne pour se delester de l arabe ,il a envoye des milliers de chercheurs dans toutes les ethnies parlant des fdormes apprentees de TURc en Asie centrale pour ramener tous les mots................Il crea alors la langue turque et evita de creer des neologismes gratuitement.
 
Les Kabyles souffrent aussi d'un gros problème. Ils parlent tous très mal le taqbaylit. Il est extrêmement très rare de tomber sur un Kabyle qui parle très bien sa langue comme il faut. Ils ont une connaissance pour le moins partielle de leur culture et de leur patrimoine.

Il est donc tout à fait normal qu'ils aillent chercher des mots ailleurs alors que le Kabyle les possède déjà. Il suffit juste de chercher. Je vous donne juste un exemple: ur jju ( pour dire jamais), et bien il existe bel et bien en taqbaylit. Mais va maintenant dire un Kabyle, ur jju et tu seras surpris par sa réaction !

De plus, si vous avez remarqué une chose: la majorité des emprunts ont été faits aux Touarègues. Pour quelle raison d'après vous ? Parce que la politique s'est en mêlée. A l'époque où les militants amazighs de kabylie étaient très actifs, les relations entre les deux régimes arabistes de Tamazgha sont exécrables. Il est donc malsain de parler du Maroc et de sa culture amazighe. Pire, on trouve de grands militants amazighs enAlgérie qui sont pour le Polisario baâthiste. Kateb Yassin par exemple !

Je me rappelle encore du procès des militants amazighs en Algérie au début des années 80. Ils ont été accusé de travailler pour le Maroc. Car ils emploient le mot amazigh et imazighen.

Et l'histoire nous apprend que lorsque la politique se mêle de la culture, cela donne une mauvaise culture.

Reste que le plus grand spécialiste qu'ont les Kabyles, c'est bien évidemment Mouloud Mamri. Mais il faut savoir qu'il parle le tachlhite aussi bien que nous. Oui, il a vécu presque toute son enfance au Maroc. D'où sa vision pour le moins large de la culture et de la langue amazighe.

C'était un grand homme !
 
parfaitement daccord avec toi Adrar-n-illouz. il suffit de chercher pas plus loin que chez le vendeur de cassette du coin. Les rways même si on leur reproche d'utiliser trop souvent et gratuitement des mots arabes alors que des équivalents en tamazight tachelhit existent, représentent néanmoins et malgré tout une source non négligeable pour rechercher des termes anciens non usités dans la langue courante. Ca évitera de devoir créer des néologismes pour ces même termes. surtout les outznakht, amentag, haj belaid, anchad, azeàri mériteraient une étude ou recherche à ce sujet.
 
Voici quelques extraits d'un article intitulé " Néologisme scientifique et technique en langue amazighe " écrit par Carles Castellanos de l'université de Barcelone.



... Les considérations qui suivent concernent surtout le domaine de la création néologique des termes scientifiques et techniques et visent à ébaucher des critères de distinction au sein de ce grand domaine.
Ma réflexion part de l’observation du fait que le nombre des termes employés dans les usages journaliers des différentes branches de la Science et de la Technique, est de l’ordre des millions de termes et de la considération de l’effort immense de systématisation qui découle de ce fait.

On sait d’ailleurs que tous ces termes ne sont pas également employés : un nombre important entre eux ont un usage tout strictement spécialisé, ils sont propres aux médecins, aux ingénieurs, aux biologistes, aux architectes etc. ; mais quelques uns ont un emploi plus général ...

Nous aborderons aussi ces aspects qui ont affaire à l’extension de l’utilisation quotidienne, mais ce qui nous intéresse de souligner davantage dans un aperçu général, c’est la nécessité de posséder en langue amazighe des procédés qui permettent un emploi à la fois précis et non ambigu des milliers et milliers de termes spécialisés...

Les techniciens et les scientifiques amazighs ne doivent pas se voir surchargés par des procédés trop complexes ou peu commodes concernant la terminologie employée dans leur activité quotidienne. La terminologie doit être à la fois précise et commode ; sinon ils seraient obligés de changer de langue dès qu’ils auront besoin de se servir d’un langage spécialisé.

Dans ce but nous avançons les considérations suivantes.

1. Contact linguistique et néologie. Une première approche

Du point de vue des contacts entre les langues, il nous faut distinguer, tout d’abord, parmi les différents procédés de création néologique en les classant en deux grands volets : l’emprunt et la formation endogène (ce second volet, comprenant l’ensemble des procédés de création de termes à partir de la propre langue - qu’il s’agisse de l’expansion sémantique, la formation syntagmatique ou d’autres procédés).

Il y a plusieurs types d’emprunt que nous ne développerons pas ici mais qu’on va étudier dans les paragraphes suivants. Quant aux procédés de formation endogène on pourrait étaler à son tour, dans une certaine gradation, différents types d’adaptation allant du simple calque à la vraie création endogène (c’est à dire, la création concernant les termes nés, en principe, à l’écart des contacts). Une systématisation plus précise et simplifiée des procédés principaux est exposée dans le §3.

Il faut cependant, en continuant notre vision générale, rappeler les difficultés que l’emprunt trouve, dans son processus d’adaptation à la langue réceptrice : les résistances sociolinguistiques vis à vis de l’interférence d’autres langues, et les difficultés linguistiques (d’ordre phonétique ou morphosyntaxique) dans les passage d’un système linguistique à un autre différent. On ne peut donc, en principe, abuser du recours à l’emprunt.

Mais, d’un autre côté, la formation endogène a été aussi critiquée, notamment le procédé de l’expansion sémantique. Dans un travail sur le thème qui nous concerne, Miloud Taïfi (1997 : 68-72) avait averti des risques encourus par l’abus du procédé d’expansion sémantique pour exprimer les notions de la vie moderne, et avait exposé les équivoques auxquels peut amener cette pratique. La fonction essentielle de la terminologie étant la désignation précise et non équivoque des concepts, l’expansion sémantique (ou emploi figuré) ne peut être, donc, non plus, appliquée d’une façon abusive. Les limitations sociolinguistiques vis à vis de la profusion des termes obtenus par formation endogène en général, ont été aussi suffisamment signalés par plusieurs autres auteurs tels que Achab, Chaker et Tilmatine.

Quels critères devrions-nous, donc, suivre dans les choix des différents procédés ?

Dans notre thèse de doctorat,... nous avions soutenu la nécessité de distinguer, au moins entre trois domaines dans l’innovation lexicale amazighe : l’épuration, l’innovation technologique et sociale et l’élaboration stylistique, puisque ces domaines correspondaient à des contextes sociolinguistiques différents et ils exigeaient, donc, des traitements différenciés.

On rappelait alors que le domaine de l’épuration lexicale (qui comprendrait les mots du vocabulaire de base actuel susceptibles de substituer les xénismes usuels, tels que « adlis »(livre), « tilelli » (liberté), « anezgun » (théâtre) etc.) est le plus délicat puisque doit aboutir à un emploi quotidien et massif. Le nombre des propositions susceptibles d’être utilisés devrait être, dans ce cas, forcément réduit.

D’un autre côté, on signalait que le domaine de l’innovation technologique et sociale se heurtait surtout à des difficultés d’adaptation des mots d’origine greco-tatine, difficultés que l’étude de modèles précédents suivis par d’autres langues non indo-Européennes (tels que la langue basque, la langue finnoise et la langue hébraïque) pourraient aider à surmonter. À ce propos nous invoquions l’excellente thèse de Sagama dans laquelle l’auteur étudie la néologie développée dans ces trois langues citées.

Nous finissions nos considérations en concluant que les domaines les plus problématiques étaient les deux premiers, c’est à dire, celui qui concerne l’épuration, à cause de ses répercussions sociolinguistiques ; et celui traitant l’innovation technologique et sociale, à cause de son énorme étendue. A ce sujet nous avertissions finalement que la centaine d’affixes de nominalisation systématisés jusqu’aujourd’hui (tels que ceux qui avait exposés Achab pp. 190-194) ne paraissaient pas suffisante pour couvrir d’une façon exhaustive les nécessités néologiques....

Source : asays.com
 
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