JOEL DONNET et les Berbères

agerzam

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Voici un article paru il y a maintenant bientôt 10 ans dans Le Monde.

Il était l'oeuvre de Joel Donnet.

Un des premiers a avoir parlé du mouvement amazigh en Europe.

...il est mort il n'y a pas longtemps dans un accident d'avion au Brésil.

Hommage à ce monsieurs.

Voici l'article de l'époque :

APRÈS DEUX MILLE ANS DE MÉPRIS

Renaissance berbère au Maroc






E N décidant, le 20 août 1994, que la langue des Berbères, le tamazight, parlée par plus d’un tiers de la population du Maroc, serait désormais enseignée « au moins au niveau du primaire », le roi Hassan II a pris une décision qui fera date. Elle ouvre la voie, dans l’ensemble du Maghreb, à une réparation historique à l’égard de la communauté berbère, dont la culture, l’identité et les droits ont été longtemps méprisés. Partout, les associations se multiplient, les revendications se précisent, les avancées s’accumulent, au point que beaucoup n’hésitent plus à parler d’une véritable renaissance berbère.




Par Joël Donnet
Journaliste





« Les Arabes, dehors ! » Ce cri, à Outerbate, dans le Haut-Atlas, ou dans d’autres régions montagneuses, est devenu de plus en plus fréquent. Dans sa radicalité excessive, il traduit l’effervescence que connaît, partout au Maroc, le mouvement berbère. En seulement quatre mois, la communauté amazigh (1) s’est engagée sur la voie d’un véritable bouleversement.

Les Berbères revendiquent une présence au Maghreb vieille de cinq mille ans. Le 12 janvier - Nouvel An, selon leur calendrier -, ils entameront l’année 2945. Géographiquement, leur communauté s’étend sur près de 5 millions de kilomètres carrés, de la frontière égypto-libyenne à l’Atlantique, et des côtes méditerranéennes au Niger, au Mali et au Burkina (les Touaregs aussi sont des Imazighen - ces « nomades » descendent, comme le mot l’indique, des Numides - et sont les seuls à avoir conservé, à travers les âges, leur écriture, le tifinagh). Quant à l’origine du mot « berbère », elle remonte à la culture gréco-latine, le terme barbarus désignant l’étranger à la cité, celui qui « ne sait pas parler » (ou seulement par des balbutiements, d’où l’onomatopée « bar-bare »), par extension, le « non-civilisé », le « sauvage », la « brute »... Cela explique pourquoi, sans renier totalement ce mot, les Berbères préfèrent le nom qu’ils se donnent dans leur langue, les Imazighen. Guerriers valeureux, réfugiés dans les montagnes lors des invasions aussi bien romaine (cf. la Guerre de Jugurtha, de Salluste) qu’arabe (cf. l’Histoire des Berbères, d’Ibn Khaldoun), ils surent résister avec succès au pouvoir central des sultans marocains (2) et eurent un rôle majeur dans la lutte contre la colonisation française et espagnole (3). Le protectorat tenta bien de jouer sur leurs spécificités (4) mais ne parvint pas à les rallier. Cependant, cette tentative de « débauchage colonial » bloqua pour longtemps toute revendication berbère, vite assimilée au « parti colonial » et à des visées sécessionnistes.

Presque tout le monde s’accorde désormais pour reconnaître que, les conquérants arabes du IXe siècle ayant été peu nombreux, la très grande majorité des Marocains a du sang berbère. Ce qui ne signifie pas nécessairement qu’ils sont berbérophones, plusieurs tribus ayant été arabisées de force très tôt, en particulier le long des côtes de l’Atlantique (5). Un blocage psycho-politique persistant avait empêché, jusqu’au recensement de septembre 1994, que soit demandé aux gens s’ils parlaient une langue berbère. Dans l’attente du dépouillement, les estimations avancées vont de 33 % à 80 % ! Le régime marocain fait preuve, depuis deux ou trois ans, d’une volonté d’ouverture. On l’a vu notamment avec la libération des prisonniers politiques ou encore la destruction du bagne de Tazmamart. Parallèlement fleurissent des associations culturelles berbères d’un type nouveau.

Les jeunes très actifs, à l’origine des nouvelles associations et des revues (6), sont souvent des déçus du monde politique. « Notre indépendance par rapport aux partis et aux autorités est l’un des facteurs de notre réussite », estime M. Ahmed Kikich, militant berbériste. Même M. Mahjoubi Aherdan, poète et peintre âgé d’« environ soixante-dix ans », qui fonda le Mouvement populaire (7) à la fin des années 50, déclare : « Ma démarche a toujours été politique pour imposer la culture ; mais elle devient plus culturelle que politique. »

En fait, dès le 5 août 1991, six associations (elles sont aujourd’hui onze) signaient la charte d’Agadir, « relative à la langue et à la culture tamazightes au Maroc ». Elles y déploraient « la marginalisation systématique de la langue et de la culture tamazightes » et se mettaient d’accord sur sept « objectifs à atteindre », dont « la stipulation dans la Constitution du caractère national de la langue tamazight à côté de la langue arabe ». Elles demandaient aussi « l’intégration de la langue et de la culture tamazightes dans divers domaines d’activités culturelles et éducatives, et leur insertion dans les programmes d’enseignement » ; et encore « le droit de cité dans les mass media écrits et audiovisuels ».

C’est dans ce contexte que devait survenir, le 1er mai 1994, la manifestation berbériste d’Errachidia. A l’origine de cet événement : l’association Tilelli (« Liberté » en tamazight) de Goulmima, oasis située à 60 kilomètres de la capitale provinciale, Errachidia. Cette association, signataire de la charte d’Agadir, est très active, dans une région dont les relations avec le pouvoir central, historiquement, ont toujours été tendues. Pour le président de Tilelli, M. Ali Harcherras, trente-deux ans, professeur au lycée de Goulmima, les berbéristes représentaient les deux tiers des participants au défilé du 1er mai 1994 organisé par la Confédération démocratique du travail (CDT) et l’Union générale des travailleurs marocains (UGTM). Ils scandaient des slogans mais portaient aussi force banderoles en français et en tamazight. Et insistaient tout particulièrement sur le statut officiel du tamazight, criant : « L’hébreu est enseigné, pas le tamazight » ; « Tamazight à l’école » ; « Pas de démocratie sans tamazight ». Lors du défilé, le pacha (sorte de sous-préfet) intervint pour réclamer - en vain - le retrait des banderoles en tamazight ; le défilé se termina sans incident. INTER Aucune prétention séparatiste S ELON M. Ahmed Kikich, trente-trois ans, professeur au même lycée, secrétaire du bureau local du Syndicat national des enseignants (SNE), à la fin de la manifestation, des « istiqlaliens (8) de l’UGTM désignèrent aux policiers les meneurs ». Conséquence : le 3 mai, sept enseignants de Goulmima et d’Errachidia, membres ou sympathisants de Tilelli, étaient interpellés. L’un d’eux sera frappé le premier jour, selon M. Harcherras. Tous seront interrogés - individuellement, menottés et les yeux bandés - sur les rébellions locales des dernières décennies, et sur leurs « rapports avec l’Algérie », alors qu’ils clament n’avoir « aucune prétention séparatiste ». Leur inculpation, dans ces circonstances, provoqua une surprise générale. Furent retenues contre eux, notamment, les charges de « troubles à l’ordre public » et « incitation à commettre des actes portant atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat », les autorités affirmant avoir découvert chez M. Harcherras des « documents compromettants échangés notamment avec des organisations étrangères ». Cela entraîna une protestation générale, et les autorités locales furent accusées de « violation de la liberté d’opinion ». Lors du procès, le 27 mai 1994, quatre militants, dont M. Kikich, furent relaxés, deux étaient condamnés à deux ans de prison et un à un an. Quelques semaines plus tard, les condamnés faisaient partie des 424 personnes amnistiées par Hassan II, leur peine étant ainsi effacée. Plusieurs interprétations sont données de cette affaire. M. Mimoun Habriche, rédacteur au quotidien communiste de langue française Al Bayane, estime qu’il s’est agi d’« une bévue d’un petit agent d’autorité locale qui n’a pas mesuré la portée de ses actes ». M. Driss Benzakri, vice-président de l’Organisation marocaine des droits de l’homme (OMDH), note que « beaucoup expliquent ces arrestations comme une mise en garde. Habituellement, au Maroc, quand le pouvoir procède à un changement politique, un mouvement de répression le précède pour en limiter la portée ». En tout cas, estime M. Ouzzin Aherdan, ancien député et directeur de la revue Tifinagh, « l’affaire de Goulmima a servi de révélateur dans tout le Maghreb ».

Avant même le dénouement de l’affaire, le gouvernement avait exquissé des gestes. C’est ainsi que le nouveau premier ministre, M. Abdellatif Filali, annonçait le 14 juin dernier, devant la Chambre des représentants, que la télévision publique allait désormais diffuser des informations en « langue tamazight » - la radio le fait déjà depuis plusieurs décennies. Et, en effet, depuis le 24 août 1994, la télévision présente un journal de douze minutes, reprenant trois fois les mêmes informations avec un présentateur différent pour chacun des trois parlers imazighen : tarifit du Rif (Nord), tamazight du Centre-Est et tachlahit du Sud. A cet égard, les critiques sont nombreuses chez les berbéristes (trop d’arabismes, volonté de diviser en insistant sur les dialectes, insuffisance des programmes en tamazight sur la chaîne publique (9). Mais tous sont d’accord pour parler d’un « pas positif ». « Grâce à la télévision, des millions de Berbères se sentent enfin pris en considération », note M. Ali Harcherras.

Mais, entre la déclaration du premier ministre et le début des journaux télévisés en berbère, le véritable bouleversement est venu du roi lui-même, dans un discours prononcé le 20 août 1994. Certes, à la différence du premier ministre, il ne parle pas de « langue » tamazight, mais de trois « dialectes », admettant qu’ils « font partie des composantes de notre authenticité ». Il tient à « mettre les choses au point : je ne suis absolument pas contre les dialectes ». Et il lance la « bombe » dont les ondes de choc n’ont pas fini d’affecter la société marocaine : « Il est indispensable, dit-il, au moins au niveau du primaire, de prévoir des tranches horaires pour l’enseignement de nos dialectes. » Même s’il rappelle que l’arabe est « la langue mère » du pays retenue dans la Constitution. Pour M. Brahim Akhiat, secrétaire général de l’Association marocaine de recherche et d’échanges culturels (AMREC), berbériste, il s’agit d’un « pas historique et clairvoyant ». Pour cet homme de cinquante-deux ans, Hassan II a ainsi « mis les points sur les i, non seulement en acceptant l’enseignement de la langue tamazight mais aussi en fixant l’orientation générale de l’avenir de la culture marocaine ». Certains sont moins optimistes, ils craignent qu’il ne s’agisse plutôt d’un « os à ronger » jeté aux berbéristes.

Il n’empêche, comme le fait remarquer M. Laaroussi, du ministère de l’information, « après le discours du souverain, personne n’osera se dire contre l’enseignement du berbère ». M. Mohamed Louafa, député et porte-parole du Parti de l’Istiqlal (droite nationaliste), insiste : « La première langue du pays doit être l’arabe, facteur d’unification » ; mais il ajoute : « L’Etat doit sauvegarder l’ensemble du patrimoine marocain, y compris le patrimoine berbère. »

Selon M. Mustapha El Alaoui, directeur de l’hebdomadaire indépendant en langue arabe Assiassi, « matériellement, on ne peut pas enseigner la langue berbère à l’école. Ce qu’a dit le roi est irréalisable... à court terme. Il faut dix à quinze ans ».

Dans une série de quatre articles publiés fin mai, M. El Alaoui avait dénoncé les « visées on ne dira pas sécessionnistes mais presque » de ceux qui veulent « propager la contagion du sida séparatiste », et des militants « manipulés de l’étranger » qui cherchent à « morceler le Maroc et à le découper ». Au sein du mouvement berbère, nul ne réclame ouvertement la création d’un Etat indépendant. Malgré ces bémols, M. Ouzzin Aherdan pense que le mouvement enclenché est « irréversible ». Mais comment mettre en oeuvre cet enseignement du berbère ? Pour lui, ces dialectes ont des « racines communes » et forment une « seule langue » pour laquelle « un travail d’unification est nécessaire » ; il faut « démarrer avec les trois grandes variantes et que tous les Marocains apprennent le tamazight comme une langue vivante. L’essentiel, c’est de commencer ».

Me Hassan Id Balkassm estime que, s’il y a une volonté politique accompagnée de fonds budgétaires, on peut débuter dès cette année. « Il y a 68 000 diplômés licenciés au chômage. Au moins 20 000 parlent berbère. S’ils sont formés pendant un an, ils pourront commencer dans deux ans à enseigner le tamazight de façon scientifique et performante. » Le camp berbériste n’a pas de position unifiée sur ce thème de l’enseignement et reste divisé sur la question de la graphie à adopter. Faut-il choisir le tifinagh, qui correspond le mieux à la langue mais est peu répandu ; les caractères latins, qui auraient l’avantage de favoriser la liaison avec le monde occidental et de faciliter l’accès à l’informatique ; ou les caractères arabes, qui sont les plus connus au Maroc ? D’autres se demandent s’il ne vaudrait pas mieux lutter d’abord pour l’alphabétisation (une étude récente a révélé que 65 % des Marocains sont analphabètes) plutôt que pour l’apprentissage du tamazight. M. Ali Harcherras rétorque vivement : « Alphabétiser les enfants du Rif ou de l’Atlas en arabe est absurde. Que feront-ils de l’écriture d’une langue qu’ils ne parlent pas ? »

Autre point de divergence, le statut de la langue. La charte d’Agadir réclame qu’elle soit reconnue comme « nationale ». M. Harcherras demande un statut officiel, de même que Me Id Balkassm. « On revendique l’égalité des langues et des cultures », affirme ce dernier, même s’il reconnaît que, pour des raisons tactiques, certains ne réclament pas tout de suite le statut officiel (reconnu seulement à l’arabe par la Constitution). « Il faut rendre le tamazight langue officielle », affirme M. Ouzzin Aherdan, qui admet toutefois que « le combat sera encore long ». « On ne va pas forcer notre roi à traduire ses discours, ajoute M. Aherdan, mais il faut que les gouverneurs et les juges, les gens de l’administration, apprennent le tamazight. »

Le journaliste communiste Mimoun Habriche, bien que Berbère d’origine, estime en revanche : « Les gens qui demandent le statut de langue officielle ne sont pas réalistes. La langue officielle ne peut être que l’arabe. » M. Mohamed Louafa, de l’lstiqlal, qui revendique lui aussi des origines berbères, insiste également pour que l’arabe reste la « première langue du pays ». « C’est une grave erreur que de demander que le berbère soit considéré comme une première langue officielle. » Sur le terrain, ce qui est nouveau c’est une certaine discrimination des Berbères à l’égard des « Arabes ». On l’a vu fin septembre, notamment, lors d’un incident dans le Haut-Atlas : un jeune voulait faire descendre d’un autocar bondé les passagers arabophones unilingues pour laisser la place aux seuls Berbères...

M. Ahmed Kikich divise le mouvement berbériste en trois camps : celui de la démocratie et de la tolérance culturelle (dans lequel il se situe) ; celui des « opportunistes » de la culture tamazight qui agissent par ambition personnelle ; et celui, enfin, des « chauvinistes » qui réclament « le départ des Arabes ». Ces derniers, selon lui, sont rares mais ont « une influence non négligeable ».

Tous cherchent à internationaliser leur cause, en tentant de renforcer les contacts avec l’ensemble du monde amazigh et en profitant des tribunes de l’ONU. Un mémorandum a été déposé par huit associations marocaines lors de la Conférence internationale des droits de l’homme à Vienne en juin 1993. Des militants berbéristes marocains ont participé, fin juillet 1994, à la session de Genève du groupe de travail de l’ONU sur les populations autochtones. A cette occasion a été arrêté le principe de tenir un congrès amazigh international. Une idée précisée, fin août, à Douarnenez, lors du 17e Festival du cinéma, consacré cette année « aux peuples berbères (10) ». Un comité de réflexion a été mis en place pour organiser ce congrès durant l’été 1996. « Ce qui a toujours nui aux Berbères, c’est leur isolement. Si l’on arrive à se regrouper, on constituera une force considérable, surtout au moment où le projet d’Union du Maghreb arabe a du plomb dans l’aile, estime M. Ouzzin Aherdan. Ce sera la première fois depuis deux mille ans, depuis Jugurtha, que les Berbères se regroupent. »




[ Edité par agerzam le 11/1/2005 22:00 ]
 
cet article m'as marqué ,ce fut le premier article sur la revendication amazigh que j'ai lu...j'etais encore petit mais deja conscient de la discrimination dont est victime notre culture;à l'epoque j'en souffrais beaucoup car j'avais l'impression d'etre le seul sur terre à trouver ça anormal...la lecture de cet article m'avait fait comprendre qu'il y'avait beaucoup d'autres personnes qui pensaient la meme chose que moi, et ça c'est reconfortant.
 
J'etais pas un gamin j'avais 16 ans (ah que le temps passe vite, n'est-ce pas mesdemoiselles :-D ).
j'allais souvent à la bibliotheque du lycée où j'avais une sorte de rituel,je prenais successivemnt les magazines "capital" (je revais de fortune à l'epoque :-D ),"la recherche" (je comprenais rien du tout mais je faisais semblant),"le monde diplomatique" (viva el che ,viva la revolucion) et "charlie hebdo" (le seul que je lisais vraiment ...c'est d'ailleurs le seul que je continue à lire toutes le semaines),c'est donc lors d'un de ces rituels que j'ai lu cet article...je l'ai gardé pour la fin (je garde toujours les articles les plus interressant pour la fin)....avant la lecture de cette article j'etais convaincu que nous etions nous amazighs voués à la disparaition,apres j'ai eu un espoirt qui ne m'a jamais quitté jusqu'à aujourd'hui.

Alors monsier Donnet ,merci et que dieu ait votre ame.
 
Les Berbères internationalisent leur combat
(Septembre 1995)

Pour la première fois en 5.000 ans d'histoire, les Berbères s'organisent au sein d'un mouvement international regroupant toutes leurs composantes. Ce Congrès mondial amazigh, né en septembre en Lozère, a pour objectif "la défense et la promotion de la question berbère à travers le monde, en Berbérie et dans la diaspora". Nous avons rencontré en exclusivité son président, Mabrouk Ferkal.



Depuis quelques années, les Berbères acceptent de moins en moins d'être confinés dans leurs montagnes et déserts du Nord de l'Afrique. Et, pour la première fois de leur histoire cinq fois millénaire, ils viennent de se doter d'une organisation transnationale, le Congrès mondial amazigh (1). A sa tête, un Kabyle de 29 ans qui vit en région parisienne depuis six ans, Mabrouk Ferkal. Cet ingénieur électronicien, en attente d'un nouveau poste de maìtre-auxilia; de physique appliquée, prépare aussi une maìtrise; en berbère et dirige une association culturelle berbère à Paris, Tamazgha (nom donné au "pays' amazigh).
M. Ferkal a été l'une des chevilles ouvrières du congrès constitutif du CMA, qui s'est tenu du 2 au 4 septembre à Saint-Rome de Dolan (Lozère). Il a réuni une centaine de délégués représentant 36 associations culturelles berbères aux origines très diverses (Algérie, Maroc, Mauritanie, Libye, Niger, Mali, France, Etats-Unis, Belgique, Allemagne, Espagne, Suède, Grande-Bretagne). Seule ombre au tableau, l'absence de la quasi-totalité des délégués en provenance directe d'Algérie, pour des questions de visas.
Cette diversité d'origine peut surprendre ceux qui s'imaginent que seul le Maghreb compte des Berbères, présents bien avant la conquête arabe. Mais, souligne M. Ferkal, "les Berbères sont les populations qui peuplent l'Afrique du Nord, de l'oasis égyptienne de Siwa aux ìles; Canaries et de la Méditerranée au Sahel. Qu'elles soient berbérophones, arabophones, francophones, hispanophones,...". Quand on lui demande combien, parmi ces populations, parlent un des dialectes berbères -parfois très différents-, il répond que "c'est très difficile à estimer car il n'existe aucun recensement objectif". Puis il avance le chiffre -contesté- de "20 à 25 millions".
Le CMA se veut avant tout un rassemblement culturel, même si son premier objectif, fixé par les statuts, a quelques résonnances très politiques: il s'agit en effet de "défendre et promouvoir l'identité culturelle de la nation amazigh et soutenir son développement dans tous les domaines, à l'intérieur et à l'extérieur de Tamazgha".
Pour M. Ferkal, cette défense et promotion de la "question berbère" touche à de nombreux domaines: "identité, culture, langue,... L'identité surtout. C'est le cas en particulier des Touaregs, aujourd'hui. On les massacre parce qu'ils sont berbères. Leur combat est un combat pour leur existence. Cela fait donc partie de la question berbère. Il en va de même pour les écoliers kabyles qui veulent l'enseignement du berbère."
Qui dit défense dit mouvement sur la défensive? "Oui, car il y a danger, au moins dans certains cas, dont le plus frappant est celui des Touaregs!"
Pour l'instant, le CMA a surtout défini ses structures et son organisation. Ses membres individuels et surtout les associations culturelles qui le composent vont maintenant discuter de projets de résolutions qui seront soumis et transformés en décisions lors du prochain congrès, prévu en principe dans un an aux Canaries. Selon M. Ferkal, la seule revendication exprimée clairement jusqu'ici est "la demande aux systèmes en place en Afrique du Nord de reconnaìtre; le berbère comme une langue nationale et officielle dans leur constitution". Car, souligne-t-il, "tous les systèmes politiques d'Afrique du Nord sont basés sur une idéologie arabo-musulmane".
Pour ce faire, le CMA envisage certes de saisir directement les gouvernements de la région de cette question -qu'ils ont éludée jusqu'ici- mais aussi d'intervenir au niveau de "l'ONU, l'UNESCO et des organisations non-gouvernementales". Un juste retour des choses quand on sait qu'à l'origine de la constitution de ce Congrès mondial amazigh se trouvent une poignée de militants qui s'étaient retrouvés l'an dernier à Genève, à la session du Groupe de travail des populations autochtones dépendant de la Commission des droits de l'Homme de l'ONU. Parmi eux, l'avocat marocain Hassan Id Belkassm, qui a pris la parole à l'ONU en décembre lors du lancement de la Décennie des populations autochtones.
M. Ferkal insiste toutefois aussi sur "tout ce que nous pouvons faire nous-mêmes pour la question berbère. Nous réfléchissons notamment au lancement d'écoles privées d'enseignement du berbère, de radios, de journaux,..."
Concernant les revendications de la diaspora en France -la communauté d'origine berbérophone est estimée à plusieurs centaines de milliers de personnes-, M. Ferkal relève "une priorité: le berbère est passé l'an dernier à l'écrit du bac, comme option, et nous souhaitons arracher de l'Education nationale qu'elle prenne en charge son enseignement, à la place des associations culturelles". A son avis, il faut promouvoir encore plus les activités culturelles berbères en France car cela "permettrait une intégration douce et sans fracture des populations d'origine berbère. Une meilleur intégration ne peut pas se faire si l'individu ignore une partie de lui-même."
Quasiment rivé d'Algériens venus directement de leur pays, le CMA a pour l'instant un état-major un peu déséquilibré en faveur de la diaspora vivant en France. Six des 11 membres du Bureau mondial sont ainsi installés dans notre pays, tels que M. Ferkal ou Mouloud Lounaouci, un médecin qui fut l'un des responsables du Printemps kabyle de 1980. Parmi les autres membres, on relève Ouzzin Aherdan, ancien député marocain, Me Id Belkassm, le Libyen Othman Bensasi vivant à Toulouse ou encore le Touareg de Lyon Abdoulah Attayoub.
Une autre ombre au tableau, c'est la quasi-inexistence de représentants de la tendance berbériste algérienne proche de Saïd; Sadi. Mais M. Ferkal ne désespère pas de les convaincre de l'utilité de ce Congrès: "Notre objectif n'est pas d'aller dans le sens de la division, au contraire. Le CMA peut même aider à surmonter les divisions entre Berbères qui existent en Algérie."
Interrogé enfin sur la situation actuelle dans son pays, M. Ferkal affirme qu'il n'est "pas indifférent" aux violences mais que, "la priorité, c'est la question berbère!"



Joël Donnet©



(1) les Berbères préfèrent être désignés sous le terme d'Imazighen, pluriel du mot amazigh (dont le féminin, tamazight, est aussi utilisé pour nommer leur langue)
 
[size=medium][color=0000FF]voici la version initiale de l'article publié par le monde diplomatique[/color][/size]

Après deux mille ans de mépris

Renaissance berbère au Maroc



(Version initiale de l'article publié en Janvier 1995 par "Le Monde diplomatique")



Les Kabyles algériens sont de nouveau mobilisés depuis la mi-septembre pour faire valoir leurs spécificités. Traditionnellement moins structurés et moins revendicatifs, leurs cousins berbères marocains connaissent aussi depuis le printemps dernier un bouillonnement, qu'un début de concrétisation de leurs revendications n'a en rien calmé. Voyage au pays des Imazighen (les "hommes libres", tels qu'ils s'appellent eux-mêmes).



"Les Arabes dehors!" Ce cri n'a pas été entendu lors d'une réunion d'extrême-droite dans une banlieue française mais, l'automne dernier, dans un camion de transport de personnes à Outerbate, dans le Haut-Atlas marocain. Un racisme nouveau qui est à rapprocher de l'effervescence que connaît dans ce pays le mouvement berbériste.
En seulement quatre mois, le monde amazigh marocain (1) s'est engagé sur la voie d'un véritable bouleversement: depuis la répression d'une manifestation berbériste à Errachidia (sud-est), le 1er mai dernier, on a vu le roi Hassan II juger "indispensable" l'enseignement des trois "dialectes" berbères, "au moins au niveau du primaire", la télévision diffuser des informations en tamazight et des militants porter leurs revendications devant l'ONU.
L'internationalisation du mouvement se précise et un congrès mondial est envisagé en région parisienne pour l'été 1996, avec un pré-congrès en 1995.
Une histoire millénaire

Les berbéristes revendiquent une présence au Maghreb vieille de 5.000 ans. Dans leur calendrier, le 12 janvier prochain verra le passage en l'an 2945. Géographiquement, leur communauté s'étend sur près de cinq millions de kilomètres-carrés, de la frontière égypto-libyenne aux îles Canaries et de la Méditerranée au Niger, au Mali et au Burkina Faso -les Touaregs sont des Imazighen, probablement ceux ayant le mieux préservé leurs traditions et les seuls à avoir conservé à travers les âges leur écriture, le tifinagh. Saint-Augustin était aussi un berbère et on rappellera, pour l'anecdote, que c'est à ce peuple qu'on doit le couscous ("seksou").
Quant à l'origine du mot "berbère", l'explication la plus communément admise la situe dans la culture grecquo-latine avec le terme "barbarus" qui désignait les étrangers à la cité -et, par extension, le "non civilisé", le "sauvage", le "barbare". Ce qui explique pourquoi, sans renier totalement ce nom-là, ils préfèrent le nom qu'ils se donnent dans leur langue, les Imazighen.
Guerriers valeureux, réfugiés dans les montagnes lors des invasions, ils surent résister souvent avec succès au pouvoir central des sultans marocains (2) et eurent un rôle majeur dans la lutte contre la colonisation française (3). Le protectorat tenta bien de jouer sur les spécificités berbères (4) mais ne parvint pas à se rallier cette frange de la population. Par contre, sa politique berbère, parce qu'elle servit de ciment au mouvement nationaliste, devait bloquer pour longtemps toute revendication berbère, vite assimilée au "parti colonial" et à des visées sécessionnistes. "C'est ahurissant ce que le passage de la France nous a fait du mal, sur tous les plans: frontières, pays, culture", remarque Mahjoubi Aherdan, secrétaire général du Mouvement national populaire, plusieurs fois ministre et "hérault politique" des Berbères pendant plusieurs décennies.
Certes, presque tout le monde est d'accord aujourd'hui pour reconnaître que, les nouveau-arrivants arabes ayant été relativement peu nombreux à partir du 7e siècle, la très grande majorité des Marocains ont du sang berbère. Ce qui ne signifie pas nécessairement qu'ils sont berbérophones car plusieurs tribus furent arabisées très tôt, en particulier le long des côtes du Nord (5). Mais le blocage psycho-politique persistant aura empêché jusqu'au recensement de septembre dernier que soit posée -in extremis- la question de savoir si les gens parlent une langue berbère. Au point que les estimations avancées dans l'attente du dépouillement vont de 33% à 80%!
L'accent sur les revendications culturelles

De toute évidence, les récents développements s'inscrivent dans le cadre plus général d'une libéralisation et d'une volonté d'ouverture politique depuis deux ou trois ans. On l'a vu notamment avec la libération de prisonniers politiques ou encore la destruction du bagne secret de Tazmamart. Parallèlement, on assistait à un foisonnement d'associations culturelles berbères d'un type nouveau.
Jusque là, le pouvoir s'était contenté d'avoir, dans ce domaine comme dans d'autres également sensibles, ses "cautions", ses "Berbères de service, comme Mahjoubi Aherdan ou Mohamed Chafik (de l'Académie royale)", note un diplomate occidental en poste à Rabat. Relevant la récente "prolifération" d'associations et de revues (6), il parle d'un "printemps berbère" -un terme qui n'est pas sans rappeler le "printemps amazigh" violemment réprimé en Algérie en avril 1980.
Autre spécificité, remarque-t-il, il existait jusque là surtout des associations régionales "makhzéniennes" nées au milieu des années 80, "suscitées par le Palais ou le ministère de l'Intérieur". Les jeunes très actifs qui sont à l'origine des nouvelles associations sont souvent des déçus du monde politique qui axent leur action sur le champ culturel. "Notre indépendance par rapport aux partis et aux autorités est l'un des facteurs de notre réussite", estime d'ailleurs Ahmed Kikich, l'un des sept militants arrêtés en mai après la manifestation d'Errachidia.
Même Mahjoubi Aherdan, un ancien capitaine de l'armée française, poète et peintre âgé d'"environ 70 ans" qui fonda le Mouvement populaire (7) à la fin des années 50, déclare aujourd'hui: "Ma démarche a toujours été politique pour imposer la culture; mais aujourd'hui elle devient plus culturelle que politique. Le culturel porte aujourd'hui le politique dans son ventre."
Said Fawzi, président à Paris de l'Association des droits de l'Homme au Maroc (ASDHOM), relève que "les avancées dans la lutte pour les droits de l'Homme, et en particulier les améliorations en matière de garde à vue ont permis aux militants de revendiquer plus librement et de poser les problèmes de façon plus ouverte." Et ce, "même si on est encore très loin d'un Etat de droit".
En fait, dès le 5 août 1991, six associations d'origines régionales diverses (elles sont aujourd'hui 11) signent la "Charte d'Agadir", "relative à la langue et à la culture tamazightes au Maroc". Elles déplorent "la marginalisation systématique de la langue et de la culture tamazightes" et se mettent d'accord sur sept "objectifs à atteindre" dont le premier est "la stipulation dans la Constitution du caractère national de la langue tamazight à côté de la langue arabe". Elles demandent aussi "l'intégration de la langue et de la culture tamazightes dans les divers domaines d'activités culturelles et éducatives, spécifiquement à moyen terme leur insertion dans les programmes d'enseignement" et encore "le droit de cité dans les mass-media écrits et audiovisuels".
L'affaire Tilelli

C'est dans cette ambiance que survient le 1er mai la manifestation berbériste d'Errachidia, qui mettra en quelque sorte le feu aux poudres. A l'origine de cette opération, l'association Tilelli ("Liberté" en tamazight) de Goulmima, oasis située à 60km de la capitale provinciale Errachidia. Cette association signatrice de la Charte d'Agadir est très active, dans une région aux relations historiquement tendues avec le pouvoir central. Fondée en 1990 sous le nom de sa vallée Gheris, elle a opté pour Tilelli deux ans plus tard et revendique aujourd'hui une centaine d'adhérents (surtout enseignants, étudiants et journaliers) et des milliers de sympathisants.
Tout a commencé lors du défilé syndical du 1er mai 1992, lorsque des manifestants ont spontanément scandé des slogans en faveur de la reconnaissance de la spécificité tamazight. L'année suivante, les militants décidaient de s'organiser dans le cadre du Syndicat national des enseignants (dépendant de la Confédération démocratique du travail) mais la trentaine de personnes présentes au défilé se contentèrent de crier quelques slogans.
En 1994, selon le président de Tilelli Ali Harcherras, professeur de français de 32 ans au lycée de Goulmima, les berbéristes représentaient pas moins de 200 des 300 participants au défilé organisé par la CDT et l'Union générale des travailleurs marocains. Et, cette fois, avec des slogans mais aussi force banderoles en français et en tamazight (graphie latine et tifinagh). Et une insistance toute particulière pour le statut officiel du tamazight. On entendra "L'hébreu est enseigné, pas le tamazight". On lira "Tamazight à l'école" ou encore "Pas de démocratie sans tamazight".
Lors du défilé, le pacha (sorte de sous-préfet) intervint pour réclamer en vain le retrait des banderoles en tamazight et le défilé se termina sans incident. Sinon que, selon Ahmed Kikich, professeur de physique de 33 ans au même lycée, secrétaire du bureau local du SNE et coordinateur régional d'une association de défense des droits de l'Homme, à la fin de la manifestation, des "Istiqlaliens (8) de l'UGTM désignèrent aux policiers les meneurs".
Le 3 mai, sept enseignants de Goulmima et d'Errachidia, membres ou sympathisants de Tilelli (trois d'entre eux n'avaient pas participé au défilé) sont interpellés. L'un d'eux sera frappé le premier jour, selon M. Harcherras. Ils sont d'abord interrogés, individuellement, menottés et les yeux bandés, sur les rebellions locales des dernières décennies et leurs rapports avec l'Algérie, alors qu'ils clament n'avoir "aucune prétention séparatiste, au contraire".
Vient ensuite leur inculpation qui provoque la surprise générale. Sont en effet retenues contre eux notamment les charges de "troubles à l'ordre public" et "incitation à commettre des actes portant atteinte à la sûreté intérieure de l'Etat". Les autorités affirment même avoir découvert chez M. Harcherras des "documents compromettant échangés notamment avec des organisations étrangères".
Cela entraîne une véritable levée de boucliers, non seulement des autres organisations berbéristes mais aussi de celles de défense des droits de l'Homme et même de partis politiques jusque là peu présents sur ce terrain. L'objection essentielle est qu'il s'agit d'une violation de la liberté d'opinion.
Lors du procès en première instance, le 27 mai, quatre militants dont M. Kikich sont relaxés, deux sont condamnés à deux ans de prison et un à un an -plus 10.000 dirhams (9) d'amende. Parmi les condamnés, M. Harcherras. Le mouvement de protestation s'amplifie, avec notamment des interventions internationales, et, lors du procès en appel, le 29 juin, les peines sont ramenées à deux mois de prison et 500 dirhams d'amende. Quelques jours plus tard, alors qu'ils avaient recouvré leur liberté, ils faisaient partie des 424 personnes amnistiées par le souverain, leur peine étant ainsi effacée.
Bévue ou intimidation?

Plusieurs interprétations sont données à cette affaire. Mimoun Habriche, rédacteur au quotidien communiste de langue française "Al Bayane", estime qu'il s'est agi d'"une bévue d'un petit agent d'autorité locale qui n'a pas mesuré la portée de ses actes". Pourtant, relèvent certains pour contredire cette thèse, il s'est quand même passé deux mois avant que la clémence soit accordée.
Driss Benzakri, vice-président de l'Organisation marocaine des droits de l'Homme (OMDH), note que "beaucoup ont expliqué ces arrestations comme une mise en garde. Habituellement, au Maroc, quand le pouvoir procède à un changement politique, un mouvement de répression le précède pour justement le limiter."
En tout cas, estime Ouzzin Aherdan, fils de Mahjoubi Aherdan, ancien député et directeur de la nouvelle revue "Tifinagh", "l'affaire de Goulmima a servi de révélateur dans tout le Maghreb".
Hassan Id Balkassm, 44 ans, l'un des avocats des détenus d'Errachidia qui milite pour la cause berbère, rappelle que la coordination des 11 associations avait formellement remis ses revendications au gouverment et au parlement le 1er mars et que la seule réaction fut l'interrogatoire policier de responsables et cette affaire Tilelli. "Peut-être s'agissait-il d'une sorte d'intimidation mais c'est le contraire qui s'est produit car il y a eu un fort mouvement de solidarité."
Le pouvoir bouge

Avant même l'assouplissement des peines en appel, le pouvoir avait commencé à faire des gestes. C'est ainsi que le nouveau Premier ministre Abdellatif Filali annonçait le 14 juin devant la Chambre des représentants, juste après la présentation de son programme, que la télévision publique allait diffuser sous peu des informations en "langue amazigh" -la radio a déjà des émissions depuis plusieurs décennies.
C'était chose faite le 24 août, avec un journal d'un quart d'heure reprenant trois fois les mêmes informations avec un présentateur différent pour chacun des trois parlers imazighen principaux: tarifit du Rif (Nord), tamazight du Centre-Est et tachlahit du Sud.
Durant les premiers jours, ce journal était diffusé à la mi-journée, et le soir comme les autres journaux de langues arabe, française et espagnole. Mais, rapidement il fut relégué à la tranche 13h30-13h45.
Les critiques sont nombreuses chez les militants berbéristes (trop d'arabicismes dans la langue, volonté de diviser en insistant sur les dialectes alors qu'ils ont un tronc commun, insuffisance de la présence du tamazight sur cette seule chaîne publique (10),...) Mais tous sont néanmoins d'accord pour parler d'un "pas positif".
"Grâce à la télévision, des millions de Berbères se sentent enfin pris en considération", souligne Ali Harcherras. Ahmed, un jeune de 16 ans qui vit dans le village reculé d'Ait Hani dans le Haut-Atlas, où l'électricité n'est pas encore arrivée, affirme regarder chaque jour ces informations sur son téléviseur alimenté par une batterie: "Avant, je ne m'intéressais pas beaucoup à la télévision car je ne comprenais pas."
A Rabat, le directeur de l'Information du ministère du même nom, Chakib Laaroussi invoque des "difficultés techniques" et "l'insuffisance des ressources de la RTM" pour expliquer la faible place pour l'instant accordée au tamazight dans les programmes de télévision.
Mais, entre la déclaration de M. Filali et le début des informations télévisées en berbère, le véritable bouleversement est venu du roi lui-même, dans un discours prononcé le 20 août. Certes, à la différence de son Premier ministre, il ne parle pas de "langue" tamazight mais des trois "dialectes" qui "font partie des composantes de notre authenticité". Déplorant les mélanges d'arabe-français-espagnol de plus en plus courants dans les foyers marocains, il dit préférer celui de l'arabe et des dialectes.
Il tient à "mettre les choses aux point: Je ne suis absolument pas contre les dialectes". Et il lance la "bombe" dont les ondes de choc n'ont pas fini d'affecter la société: "il est indispensable, au moins au niveau du primaire, de prévoir des tranches horairres pour l'enseignement de nos dialectes". Même s'il tient à souligner que l'arabe est "la langue mère" du pays, retenue dans la Constitution, et qu'elle "s'impose à tout musulman".
Un "pas historique"

Pour Brahim Akhiat, secrétaire général de l'Association marocaine de recherche et d'échanges culturels (AMREC) chargée de la coordination des 11 associations berbéristes les plus militantes, il s'agit d'un "pas historique et clairvoyant". Pour cet homme de 52 ans, Hassan II a ainsi "mis les points sur les 'i', non seulement en acceptant l'enseignement de la langue amazigh mais aussi en fixant l'orientation générale de l'avenir de la culture marocaine".
Certains sont moins optimistes, comme ce diplomate occidental qui craint qu'il ne s'agisse plutôt d'un "os à ronger" pour les berbéristes. "Le roi a énoncé un principe politique mais il pose davantage de questions qu'il n'en résout." Soulignant la référence au terme "dialectes", il estime qu'il y a là "à la fois un progrès et une façon de diviser le monde berbère, afin de juguler l'élan en vue d'une uniformisation". A ce sujet, il est d'ailleurs flagrant que le monarque n'ait pas parlé de la création d'un institut que réclament les associations pour standardiser la langue tamazight, étudier la civilisation berbère et former des enseignants.
D'ailleurs, certains rappellent que le roi avait accepté au début des années 80 la mise en place d'un Institut national des arts et expressions populaires dont la création avait été supervisée par Mahjoubi Aherdan et le texte voté par le parlement... avant que le projet ne soit "oublié".
Il n'empêche: comme le fait remarquer M. Laaroussi du ministère de l'Information, "après le discours de Sa Majesté, personne n'osera se dire contre l'enseignement du berbère".
Mohamed Louafa, député et porte-parole du Parti de l'Istiqlal, a certes des lapsus révélateurs quand il dit que "la culture marocaine est une culture arabe,... arabo-berbère". Il souligne que "la première langue du pays doit être l'arabe, facteur d'unification du pays" mais il ajoute que "l'Etat est amené à sauvegarder l'ensemble du patrimoine marocain, y compris le patrimoine berbère". "Sans pour autant que cela touche à l'unité du peuple marocain!" Pour lui, "il faut enseigner les trois dialectes à tout le monde, peut-être pas spécialement dans le primaire, mais il faut que ce soit obligatoire, que tout le monde ait des connaissances". Le mieux, à son avis, serait de "l'enseigner une après-midi par semaine à tous les enfants".
Beaucoup plus surprenantes sont les déclarations de Mustapha El Alaoui, directeur de l'hebdomadaire indépendant de langue arabe "Assiassi", qui passe pour être très bien informé de ce qui se passe dans les allées du pouvoir. Pour lui, la question berbère a été utilisée par les partis comme une "arme d'opposition, pour emmerder le roi et tout le monde". A son avis, il suffit de "banaliser" la langue berbère dans l'audiovisuel et l'enseignement et il n'y aura plus de problèmes.
Cela ne l'empêche pourtant pas de juger que, "matériellement, on ne peut pas apprendre la langue berbère à l'école. Ce qu'a dit le roi est irréalisable... à court terme. Il faut 10 à 15 ans."
Dans une série de quatre articles publiés à partir du 27 mai, il avait dénoncé des "visées on ne dira pas sécessionnistes mais presque" et ceux qui veulent "propager la contagion du SIDA séparatiste", sans parler des militants "manipulés de l'étranger" qui cherchent à "morceler le Maroc et le découper".
Pourtant, nul ne réclame ouvertement un Etat berbère indépendant. Et Said Fawzi de l'ASDHOM souligne qu'à la grande différence de l'Algérie, il n'y a pas de concentration géographique limitée des Berbères au Maroc. "Il y a un tel mélange qu'il ne peut pas y avoir une revendication d'autonomie."
Comment enseigner le tamazight?

Malgré ces bémols, Ouzzin Aherdan, 45 ans, pense que le mouvement enclanché est "irréversible", même s'il reconnaît des "arrière-pensées" dans l'insistance mise sur le terme de "dialectes". Mais comment mettre en oeuvre cet enseignement du berbère? Pour lui, même si ces dialectes ont des "racines communes" et forment donc une "seule langue" pour laquelle "un travail d'unification est nécessaire", il faut "démarrer avec les trois grandes variantes et que, dans un premier stade, tous les Marocains apprennent le tamazight comme une langue vivante, pas d'enseignement. L'essentiel, c'est de démarrrer."
Certains militants de base envisagent cet enseignement sous forme d'options, voire même d'écoles privées distinctes selon les langues. Une commission nationale est en train de travailler à la refonte d'un système éducatif très décrié, dans l'espoir de parvenir à un consensus sous la forme d'une charte. Au ministère de l'Education nationale, aucun responsable n'a pu être joint pour discuter de la question berbère. Comment former les enseignants -dans le système actuel, le français est enseigné à partir de la deuxième année de primaire, en général par un second instituteur qui enseigne aussi les mathématiques en arabe? Faut-il apprendre le tamazight de la même façon en zones montagneuses uniformes sur le plan linguistique et en zones urbaines plus mélangées?
Brahim Akhiat de l'AMREC pense qu'il existe déjà une majorité d'instituteurs qui possèdent le tamazight et n'ont donc besoin que d'un "recyclage" leur fournissant des "orientations". Ceci peut se faire à son avis durant cette année scolaire, de même que la mise au point de manuels, de façon à faire débuter l'enseignement dès l'année 1995-96. "Cela va de pair avec la création d'un centre national d'études berbères, ou un institut, pour préparer l'autre volet de la question, à savoir la formation de chercheurs, la réalisation d'études et d'un travail d'unification de la langue". Pour lui, cet enseignement doit être "obligatoire pour tout le monde afin de former un Marocain complet. Sans l'amazigh, le Marocain reste aveugle devant sa civilisation et sa société."
Il souligne en outre que les associations devront surveiller de près cette mise en oeuvre et intervenir pour "corriger" toute déviation. Or beaucoup d'entre elles dénonçaient à la fin de l'automne le fait qu'elles n'étaient pas associés aux travaux de la commission nationale. Celle-ci, quelque peu empêtrée dans les spéculations sur un futur gouvernement dirigé par l'opposition, n'avait pas encore abordé la question du berbère. Au point que Mohamed Oussous écrivait dans le bulletin berbériste "Libica" diffusé mi-novembre qu'on ne pouvait "que douter des intentions de l'appareil gouvernemental" en l'absence de toute "action concrète"
Me Hassan Id Balkassm, qui est membre de la coordination des 11 associations, estime que, s'il y a une volonté politique accompagnée de fonds budgétaires, on peut créer dès cette année un institut. "Il existe aujourd'hui 68.000 diplômés licenciés au chômage. Au moins 20.000 parlent berbère. S'ils sont formés pendant un an par cet institut, ils pourront commencer dans deux ans à enseigner cette langue de façon scientifique et performante."
Le camp berbériste n'a donc pas de position unifiée sur cette question de l'enseignement, de même qu'il reste divisé sur la question de l'écriture à adopter pour le tamazight: le tifinagh, qui correspond le mieux à la langue mais reste encore peu connu, les caractères latins qui ont notamment l'avantage de la modernité (en particulier en termes de logiciels) ou les caractères arabes qui sont les plus connus au Maroc?
Par contre, quand on demande s'il ne vaudrait pas mieux lutter d'abord pour l'alphabétisation (une étude récente montre que 65% des Marocains sont illettrés) plutôt que pour l'apprentissage du tamazight, Ali Harcherras de Tilelli rétorque vivement: "C'est absurde! Alphabétiser ici les enfants de la montagne en arabe, c'est stupide. Qu'est-ce qu'ils vont faire avec cette écriture d'une langue qu'ils ne parlent pas?" Pour lui, l'idéal serait à terme qu'il y ait des écoles enseignant en arabe où l'on apprend aussi le tamazight et d'autres enseignant en tamazight où l'on apprend également l'arabe.
La question de la standardisation ne va pas aussi sans poser des problèmes. Ainsi, on a pu constater sur le terrain, à Imilchil (Haut-Atlas), que des termes utilisés par de jeunes militants comme "bonjour" ("azoul"), "au revoir" ("artimililit") ou "merci" ("tanemight") n'étaient pas compris par des montagnards de la région. La raison, selon Ouzzin Aherdan? "Ces termes de politesse avaient été oubliés et remplacés par des termes arabes; on a dû aller les rechercher chez les Algériens." Les berbéristes sont toutefois conscients des risques de recréer une "langue académique", étrangère à la majorité des gens.
Dans la montagne, il existe encore beaucoup d'enfants non scolarisés. Certains racontent que leur maître les frappe s'ils parlent berbère en classe. Ahmed, 16 ans, d'Ait Hani, a quitté l'école en première année de collège mais se dit prêt à "tout recommencer à zéro" si le tamazight est enseigné.
A Casablanca, Adil, 10 ans, ne se connaît pas de Berbères dans la famille, mais voudrait bien apprendre les trois dialectes imazighen, notamment pour comprendre les informations en berbère à la télévision. Son ami Habib, 11 ans, qualifie les Berbères de "guerbouz" (que l'on pourrait tenter de traduire par "ploucs") mais aimerait aussi apprendre cette langue, ne serait-ce que pour "comprendre (ses) copains qui la parlent entre eux".
Langue nationale ou officielle?

Autre point de divergence entre militant berbéristes, le statut de la langue. La Charte d'Agadir réclame qu'elle soit reconnue comme "nationale". Pour Brahim Akhiat, "il ne faut pas bousculer les choses" et il s'agit d'abord de travailler à l'uniformisation. M. Harcherras demande par contre un statut officiel, de même que Me Id Balkassm. "On revendique l'égalité des langues et des cultures", affirme ce dernier, même s'il reconnaît que la tactique et la peur peuvent conduire certains à ne pas réclamer tout de suite le statut offficiel -reconnu seulement à l'arabe par la Constitution.
"Une porte s'est ouverte; il faut ouvrir les autres et notamment rendre la langue officielle", affirme Ouzzin Aherdan, qui admet toutefois que "le combat sera encore long" et qu'on ne peut exclure des débordements. Son père Mahjoubi, plus mesuré, estime que "ce n'est pas le problème qui se pose actuellement. Si la langue berbère prend sa place, elle acquierra automatiquement l'officialité." "On ne va pas forcer notre Roi à traduire ses discours, ajoute-t-il, mais il faut que les gouverneurs et les juges, les gens de l'administration apprennent le tamazight. Il ne faut pas que le berbère soit comme les babouches que l'on laisse à la porte de la mosquée. Si on va voir le juge, on ne doit pas laisser le tamazight à la porte du tribunal." Il préconise un "alliage" de l'arabe-langue de l'islam et du tamazight-langue de culture.
Le journaliste communiste Mimoun Habriche, bien que berbère d'origine et sensibilisé à cette question, juge par contre que "les gens qui demandent le statut de langue officielle ne sont pas réalistes. La langue officielle ne peut être que l'arabe."
Mohamed Louafa, de l'Istiqlal, qui revendique lui aussi des origines berbères, insiste également pour que l'arabe reste la "première langue du pays". "C'est une grave erreur que de demander que le berbère soit considéré comme une première langue officielle." Même à égalité avec l'arabe? "Pourquoi l'occitan n'a-t-il pas le même caractère officiel que le parler français?"
Un nouveau racisme

Dans ce climat de "domination", d'"exploitation" des Imazighen que dénoncent les berbéristes, un risque de tensions raciales est en train de voir le jour. Jusqu'à présent, la principale opposition se faisait entre Fassis (11) et non-Fassis. Persiste aussi une certaine condescendance envers les Berbères ruraux de la part des citadins. "Ce n'était pas une langue valorisante et, malheureusement, les gens considéraient un peu le berbère comme une sous-culture", remarque M. Laaroussi du ministère de l'Information. "Aujourd'hui, les jeunes prennent conscience du fait que c'est une culture à part entière."
Sur le terrain, ce qui est par contre "nouveau", comme le reconnaît Ouzzin Aherdan, c'est un certain racisme de Berbères envers les "Arabes". On l'a vu fin septembre avec cet incident dans un camion, dans le Haut-Atlas, où un jeune voulait faire descendre les passagers arabophones unilingues lors d'un incident provoqué par la volonté d'entassement à tout prix des propriétaires du véhicule.
Ahmed Kikich, l'un des militants arrêtés après la manifestation d'Errachidia, théorise le mouvement berbériste en trois camps: celui de la démocratie, des droits de l'Homme et de la diversité culturelle dans lequel il se place; celui des défenseurs de la culture tamazight qui agissent avec des arrière-pensées et pour des intérêts politiques ou personnels; celui enfin qu'il qualifie de "chauviniste" et qui réclame "le départ des Arabes". A son avis, "ils sont rares mais ont une certaine influence".
Ouzzin Aherdan pense que "les plus extrémistes servent de locomotives depuis quelques temps. Il est normal qu'il y ait ces petites frictions en ce moment. Il y a eu une escalade très rapide. Si cela débouche sur un combat, ce sera la faute de ceux qui ont essayé de tuer tout cela pendant quarante ans. Car les Berbères ont toujours subi et il ne faut pas s'étonner s'ils réagissent." Il estime toutefois que leur influence est "encore minime".
Début d'internationalisation

Les berbéristes marocains cherchent enfin à internationaliser leur cause, en tentant de renforcer les contacts avec l'ensemble du monde amazigh et en profitant des tribunes de l'ONU.
C'est ainsi qu'en marge de la 12e session du groupe de travail des Nations unies sur les populations autochtones, en juillet à Genève, a été arrêté le principe de tenir un Congrès amazigh international. Une idée précisée et avalisée fin août à Douarnenez, à l'occasion du 17e festival du cinéma consacré cette année aux peuples berbères. Un comité de réflexion a été mis en place et a commencé son travail, avec pour objectif de tenir ce congrès durant l'été 1996 en région parisienne et un pré-congrès l'été prochain.
Ouzzin Aherdan et Omar Louzi, dont la nouvelle revue "Tifinagh" s'ouvre le plus possible à des contributions de Berbères non marocains -notamment touaregs-, cherchent par ailleurs à faire enregistrer depuis octobre l'Association internationale tifinagh (dont les initiales AIT signifient "fils" en berbère) mais disent se heurter à des tracasseries des autorités, à Rabat. Selon eux, une quarantaine de sections sont prêtes à voir le jour au Maroc et à l'étranger.
"Ce qui a toujours tué les Berbères, c'est leur isolement. Si on arrive à se regrouper, on constituera une force considérable, surtout au moment où le Maghreb se casse la figure", note M. Aherdan. "Ce sera le première fois depuis 2.000 ans que les Berbères se regroupent."
Après le discours royal du 20 août, on a vu le puissant Mouvement culturel berbère d'Algérie féliciter Hassan II dans un message. Et la nouvelle poussée de fièvre kabyle depuis la fin septembre amène Ouzzin Aherdan à juger que c'est une sorte d'"escalade" des concessions entre l'Algérie et le Maroc. Un diplomate occidental n'exclut d'ailleurs pas que le souverain marocain ait voulu aussi "enquiquinner Alger" en prenant position pour l'enseignement du tamazight.
Les contacts sont "perm anents" entre Berbères marocains et algériens, selon M. Aherdan, qui remarque que Hocine Ait Ahmed, le dirigeant du Front des forces socialistes, vient souvent dans le royaume. Il est d'ailleurs lié à une autre figure historique du mouvement berbère au Maroc, le député Abdelkrim Khatib, secrétaire général du Mouvement populaire démocratique et constitutionnel -ils ont des enfants mariés entre eux.
La pression s'exerce aussi auprès de la communauté internationale. C'est ainsi qu'un memorandum fut déposé par huit associations marocaines lors de la Conférence internationale des droits de l'Homme organisée à Vienne en juin 1993. Elles déploraient notamment que la communauté tamazight soit "minorisée", en "ne jouissant pas de ses droits linguistiques et culturels légitimes".
Me Hassan Id Balkassm (qui compare les Berbères aux Indiens d'Amérique et du Mexique) et Omar Louzi, 29 ans, furent aussi parmi les militants berbéristes marocains qui ont participé fin juillet à la session de Genève du groupe de travail sur les populations autochtones, qui dépend des structures onusiennes de défense des droits de l'Homme. Ils ont notamment dénoncé le fait que le Maroc n'ait pas observé en 1993 l'Année internationale des populations autochtones décidée par les Nations-Unies. Tous deux ont aussi assisté mi-décembre à New York au lancement de la Décennie internationale des populations autochtones décrétée par l'ONU.
Ces démarches ne font toutefois pas l'unanimité. Ainsi, Ali Harcherras, de l'association Tilelli, estime que "ce qui compte, c'est l'action. Les discours qui ne donnent rien sur le terrain et que les gens ignorent, ce n'est pas important. Ce serait mieux de faire une manifestation des associations à Rabat que d'aller à Genève."
Moyen de lutte contre les islamistes?

Reste un dernier aspect de ce mouvement berbériste marocain: certains, notamment dans des milieux diplomatiques occidentaux, voient dans l'ouverture récente accordée par le pouvoir un moyen de lutte "préventive" contre la montée de l'islamisme.
Driss Benzakri, de l'OMDH, juge qu'une meilleure prise en compte de la composante berbère pourra avoir pour conséquence une adhésion plus nette au régime et renforcer ainsi la cohésion du système politique.
Mahjoubi Aherdan "ne pose pas la question (de la prévention contre l'islamisme) de cette façon, à savoir que la lutte contre le fondamentalisme peut nous favoriser. Mais il est vrai que la question tamazight peut constituer un frein contre cette tendance, dans un sens positif. Car les Imazighen forment une société cohérente."
Certains militants racontent toutefois que, dans les montagnes, des islamistes vont voir actuellement des anciens en leur disant de ne pas renoncer à l'arabe au profit du berbère car le jugement dernier se fera... en arabe!
Joël Donnet©

(1) le terme "amazigh", masculin, signifie "homme libre". Le féminin "tamazight" lui est généralement préféré pour désigner la langue. Le pluriel est "imazighen".
(2) pour ces poches de résistance, on parle alors de "bled siba", par opposition au "bled makhzen" où l'administration centrale -en particulier fiscale- est respectée.
(3) la "pacification" se solda entre 1907 et 1935 par 37.000 morts dans les rangs français, soit plus que durant la guerre d'Algérie (1954-62).
(4) outre un enseignement spécifique, avec notamment le collège d'Azrou, et une orientation vers l'armée et l'administration de base, cette politique fut surtout symbolisée par le "Dahir berbère" de 1930 qui reconnaissait le droit coutumier spécifique des Berbères et les soustrayait au droit commun pénal marocain.
(5) cas notamment des Zaër au sud-est de Rabat.
(6) quatre revues berbères ont vu le jour en 1994 et ont remporté un vif succès, en particulier auprès des jeunes, lors du Salon international de l'édition et du livre organisé mi-novembre à Casablanca.
(7) dès sa création, le MP a réclamé l'enseignement du berbère mais, bien qu'ayant eu régulièrement des responsables au gouvernement (notamment au ministère de l'Enseignement primaire au début des années 60), il ne l'a jamais obtenu. Une première scission a vu en 1966 le départ de son président Abdelkrim Khatib. La deuxième, en 1986, s'est soldée par la création du MNP par M. Aherdan.
(8) le Parti de l'Istiqlal est le mouvement nationaliste historique, tout particulièrement en pointe sur la question de la défense de la langue arabe (à l'origine plutôt contre le français).
(9) 1 dirham = environ 0,60 franc
(10) outre les chaînes captées par satellite, il existe une autre chaîne, privée et cryptée, 2M.
(11) les Fassis, originaires de Fès et ayant eu des liens avec l'Andalousie dans le passé, sont souvent jalousés pour leur prétendue suffisance et la place de choix qu'ils occupent dans la politique, la haute administration et les affaires.
 
agoram a écrit :
J'etais pas un gamin j'avais 16 ans (ah que le temps passe vite, n'est-ce pas mesdemoiselles :-D ).

Ca me rappel une chanson, biensur adaptée

Ca fait 16 ans que j'ai 10 ans...

tous avec moi.

PS: très bon article, merci Agerzam.
 
Le drame des divisions touarègues
(Janvier 1995)

Près de cinq ans après la reprise des rebellions touarègues dans le nord du Mali et du Niger, la situation reste plus que tendue dans cette région du Sahara. Au Niger, la mise en oeuvre de l'accord conclu en octobre reste en partie suspendue aux résultats des législatives anticipées des 7 et 21 janvier. Au Mali, par contre, le Pacte national d'avril 1992 a largement été entamé: depuis mai dernier, les combats ont repris à une large échelle, avec leur lot de massacres, surtout et y compris de populations civiles. Aujourd'hui, les divisions touarègues sont patentes et d'autant plus menaçantes pour l'avenir de ce peuple de nomades "en voie d'extinction".

Bruxelles -

La plupart des Kel Tamacheq originaires du Mali "déplorent" les divisions dont ils sont les premières victimes. Mais ils ne sont pas d'accord sur les responsables de cet état de fait: les rebelles ou le gouvernement? Pire: la plus grande confusion règne sur l'adhésion réelle au Pacte de paix de 1992.
Ainsi, lors d'une audition récente à Bruxelles, devant la commission Développement et Coopération du Parlement européen, deux représentants de la coordination des MFUA (voir encadré) avançaient des points de vue diamétralement opposés.
Sidi Mohamed Ichrach, délégué aux Relations extérieures et à l'Information de l'ARLA, soutenait ainsi que "trois des quatre mouvements signataires du Pacte national et tout ce qui s'appelait auparavant les bases autonomes sont en totale rupture avec le gouvernement malien".
A un responsable du bureau de l'Assemblée nationale qui fégnait de s'étonner d'apprendre que la fraction de Sidi Mohamed Zahabi du FIAA ne serait pas la seule renégate, un autre responsable des MFUA apportait une réponse bien différente. Affirmant parler, lui aussi, au nom de ces Mouvements, leur secrétaire permanent Al Hassan Ag Assadeck soulignait: "Il n'y a pas de rupture".
Invité à commenter ces contradictions, M. Assadeck, qui vit dans la capitale malienne Bamako, affirmait que "la plus grande partie du FIAA et de l'ARLA sont pour le Pacte. Quelques dissidents continuent à combattre. Mais ils peuvent être rejoints par des personnes sincères si le Pacte n'est pas mis en oeuvre. Si on reste les bras croisés, il y a un risque de nouvel embrasement."
"Malgré les exactions et les retards dans la mise en oeuvre du Pacte, nous sommes convaincus qu'il n'y a pas d'autre solution que la solution politique du Pacte. Le reste est un faux débat, ajoutait-il. Nous faisons confiance au gouvernement et surtout au Président (Alpha Oumar Konaré, arrivé au pouvoir fin avril 1992). qui a un problème réel à gérer l'armée et l'opposition politique. Il y a un problème sérieux de démocratie."
Mais, selon M. Ichrach, "l'ARLA et le FIAA, ainsi que la partie du FPLA à laquelle n'appartient pas M. Assadeck sont à 100% en rupture avec le gouvernement. Ce qui ne veut pas dire nécessairement en rupture avec le texte et l'esprit des accords." A son avis, "le gouvernement malien n'a d'autre politique que celle qui consiste à diviser la communauté arabo-touarègue en en diabolisant les composantes".
Au passage, il critique vertement l'aménôkal (chef traditionnel héréditaire) Bajan Ag Hamatou, qui venait de renvoyer dos à dos l'armée et les rebelles (et en particulier M. Assadeck) dans les massacres d'innocents. "Nous, les populations civiles, nous sommes un otage de tous ceux qui ont des armes", avait-il souligné. Pour lui, le président Konaré "a des problèmes avec l'armée comme nous, chefs touaregs, nous grands frères des jeunes rebelles, avons des problèmes avec la rebellion (...) C'est l'anarchie dans le pays." Mais M. Ichrach, un ingénieur de 34 ans qui a quitté Bamako voila huit mois pour la capitale burkinabe Ouagadougou, estime que cet aménôkal des Iwellemmeden n'est "rien démocratiquement: il a été battu aux législatives, dans son fief de Ménaka, comme candidat de l'ADEMA (l'Alliance pour la démocratie au Mali, parti majoritaire du chef de l'Etat). Aujourd'hui, il n'ose même pas aller à Ménaka."
M. Ichrach, qui déplorait l'absence de représentants directs du gouvernement de Bamako lors de cette audition organisée fin décembre, dénonçait le "double langage" de ce dernier: massacres de Touaregs et Maures à l'intérieur, image de dialogue et de démocratie à l'extérieur. Pour M. Ichrach, "le Mali d'aujourd'hui n'est pas un pays de droit car comment peut-on prouver le contraire quand on sait que, de 1990 à ce jour, aucun responsable des massacres de civils touaregs et arabes n'a fait l'objet de poursuites judiciaires, ni même de simples sanctions disciplinaires?" Une accusation reprise par le représentant d'Amnesty International au sujet des "soldats responsables de ces massacres", même si l'organisation accuse les rebelles d'être, eux, responsables de la mort de civils noirs -ce qu'ils réfutent.
M. Ichrach, qui "se refuse de croire au honteux prétexte de 'l'armée incontrôlée' qui refuse d'obéir au pouvoir central", condamnait le "nettoyage ethnique encouragé par le gouvernement qui, pour ce faire, a laissé créer, entraîner et armer des brigades dites d'autodéfense, encadrées et soutenues par l'armée régulière", dont la plus connue est Ghanda Koy. A ce sujet, M. Assadeck parlait aussi de "complicité et duplicité", favorisant un "pourrissement".
M. Ichrach, qui avait été intégré un temps comme conseiller technique au ministère malien des Finances, dénonçait aussi un "blocus économique" et l'interdiction faite selon lui à la communauté arabo-touarègue de "fréquenter les marchés urbains". Pour lui, au total, il y a bien un véritable "génocide" en cours dans le Nord du Mali: "Ce qui se passe aujourd'hui au Mali n'est pas fondamentalement différent de ce qui se passe au Rwanda ou en Bosnie. Sauf qu'ici, on ne fait pas de prisonniers: on exécute tout Touareg ou Arabe car considérés d'avance comme coupables."
Selon lui, environ 3.000 Kel Tamecheq du Mali ont été tués depuis le début de la rebellion mi-1990 -les militants du Niger en dénombrent moins de 2.000 chez eux. Les réfugiés dans les pays limitrophes se comptent par centaines de milliers.
Le vice-président de la commission, le communiste français Francis Wurtz, jugeait toutefois "irrecevable" le terme de "nettoyage etnique" et, "sans prendre partie", demandait d'"éviter ce genre d'excès". De même, le président Bernard Kouchner, qui partait le lendemain pour le Rwanda "où la situation est malheureusement pire", jugeait que le mot "génocide" n'était "pas juste. Chaque massacre est immonde. Mais, un génocide, c'est la détermination politique et scientifique de détruire une race. Là, cela ne s'applique pas."
Du coup, certains Touaregs radicaux n'hésitaient pas à parler d'un "complot du silence de la communauté internationale"...



Joël Donnet©


Encadrés:

"Touaregs": une appellation contestée
Estimés à environs trois millions, les Touaregs refusent en général ce terme d'origine arabe et généralisé par les Français pour les désigner. Ils préfèrent utiliser le nom de Kel Tamacheq (ceux qui parlent le tamacheq, une langue du groupe berbère) ou de Kel Taggelmoust (ceux qui portent le chèche indigo), voire le nom des grandes confédérations qu'ils constituent.



Les mouvements touaregs du Mali

La plupart de la demi-douzaine de mouvements touaregs du Mali sont issus du Mouvement populaire de l'Azawad (MPA), qui a relancé la lutte armée en juin 1990. Ce dernier avait signé le Pacte national d'avril 1992 avec trois autres mouvements, au nom de leur coordination, les Mouvements et fronts unifiés de l'Azawad (MFUA):
-l'ARLA: Armée révolutionnaire de libération de l'Azawad
-le FPLA: Front populaire de libération de l'Azawad
-le FIAA: Front islamique arabe de l'Azawad qui, comme son nom l'indique, est à dominante maure et serait soutenu par des pays arabes, notamment la Libye.
 
Algérie: la "priorité" berbère
(Mai 1995)

Quinze ans après le "Printemps berbère", la revendication principale reste d'actualité: la reconnaissance de la langue et de la culture berbères en Algérie. A Tizi-Ouzou comme à Paris, Mouloud Lounaouci, qui fut un des principaux acteurs du mouvement de 1980, poursuit la lutte. Militant surtout culturel, il se définit comme un "révolté plus qu'un politique".



"Ma priorité, aujourd'hui, c'est la question berbère. On a toujours prétexté des priorités avant de la régler. A mon niveau, j'estime aujourd'hui qu'elle est prioritaire et je refuse de diluer mon énergie dans d'autres domaines."
Dans l'Algérie déchirée par la guerre civile, écartelée entre le terrorisme islamiste et la terreur militaire, le docteur Lounaouci, 47 ans, refuse de laisser passer au second plan la lutte de ces Algériens qui revendiquent une culture millénaire bien antérieure à l'arrivée des Arabes au Maghreb.
Il se souvient encore de son enfance à Alger, quand ses camarades arabophones l'appelaient non par son prénom mais "fils du Kabyle", ce père épicier qui interdisait qu'on parle arabe ou français à la maison. Puis ces revues de l'Académie berbère de Paris, qui lui apprirent que les Berbères avaient une histoire et même une écriture...
Le "tournant" a lieu pour lui en 1968-69 quand il assiste au cours "toléré" de l'écrivain Mouloud Mammeri à l'université d'Alger. Avec quelques amis, il milite oralement et très vaguement pour le droit à la berbérité, d'abord à Alger puis en Kabylie à son retour comme médecin. "On demandait d'exister." La relance clandestine du Front des forces socialistes lui fait franchir un nouveau pas: en 1979, il participe à Gap à la rédaction de la plate-forme de ce parti clandestin de Hocine Aït Ahmed. Un FFS animé en Algérie par son ami d'adolescence, le docteur Saïd Sadi.
Le 10 mars 80, une trentaine de militants -surtout des médecins et des enseignants- organisent en sous main une conférence de Mammeri au centre universitaire de Tizi-Ouzou. Ils obtiennent ce qu'ils voulaient: une interdiction, suivie d'une manifestation "spontanée" des étudiants.
Les manifestations, arrestations et grèves se succèdent alors en Kabylie dans les milieux universitaires et scolaires mais aussi les usines. Alger est gagnée par le mouvement dont les mots d'ordre sont l'exigence de libertés démocratiques et la reconnaissance comme langues nationales de l'arabe dialectal algérien et du berbère.
En dépit d'une grève générale largement suivie en Kabylie, le 16 avril, le pouvoir reste ferme et fait donner l'assaut contre les deux bastions du mouvement, l'hôpital et l'université, à l'aube du 20 avril.
A l'hôpital, les docteurs Lounaouci et Sadi sont rapidement arrêtés, comme des dizaines d'autres militants. Au commissariat, un policier fêle une côte à Lounaouci. Lui, ce sera la seule fois en deux mois de détention qu'il sera frappé, contrairement à d'autres militants qui furent torturés.

Trois jours d'émeutes

Les autorités évacuent le jour-même 27 contestataires, dont Louanouci, sur le commissariat central d'Alger tandis que la ville s'enflamme. Les émeutes dureront trois jours, sévèrement réprimées par le pouvoir qui dénonce un "complot" antinational d'origine étrangère. On relèvera plusieurs centaines de blessés dans la population.
A Alger, Lounaouci est questionné 23 jours sans craquer au terrible centre d'interrogatoire de la Sécurité militaire.
Mi-mai, 11 des militants -dont Lounaouci et Sadi- sont inculpés à Médéa par la Cour de sûreté de l'Etat pour "appartenance à une organisation clandestine visant au renversement du gouvernement algérien" et "intelligence avec l'étranger". Ce qui est passible de la peine de mort. A la prison de Berrouaghia, ils sont ensuite rejoints par 13 autres militants. Hormis un communiste révolutionnaire arabophone, ces 24 sont des Kabyles, arrêtés à Tizi-Ouzou ou à Alger. Parmi eux, des médecins, des enseignants et des étudiants.
La pression est maintenue sur le terrain pour la libération des "Vingt-quatre", avec notamment des grèves et meetings d'étudiants à Alger et une seconde grève générale en Kabylie, le 18 mai. Et, fin juin, ils sont mis en "liberté provisoire".
Ce sont alors les beaux jours d'une nébuleuse qui prend informellement le nom de Mouvement culturel berbère (MCB) et se réunit en séminaire à Yakouren, à la fin de l'été. Mais, après l'échec d'une grève générale en Kabylie, en septembre 1981, le mouvement s'essouffle un peu malgré quelques accès de fièvre. Comme la condamnation à trois ans de prison de plusieurs militants de la nouvelle Ligue algérienne des droits de l'Homme, dont Sadi, fin 1985.
Paradoxalement, c'est à partir de ce moment-là que le MCB éclate progressivement en deux tendances. Ce qui se formalise en février 1989 quand Sadi crée -avec la bienveillance apparente du pouvoir- son Rassemblement pour la culture et la démocratie et annonce la mort du MCB.
En juillet est pourtant organisé un 2ème séminaire du MCB, qui obtient un grand succès malgré le refus de Sadi et ses amis d'y participer. Le 25 janvier 1990, une marche de 400.000 à 600.000 personnes à Alger permet d'arracher la création de deux instituts de langue et culture amazigh (berbère) à Tizi-Ouzou et Bejaïa.
Lounaouci s'investit surtout dans son Association culturelle et scientifique Idles (Culture), qui organise des conférences et forme, de 1991 à 1994, une centaine d'enseignants de berbère et 800 à 1.000 élèves dans huit écoles publiques.
Le FFS boycotte les municipales de juin 1990, gagnées par les islamistes du FIS (et le RCD en Kabylie), et Lounaouci participe peu au combat politique. Il se laisse toutefois convaincre de se présenter aux législatives, à Laarba Nath Irathène (ex-Fort national). Elu au premier tour, le 26 décembre 1991, avec 63% des voix dans ce bastion kabyle, il fait partie des 25 députés FFS -pour 118 FIS et 15 FLN. "Surpris" par le score des islamistes, il ne s'attendait pas au coup d'Etat déguisé de l'armée du 11 janvier et à l'interruption des élections.

Une "spirale infernale"

Pour Lounaouci, "l'arrêt de tout processus d'ouverture démocratique porte un coup à la question berbère. Car beaucoup de partis avaient inscrit la question berbère à leur programme."
"Le durcissement du pouvoir nous fait reculer dans notre cause berbère, de même que le durcissement des islamistes. Une spirale infernale s'est installée. Et, dans une telle tourmente, on pense plus à survivre dans le sens biologique du terme que dans le sens identitaire. Mais c'est là aussi qu'on sent la force du MCB car engager le bras de fer dans une telle période et avoir l'adhésion des populations, ce n'est pas une gageure."
Quand on lui demande de quel berbère il parle, puisqu'il existe en fait plusieurs dialectes, Lounaouci relève que, "tout comme le français, toutes les langues se construisent, s'aménagent. J'y travaille." Il suit en effet à Paris, depuis novembre dernier, un DEA de socio-linguistique berbère en vue de préparer un doctorat. Pour sa thèse, il s'inspire de la construction de l'hébreu, du catalan et du breton "pour apporter, comme beaucoup d'autres, des propositions de solutions pour la langue berbère, en vue d'une unification".
Ne délaissant aucun terrain d'action, Lounaouci, qui écrit dans des revues berbères à Paris et au Maroc, donne également des cours de berbère dans trois lycées de Paris et banlieue à des élèves qui le présentent en option au bac.

Joël DONNET©



Encadré N°1
:


Un mouvement divisé

Le Mouvement culturel berbère, qui est à la pointe du combat pour la reconnaissance du particularisme amazigh, est divisé en plusieurs tendances -une division qui entrave son pouvoir de pression:
-MCB-Commissions nationales: héritière du mouvement historique, né lors du Printemps berbère de 1980, c'est la tendance la plus importante. Proche du Front des forces socialistes de Hocine Aït Ahmed, elle veut limiter son action à la cause berbère;
-MCB-Coordination nationale: née fin 1993-début 1994 autour de militants proches du Rassemblement pour la culture et la démocratie de Saïd Sadi. Cette tendance ne veut pas distinguer la cause berbère des autres luttes politiques (notamment contre le terrorisme islamiste);
-MCB-Rassemblement national: cette tendance est née au début du printemps autour du chanteur Ferhat Mehenni, ancien porte-parole du MCB-Coordination nationale. Elle regroupe des mécontents de la politisation du mouvement et les premiers déçus du boycott scolaire.


Encadré N°2:
Demi-succès pour le boycott des cours
Une nouvelle fois, le pouvoir algérien a su exploiter les antagonismes au sein de la mouvance berbériste, même s'il a dû faire des concessions sans précédent, à l'occasion du boycott des cours dans les régions berbérophones, essentiellement en Kabylie. Le bilan est en effet un éclatement encore plus net du mouvement.
Les deux tendances du MCB s'étaient rapproché en lançant mi-septembre ce boycott, suivi par quelque 800.000 élèves, étudiants et enseignants. L'objectif était un engagement clair du président Liamine Zéroual de faire reconnaître par la Constitution que les 20% (au minimum) de berbérophones sont une composante du peuple algérien et que leur langue (tamazight) ait un statut national et officiel et soit enseignée à l'école.
Au début du printemps, sur fond de lassitude et d'inquiétude des parents face au risque d'une année blanche, le porte-parole de la Coordination nationale Ferhat Mehenni infléchissait sa position -et se voyait exclu de son mouvement. Il fondait alors une troisième branche du MCB.
Sentant la situation bouger, la présidence décidait de réunir toutes les parties et la seconde rencontre du 22 avril se concluait par un accord. Mais le MCB-Commissions nationales avait rompu la négociation sur la question du statut de la langue. La présidence invoquait son incapacité à décider une modification de la Constitution, se contentant de parler de "langue de tous les Algériens". Or les Commissions nationales y voient une volonté présidentielle de passer par un référendum pour modifier le statut de tamazight. Pour elles, c'est tout simplement d'une "langue algérienne".
La Coordination nationale se contentait par contre des avancées enregistrées. Le pouvoir acceptait la création, d'ici fin mai, d'une "instance dotée de compétences exécutoires (assez floues) rattachée à la présidence", qui "sera chargée de la réhabilitation de l'amazighité en tant que l'un des fondements de l'identité nationale et de l'introduction de la langue amazighe dans les systèmes de l'enseignement et de la communication".
Forts de ces acquis, non négligeables -surtout pour l'enseignement-, même si ce ne sont encore que des promesses, le MCB-Coordination nationale et d'autres organisations berbéristes appelaient à la reprise des cours pour le 29 avril. Alors que les Commissions nationales dénonçaient un "complot contre tamazight" et maintenaient le mot d'ordre de boycott.
Les jours précédant la rentrée virent ainsi s'affronter les deux tendances sur le terrain, y compris physiquement, ce qui se traduisit par quelques blessés. Le Rassemblement national ne prenait quant à lui pas clairement position. Au bout du compte, le samedi 29, la reprise restait assez faible, selon les observateurs. Surtout à Bejaïa (Petite Kabylie). L'absence d'incidents encourageait cependant quelques parents et, le dimanche, la reprise était un peu plus forte, tout en restant minoritaire (20% au maximum).
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