Islam: la voie royale
21 septembre 2006
L´Express
Formation des imams, lancement d'une radio et d'une chaîne de télévision coraniques, contrôle des mosquées... La monarchie s'efforce de reconquérir le champ religieux. Objectif: contrer le discours extrémiste en prônant le «juste milieu»
Avant la fin de l'année, Aziz Ftouki prendra ses fonctions dans une mosquée neuve du quartier populaire de Yacoub Mansour, juste en face du bidonville d'Al-Kora, l'un des plus grands de Rabat. Tout juste terminé, le minaret est encore entouré de l'échafaudage du chantier. Aziz, lui se sent prêt, malgré ses 26 ans. «J'ai le savoir», dit-il, sûr de lui. Ce jeune imam à la barbe discrète appartient à la première promotion de la toute nouvelle école d'études islamiques de la capitale: il a reçu son diplôme, en mai dernier, des mains d'Ahmed Toufiq, ministre des Habous (biens religieux) et des Affaires islamiques.
Comme 150 autres jeunes hommes et 50 jeunes femmes, il a fréquenté pendant un an le grand amphi de Dar el-Hadith al-Hassania. Installée dans un bâtiment blanc à l'orée de la médina de Rabat, l' «Imam Academy», comme l'a baptisée la presse marocaine, est désormais censée produire chaque année son contingent d'hommes et de femmes de religion «éclairés». Les candidats, recrutés sur concours, doivent être titulaires d'une maîtrise et connaître le Coran par cœur. L'éducation religieuse proprement dite occupe environ la moitié des trente-deux heures de cours hebdomadaires. Les autres enseignements visent, d'une part, à familiariser les étudiants avec leur future pratique professionnelle et, d'autre part, à leur donner une culture générale et une ouverture sur le monde. Ils apprennent ainsi les grandes lignes de l'histoire du Maroc et de ses institutions, acquièrent des notions de base sur les équilibres mondiaux, les organisations internationales ou les droits de l'homme. L'informatique est également au programme. Initialement prévue dans la brochure du ministère, l'éducation physique est, elle, passée à la trappe… Pendant la durée de leur scolarité, les élèves perçoivent une bourse de 180 euros. Ensuite, leur salaire se situera autour de 400 euros, soit à peu près ce que gagne, au Maroc, un professeur débutant. Mais filles et garçons n'exerceront pas tout à fait le même ministère. L'imamat reste en effet interdit aux femmes, qui n'ont pas le droit de diriger la prière. Elles devront se contenter d'être des morchidate, des «guides», à la fois animatrices et éducatrices, essentiellement chargées d'apporter et d'expliquer la bonne parole aux femmes et aux jeunes. Ce qui ne les empêche pas d'être nombreuses à postuler: plus d'un millier de candidates cette année, pour 50 places, alors que les garçons n'étaient, eux, que 500 pour 150 places.
Diplômée, comme Aziz, au mois de mai, Samira Marzouk attend, elle aussi, que les travaux soient achevés dans la mosquée qui doit l'accueillir. Un étage a été ajouté, avec une vaste salle recouverte de nattes bleu et blanc. Ce sera son domaine. Elle y recevra les femmes du quartier pour des séances d'exégèse du Coran ou de simples causeries, qu'elle envisage à mi-chemin de la catéchèse et du travail d'une assistante sociale. «On ne peut pas, dit la jeune femme, séparer la religion de la vie. Je serai là aussi pour les aider, pour leur parler de l'éducation de leurs enfants, répondre à leurs questions sur la santé ou les problèmes des jeunes.»
Samira porte un hidjab (foulard islamique) de couleur claire, retenu par une petite broche, et un long cafetan, la tenue traditionnelle des Marocaines. Elle est revenue pour nous dans son école. Elle a retrouvé le grand hall aux murs recouverts de zelliges (mosaïques), la tranquille bibliothèque. Dans l'amphi, 200 élèves écoutent avec attention leur professeur commenter l'exposé que vient de faire l'un d'eux. Le cours porte sur le rôle de l'imam et la méthodologie du prêche. L'assistance est mixte, même si les futures morchidate occupent des travées séparées. Le professeur parle du libre arbitre, de la faculté de dire non et du respect de l'autre: l'islam, tel qu'il est enseigné à Dar el-Hadith al-Hassania, se veut tolérant, ouvert sur la modernité. Un message reçu cinq sur cinq par Hassen Salhi. Cet étudiant, l'un des très rares francophones de la nouvelle promotion entrée en apprentissage au printemps, arbitre de football à ses heures et prédicateur occasionnel dans la mosquée de son quartier, entend devenir un imam de combat pour «transmettre un islam vrai et juste». «Il faut, dit-il, lutter contre les dérives dans lesquelles se sont laissé entraîner des jeunes, ignorants des valeurs de la religion. On ne peut pas rester les bras croisés.»
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21 septembre 2006
L´Express
Formation des imams, lancement d'une radio et d'une chaîne de télévision coraniques, contrôle des mosquées... La monarchie s'efforce de reconquérir le champ religieux. Objectif: contrer le discours extrémiste en prônant le «juste milieu»
Avant la fin de l'année, Aziz Ftouki prendra ses fonctions dans une mosquée neuve du quartier populaire de Yacoub Mansour, juste en face du bidonville d'Al-Kora, l'un des plus grands de Rabat. Tout juste terminé, le minaret est encore entouré de l'échafaudage du chantier. Aziz, lui se sent prêt, malgré ses 26 ans. «J'ai le savoir», dit-il, sûr de lui. Ce jeune imam à la barbe discrète appartient à la première promotion de la toute nouvelle école d'études islamiques de la capitale: il a reçu son diplôme, en mai dernier, des mains d'Ahmed Toufiq, ministre des Habous (biens religieux) et des Affaires islamiques.
Comme 150 autres jeunes hommes et 50 jeunes femmes, il a fréquenté pendant un an le grand amphi de Dar el-Hadith al-Hassania. Installée dans un bâtiment blanc à l'orée de la médina de Rabat, l' «Imam Academy», comme l'a baptisée la presse marocaine, est désormais censée produire chaque année son contingent d'hommes et de femmes de religion «éclairés». Les candidats, recrutés sur concours, doivent être titulaires d'une maîtrise et connaître le Coran par cœur. L'éducation religieuse proprement dite occupe environ la moitié des trente-deux heures de cours hebdomadaires. Les autres enseignements visent, d'une part, à familiariser les étudiants avec leur future pratique professionnelle et, d'autre part, à leur donner une culture générale et une ouverture sur le monde. Ils apprennent ainsi les grandes lignes de l'histoire du Maroc et de ses institutions, acquièrent des notions de base sur les équilibres mondiaux, les organisations internationales ou les droits de l'homme. L'informatique est également au programme. Initialement prévue dans la brochure du ministère, l'éducation physique est, elle, passée à la trappe… Pendant la durée de leur scolarité, les élèves perçoivent une bourse de 180 euros. Ensuite, leur salaire se situera autour de 400 euros, soit à peu près ce que gagne, au Maroc, un professeur débutant. Mais filles et garçons n'exerceront pas tout à fait le même ministère. L'imamat reste en effet interdit aux femmes, qui n'ont pas le droit de diriger la prière. Elles devront se contenter d'être des morchidate, des «guides», à la fois animatrices et éducatrices, essentiellement chargées d'apporter et d'expliquer la bonne parole aux femmes et aux jeunes. Ce qui ne les empêche pas d'être nombreuses à postuler: plus d'un millier de candidates cette année, pour 50 places, alors que les garçons n'étaient, eux, que 500 pour 150 places.
Diplômée, comme Aziz, au mois de mai, Samira Marzouk attend, elle aussi, que les travaux soient achevés dans la mosquée qui doit l'accueillir. Un étage a été ajouté, avec une vaste salle recouverte de nattes bleu et blanc. Ce sera son domaine. Elle y recevra les femmes du quartier pour des séances d'exégèse du Coran ou de simples causeries, qu'elle envisage à mi-chemin de la catéchèse et du travail d'une assistante sociale. «On ne peut pas, dit la jeune femme, séparer la religion de la vie. Je serai là aussi pour les aider, pour leur parler de l'éducation de leurs enfants, répondre à leurs questions sur la santé ou les problèmes des jeunes.»
Samira porte un hidjab (foulard islamique) de couleur claire, retenu par une petite broche, et un long cafetan, la tenue traditionnelle des Marocaines. Elle est revenue pour nous dans son école. Elle a retrouvé le grand hall aux murs recouverts de zelliges (mosaïques), la tranquille bibliothèque. Dans l'amphi, 200 élèves écoutent avec attention leur professeur commenter l'exposé que vient de faire l'un d'eux. Le cours porte sur le rôle de l'imam et la méthodologie du prêche. L'assistance est mixte, même si les futures morchidate occupent des travées séparées. Le professeur parle du libre arbitre, de la faculté de dire non et du respect de l'autre: l'islam, tel qu'il est enseigné à Dar el-Hadith al-Hassania, se veut tolérant, ouvert sur la modernité. Un message reçu cinq sur cinq par Hassen Salhi. Cet étudiant, l'un des très rares francophones de la nouvelle promotion entrée en apprentissage au printemps, arbitre de football à ses heures et prédicateur occasionnel dans la mosquée de son quartier, entend devenir un imam de combat pour «transmettre un islam vrai et juste». «Il faut, dit-il, lutter contre les dérives dans lesquelles se sont laissé entraîner des jeunes, ignorants des valeurs de la religion. On ne peut pas rester les bras croisés.»
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