Une inetrview de helene Hagan dans kabyle.com.
Helene Hagan : Le déclic de la mémoire Amazighe en Amérique
« Un samedi en 1999, par hasard, j’ai rendu visite a un Musée de Los Angeles, et j’ai assiste a une conférence sur les Momies du Désert de Libye. J’ai été sidérée par les inexactitudes présentées a l’audience Américaine sur l’origine de ces momies »
Parmi les hommes et les femmes qui ont et continuent à travailler la mémoire et la culture amazighes : Helene Hagan. Des origines kabyles et Catalanes, née au Maroc, Helene Hagan se consacre ces dernières années à tout ce qui touche à l’histoire des Imazighens. Des travaux de recherche, des programmes télévisés et un livre, autant de réalisations dirigées par Madame Hagan.
Contactée par Kabyle.Com, Helene répond avec sincerité à nos questions.
•Dr Hagan, pourriez-vous vous présenter aux lecteurs de K.Com ?
Je suis née au Maroc, et j'y ai passe toute mon enfance et adolescence.
Je suis venue aux Etats-Unis en 1960 en étudiante universitaire. Je suis maintenant citoyenne Américaine, mère de trois enfants, et grand-mère depuis une dizaine d'années. Professionnellement, j'ai obtenu une Maîtrise de la Faculté de Lettres de Bordeaux en Littérature Anglaise et Civilisation Américaine (1969), une Maîtrise en Littérature Française de Stanford University, Californie en 1971, et j'ai un troisième diplôme universitaire d'Etudes doctorales en Anthropologie Psychologique octroye par l'Université de Stanford, Californie en 1983.
•Pour quoi vous vous intéressez au peuple berbère ?
Je ne peux pas dire que je "m'intéresse au peuple berbère" comme si c'était un sujet intéressant. Nous parlons de mes racines, de mon pays d'origine, de ma vie entière.
Pourquoi ne m'intéresserais je pas a ce qui a forme l'être que je suis, m'a donne naissance, et constitue les données historiques et culturelles de base de mon existence?
•Vous etes né au Maroc, vous y avez fais vos études ... ?
Mes études ont commence a l'école élémentaire de l'dal a Fez, puis au Lycée Lalla Aicha a Rabat.
A la suite d'une réussite au Concours d'Entrée à l'Ecole Normale d'institutrices à Rabat, j'ai obtenu une bourse d'Etat de mérite pour continuation d'études.
J'ai fait une année d'études à Toulouse en préparation a l'Ecole Normale de Fontenay-aux-Roses, puis je me suis inscrite a la Faculté de Bordeaux.
Je suis rentrée au Maroc en cours d'année et j'ai passe mes deux premiers certificats de licence d'Anglais a Rabat.
J'ai termine ma licence en Anglais en fait a San Francisco, dix ans plus tard en 1969, par écrit, avec un examen oral de jury a Bordeaux.
Avec cette maîtrise, j'ai continue mes études en philologie et lettres Françaises a Stanford, en Californie, et plus tard, j'ai poursuivi une licence en psychologie et des études doctorales en Anthropologie a la même université.
•L’un de vos parents est kabyle ... ?
Ma mère et ma famille maternelle proviennent de Kabylie, de Dellys et d'Alger. Mon grand-père maternel émigra au Maroc seul, après la première guerre mondiale, et fit ensuite venir son épouse et ses six enfants.
Ma mère grandit au Quartier des Roches Noires à Casablanca.
Mon père a quitte son village natal de Prats-de-Mollo (Pyrénées Orientales) et il est arrive au Maroc a l'age de 19 ans, ou il fut adopte par un Amazigh a Marrakech, le seul grand-père que j'ai vraiment connu.
Grand-père Mustapha a vécu avec nous depuis ma plus tendre enfance a Oujda jusqu'a l'age de dix onze ans a Fez, et il a eu une influence énorme sur mes premières connaissances.
•Avez vous conservé des souvenirs de la Kabylie ?
Non, je suis née et j'ai grandi au Maroc, à Oujda, à Fez et enfin à Rabat.
Dans mon enfance, j'ai visite l'Algérie en compagnie de ma mère, à un très jeune age, et je n'ai que quelques petits souvenirs familiaux.
Par contre, tous mes souvenirs d'enfance et de jeunesse à l'intérieur du Maroc sont très clairs, a partir de l'age de 4-5 ans.
•Comment jugez-vous la revendication amazighe en ce troisième millénaire ?
C'est une juste cause, malheureusement assez méconnue dans le monde, surtout le monde anglo-saxon, et qui a besoin de continuer a se manifester sur tous les plans.
La formation d'organismes a l'échelle internationale a apporte de nouvelles dimensions a cette lutte.
•A-t-elle fait des avancées ou... ?
Oui, d'énormes avancées dues au développement phénoménal d'informations et publications de toutes sortes, de sites internent nombreux, et d'une floraison d'associations culturelles au cours des dix dernières années.
Je rencontrais encore il y a quelques années des Kabyles qui n'avaient aucune idée de l'ampleur des traditions Amazighes au Maroc, par exemple.
Ce n'est plus le cas, je pense.
•Quel est votre opinion sur la situation en Kabylie ?
La situation en Kabylie est une tragédie de très graves proportions qui concerne tous les Algériens, qu'ils en soient conscients ou pas.
Certainement, les yeux de la presse internationale doivent être ouverts sur les événements qui s'y déroulent, pour diffuser toute information possible sur le combat identitaire en cours, les revendications d'un peuple entier, les mesures oppressives et la politique meurtrier du régime contre ce mouvement, enfin sur la réalité des conditions sociales et économiques de l'Algérie et surtout de la Kabylie.
Notre tache est de mettre fin au silence de la presse Européenne et Américaine sur cette lutte.
•Pensez vous l’émergence de mouvements comme celui des Aarchs est une évolution positive ou plutôt un phénomène de renfermement et replis de la Kabylie sur elle même ?
Le mouvement citoyen est une des composantes les plus importantes du combat identitaire et civil de la Kabylie.
La comite des Aarchs est une continuation historique des assemblées locales de gouvernance traditionnelle.
Il m'est arrive d'entendre certains propos qui dénigrent les fondations traditionnelles Amazighes au profit des modèles de démocratie provenant de l'extérieur, issus de la pensée Européenne, par exemple, comme si cette pensée était supérieure a la sagesse et l'efficacité des modèles traditionnels d'Afrique.
Il advient quelquefois que lorsque un individu devient avocat ou professeur a l'école Française, il lui arrive de dénoncer toute représentation de l'Amazighité sous son coté rural et traditionnel.
Il ne voudrait pas que l'image de l'Amazighité soit représentée comme si c'était une image folklorique qui amoindrit les capacités intellectuelles et les accomplissements divers des Imazighen dans tous les domaines de production artistique, culturelle, et sociale.
Moi, bien au contraire, et je donne ici mon humble opinion, je pense que ce sont ces origines mêmes qui détiennent toutes les cartes, psychiquement et moralement.
C'est à partir même de ces traditions, les vraies racines, qu'un certain renouvellement peut se faire.
J'ai vécu cette expérience parmi les Indiens des Etats-Unis.
Le combat est sorti des villes, et des jeunes éduquent dans les villes, mais ils ont été pris en main par les traditionnels des réserves, qui ont pu donner au Mouvement Indien son inspiration spirituelle, ses forces, et en fin de compte, une nouvelle dignité d'identité Indienne.
Il faut revaloriser les institutions et les coutumes que la pensée coloniale s'est acharnée à diminuer, et ne pas adopter une manière néo-coloniale de penser, celle qui vise à glorifier l'intellect Européen et à défigurer l'image du "natif".
Dévaloriser les montagnes et les coutumes montagnardes, de Kabylie ou de l'Atlas, c'est faire preuve d'une pensée destructive à l'essentiel de notre culture en somme.
•Que pensez vous des propos de Camille Lacoste Dujardin qui parle du "danger des traditions des traditions montagnardes " (paru dans la revue Hérodote de Novembre 2002) ?
Je vous renvoie à ma réponse précédente qui qualifie une telle pensée d'étrangère et imposée de l'extérieur.
C'est un regard dévalorisant sur des traditions millénaires qui doivent être protégées, car essentielles à la vitalité de notre culture.
Il est essentiel de rejeter une telle pensée, et de redevenir fier de ses montagnes et de ses traditions montagnardes.
Elles sont fortes.
Votre père est catalan, pensez vous que les peuples amazigh doivent s’inspirer de la catalogne dans leurs méthodes de revendication identitaire ?
Le Catalan a maintenu une identité de base, refusant l'assimilation a l'Espagnol ou au Français, et comme l'on dit en Catalogne, le Catalan est très têtu.
Il a ce trait en commun avec les Imazighen.
Quant aux méthodes de combat identitaire, si cela nous réfère à l'insistance sur l'essentialité de la langue en tant que véhicule du social et de l'historique, le Catalan s'est accroche et a obtenu gain de cause.
En cela, oui, ce serait une sorte de combat a émuler.
•Comment expliquer vous le succès de la catalogne tant dans le domaine culturel/identitaire que sur le plan économique ?
Ce succès est peut être du au caractère essentiel du Catalan: fierté de ses montagnes et de ses traditions, fierté de sa langue unique, et une capacité extraordinaire de l'imagination créative, qui sert a refouler les apports culturels provenant de "l'étranger."
Oui, on a souvent dit que les Catalans étaient des paysans bourrus difficiles à franciser par exemple.
Mais cette attitude de méfiance envers les "envahisseurs du Nord" a beaucoup servi à la conservation d'une identité millénaire.
Economiquement, le pays est naturellement riche, en pêche, en chasse, en vignobles, en fruits et légumes, et en sites attirant le tourisme de nos jours.
L'industrie textile, par exemple, basée sur une économie domestique qui a été développe plus industriellement, et de nos jours l'informatique, ont ajoute a ces richesses naturelles.
•Dans quel cadre effectuez-vous vous vos recherches ?
J'ai travaille pendant des années en tant que consultante du Mouvement Indien aux Etats-Unis, et j'ai vécu pendant plus de trois ans sur une réserve Indienne dans le Dakota du Sud, chez les Oglala Lakota (Sioux) de Pine Ridge.
La, avec l'assistance de jeunes et des conseils traditionnels des Anciens, j'ai formule et dirige un Projet d'Identification Visuelle de Photos prises entre 1875 et 1940 qui identifiaient les hommes mais non les femmes et les enfants de ce groupe.
Le résultat de ce Projet a été une Exposition ambulante en quatre parties ou motifs, qui voyage a travers les musées de parcs nationaux et écoles aux Etats-Unis.
Cette Expo a même parue pendant quelque temps a la Rotonde de Washington D.C., le Hall de l'Assemblée Nationale Américaine et a suscite de très bons commentaires.
Depuis, j'ai concentre mon travail sur la formation de partenariats avec groupes dits "indigènes" aux Nations Unies, et en liaison avec certaines associations culturelles Amazighes, pour créer un réseau d'information sur le mouvement Amazigh d'Afrique du Nord et des pays du Sahel.
"Tazzla" est membre de C.A.I.D.D.H, Coalition Amazighe Internationale pour la Défense des Droits Humains, membre de P.I.P.E, Partenariat de Peuples Indigènes pour l'Environnement, partenaire officiel de OVD (Vie et Développement) TEDHILT, une ONG Tuaregue du Nord du Niger, et partenaire de Timbuktu Heritage Institute du Mali, une organisation Amazighe pour la préservation des anciens manuscrits de Tombouctou. Je suis aussi membre du Comite de Directeurs d'A.C.A.A., notre organisation nationale officielle aux Etats-Unis, Amazigh Cultural Association in America.
Je travaille toujours avec International Indian Treaty Council (ONG Ameridienne aux Nations Unies) et aussi a l'occasion avec Tamaynut, reseau associationnel Amazigh au Maroc.
Un de leurs membres, Ahmed Lachgar est Conseiller pour Tazzla Institute.
•Parlez nous de cette association « Tazzla » ?
J'ai fondé Tazzla Institute for Cultural Diversity (une organisation dite charitable et educationelle, sans-profit,) en 1993 et c'est à travers cet Institut et ses projets que j'ai commencé un travail principalement d'informations audio-visuelles et écrits sur le mouvement Amazigh.
•Comment aider « Tazzla Institute » ?
De plus amples informations sur les Projets de Tazzla Institute sont disponibles sur le site URL http://www.tazzla.org où sont décrits en détail, par exemple, le Projet Hydraulique des Touaregs de l'Air, et leurs Ecoles du Désert.
La, vous trouverez également l'adresse de l'organisation, ou toute aide, soit pour Tazzla, soit pour les Ecoles du Désert de l'Air, peut être envoyée.
Tous les quelques mois, nous envoyons un certain montant modeste a ces écoles pour l'achat de chèvres, la construction de puits d'eau (très urgente) et autres besoins pressants pour abriter et nourrir les élèves de familles nomades qui sont pris en charge dans ces écoles crées par l'organisation OVD TEDHILT présidée par notre grand et cher ami, Issyad Ag Kato, militant Amazigh, ancien combattant de la résistance de l'Air, et un des organisateurs de la Flamme de la Paix au Niger.
•Pourriez vous nous donner des détails ces "anciens manuscrits de Tombouctou" ?
Des milliers de manuscrits précieux, écrits par des érudits de Tombouctou a l'ère de la floraison de cette Université, et datant de plusieurs siècles, sont restes dans les mains de familles Touaregs du Nord du Mali.
Les érudits de cette époque firent des copies de leurs manuscrits qui restèrent dans les mains de leurs familles, certaines très belles et ornées de calligraphie de toute beauté.
Ces manuscrits ont été passes de main en main d'une génération a une autre dans ces familles. Apres des siècles, ces manuscrits sont devenus fragiles et sont en risque de disparaître.
Les intempéries du temps et le manque de mesures de conservation en ont fait un patrimoine extraordinaire en danger.
Le Mali s'est inquiète de cet état de choses, en plus du fait qu'un marché noir international de plusieurs années a également affecte ce patrimoine précieux.
Pour les préserver, le Mali a institue un projet de Bibliothèque (Ahamed Baba) avec l'aide d'UNESCO et de quelques chercheurs internationaux.
Toutefois, jusqu'a présent, aucune autorité et aucun responsable universitaire ou international n'a prêté attention a la provenance Touarègue (Amazigh) de ces manuscrits qui sont détenus par des familles Touarègues, et dont les auteurs ont souvent été des Kel Tamasheq (la liste d'auteurs indique 50% de noms avec la particule "Ag" - fils de, en Kel Tamasheq -).
De plus, ces manuscrits peuvent être divises en deux catégories, les traites scientifiques, mathématiques, philosophiques, et théologiques, d'une part, (principalement des textes Islamiques) et les documents traitant de la vie de tous les jours dans les oasis, sur le commerce trans-Sahara, etc..
Ces derniers sont d'une valeur extraordinaire pour l'histoire et la culture Amazighes.
L'intérêt que Tazzla Institute porte a ces documents est de sauvegarder la représentation Amazighe au niveau des recherches, de la traduction, et du projet de préservation.
Enfin, le Projet de l'Héritage de Tombouctou sur lequel nous travaillons spécifie que le travail de restauration et de préservation doit être dans les mains des Touaregs de la population locale a tous les niveaux.
Nous travaillons avec Mr. Issa Ag Mohammed, Président de « Timbuktu Heritage Institute » du Mali et de Californie, qui est natif de la région et sous le mandat du Cercle des Erudits, du Maire, et de l'Imam de Tombouctou.
Ultimement, c'est aussi un projet qui pourrait assurément aider un peu a l'économie locale des groupes Touarègues démunis ou en chômage, tout en sauvegardant le plus précieux de leur passe.
•Qui vous supporte dans cette noble entreprise ?
Si j'ai une aide essentielle et énorme, c'est de la part de ma famille et certains amis, qui croient en mon travail et contribuent à maintenir le petit budget de l'Institut. Ca et la, j'ai pu obtenir quelques fonds minimes pour un projet ou un autre, et maintenir ma production de programmes de télévision.
En particulier, depuis 1995, j'ai crée, produit, édite, et montre a la télévision plus de quarante demi-heures de programmes, les uns sur les Indiens de Californie, les autres sur des questions de l'environnement, et toute une série sur la culture Amazigh du Maroc,"Tamazgha, Berber land of Morocco," avec quelques programmes sur l'identité Amazigh en général, deux célébrations annuelles de Tafsut Imazighen (Amazigh Spring) en 1998 et 1999 a San Francisco, et maintenant l'ébauche d'une nouvelle série télévisée intitulée "The People of Tamazgha" (Les Gens de Tamazgha.)
•Comment se procurer ces programmes vidéo ?
Vous trouverez, dans le site Tazzla (http://www.tazzla.org) sous la rubrique "Boutique" la liste de programmes vidéo que vous pouvez acheter.