Institutrices à Imi n Tanout

agerzam

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· Jeunes et citadines, elles se dévouent dans les petits douars

· Isolées dans les montagnes, certaines n’ont ni eau courante, ni électricité

· Harcèlement et agressions: leur lot quotidien




Imintanout, à près de 114 km de Marrakech (et 140 d’Agadir). Des paysages arides et des étendues poussiéreuses s’étalent à perte de vue. Au loin, se profilent, ça et là, quelques oliviers et rares amandiers. Ils forment un mince écran, derrière lequel se dessinent les hauteurs de l’Atlas.
Dans ce douar, à 17 kilomètres d’Imintanout, l’heure de rentrer en classe a sonné depuis quelques minutes pour les petits élèves. En double rangée devant la porte de cette annexe relevant de la délégation de Chichaoua, ils chahutent en attendant leur institutrice légèrement en retard aujourd’hui. Un sachet de médicaments à la main gauche, Nabila(1), la jeune enseignante, en jeans et chemise large, presse le pas. Elle salue ses “enfants” tout en fourrageant dans les poches de son jeans à la recherche des clés de la classe.
“Les antibiotiques que je prends pour traiter mon angine m’assomment. Je me suis levée un peu en retard”, s’excuse cette jeune institutrice d’à peine 25 ans en entrant dans sa classe. Mais, ajoute-t-elle, “c’est la corvée de remplissage et stockage d’eau en prévision des coupures inéluctables dans la journée qui m’a le plus retardée”.
Une vingtaine d’élèves, filles et garçons, d’âges différents (6 à 11 ans) -et donc de niveaux différents- se bousculent au portillon avant de prendre place.
“Prenez-place. En silence s’il vous plaît !” lance la jeune éducatrice à ses élèves dont le chahut avait cessé un instant avant de reprendre de plus belle. Avec des gestes énergiques, Nabila tente tant bien que mal de nettoyer son pantalon et ses chaussures maculés de poussière blanchâtre. La longue marche sur la route poussiéreuse menant à cette annexe (environ 7 kilomètres du plus proche douar où elle habite et environ 17 km d’Imintanout), sous le soleil torride des jours d’été ou sous l’averse pendant la saison des pluies, est son lot quotidien depuis qu’elle est mutée dans cet établissement. Mais elle ne s’en plaint pas, ayant “survécu” à pire quand elle enseignait à la montagne, dit-elle. L’école se trouvait dans la vallée alors que son logement était sis au douar dans la montagne. Et pour y accéder, c’était toute une histoire. “On partait lundi matin souvent avec un transporteur clandestin dans une fourgonnette ou un break. Parfois, on était jusqu’à cinq instits dans le siège passager, entassées les unes sur les autres, en proie aux pires grivoiseries de la part du chauffeur, mais heureuses d’échapper à celles plus grossières encore des passagers machos en arrière de la fourgonnette”. Ensuite, il fallait poursuivre à dos d’âne pour atteindre son logement niché dans une zone rocheuse. Dans ce hameau d’une vingtaine d’habitants, aucun équipement: pas de téléphone, pas d’électricité, pas de W.-C., pas d’eau courante, pas d’épicerie.
Nabila en est actuellement à sa septième année de métier et elle s’estime heureuse d’avoir obtenu enfin de “descendre” de son fief montagneux, qu’elle a depuis baptisé, avec d’autres collègues, “Kandahar”.
Après quatre ans en pleine montagne, un record, dit-elle, puisque d’autres s’en tiraient en principe au bout de deux ans, se retrouver près du centre d’Imintanout, dans ce douar en marge de la modernité, est une bénédiction. Bénédiction que lui a valu, sans doute, sa patience et son dévouement dans les différents patelins et douars (Taddart, Asserratou, Bouyaboud…) où elle a été avant de rejoindre son poste actuel. Des mutations qui lui ont valu le surnom de “Ibn Batouta” dont l’affublaient amis et famille.
Telle une “toupie”, comme elle se qualifie elle-même, elle virevolte entre les 4 rangées de tables, passant du français à l’arabe ou au berbère, des maths à la grammaire, d’un niveau à l’autre, avec une aisance déconcertante.
La classe, une petite pièce dépouillée et aux murs délabrés, se compose de quelques tables disposées en deux rangées de “tables rondes”. La peinture des murs écartelée est couverte par endroits de quelques vieux dessins: une pie, une girafe, quelques enfants dans une cours de récréation...
De la classe, les vitres cassées, laissaient entrevoir le paysage désert: la maison d’un villageois au premier plan, puis une étendue aride et, dans le lointain, quelques oliviers. A droite, les hauteurs de l’Atlas qui surplombent le tout.
Une petite retardataire, cartable sur le dos, arrive essoufflée quinze minutes plus tard. Elle se glisse furtivement dans sa place sans adresser le moindre mot d’excuse à sa maîtresse. Celle-ci, indulgente, la tance légèrement en berbère, le “Tachelhit”, dialecte de la région. “Pourtant, c’est une de mes meilleurs élèves, elle et son frère”, explique Nabila. Originaire de Casablanca, celle-ci parle aujourd’hui le berbère comme une native de la région. “J’ai appris à parler le Tachelhit dès ma première année d’affectation. C’était en 1989, et j’ai été affectée dans un douar en montagne. “C’était l’an 1 de mon exil et je ne savais pas encore ce qui m’attendait!” dit-elle ironiquement. Les enfants ne parlaient pas un seul mot d’arabe”. C’était aussi un moyen qui lui a permis de briser le carcan d’isolement et de se rapprocher des villageois.
Des vitres cassées, des villageois à dos d’âne lorgnent l’intérieur de la classe. Leurs regards inquisiteurs et indiscrets dérangent l’institutrice qui s’empresse de changer de place.


· L’une des régions les plus pauvres


Dans la classe, quelques élèves n’ayant pas encore leurs propres fournitures et manuels, se contentent d’écouter. “Ceux-là attendent le prochain souk pour les acheter. Mais ces deux-là, leurs parents sont démunis, je crains qu’ils ne soient dans l’impossibilité d’en avoir”. Ses élèves, elle les connaît tous, connaît leurs conditions et leur manque de moyens. “La région est l’une des plus pauvres du Maroc. Les longues années de sécheresse n’ont rien arrangé”.
10 heures 30, c’est l’heure de la pause. Une adolescente chargée d’un plateau recouvert d’une serviette immaculée rentre timidement dans la classe. “C’est l’heure de la récréation!” s’exclame Nabila. Elle libère ses élèves et regagne le fond de la classe où se trouve un petit bureau sur lequel l’adolescente venait de déposer le plateau garni. Du thé, du pain fraîchement cuit, quelques portions de fromage, du beurre et de la confiture. C’est la première collation de Nabila qui ne prend jamais de petit déjeuner chez elle hâtée de rejoindre sa classe.
Des cris stridents la font sursauter coupant son petit moment de répit. Un regard jeté par une vitre cassée la renseigne sur la cause: “C’est Brahim, l’attardé mental du douar qui les effraie”, constate la jeune institutrice avec résignation. En djellaba vert, un grand gaillard, nullement impressionné par les vociférations des écoliers, tente de se mêler à leurs jeux. De guerre lasse, les chérubins lui cèdent le terrain et se réfugient derrière les murs de l’école.
Midi 30, fin de la classe. Mais pas de la journée de Nabila. Invitée aujourd’hui à partager le repas d’une famille du douar, elle doit regagner sa classe, en moins d’une heure, pour un premier contact avec les femmes du douar venues pour des cours d’alphabétisation.
Une vingtaine de femmes, emmitouflées dans des habits aux couleurs criardes, attendaient devant cette annexe. “Aujourd’hui, c’est juste une première prise de contact. Les cours ne démarreront que jeudi prochain. Le directeur parti aujourd’hui à la délégation devrait nous ramener les manuels”, leur explique-t-elle avant de les interroger longuement sur leurs “connaissances”. Celles-ci se limitent à de rares versets coraniques que seules quelques-unes d’entre elles arrivent à réciter sans trop de fautes.
Ce n’est qu’un peu vers 15 heures que Nabila prend enfin congé de ses “élèves” d’un certain âge. Elle rebrousse chemin. Il lui faudra une trentaine de minutes pour regagner son douar loin de quelque 7 kilomètres de l’école.


· Compagnons d’exil

Quelques favorisés partent chez eux, puisqu’ils habitent tout près de l’école et une dizaine de minutes de chemin à pied ne les effraie pas. Mais, plus d’une dizaine habitent trop loin.
Le plus dur, c’est l’hiver. Ces petits écoliers, de 6 à 11 ans, filles et garçons, parcourent, eux aussi, de longues distances pour venir s’instruire. L’hiver, pendant la saison des crues, ils ont souvent des problèmes pour rejoindre l’école.
C’est alors que la longue après-midi et ensuite la soirée, en solitaire, commence.
Nettoyage du local, préparation du travail pour le lendemain, correction des cahiers, papotage… les occupent pendant quelques heures. Mais après? Après c’est de longs moments de solitude et de oisiveté qui s’étendent devant elles. “On se repose alors en lisant, en écoutant un peu de musique ou en regardant un film. Romans et VCD sont nos meilleurs compagnons dans cet exil. Mais c’est surtout pendant les longues nuits d’hiver où le froid glacial nous empêche de trouver sommeil que notre calvaire est le plus dur”, racontent les collègues de Nabila.
La lampe à gaz (parfois des bougies) avec son faible éclairage n’arrive pas à dissiper leur inquiétude. Inquiétude que décuplent les divers bruits qui brisent le silence de nuit. “Le vent hurle, le plafond dégouline, quelques chiens aboient sans relâche et nous effraient dans notre solitude. Il y a aussi des sangliers”. Mais le plus grand risque reste, pour ces jeunes institutrices, celui des rôdeurs nocturnes, bergers ou simples visiteurs de passage. “Je n’oublierais jamais cette nuit où des coups secs sur la porte me tirèrent brusquement du sommeil”, se souvient Imane, cette autre institutrice venue de Meknès et dont les efforts pour rejoindre son mari, cadre des Finances à Boujdour, n’ont jamais abouti.
Mieux valait feindre le sommeil et garder son calme en attendant que le jour se lève. “Je compte alors les jours qui me séparent de la grande évasion, c’est-à-dire mon retour chez moi pour le week-end”. Chaque samedi, à 12 heures et demi, un transporteur clandestin, bigame, sa première épouse habitant dans la montagne et la seconde au centre, les emmenait à Imintanout. Elles savaient qu’il les ramènerait dans la montagne lundi matin.

Khadija EL HASSANI
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(1) Les prénoms ont été modifiés.
L'Economiste
 
"Celle-ci, indulgente, la tance légèrement en berbère, le “Tachelhit”, dialecte de la région"


:-D


A votre avis, pourquoi les journalistes font preuve d'u néternel mépris comme ça ? Est-ce par mauvaise volonté ou ignorance :-?

Son "dialecte local" est parlée sur une surface aussi grande que la Suisse ou la Belgique !

Si on faisait un reportage sur Safi et qu'on parlait de leur dialecte local, la darija, je me demande ce qu'ils diraient :-?

Sinon, chapeau à toutes ces institutrices qui se dévouent.
 
Il faut saluer toutes ses femmes et hommes qui bravent ces conditions pour "enseigner" dans les montagnes et les coins reculés.
 
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