Etes-vous pour la fédéralisation du Maroc ?

agerzam

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Quoi ! Vous voulez que les Marocains s’entredéchirent, que les régionalismes refassent surface, que bled Siba reprenne le dessus sur bled el Makhzen, que la diversité l’emporte sur l’unité…", etc. Voilà en quelques mots les contre-arguments, quasi stéréotypés, que risquent de sortir autant un Fassi, un Soussi qu’un Rifain, si vous suggérez la métamorphose du royaume en État fédéral. Et pourtant, il suffit de sillonner le pays - après le Sahara, TelQuel vous propose cette semaine un grand reportage sur le Souss - pour voir quelques vérités (6, plus précisément) en face.

1- Les particularités sont vivaces, ancrées dans l’inconscient collectif, mais loin d’être suffisamment mises en valeur pour servir le développement local.
2- Les solutions économiques proviennent plus de l’imaginaire régional que des élucubrations des fonctionnaires de la capitale.

3- Les possibilités de levées de fond via la coopération des régions, les fondations et autres centres de recherche foisonnent, mais la rigidité des procédures et le centralisme du ministère des Finances à Rabat font perdre de précieuses opportunités.

4- Dans les villages, les populations gèrent leur quotidien en improvisant sur la base de réflexes ancestraux et de rapports de complicité/conflit avec les agents du Makhzen. Accessoirement, en référence aux canons et institutions "modernes" de l’État.

5- Les walis ont, dans les faits, plus de pouvoir que les ministres, et les maires, nouvellement élus, plus le sens d’être utiles à la communauté que les parlementaires.
6- Les associations l’ont compris, le désengagement de l’État et le manque d’implication des partis, prisonniers du centralisme jacobin, laissent un champ énorme à investir : les quartiers, les zones rurales, les marges des villes, etc. Les ONG le font avec les moyens du bord et s’en sortent à merveille, même si elles savent que cela ne suffira pas.

Est-ce suffisant, pour défendre l'idée d'un État fédéral ? Ça l'est, en tout cas, pour affirmer que la régionalisation factice, administrative, distante, mise en place en 1976 et sommairement retouchée depuis, a deux tares : elle est encombrante, car elle focalise toujours sur le contrôle sécuritaire, et contre-productive parce que la prise de décision y répond moins aux besoins de développement locaux qu’aux orientations de Rabat. Aux wilayas, on s’est certes mis à la mode de "l’approche participative", mais comme le note l’anthropologue Hassan Rachik, "plus pour séduire les bailleurs de fond qu’autre chose". Comme la TVM qui a appris à faire des micro-trottoirs, les wilayas "consultent" tant qu'elles peuvent. Mais pour la forme, rien de plus.

En allant vers un État fédéral, qu’est-ce qui pourrait changer ? D’abord, la régionalisation tant rabâchée aurait un sens, signifierait enfin quelque chose pour la population. Ensuite, les instances élues auraient la pesanteur du Makhzen en moins et le devoir de répondre aux medias locaux en plus. Enfin, les élites locales s'impliqueraient plus dans le développement et tireraient, c'est classique, l'enthousiasme populaire nécessaire. Cerise sur le gâteau : l’État central, roi en tête, pourra se concentrer sur ses prérogatives de sécurité, de régulation économique, de grandes orientations politiques, de diplomatie et de symbolique spirituelle.
Ce remue-ménage est plus que souhaitable, il est nécessaire. Pour 4 raisons :

1. L’autonomie du Sahara - unique voie de salut - n’aurait pas de sens hors d'un État fédéral

2. Les années d’abandon du Rif ne peuvent être effacées par une agence de développement stationnée à Rabat et des visites ponctuelles du roi censées booster un pays en léthargie.

3. La logique, héritée du protectorat, d’un Maroc utile et d'un autre inutile, perdurera tant que l'État n'aura pas les moyens de son centralisme, qu'il délèguera mal et qu'il se concerte peu ou pour la forme.

4. Le monde mondialisé, actuel, rend les réseaux de régions plus souples et plus efficaces dans leur interaction que les États mastodontes dans leurs relations bilatérales.

Certains craignent qu’un État fédéral ne mène à l’éclatement. Qu’ils sachent que le ciment national existe dans ce pays depuis des siècles. Mais qu’ils sachent aussi que l’État national, tel qu’il est pratiqué, a déjà entraîné pire : l’envie de vider les lieux.

Driss Ksikes, Telquel.
 
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