Des intellectuels épinglent le régime
Les démocrates que nous sommes ne peuvent accepter ce dogmatisme de la pensée unique qui a tendance à se transformer, en l'absence de vrais contre- pouvoirs libres de s'exprimer, en règle de vie et finit par sombrer dans le fascisme.
En 2006 au Maroc, certains journalistes courent quotidiennement le risque d'être jetés en prison. Ce fut le cas de Ali Lmrabet, entre autres, il y a deux ans, avant d'être interdit de journalisme pendant dix ans . Les publications indépendantes pour lesquelles ces journalistes travaillent sont, quant à elles, menacées de disparition pure et simple, sinon par interdiction gouvernementale ( ce fut le cas, il y a cinq ans, de trois hebdomadaires : « Le Journal », « Assahifa » et « Demain »), du moins pour impossibilité de payer les amendes et indemnités colossales auxquelles ces publications sont condamnées par nos très chers tribunaux , qui confondent l'ordre moral avec la légitime répression qui doit sanctionner tout journaliste qui méconnaîtrait l'honneur des gens et la rigueur dans la recherche et la transmission de l'information à laquelle la société a droit.
Aujourd'hui, « Telquel » et, une nouvelle fois, « Le Journal hebdomadaire », entre autres, sont lourdement condamnés ou menacés de l'être. Pourquoi ? Essentiellement parce que ces journaux refusent de se soumettre aux « valeurs sacrées » que le régime prétend imposer de plus en plus aux Marocains et au centre desquelles se trouve une monarchie de droit divin rappelant au monde que le Maroc vit encore sous un régime moyenâgeux dissimulé derrière un vernis de modernité . Au nom de cette sacralité, dont le caractère liberticide est aggravé par son absolutisme, ce n'est pas seulement la personne du roi et des membres de la famille royale qui sont protégés par la loi sur la presse (un dahir de 1958 amendé en 2002) contre toute « offense », ce n'est pas non plus seulement le « régime monarchique » qui esnt protégé par la même loi contre toute « atteinte » (à côté de l'islam et l'intégrité territoriale), ce sont aussi (sur la base d'un dahir de 1956) les « traits » physiques du roi et de ses enfants qui, à travers les photos notamment, sont interdits de toute reproduction, à moins d'une autorisation préalable octroyée par les gardiens du temple officiant au Cabinet royal.
Le Makhzen fait ici une véritable volte - face puisque, depuis cinquante ans, non seulement des dizaines de millions de photos, en particulier de Mohammed V et de Hassan II, ont été tirées et ont envahi le paysage marocain sans la moindre autorisation de quiconque mais, en outre et tout au contraire, l'omniprésence de « la photo du roi » en tous lieux, publics et privés, est devenue une obligation de fait pour tous, et d'innombrables braves gens ont dû subir les représailles policières pour n'avoir pas fait trôner « la photo » en bonne place dans leur lieu de travail, instaurant ainsi un véritable culte de la personnalité, par ailleurs lourdement orchestré par d'innombrables pratiques administratives totalement incompatibles avec le prétendu crédo démocratique du régime.
Le savez-vous ? « L'offense » au roi comme aux princes et princesses peut valoir cinq années de prison à son auteur et ce, alors même qu'aucune définition juridique n'est donnée à cette offense, contrairement aux normes régissant un Etat de droit. Quant à « l'atteinte » au régime monarchique (qui n'est, elle non plus, définie nulle part), elle peut vous en valoir trois. Enfin, l'usage non autorisé d'une photo royale ou princière peut vous coûter trois mois d'incarcération au nom d'un dahir de 1956 dont personne n'a jamais entendu parler, qu'on vient d'exhumer pour les besoins de mauvaises causes et qui , par une extension abusive de sa portée - il ne s'applique normalement qu'au roi en exercice et à ses enfants -, prétend couvrir désormais toute la famille royale et ce dans son présent comme dans son passé. C'est ainsi qu'on poursuit actuellement un journal (« Al Ayyam ») pour avoir publié des photos à caractère historique qui n'ont aucun rapport avec le roi actuel et son enfant. Mais, on le sait, le vrai motif de cette poursuite est qu'il s'agit d'un dossier sur les anciens harems royaux, une réalité qui a pourtant toujours été admise comme norme makhzénienne jusqu'à l'arrivée de Mohammed VI qui a eu l'intelligence d'y mettre fin.
Tout cela montre bien en tout cas qu'au regard des gendarmes de la royauté, tout ce qui touche à celle-ci, de près ou de loin, est sacré. C'est d'ailleurs dans le même esprit que des courtisans en tous genres se sont mis récemment à hurler contre un autre journal (« Aljarida Aloukhra ») qui a commis, à leurs yeux, un crime de lèse-majesté en osant impliquer le roi dans un sondage d'opinion informel et sans prétention scientifique tendant à « élire » l'homme ou la femme de l'année 2005. La sacralité royale vaut à un autre journal (« Alousbouiya Aljadida ») et à la personne qu'il a interviewée (Nadia Yassine), une poursuite pour « atteinte » à la monarchie parce que cette dame sans complexes a osé dire que le régime monarchique marocain n'est pas démocratique, qu'il est à son avis trop fragile pour pouvoir durer et qu'en conséquence, les Marocains vivraient mieux sous un régime républicain, pour lequel « l'effrontée » a dit sa préférence .
Et c'est toujours au nom du sacré, mais protégeant cette fois notre chère patrie, que trois journaux sont menacés des foudres de la justice marocaine - universellement respectée, n'est-ce pas, pour son haut degré de compétence, sa probité et sa sourcilleuse indépendance -, l'un (« Albidaoui ») pour avoir songé - songé seulement - employer en couverture un titre rageur contre le Maroc nouveau, et les autres (Almichâl et le Journal hebdomadaire) pour avoir seulement informé que leur confrère a dû renoncer à ce titre iconoclaste du fait du refus de son imprimeur de le reproduire et assorti cette information d'un fac-similé du titre sacrilège. Nous n'avons donc pas le droit d'être en colère et, à l'occasion, d'employer de « gros mots ». A quand l'internement des mal- pensants et autres insolents ?
Ce n'est pas une question stupide quand on se rappelle que Abdesslam Yassine- un homme appartenant à une pensée aux antipodes de la nôtre mais qui a bien le droit de penser ce qu'il veut sans être inquiété tant qu'il ne préconise aucune violence, ni physique ni intellectuelle - a été traité de fou et interné il y a une vingtaine d'années déjà pour avoir commis un écrit jugé sacrilège par le potentat de l'époque. Nous sommes donc aujourd'hui de plus en plus menacés d'étouffement. C'est invivable et c'est inadmissible. Après le contrôle pénal de nos pensées, voici donc venu le temps de la répression de nos émotions . C'est toujours dans ce Maroc qu'un responsable associatif (Abdallah Zaâzaâ) a été récemment convoqué par la police pour répondre du « délit » (inexistant en droit) d'avoir osé héberger chez lui de jeunes étrangers venus le voir dans le cadre d'activités communes, « sans les avoir déclarés aux autorités ».
Ceci, a-t-on expliqué à son avocat, « parce qu'il faut aider la police par les temps qui courent ». Ainsi, au nom de la sécurité antiterroriste, elle-même érigée en valeur sacrée, on ose violer jusqu'à la vie privée des Marocains, transformés contre leur gré en délateurs potentiels, et outrager notre sympathique tradition d'hospitalité. Mais pourquoi s'étonner quand on sait que, naguère encore, après notre 16 Mai, des innocents ont été enlevés par centaines, torturés et souvent condamnés à d'énormes peines de prison au nom de la lutte antiterroriste, comme si tout musulman était islamiste, que tout islamiste était terroriste, et qu'une personne soupçonnée d'activité terroriste cessait d'être un être humain et, comme tel, d'avoir des droits (notamment le droit à la justice), qu'aucun pouvoir, en quelque circonstance que ce soit, n'est fondé à transgresser. Et c'est enfin dans ce Maroc - cuvée 2006 - qu'on va désormais punir de trois ans de prison, en vertu d'une loi qui vient d'être votée, quiconque osera exprimer sa colère contre sa chère patrie en portant « atteinte », de quelque manière que ce soit, à notre beau drapeau ou à l'un des autres symboles de nos prétendues valeurs sacrées.
Les démocrates que nous sommes ne peuvent accepter ce dogmatisme de la pensée unique qui a tendance à se transformer, en l'absence de vrais contre- pouvoirs libres de s'exprimer, en règle de vie et finit par sombrer dans le fascisme.
En 2006 au Maroc, certains journalistes courent quotidiennement le risque d'être jetés en prison. Ce fut le cas de Ali Lmrabet, entre autres, il y a deux ans, avant d'être interdit de journalisme pendant dix ans . Les publications indépendantes pour lesquelles ces journalistes travaillent sont, quant à elles, menacées de disparition pure et simple, sinon par interdiction gouvernementale ( ce fut le cas, il y a cinq ans, de trois hebdomadaires : « Le Journal », « Assahifa » et « Demain »), du moins pour impossibilité de payer les amendes et indemnités colossales auxquelles ces publications sont condamnées par nos très chers tribunaux , qui confondent l'ordre moral avec la légitime répression qui doit sanctionner tout journaliste qui méconnaîtrait l'honneur des gens et la rigueur dans la recherche et la transmission de l'information à laquelle la société a droit.
Aujourd'hui, « Telquel » et, une nouvelle fois, « Le Journal hebdomadaire », entre autres, sont lourdement condamnés ou menacés de l'être. Pourquoi ? Essentiellement parce que ces journaux refusent de se soumettre aux « valeurs sacrées » que le régime prétend imposer de plus en plus aux Marocains et au centre desquelles se trouve une monarchie de droit divin rappelant au monde que le Maroc vit encore sous un régime moyenâgeux dissimulé derrière un vernis de modernité . Au nom de cette sacralité, dont le caractère liberticide est aggravé par son absolutisme, ce n'est pas seulement la personne du roi et des membres de la famille royale qui sont protégés par la loi sur la presse (un dahir de 1958 amendé en 2002) contre toute « offense », ce n'est pas non plus seulement le « régime monarchique » qui esnt protégé par la même loi contre toute « atteinte » (à côté de l'islam et l'intégrité territoriale), ce sont aussi (sur la base d'un dahir de 1956) les « traits » physiques du roi et de ses enfants qui, à travers les photos notamment, sont interdits de toute reproduction, à moins d'une autorisation préalable octroyée par les gardiens du temple officiant au Cabinet royal.
Le Makhzen fait ici une véritable volte - face puisque, depuis cinquante ans, non seulement des dizaines de millions de photos, en particulier de Mohammed V et de Hassan II, ont été tirées et ont envahi le paysage marocain sans la moindre autorisation de quiconque mais, en outre et tout au contraire, l'omniprésence de « la photo du roi » en tous lieux, publics et privés, est devenue une obligation de fait pour tous, et d'innombrables braves gens ont dû subir les représailles policières pour n'avoir pas fait trôner « la photo » en bonne place dans leur lieu de travail, instaurant ainsi un véritable culte de la personnalité, par ailleurs lourdement orchestré par d'innombrables pratiques administratives totalement incompatibles avec le prétendu crédo démocratique du régime.
Le savez-vous ? « L'offense » au roi comme aux princes et princesses peut valoir cinq années de prison à son auteur et ce, alors même qu'aucune définition juridique n'est donnée à cette offense, contrairement aux normes régissant un Etat de droit. Quant à « l'atteinte » au régime monarchique (qui n'est, elle non plus, définie nulle part), elle peut vous en valoir trois. Enfin, l'usage non autorisé d'une photo royale ou princière peut vous coûter trois mois d'incarcération au nom d'un dahir de 1956 dont personne n'a jamais entendu parler, qu'on vient d'exhumer pour les besoins de mauvaises causes et qui , par une extension abusive de sa portée - il ne s'applique normalement qu'au roi en exercice et à ses enfants -, prétend couvrir désormais toute la famille royale et ce dans son présent comme dans son passé. C'est ainsi qu'on poursuit actuellement un journal (« Al Ayyam ») pour avoir publié des photos à caractère historique qui n'ont aucun rapport avec le roi actuel et son enfant. Mais, on le sait, le vrai motif de cette poursuite est qu'il s'agit d'un dossier sur les anciens harems royaux, une réalité qui a pourtant toujours été admise comme norme makhzénienne jusqu'à l'arrivée de Mohammed VI qui a eu l'intelligence d'y mettre fin.
Tout cela montre bien en tout cas qu'au regard des gendarmes de la royauté, tout ce qui touche à celle-ci, de près ou de loin, est sacré. C'est d'ailleurs dans le même esprit que des courtisans en tous genres se sont mis récemment à hurler contre un autre journal (« Aljarida Aloukhra ») qui a commis, à leurs yeux, un crime de lèse-majesté en osant impliquer le roi dans un sondage d'opinion informel et sans prétention scientifique tendant à « élire » l'homme ou la femme de l'année 2005. La sacralité royale vaut à un autre journal (« Alousbouiya Aljadida ») et à la personne qu'il a interviewée (Nadia Yassine), une poursuite pour « atteinte » à la monarchie parce que cette dame sans complexes a osé dire que le régime monarchique marocain n'est pas démocratique, qu'il est à son avis trop fragile pour pouvoir durer et qu'en conséquence, les Marocains vivraient mieux sous un régime républicain, pour lequel « l'effrontée » a dit sa préférence .
Et c'est toujours au nom du sacré, mais protégeant cette fois notre chère patrie, que trois journaux sont menacés des foudres de la justice marocaine - universellement respectée, n'est-ce pas, pour son haut degré de compétence, sa probité et sa sourcilleuse indépendance -, l'un (« Albidaoui ») pour avoir songé - songé seulement - employer en couverture un titre rageur contre le Maroc nouveau, et les autres (Almichâl et le Journal hebdomadaire) pour avoir seulement informé que leur confrère a dû renoncer à ce titre iconoclaste du fait du refus de son imprimeur de le reproduire et assorti cette information d'un fac-similé du titre sacrilège. Nous n'avons donc pas le droit d'être en colère et, à l'occasion, d'employer de « gros mots ». A quand l'internement des mal- pensants et autres insolents ?
Ce n'est pas une question stupide quand on se rappelle que Abdesslam Yassine- un homme appartenant à une pensée aux antipodes de la nôtre mais qui a bien le droit de penser ce qu'il veut sans être inquiété tant qu'il ne préconise aucune violence, ni physique ni intellectuelle - a été traité de fou et interné il y a une vingtaine d'années déjà pour avoir commis un écrit jugé sacrilège par le potentat de l'époque. Nous sommes donc aujourd'hui de plus en plus menacés d'étouffement. C'est invivable et c'est inadmissible. Après le contrôle pénal de nos pensées, voici donc venu le temps de la répression de nos émotions . C'est toujours dans ce Maroc qu'un responsable associatif (Abdallah Zaâzaâ) a été récemment convoqué par la police pour répondre du « délit » (inexistant en droit) d'avoir osé héberger chez lui de jeunes étrangers venus le voir dans le cadre d'activités communes, « sans les avoir déclarés aux autorités ».
Ceci, a-t-on expliqué à son avocat, « parce qu'il faut aider la police par les temps qui courent ». Ainsi, au nom de la sécurité antiterroriste, elle-même érigée en valeur sacrée, on ose violer jusqu'à la vie privée des Marocains, transformés contre leur gré en délateurs potentiels, et outrager notre sympathique tradition d'hospitalité. Mais pourquoi s'étonner quand on sait que, naguère encore, après notre 16 Mai, des innocents ont été enlevés par centaines, torturés et souvent condamnés à d'énormes peines de prison au nom de la lutte antiterroriste, comme si tout musulman était islamiste, que tout islamiste était terroriste, et qu'une personne soupçonnée d'activité terroriste cessait d'être un être humain et, comme tel, d'avoir des droits (notamment le droit à la justice), qu'aucun pouvoir, en quelque circonstance que ce soit, n'est fondé à transgresser. Et c'est enfin dans ce Maroc - cuvée 2006 - qu'on va désormais punir de trois ans de prison, en vertu d'une loi qui vient d'être votée, quiconque osera exprimer sa colère contre sa chère patrie en portant « atteinte », de quelque manière que ce soit, à notre beau drapeau ou à l'un des autres symboles de nos prétendues valeurs sacrées.